Indices, trucs de prestidigitateur, fétiches, accessoires de super-héros, gadgets de scénariste : les objets au sens large occupent une place de choix dans les films de Christopher Nolan. Voici un rapide passage en revue.
Objets. L'objet chez Christopher Nolan vaut avant tout par son pouvoir évocateur, c'est-à-dire par ce qu'il parvient à articuler autour de lui : une enquête, un rêve, des souvenirs. Chaque objet est un monde en puissance. Pour raviver sa mémoire, le Leonard de Memento, s'endort en ayant disposé dans sa chambre des objets ayant appartenu à sa défunte femme (un réveil, une brosse à cheveux, un livre). Le procédé ne fonctionne qu'à moitié : plutôt qu'un pouvoir magique, Nolan prête aux objet une capacité à susciter des raisonnements et de la représentation. C'est cette sorte de puissance spéculative qu'on retrouve dans Insomnia, dont le tableau d'ensemble ne se révèle que par les détails. L'enquêteur joué par Al Pacino est obsédé par les indices (un sac, un livre, un pendentif) au point de n'être plus que le miroir inversé du meurtrier fétichiste qu'il poursuit.
Trucs. Tout objet contenant virtuellement une interprétation, c'est-à-dire une vision des choses, c'est aussi le lieu ultime de la manipulation. Le fameux "truc" des prestidigitateurs de The Prestige. Le tour de magie est rendu possible par un accessoire primordial, un objet pivot capable de faire basculer le regard. L'un des tours du magicien joué par Christian Bale repose sur une simple balle, lancée et reçue par la même personne : un détail qui donne du relief au trompe-l’œil.
Fétiches. Des trucs, il y en a dans tous les films de Christopher Nolan. L'un des plus célèbre est la toupie d'Inception, qui s'arrête de tourner dans la réalité et tourne sans s'arrêter dans le rêve. Chaque personnage du film a son objet "totem" qui est comme son centre de gravité portatif : un étalon de réalité auquel se raccrocher quand tout vacille. L'autre totem célèbre de Christopher Nolan, c'est évidemment Batman, un fétiche fabriqué à partir d'accessoires variés : masque, cape et gadgets en tous genres.
Gadgets. Un gadget est un artefact à la fois ingénieux et perfectionné techniquement. Il est souvent reproché à Nolan d'être l'auteur de gadgets, c'est-à-dire de film compliqués reposant sur des astuces de scénariste : structures non linéaires, multiplication des niveaux de récit et jeux sur la croyance des spectateurs. C'est vrai, et cela pourrait décrédibiliser son œuvre si toute cette complexité et cette facticité des choses n'étaient pas précisément son sujet. Le syndrome de la toupie, dans Inception, dit justement cela : les choses, dans le monde qu'il décrit, n'ont plus un poids de choses. Il n'y a que des objets, des trucs, des fétiches ou des gadget.
Tous ces 'objets, trucs, fétiches et gadgets' interrogent d'ailleurs leurs possesseurs, qui se laissent parfois posséder par eux ("Memento") ou s'en libèrent in fine ("Inception").
RépondreSupprimerPour une lecture détaillée du premier titre :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/08/memento-la-memoire-dans-la-peau.html?view=magazine
Merci pour votre commentaire, et ravi de découvrir votre blog. Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve de la prose consistante sur des films de Nolan, je me mets ça de côté !
RépondreSupprimerMerci à vous, notamment pour le référencement (je fais de même). Pertinence de vos articles sur Nolan, jusque dans les rapprochements : oui, Minnelli s'avère le peintre des rêves, souvent brisés ("Madame Bovary" en symbole) et "Inception" s'enracine dans le même onirique/nostalgique terreau que "Brigadoon". Sur le pseudo 'fascisme' de son Batman - à rapprocher de celui que d'aucuns reprochent encore à Eastwood, comme l'analyse un article ici présent -, Frank Miller, auquel le personnage doit aussi sa violence et sa mélancolie hiératique, essuya d'identiques opprobres à la parution de son 'graphic novel' (mais que signifient donc ces croix gammées tatouées sur les fesses des 'bad girls' se demandait Bob Kane, le 'père' de la Chauve-souris...). Le cinéma de Nolan possède une puissance émotionnelle - je parle dans mon texte de 'cinéma endeuillé - qui le vaccine contre les jeux méta tournant à vide ; la réflexion sur l'art s'alimente à une mélancolie existentielle, ce qui le relie à des cinéastes comme De Palma (qui l'estime, et dont on retrouve des échos de "Mission impossible" dans "Inception" et, qui sait, de "Mission to Mars" dans "Interstellar") ou Cronenberg.
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