jeudi 26 mai 2011

Midnight in Paris - La machine à remonter le temps et à ramollir le tempo

Il avait du charme, le Woody Allen mineur de Whatever Works et You will meet a beautiful dark stranger. Sur un mode anecdotique, il explorait l'air de rien des choses importantes de son cinéma : l'impact de l'observateur sur ce qu'il observe, le désir comme éternel moteur de nos vanités - autant de modulations de l'absence de Woody Allen en tant qu'acteur, et de sa présence comme réalisateur.

Dans Midnight in Paris, ça ne marche pas. Owen Wilson joue bien son Woody Allen, mais il est un peu comme le Chat de Chester avec son sourire : à la fin, il ne reste plus de lui qu'une bouche en cul de poule. Le mol ébahissement s'accorde mal au torrent de rebondissements qui s'abat sur sa pauvre personne.

C'est cela, d'ailleurs, qui pèche vraiment dans le film: non pas l'utilisation des clichés et des statues de cire (peintres, écrivains), mais cette difficulté à en rythmer la valse. A la limite, la surenchère aurait pu avoir son intérêt comique, mais ici les situations se succèdent platement. Au passage, Woody Allen passe à côté d'une variation sur l'obsession moderne de la nostalgie, un sujet sur lequel on se dit qu'il aurait pu faire de grandes choses.

mardi 24 mai 2011

Tree of life - le monde quand nous n'étions pas là

La caméra de Terrence Malick tourne autour d'un point invisible, filme tantôt les fenêtres d'un building, tantôt les branches d'un arbre. Ses plans ne sont pas forcément à hauteur d'homme, parfois à ras du sol, parfois hauts dans le ciel. Surtout, la caméra ne tient pas en place, slalome entre les êtres, modifie sa trajectoire pour un oui ou pour un non, change d'angle pour un visage ou pour un geste - donne au film le tournis des choses-mêmes. Car c'est cela qui se passe en premier lieu, dans Tree of life : la caméra n'est pas le centre de gravité, elle est attirée, repoussée, élevée, rabaissée au rythme de ce qu'elle sert à filmer.

Une voix off qui commence par distinguer la nature et la grâce: on se dit que Pascal va être de la partie. Et s'il l'est, c'est plus encore dans le geste que dans le discours. Il est clair, très vite, qu'il s'agit pour Malick, pour la caméra, pour le spectateur, d'accepter de perdre pied : de voir se dérober, avec ce tournis, avec ce pari, le socle des certitudes terrestres. Et c'est ainsi qu'on se retrouve plongé dans du magma, perdu dans des paysages désertiques, à observer des cellules qui se reproduisent, des planètes qui entrent en collision, un enfant qui va naître. Ne pas avoir peur (ne serait-ce que du ridicule!) d'affronter du regard ces deux infinis, accepter de se perdre dans des plans abstraits à force d'être minéralement concrets - voilà l'audace de Malick, et voilà son pari pascalien.

Paradoxe: c'est la mort qui est le point de départ de Tree of Life. Et la foi du cinéaste, ce fameux pari dans le cinéma, nous fait d'abord regarder là où nous ne sommes pas. C'est-à-dire loin dans l'espace, loin dans le temps. Comme l'un des frères du personnage principal le demande à sa mère (jouée par la magnifique Jessica Chastain) : "raconte-nous des histoires de quand nous n'étions pas là". C'est ce qu'ambitionne le film de Malick: montrer ce que nous ne pouvons voir à l'oeil nu, pour mieux revenir ensuite à ce que nous connaissons intimement. Au minimum, les passages les plus expérimentaux de Tree of Life teintent d'étrangeté les moments les plus banals d'une existence - et donnent une résonance terrible ou épique aux rapports humains les plus normaux (le père, la mère, le frère).

Tree of life est un film musical comme il est un film familial. Le père est l'harmonie, au piano ou à l'orgue, son autorité est implacable comme les accords de Bach. La mère est le rythme, c'est-à-dire la grâce, qui fait tourner, danser, s'envoler, se déguiser, sur des mélodies entêtantes.

C'est du côté de la mère que se place esthétiquement le film de Terrence Malick. Et c'est probablement pour cette raison que le supposé héritage de Kubrick est la fausse piste par excellence: Tree of Life n'est pas monumental, son fonctionnement n'est pas cérébral comme peut l'être 2001. Au contraire, le film est tout dans la gestation, dans le travail inachevé, dans les chemins qui ne mènent nulle part (surtout pas à cette fin maladroite, qui ne doit être vue que comme une ramification parmi les autres.) C'est la meilleure réponse, il me semble, aux nombreuses critiques adressées à Malick. Oui, certains plans taquinent le style d'un Yann-Arthus Bertrand, oui certains autres plans frôlent une littérature des instants de vie à la Philippe Delerm - mais c'est seulement dans la mesure où son esthétique, son audace, sa mise en péril du visible, constitue le meilleur antidote à leur sentimentalisme.