Dans un petit coin de l’Arkansas traversé par le Mississippi, deux enfants explorent une île déserte. Au gré de leurs découvertes, Ellis et Neckbone font la connaissance de Mud (Matthiew Mc Gonaughey), un vagabond doublé d’un homme des bois, vivant dans un bateau perché dans les arbres. Ils découvrent peu à peu que ce bon sauvage réfugié sur son île est également un fugitif cherchant à rejoindre Juniper, son amour de toujours (Reese Witherspoon). C’est bientôt l’occasion, pour les deux garçons, d’une série de va et viens sur le Mississippi, pour aider Mud à quitter l’île en bateau.
Le charme du nouveau film de Jeff Nichols tient d’abord à quelque chose de très simple, d’élémentaire au sens propre. Il y a la terre qui donne quasiment son nom au personnage principal, l’air frais et lumineux qui caresse jusqu’à la fin du film le visage des personnages, l’eau du fleuve, sur laquelle Ellis vit et se déplace, et enfin des feux de joie et des coups de feu. L’environnement dans lequel s’inscrit notre histoire permet de faire une expérience très concrète du partage entre ces éléments : le flux et reflux de l’eau sur la rive de sable ; puis la forêt et les personnages qui se détachent dans le ciel bleu.
L’opposition entre la terre et le ciel est à l’image d’un film où l’opacité des choses, le mystère de certains gestes, dialogue avec une grande clarté et une très belle luminosité. Comme dans les films de Terrence Malick – cinéaste dont Jeff Nichols est clairement un disciple – les créatures ont les pieds dans la boue et la tête dans le ciel, éclairés par une lumière de fin de journée. L’antagonisme des éléments est fertile : si l’humus semble pénétré par la légèreté de l’air, c’est pour que les choses aient un sens, ne soient pas qu’une matière brute. De la même manière, l’eau est ce qui permet de tout faire circuler : les deux garçons, le matériel pour réparer le bateau, mais aussi les sentiments et les émotions.
Dans Take Shelter, le précédent film de Jeff Nichols, tout dépendait de la manière d’interpréter des signes s’accumulant devant les yeux du personnage principal. L’art du décodage est également utile au regard d’enfant de Ellis. Quel est l’objet de la dispute entre ses parents, surprise au petit matin ? Que signifient ces empruntes marquées d’une croix, dans le sable ? Pourquoi Mud a-t-il tué quelqu’un et pourquoi veut-il rejoindre cette jolie blonde ? Pourquoi ce tatouage de serpent sur la bras de l’un, et cet oiseau sur la main de l’autre ? En même temps qu’ils rassemblent des objets hétéroclites pour réparer et équiper le bateau, les deux enfants semblent absorber tout ce qu’ils voient comme autant de faits et de gestes en attente de sens.
Tout est anodin, dans cette histoire, et en même temps tout est symbolique : le tatouage d’oiseau de Juniper est un simple signe de reconnaissance, mais répond aussi au tatouage de Mud, prolongeant le dialogue évoqué entre la terre et le ciel. Un réseau de symboles se tisse petit à petit, que l’enfant cherche à protéger.
Shotgun Stories, le premier film de Jeff Nichols, mettait en scène l’opposition entre deux fratries, issues de deux mariages d’un même père défunt. C’étaient deux ordres qui s’opposaient sur un fond légendaire : la nouvelle famille, born again christian et très propre sur elle, contre nos héros, des semi vagabonds enracinés dans leur village de campagne du fin fond de l’Arkansas. Cette idée d’une résurgence de l’ordre ancestral, oublié des hommes ou détruit par l’Etat, réapparait subrepticement dans Mud. Le personnage éponyme, avec sa chemise porte bonheur, est pétri de croyances païennes. Ellis quant à lui ne supporte pas l’idée d’être arraché à son Mississippi, et d’assister au démembrement de sa vision du monde. Mais la beauté de cet ordre ancien tient justement de ce qu’il est toujours menacé par la décrépitude.
Au centre de cette mythologie de la terre, il y a l’amour. C’est-à-dire à la fois ce qui fonde la stabilité d’une famille – et qui se trouve justement mis à mal dans la sienne – et ce qui nourrit le désir d’aventure. La question de l’amour est quasiment obsessionnelle dans Mud, car c’est cette forme de croyance qui fait tenir le monde debout : Ellis a confiance en Mud parce qu’il est persuadé que son amour pour Juniper le rend invincible. L’histoire de Mud, un peu comme celle de Take Shelter, est celle d’un équilibre qui vacille et qui finit par se rétablir par magie, parce qu’on y a cru.