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dimanche 13 février 2011

Le goût de l'invisible - Au-delà, de Clint Eastwood


Après un décevant Invictus, où l’on a vu le classicisme flirter avec un certain consensualisme mollasson, il est très agréable de voir Clint Eastwood renouer avec cette persévérante audace qui fait le charme de sa filmographie.

Dans les films catastrophe, le tsunami arrive en général à la fin, après le crescendo des signes annonciateurs. Dans Au-delà – comme dans la réalité – c’est l’inverse qui se produit. Tout commence par le tsunami, venu prendre les hommes dans leur vie quotidienne, un peu à la manière des habitants de Pompéi. Marie, la journaliste française jouée par Cécile de France, est elle-même emportée et voit littéralement la mort. De la silhouette de cette femme se débattant dans l’eau aux ombres dans la lumière qu’elle voit au moment de mourir, il y a comme une continuité esthétique qui déteint sur l’ensemble du film. Les héros de cet Au-delà seront des êtres frôlés par la mort et figés par elle dans un état spectral.

Mis à part les quelques intrusions du paranormal, sous forme de visions plutôt sobres, l’au-delà se déploie dans le film comme un impératif de mise en scène. Eastwood semble avoir fait ce constat de phénoménologue que la mort peut aider à éclairer la vie. L’imminence ou le souvenir d’événements tragiques est un excellent prétexte pour nous montrer d’un œil neuf les choses les plus simples : la solitude d’un homme, l’amour de deux jeunes garçons pour leur mère, le déclin d’une relation amoureuse....

Tout se passe comme si, dans Au-delà, la mort altérait le regard pour mieux révéler en retour. C’est paradoxalement en baissant la lumière qu’Eastwood parvient à mieux donner forme et relief aux visages. C’est en se masquant les yeux que le personnage de Matt Damon voit naître ses sentiments pour sa binôme de cours de cuisine. Cette scène très réussie où les deux personnages se font goûter des ingrédients à l’aveugle ressemble assez à la gageure du film – faire sentir dans la pénombre ce qui n’était pas visible en plein jour.

Mais c’est, particulièrement aujourd’hui, un miroir obscur que nous présente la mort. Il y a une dimension obsessionnelle dans ces portraits de personnages fascinés, presque aveuglés par la question de l’au-delà. Dieu est radicalement absent, il a cédé sa place à une assemblée de charlatans, qu’on voit se succéder, face au petit Marcus. Avec Internet pour répondre aux questions, s’impose aux vivants un écran de virtualité qui donne un aspect irréel, presque toc, à certaines scènes. Ainsi Cécile de France allant visiter dans son institution des Alpes un médecin spécialisé en expérience de mort imminente – les panoramas sur cette maison de repos semblent sortis d’une pub pour thalasso en Suisse. Dans leur manque de vraisemblance, les scènes se passant en France sont indéniablement les points faibles du film. Mais cette faiblesse même se marie plutôt bien à l’état second dans lequel la journaliste nage et se débat depuis le début du film.

La mort a dans Au-delà une ambivalence qui fait penser à la photographie du drapeau américain planté sur le mont Suribachi, dans Mémoire de nos pères. C’est à la fois une occasion de mettre en scène une humanité intemporelle, poignante ou héroïque, et d’en montrer le revers morbide, avec ces personnages qui vivent leur passé comme une maladie. Clint Eastwood a fait de cette présence de l’au-delà une lumière autant qu’une malédiction, avec un réalisme saisissant qui en dit finalement plus sur la vie que sur la mort.

samedi 20 novembre 2010

Back to the XXth century - Unstoppable, de Tony Scott


Si Unstoppable suscite un vent d'enthousiasme dans une certaine critique, c'est probablement pour la double raison que ce film est le contrepied parfait au cinéma honnis de l'immobilisme sociologisant et que ce contrepied est amené dans une telle épure qu'il semble fournir naturellement aux commentateurs les outils pour son analyse.

C'est vrai qu'il est toujours agréable de voir enfin un film d'action qui n'est que ce qu'il est. Qui dure pile 1h30, nous sert des cheminots beaux-gosses aux dents blanches, et ne prétend à aucun discours prétentieux. Tout, en somme, pour se concentrer sur l'essentiel du film: le mouvement.

Cette séduction du mouvement est simple autant que paradoxale. C'est une manière basique d'imposer un cinéma qui va à toute vitesse et dont l'énergie brute emporte tout sur son passage. Il y a quelque chose de moderne dans cette fascination pour la monstrueuse force créée par la machine. Mais il y a aussi un futurisme délicieusement daté dans cet éloge de l'action à l'état pur. Et on s'aperçoit que, malgré les effets breaking news, malgré les circonvolutions de la caméra, l'obsession de l'énergie fait plus penser au Raoul Walsh de Manpower qu'à tout autre film récent.

Pour pousser plus loin, on pourrait dire que Unstoppable s'inscrit dans une tradition qui associe le cinéma à la machinerie contemporaine. De l'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat au Duel de Spielberg, le cinéma du XXième siècle nous a fourni d'impressionnants exemples de ces bestioles métalliques. D'autant plus effrayantes, ces bêtes-là, qu'elles sont des systèmes vides et sans but, de pur blocs de mouvement exponentiel. Dans le cas du film de Tony Scott comme dans celui de Spielberg, l'intrigue est tellement réduite à néant qu'il ne nous reste qu'à contempler les roulements de mécanique - il n'y a plus d'autre sujet que la vitesse du train, il n'y a plus d'autre sujet que le cinéma comme art du mouvement.

L'impression que l'on garde d'Unstoppable, c'est son surprenant archaïsme vis-à-vis du cinéma américain actuel. Un culte de la puissance technique à mille lieux de la technologie paralysante d'Avatar et une massivité très concrète qui aurait de quoi faire perdre la foi à tous les personnages de Matrix ou d'Inception. Ca ne va pas chercher loin du tout, c'est même terriblement bas du front, mais c'est un bel objet, sorti tout droit du XXème siècle.

vendredi 4 septembre 2009

Inglorious Basterds, de Tarantino - le comique, c'est du sérieux.


Peut-être que l'une des voies de sortie aux éternels débats sur Tarantino serait d'admettre une fois pour toute qu'il fait dans le comique. Du comique où le rapport aux choses est tellement fantasmé - passé au tamis si resserré des registres et références - que c'est la dérision généralisée qui l'emporte. C'est probablement dans Inglorious Basterds que ceci ressort le plus.


Ce film ressemble à un jeu dont les règles changeraient à tout moment. Et pas seulement dans le style (comédie, western et, si peu, film de guerre) ou dans les citations (je renonce à en faire la liste), mais dans l'utilisation subtile des langues: du Français, de l'Allemand, de l'Anglais, de l'Italien. Il y a ce très curieux moment, dans la toute première scène, où celui qui sera de fait le personnage principal, le colonel SS (Christoph Waltz), déclare avec force effets d'annonce qu'il s'apprête à passer du Français à l'Anglais pour poursuivre la conversation - c'est comme ça que ça se passe dans Inglorious Basterds, on change de langue au milieu de la conversation. Avec les langues il y a aussi tout un jeu de rôles qui se met en place, qui va de la carte sur le front au folklore des uniformes nazis, en passant par l'italien délicieux d'Aldo, le personnage de Brad Pitt - les limites de ta langue définissent celles de ton camp. Des uniformes et des postiches qui font aussi penser aux jeux dangereux de Lubitsch (To be or not to be).


Il n'y a pourtant pas que ça: on voit bien que tout ne s'émiette pas au moulinet de la dérision. Chez Tarantino, le comique, c'est du sérieux. Et ce sérieux brûle la comédie par les deux bouts: d'un côté il y a des instants de pure tension, des moments où, contre toute attente, Tarantino semble avoir foi en ce qu'il montre et de l'autre côté il y a des conclusions qui semblent venir de la dérision généralisée, une sorte de propos sur le cinéma et sur le pouvoir que donne sa maîtrise totale. Bref, voici une comédie prise entre une piété superstitieuse (on y croit parce que c'est le cinéma) et l'affirmation de la domination du cinéma sur la vie (et de Tarantino sur le cinéma). Parfois Tarantino est le pieux cinéphile, qui croit dans les purs moments de cinéma et parfois il est le cinéaste mégalomane, persuadé qu'il fait ce qu'il veut avec le cinéma - parfois il est Mélanie Laurent, qui prend soin de bien disposer les lettres du film projeté dans sa salle et parfois il est Mélanie Laurent foutant le feu au cinoche, la réalité avec.

mercredi 5 août 2009

Questionnaire cinéphile

Un peu avant de partir en vacances,voici un questionnaire, tel que traduit de l'Américain par Vincent de Inisfree. D'autres, chez Cinematique, Nightswimming ou Dr Orlof, ont déjà répondu. A mon tour de me livrer à cet exercice pas commode du tout.


1) Quel est votre second film favori de Stanley Kubrick ?

Barry Lindon

2) Quelle est l'innovation la plus significative / importante / intéressante dans le cinéma de la dernière décade (pour le meilleur ou pour le pire) ?

Les plans et la bande-son de Gerry.

3) Bronco Billy (Clint Eastwood) ou Buffalo Bill Cody (Paul Newman)?

Bronco Billy

4) Meilleur film de 1949.

I Was a Male War Bride (Allez coucher ailleurs)

5) Joseph Tura (Jack Benny) ou Oscar Jaffe (John Barrymore)?

Joseph Tura!



6) Le style de mise en scène caméra au poing et cadre tremblé est-il devenu un cliché visuel ?

C'est un procédé comme un autre.

7) Quel est le premier film en langue étrangère que vous ayez vu ?

Le premier dont je me souviens, c'est les Enchaînés de Hitchcock

8) Charlie Chan (Warner Oland) ou Mr. Moto (Peter Lorre)?

Peter Lorre, sans connaître les films en question.

9) Citez votre film traitant de la seconde guerre mondiale préféré (période 1950-1970).

La Grande vadrouille (c'est dire mon amour pour les films de guerre).

10) Citez votre animal préféré dans un film.

Le léopard de Bringing up baby.

11) Qui ou quelqu'en soit le fautif, citez un moment irresponsable dans le cinéma.

Tarantino récompensant Michael Moore.

12) Meilleur film de 1969.

La Sirène du Mississipi, de Truffaut.

13) Dernier film vu en salles, et en DVD ou Blu-ray.

En salle : Prends l'oseille et tire toi, en dvd la Horde sauvage, de Peckimpah.



14) Quel est votre second film favori de Robert Altman ?

The Player

15) Quelle est votre source indépendante et favorite pour lire sur le cinéma, imprimé ou en ligne ?

Les blog cités dans ma liste, puis des revues, quand un sujet me tape à l'oeil.

16) Qui gagne ? Angela Mao ou Meiko Kaji ?

Je passe.

17) Mona Lisa Vito (Marisa Tomei) ou Olive Neal (Jennifer Tilly)?

A l'estime des apparences, je dirais Mona Lisa Vito.

18) Citez votre film favori incluant une scène ou un décor de fête foraine.

Sudden Impact, de Clint Eastwood.

19) Quel est à aujourd'hui la meilleure utilisation de la video haute-definition sur grand écran ?

Je suis encore sous le choc de l'avant-dernière séquence de Public Ennemies.

20) Citez votre film favori qui soit à la fois un film de genre et une déconstruction ou un hommage à ce même genre.

Presque toutes les bonnes comédies musicales, de Tous en scène à All that jazz, mais comme ce n'est pas du jeu de dire ça, je me prononce pour New York, New York de Scorsese.

21) Meilleur film de 1979.

La Vie de Brian, des Monty Python


22) Quelle est la plus réaliste / Sincère description de la vie d'une petite ville dans un film ?

I Vitelloni, de Fellini.

23) Citez la meilleure créature dans un film d'horreur (à l'exception de monstres géants).

La mouche en cours de mutation, dans le film de Cronemberg. Dégoutant.

24) Quel est votre second film favori de Francis Ford Coppola ?

Le parrain 2.

25) Citez un film qui aurait pu engendrer une franchise dont vous auriez eu envie de voir les épisodes.

Disons Le Magnifique, de Philippe de Broca.

26) Votre sequence favorite d'un film de Brian De Palma.

Les vraies fausses révélation de Jon Voight à Tom Cruise dans Mission Impossible, avec un flash back qui montre autre chose que ce qui se dit.

27) Citez votre moment préféré en Technicolor.

Le numéro d'un Américain à Paris autour de la fontaine (Minnelli, 1951)

28) Votre film signé Alan Smithee préféré.

Pas vu.

29) Crash Davis (Kevin Costner) ou Morris Buttermaker (Walter Matthau)?

Kevin Costner, parce que j'aime bien l'acteur.

30) Quel film post-Crimes et délits de Woody Allen préférez vous ?

Match point, avec une mention spéciale pour Scarlett Johansson.


31) Meilleur film de 1999.

Big Daddy, de Dennis Dugan, avec Adam Sandler.

32) Réplique préférée. (Apparemment Vincent modifie sa traduction, pour en faire "slogan de film préféré". Je réponds aux deux questions.)

-la réplique: -Tu es infame. - Je ne suis pas infame, je suis une femme. (Une femme est une femme - et non A bout de souffle comme indiqué au départ, contre toute logique. Merci Père Delauche.)

-Le slogan sur l'affiche de Manpower, de Raoul Walsh (1941): "Robinson - He's mad about Dietrich. Dietrich - She's mad about Raft. Raft - He's mad about the whole thing."

33) Western de série B préféré.

Je me familiarise pour l'instant avec ceux de la série A, tout en gardant au frais ceux de la B.

34) Quel est selon vous l'auteur le mieux servi par l'adaptation de son oeuvre au cinéma?


Je donne ma langue au chat. Aucun exemple ne me vient à l'esprit.

35) Susan Vance (Katharine Hepburn) ou Irene Bullock (Carole Lombard)?

Susan Vance, pour (mais pas seulement!) ne pas dépareiller avec la question 10.

36) Quel est votre numéro musical préféré dans un film non musical ?

Jeanne Moreau dans Jules et Jim.






37) Bruno (Le personnage si vous n'avez pas vu le film, ou le film si vous l'avez vu) : une satire subversive ou un ou un stéréotype ?

Je serais tenté de dire stéréotype en devenir. Mais je n'ai pas vu le film.

38) Citez cinq personnes du cinéma, mortes ou vivantes, que vous auriez aimé rencontrer.

François Truffaut (pour qu'il parle avec son ton de faux calme), Fred Astaire (pour qu'il m'apprenne comment il fait), Andreï Tarkovski (pour qu'il me fasse un cours magistral) - voilà pour le monde des morts -, puis Steve Carell (il faut bien rire un peu) et Pavel Lounguine (pour discuter de la Russie) - voilà pour celui des vivants.

lundi 20 juillet 2009

L'anniversaire de Leila, de Rashid Masharawi

C'est l’histoire d’Abu Leïla, un juge palestinien qui, en attendant de pouvoir exercer, fait le taxi avec la voiture de son beau-frère. Le jour du septième anniversaire de sa fille, il part avec l’espoir de rentrer tôt chez lui, pour célébrer dignement l’événement. C’est compter sans les petits et les grands soucis qui saturent la vie quotidienne, en terre de Palestine. Lire la suite chez Kinok.

samedi 18 juillet 2009

Une étoile est née, de George Cukor - Hollywood sans voile


Est-ce à cause des minutes sans image qui trouent sa version de 1954? En tout cas A star is born, de George Cukor, est un film bien mélancolique. Il est loin, le roi de la comédie de remariage - mais a-t-il jamais été, du moins tel qu'on le décrit? Et si le principe est de faire fuser les répliques, ou de les tisser ensemble, bien serrées, pour faire une bonne comédie, alors la maille s'est peu à peu distendue, de Holiday à A star is born, en passant par The Philadelphia story. Car, de toute évidence, cette texture a des trouées de mélancolie. C'est le visage de Katharine Hepbnurn, les yeux embués, et qui regardent ailleurs. C'est aussi, dans le film qui nous intéresse, le regard halluciné de James Mason.

James Mason, dans le rôle de Norman Maine, est malade d'images plus que d'alcool. Il faut voir le même acteur dépendant à la cortisone dans Bigger than life, de Nicholas Ray - le titre français, Derrière le miroir, dit encore mieux la chose - pour comprendre quel genre de mal il a su exprimer à l'écran. Précisément, cette comédie musicale avec Judy Garland, plus encore que les autres avant, nous fait regarder à travers les mailles du genre, par l'intermédiaire, révélateur, de Mason qui y joue un personnage fondamentalement ambivalent. A la fois l'amoureux, celui qui a les yeux purs du spectateur pieux et fervent, et la créature morbide du système hollywoodien, celui qui brise le miroir et nous laisse entrevoir la folle mécanique. En cela, Norman Maine est le film lui-même.

Truffaut aimait parler de "grands films malades", et il n'y a qu'à regarder la longue cicatrice privant le film de quelques bonnnes minutes pour lui accorder ce statut. Judy Garland, dont ce film raconte aussi un peu la vie, offre de grands numéro en même temps qu'une espèce de maladresse. Il est poignant de voir la façon dont A star is born, par le fait même que c'est un film boiteux, avec des moments de vague tranchant sur des séquences magnifiques, est devenu contre la volonté de son réalisateur, le témoignage vivant de ce qu'il voulait montrer.

lundi 13 juillet 2009

Public Ennemies, de Michael Mann - d'où l'on vient et où l'on va


John Dillinger, c'est un peu le dernier des mohicans de la grande dépression. Dernier grand bandit avant l'avènement et l'institutionnalisation du crime organisé. Encore l'un de ces héros solitaires, qui fourmillent chez Michael Mann, prisonniers d'une modernité grise et métallique. Et la police ne parviendra pas seule à bout de Dillinger: hors-la-loi au pays des hors-la-lois, il ne sera coincé que grâce aux forces conjuguées des fédéraux de la mafia.

Chose surprenante: s'il est un doux rêveur, le personnage brillament incarné par Johnny Depp ne rêve pas, ou que brièvement, à un après idyllique. Pas de futur impossible, cette fois, ni de projection en trompe-l'oeil, comme on en trouve tout le temps chez Mann - que l'on songe aux projets éternellement en suspens du taxi Max de Collateral, ou aux envies de fuite du personnage de De Niro dans Heat. Plus que ça, les intentions de Dillenger resteront pour nous quasiment opaques, en ce que nous le verrons à peine se représenter sa vie future, ou tout au moins les issues possibles. Pour la simple raison que ceux qui s'occupent de cela pour lui, ceux qui s'occupent de représenter, de cadrer, de cerner quelque chose ou quelqu'un, ce sont cette fois les flics, et plus précisément l'un d'entre eux: Melvin Purvis. Il y a à ce titre une scène typique de chasse à l'homme, où le personnage de Christian Bale vise son brigand gibier (un certain Pretty Boy Floyd) à travers les rangées parallèles d'un verger. Le plan a ceci de significatif qu'il donne l'impression que le fuyard, filmé de dos, fait du surplace alors qu'il est en train de courir à toutes jambes. Voici le genre de représentation qui détermine la trame de Public Ennemies: une visée annulant toute profondeur de champ, une ligne de mire interdisant toute perspective de fuite.

Le Dillinger de Michael Mann a, pour nous qui le voyons et pour ceux qui le poursuivent, un aspect insaisissable, hors du cadre. D'ailleurs, le scénario simplissime fonctionne sur un ressort unique et obsessionnel: il fuit, on le retrouve, fussillade, il s'échappe. Il a en face de lui, nous l'avons dit, des gens qui n'ont de cesse de le cadrer, de le représenter comme on mettrait en cage. C'est l'imagerie de la modernité - oppressante comme ces téléphones, ces cables, ces branchements, ces standardistes en bras de chemise, que l'on rencontre à la fois à l'endroit où la police met sur écoute et dans l'antre de l'organisation criminelle. L'imagerie moderne, c'est aussi le mur sur lequel Dillinger se voit représenté avec ses complices, presque tous morts, c'est indiqué sur les photos - de toute façon, on se le dit et peut-être qu'il se le dit aussi, on ne reste pas longtemps vivant lorsqu'on est en photo sur ce mur, c'est bien le principe.

Toute image n'a pas forcément cette odeur de mort. Car il y a bien du rêve, de la projection, dans la relation qui unit notre héros à Billie Frechette (Marion Cotillard). Quand tout le monde se soucie "d'où l'on vient", lui dit-il, il préfère accorder de l'importance à "où l'on va". Ce qu'il propose à Billie, c'est la vie d'aventure qu'il a déjà, ici et maintenant, dans cette trajectoire qui relie le passé au futur. Un rêve éveillé qui n'a pas pour lieu un improbable futur, mais un présent radical, entier et concret. Et ce rêve magnifique a tous les attraits du travail de Mann sur le numérique: une image trop précise, presque télévisuelle, que le cinéaste transforme en matériau pour des séquences impressionnistes - ce sont les pluies de flash et de fumigène, les décharges de lumière des mitraillettes, ou les jeux de phare et de reflet sur les voitures luisantes.

D'ailleurs le peuple ne s'y trompe pas, qui fait de lui un héros romantique, un Robin des bois moderne. Car avec le versant positif de la représentation, il y a le cinéma et la mythologie. A la fin, Dillinger va voir Manhattan Melodrama où il voit Clark Gable marchant fièrement vers son exécution. La scène qui suivra, celle de sa propre fin, aura peu à envier au cinéma d'antan. Il fallait cela, il fallait mourir en beauté, comme au cinéma, pour entrer dans la légende.

dimanche 12 juillet 2009

Whatever works - New-York est revenu!


On l'avait presque oublié, celui-là. Le new-yorkais névrosé, celui qui parle à la caméra, celui qui a des théories sur tout, le mégalomane attendrissant. Et, pour le coup, ce n'est pas Woody Allen, mais un certain Larry David, un chauve à lunettes. Son personnage, Boris Yellnikov, ressemble d'autant plus au cinéaste que ses réguliers apartés au spectateur lui donnent quasiment un statut de narrateur, qu'il semble difficile de dissocier de celui du metteur en scène.

Il s'agit d'illustrer, sur le mode comique, le slogan selon lequel "nous ne sommes que des vers". C'est cela qui charme, d'ailleurs, dans Whatever works: d'un côté une trame schématique, assez peu vraisemblable, et de l'autre une prétention à l'observation scientifique. Et il y a comme du Heisenberg de boulevard à montrer la façon dont l'observation, toute désabusée qu'elle soit - et c'est précisément le rôle de Boris - influe finalement sur l'objet d'étude.

L'objet d'étude, ici, c'est l'anthropologie new-yorkaise, à la quelle viennent se frotter des Américains profonds, des Américains du sud. La rencontre donne lieu à des formules cocasses (un exemple: le sudiste demandant à son camarade de comptoir s'il est "de la confession homosexuelle" et pestant contre toutes les femmes, "either male or female"). La conversion de la famille américaine traditionnelle aux moeurs dissolues de New-York est simplement présentée comme le passage d'une mascarade à une autre, la seconde n'étant pas moins absurde que la première - même si c'est celle du faux observateur et du vrai metteur en scène. Relativisme culturel aussi facile qu'efficace, notamment quand il s'agit d'éclairer le sens du titre: Whatever works...
Des avis plus tranchés chez Nightswimming et Dr Orlof

lundi 6 juillet 2009

Jeux de pouvoir: héros chevelu pour histoire échevelée

Ce n'est pas seulement la présence de Ben Affleck qui donne à Jeux de pouvoir un côté nostalgique, voire ringard. C'est aussi plusieurs autres choses comme la référence aux thrillers politiques de Pakula et Pollack (Les Hommes du président, les Trois jours du Condor) et l'éloge sans illusion qui y est fait d'une presse papier en stade terminal. Ceci, loin d'être accessoire et joli prétexte à des remarques émues des critiques cinéma de ladite presse papier, est en fait la base même du film de Kevin Mc Donald.

Avant même les rebondissements d'une intrigue prenante, avant même l'esthétique (vintage, elle aussi), c'est le vocabulaire et les dialogues qu'il faudrait analyser. Entre Russel Crowe (le journaliste chevelu) et la responsable du site Internet du journal en question, entre ce même chevelu et la directrice du journal, entre tous ces journalistes et la police, il y a un grand débat lexical. "Comment appelle-t-on ce qu'on est en train de faire?" semblent vouloir récapituler épisodiquement les protagonistes. Dans la mêlée, on entend investigation, gossip, facts, blog, truth, case, scoop et - celui qui finira par s'imposer - story.

Peut-être voyez vous où j'en viens: la question de la presse d'investigation est intéressante, ici, dans la mesure où sa capacité à raconter une histoire est en question. Son autorité, en somme. Aussi l'intérêt de Jeux de pouvoir est-il moins dans les révélation, plutôt communes, mais dans cette histoire qui, sous couvert de rebondissements, met en question sa propre autorité, sa propre légitimité, comme Russel Crowe doutant de son ami. Et c'est aussi le thriller politique qui, avec Mc Donald, ne se fait guère d'illusion sur sa portée, qui n'est guère que celle du divertissement nostalgique.

lundi 8 juin 2009

El Dorado, de Howard Hawks - misères de l'impuissance



A propos d'El dorado, on fait souvent remarquer, à raison, les similitudes avec Rio Bravo. De ces deux westerns de Howard Hawks, celui qui nous intéresse ici est le plus tardif, ce qui n'est pas anodin, quant à ce qu'est devenu le cow-boy dans la mythologie du western.

Le cow-boy est par excellence celui qui fait, celui qui exécute, c'est ce que nous nous disions à propos de L'Homme de la Plaine, d'Anthony Mann. Reliquats du western classique, John Wayne et Robert Mitchum sont deux variations de cette figure de puissance. L'un est chasseur de primes - force sauvage, mercenaire, mise au service du bien - l'autre est shériff - c'est-à-dire seule puissance vraiment légitime. Entre eux, dès le début, et en guise de présentation, il y a un fusil qui, une fois la tension lâchée, passera de mains en mains, comme entre frères d'arme.

Mais John Wayne et Robert Mitchum sont déjà deux vieux. Et ils sont travaillés de l'intérieur, l'un par une balle reçue (d'une femme!), l'autre par l'alcool. Impuissance et paralysie dévorent petit à petit les deux compères. En lieu et place de son revolver, Mitchum se retrouve bouteille en main, au saloon, alors qu'il est provoqué et moqué par ses adversaires. Quant à John Wayne, il doit littéralement passer l'arme à gauche pour en imposer encore un peu. Tous ces petits ennuis d'impuissance, qui gangrènent l'action de ce western, ressemblent à des signes. Le film date de 1966, on est déjà dans les sixties, et le passage de la puissance à l'acte commence déjà à se dérégler, de l'autre côté de l'écran.

La puissance est toujours au western question d'armes. Aussi, du couteau au pétaradant pistolet, James Caan apporte-t-il sa jeunesse au film d'Howard Hawks. Voici des gestes neufs, inattendus - comme lorsqu'il se jette sous les chevaux pour attaquer les cavaliers - en même temps qu'explosifs et parfois approximatifs (son pistolet semble éclater à chaque fois qu'il tire et il blesse à la fin John Wayne par erreur...)


Toute cette jeunesse ne nous enlèvera pas l'impression que la figure du cow-boy a été atteinte. Peut-être est-ce avec El Dorado qu'aura fait son apparition le western rongé par sa propre fin tel que nous le connaîtrons, au moins, jusqu'à Unforgiven?

samedi 30 mai 2009

Regardant pour Eric (Looking for Eric)

On ne me la fera pas. C'est pas parce qu'on nous montre des engliches bedonnants, un appart mal rangé, un héros à qui il manque des dents - bref, ce n'est pas parce que c'est signé Ken Loach - que ce n'est pas une comédie comme une autre. Et c'est tant mieux comme ça. Mais il n'est pas sûr que Ken Loach, ou son scénariste, se soient vraiment résolus à s'en contenter.

Cela donne une première partie assez jouissive, où l'on fait connaissance avec le Cantona personnel d'un Eric Bishop pas bien dans ses baskets. Dans ces dialogues improbables, souvent très amusants, se mêlent les ennuis du facteur déprimé, avec sa passion: le football et Eric Cantona. Puis au milieu du film se développe l'intrigue parallèle d'un beau-fils embringué dans une histoire de mafia et de flingue à cacher. D'un seul coup c'est le chaos, il y a des flics, ça crie... Ils étaient tout de même plus paisibles, les proverbes de Cantona. La seule utilité de cette complication dramatique est sa résolution, l'amusante "opération Cantona", qui est à l'image du film: une gentille comédie qui cherche un peu trop à être prise au sérieux.

Sur le film, voir les avis autrement plus constructifs de Nightswimming, et de Inisfree.

vendredi 29 mai 2009

Sergeant York, de Howard Hawks - Voyage au bout de la gloire

Sergeant York, de Howard Hawks, a été fait en 1941, au moment de l'entrée des Américains dans le second conflit mondial. Le film, based upon a true story, met en scène un Gary Cooper un peu simple, que 1917 et l'intervention américaine en Europe viennent cueillir jusque dans le fin fond de son Tenessee natal - il se révèle un tireur hors-pair. Avec ce contexte patriotique, on sait à quoi s'attendre. Et Howard Hawks a su en effet rendre un certain génie de l'Amérique patriotique, celui que tout le monde moque trop facilement.

Ce film est l'histoire de trois conversions. La première est celle de l'amour. Mais attention, pas de l'amour passionnel et gnangnan, non, l'amour campagnard du fermier qui doit agrandir son lopin de terre pour pouvoir prétendre épouser sa fiancée. Apologie du travail, de la construction de soi-même par la sueur. Cette partie est très réussie: Hawks y construit sous nos yeux le caractère d'un personnage déterminé. Alvin York doit rassembler une certaine somme d'argent pour acheter ce bout de terrain, et le rythme des petits boulots va crescendo jusqu'à être suspendu, lors d'un concours de tir, à sa dextérité face à la cible. Seconde conversion: la Conversion, c'est-à-dire la révélation religieuse. Elle se passe sous la pluie, pendant un orage. Comme saint Paul, le voilà qui tombe de son cheval, touché par la foudre. Deux conséquences: l'amitié avec le pasteur, qui devient pour lui comme un père, et une légère altération de son caractère - Alvin s'en trouve plus humble, moins emporté. Troisième conversion, la conversion patriotique. Celle-ci passe par la camaraderie et par la découverte de grands modèles américains tels que Daniel Boone (qui n'est pas ch'ti, mais originaire de Pennsylvanie), puis par une réflexion, à la fois sur la Bible et l'Histoire des USA. Scène un peu pompeuse, mais qui a l'évidence pour elle, où Alvin York médite, en uniforme, au sommet d'un rocher sortant du brouillard...

Plus que le schéma idéologique en lui-même - propre aux Etats-Unis: travail, religion et patriotisme -, c'est l'aspect dialectique de son enchaînement qui a son intérêt. L'agressivité du combat vient en rupture avec le pacifisme du croyant, qui s'opposait lui-même au volontarisme du travailleur, antithèse de la débauche du tout premier Alvin York. Howard Hawks rend très bien ces paradoxes qui font à terme la richesse du personnage, dans une forme de synthèse. L'autre grand mérite de la mise en scène réside dans les petits détails, souvent comiques, qui donnent vie à l'ensemble. Par exemple le chuintement des bottes, pendant le sermon du pasteur. Un détail particulièrement savoureux est, lors du concours de tir, le bruit que Gary Cooper fait pour que le poulet lève la tête qu'il s'agit de viser. Un peu comme le personnage de L'Impossible monsieur Bébé imite le mugissement du tigre. C'est d'autant plus drôle que la même technique sera utilisée face à un poulailler d'Allemands. Si c'est pas du patriotisme version Hawks ça!

Enfin il est difficile de ne pas mettre ce film en relation avec Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter), de Michael Cimino, dont on pourrait dire qu'il constitue l'exact inverse. La structure, en forme d'avant-pendant-après la guerre est relativement similaire, et il y a cette même attention accordée à la vie de la communauté et à la façon dont celle-ci est affectée par des tels événements. Mais de Sergeant York au film de Cimino, la guerre a changé de visage. Elle n'est plus suspendue à l'action habile des soldats exemplaires: elle broie au contraire ses acteurs dans un courant cruel. Aussi la scène, comique, du rapport d'Alvin York à l'animalité (un poulet), prend-elle dans Voyage au bout de l'enfer une teinte majestueuse et dramatique (un cerf). L'action des personnages a perdu de sa portée, de 1941 à la guerre du Vietnam, et le constat a gagné en amertume. On entend pourtant, à la fin du film de Cimino, cet hymne devenu triste, que l'on claironnait encore joyeusement dans Sergeant York.

mardi 26 mai 2009

La Nuit au musée, 2 - l'Amérique nostalgique



La première Nuit au musée nous avait initiés à l'Amérique comme zoo historique. C'était à la fois le musée-Amérique - c'est-à-dire l'Amérique qui rassemble tous les rêves, fantasmes, lubies historiques, comme elle hébergea les premières communautés utopiques - et le musée-cinéma - c'est-à-dire la projection et la synthèse du monde et du temps historique. A vrai dire, les deux (Amérique et cinéma) sont ici indissociables.

Il y a aussi l'Amérique comme mythe démocratique et communautariste. C'est ici que l'histoire prend un tour comique, puisque sont rassemblés dans cet espace clos plusieurs empires expansionnistes. Ainsi dans le premier épisode, le cow-boy miniature se heurte à la cloison qui le sépare du centurion miniature. Chaque empire qui prétend à la domination absolue (jusqu'au méchant, qu'il soit tatar ou égyptien) se trouve ravalé au rang de communauté, au nom du relativisme culturel propre au musée. Dans La Nuit au musée 2 il y a cette drôle de réplique d'Ivan le Terrible, qui pinaille sur la traduction de son nom et prétend qu'il n'est pas si terrible. Tout se passe comme si chaque moment historique était une communauté comme une autre et avait droit à sa part de revendications.

Larry, dans tout ça, alias Ben Stiller, est le petit gars sans histoire. Idéal démocratique, lui aussi, façon Mr Smith. Sauf qu'au début de la Nuit au musée 2, il est devenu le patron encravaté d'une entreprise en pleine expansion. Voici le mythe de l'entrepreneur venu perturber les autres récits historiques. Portable greffé à l'oreille, Larry est aussi dépendant de la technologie que le sont les créatures du musée, bientôt chassées pour être remplacées par des images de synthèse. Il y a une certaine ironie à opposer la fausse résurrection historique, la technologique, à une plus vraie, la nostalgique, alors même que tout le film repose sur des créatures en numérique. D'ailleurs la fin est assez facétieuse, où l'on fait croire à des images de synthèse pour justifier la vie de ces créatures.

Bref, nous avons affaire à une Amérique en quête de sa simplicité perdue, où tous les petits empereurs, qui sont tout un chacun, retrouveraient une forme de grâce, d'harmonie à vivre ensemble. Cette naïveté recherchée, ce sont les quelques pas de danse esquissés par une créature de Degas ou le passage dans une photographie en noir & blanc, à la Rose pourpre du Caire. Et on y croit parce que c'est Ben Stiller et parce que c'est drôle, tout simplement.

dimanche 24 mai 2009

L'Homme de la plaine, d'Anthony Mann - le paradoxe du cow-boy


Il y a un paradoxe, dans la figure du lonesome cow-boy. Voilà en effet un personnage bien en selle, droit dans ses bottes, en même temps qu'un héros lointain et mythique. On le verrait bien attaché à une terre, à un domaine - à un ranch! -, il reste l'éternel cavalier errant, nomade - déraciné. Beau gosse, il échange des regards avec la belle du village, mais rien ne se fait: il part. Pas de grandes déclarations.

Dans L'Homme de la plaine (Anthony Mann, 1955), James Stewart incarne parfaitement ce paradoxe. Il y a d'un côté le convoyeur venu livrer de la marchandise, celui qui se bat et mord la poussière. De l'autre, il y a un homme aux motifs mystérieux, dont on ne se figure ce qu'il et venu faire en ces terres hostiles que par allusions - par exemple les restes calcinés d'une patrouille de Cavalerie, au début du film. Lockart (Jimmy Stewart) est ici à la fois l'homme qui met les pieds dans le plat, provoque les bagarres, déclenche la catastrophe et l'étranger de passage, à peine arrivé et bientôt reparti, celui qui disparaîtra sans qu'on ne saisisse vraiment qui il est.

Le cow-boy est un insaisissable. Un personnage qui accomplit bien plus qu'il ne s'accomplit. Il est l'action pure et l'inachevé en personne. Il est la raison d'être de l'histoire et pourtant il y participe à peine. Dans un western, le cow-boy est le récit même.

C'est que, plus qu'acteur, le cow-boy joue souvent ce rôle d'agent révélateur. Le personnage féminin s'interroge, dans L'Homme de la plaine: "Que serait-il arrivé si vous n'étiez pas venu?" Toute la question est là en effet. Toutes ces querelles sourdes et ces haines latentes étaient déjà là, mais c'est pourtant notre personnage qui les fait exister, éclater. Sergio Leone puis Clint Eastwood sauront bien reprendre à leur compte cette caractéristique. Avec notamment, pour le second, Pale Rider et L'Homme des hautes-plaines - le cow-boy est auréolé d'une aura mystique, puisque son action pure est révélatrice, apocalyptique.

Dans le film d'Anthony Mann, la tension entre la puissance et l'acte - les émotions et l'action - est magnifiquement figurée par le fusil, cet objet autour duquel tourne toute l'intrigue. Une arme d'attaque et de dissuasion dont la détente a été pressée une fois, à l'origine, pour tuer le petit frère de Lockart et donner lieu à l'histoire.

Almodovar: Etreintes brisées


S'opposaient, dans Volver, deux visions de l'image. Ces deux cinémas distincts étaient celui de papa, qu'il s'agissait de tuer - car il était celui du désir dérivé et incestueux - et le cinéma maternel, celui de l'émotion et du recueillement familial. Il y a des films obscènes, d'autres émouvants, tout l'art tient dans la gestion de l'émotion. Ce schéma se complexifie sérieusement dans Etreintes brisées. D'une part parce que le sujet devient bien plus explicitement le cinéma, d'autre part parce que les propositions visuelles, ainsi que les supports, se démultiplient.

D'abord le nouveau film d'Almodovar parle beaucoup de cinéma. Un peu trop. Le héros est un scénariste - un cinéaste devenu aveugle -, Penelope Cruz est une actrice (au sens large), transformée en Audrey Hepburn par son amant adorateur. La moitié du film concerne un tournage, tournage lui-même filmé par le fils du producteur, un producteur accessoirement mari de Lena (Penelope Cruz). Au-delà de cela il y a beaucoup de genres qui se rencontrent, principalement le thriller et le mélodrame. Almodovar marie tout ça avec une certaine virtuosité, il faut le dire. Et son actrice semble porter sur elle toute l'histoire du cinéma, la pauvre. Il y a cette scène de séance photo où elle porte une perruque blond platine, ainsi que, ironie du sort, des yeux en boucles d'oreilles. Comme si l'actrice, l'objet de tous le regards, rendait la pareille à tous ses spectateurs - et compensait la cécité future de l'artiste.


Avec les histoires qui se croisent et se répondent, ce sont différentes façons de voir et de mettre en scène qui sont montrées. En gros, on en distingue trois: celle de Martel, le mari richississime de Lena (c'est le cinéma du vieux, le cinéma-mort, la dictature du producteur), celle de Harry Caine (alias Mateo, le cinéaste amoureux, l'artiste), celui d'Ernesto (l'ambigu qui filme tout, finalement sauvé, mais qui sert l'un, puis l'autre). Ce qui est réussi, dans ce jeu d'images, c'est la façon dont est montré un cinéaste essayant de sauver un film pour mieux comprendre sa vie. Un peu moins réussie, en revanche, est la manière de vouloir toucher en même temps l'émotion et l'intelligence d'un spectateur qui, du coup, restera toujours un peu en dehors de ce puzzle pop-art.

lundi 18 mai 2009

Greta Garbo: la Dame aux caméras


Doit-on l'appeler Marguerite Gautier (c'est le nom du personnage), Camille (c'est le titre du film - si quelqu'un peut m'expliquer pourquoi, je suis preneur), Dame aux camélias (le film est une adaptation de ce roman d'Alex Dumas numéro 2), ou simplement Greta Garbo (car c'est d'elle qu'il s'agit)? Le film de George Cukor - Camille, donc - n'apporte pas de réponse à ces questions.

Au contraire, ce mélodrame ajouterait plutôt à la confusion, avec cette Greta Garbo qui, en demi-mondaine qui se respecte, y va toujours de sa moue, de son éclat de rire, de sa remarque impromptue. Femme regardée, femme courtisée. C'est dans ce grand carnaval, pudiquement appelé "half-world" en introduction, qu'évoluent nos deux personnage. L'une a mille visage, l'autre est entier, candide - Robert Taylor a une naïveté qui lui donne des airs de James Stewart.

Dans ce grand mélodrame, le comique que nous décrivions à propos de The Holiday, est comme inversé. Le burlesque n'est plus un rire de défense contre une société qui écrase, c'est au contraire ici le "demi-monde" qui est un grande danse grotesque, un grand carnaval, et auquel l'amour vrai oppose tout son sérieux et tout son drame. Bien sûr ce n'est pas un film très drôle, c'est même un mélodrame assez classique, et on s'énerve parfois de la solennité qui préside à l'union de ces êtres passionnés. Mais au moins le jeu de Greta Garbo gagne en intensité à mesure qu'elle se dépouille de son petit jeu de femme du monde. On voit bientôt clair à travers la comédie, et c'est sa marche vers la mort, qui est aussi marche vers l'amour, qui semble dévoiler la vraie Greta Garbo, derrière la dame aux caméras.

mercredi 6 mai 2009

Still walking - la marche des rituels et les rituels de la marche


Pas facile, la vie de famille chez les japs. Entre un fils cadet qui souffre de l'éternelle comparaison avec son défunt frère aîné, et qui n'arrive pas vraiment à faire accepter sa veuve d'épouse, une mère qui ne se remet pas de la mort de son fils, un père qui ne se remet pas d'être le seul médecin de la famille, enfin une fille qui essaie de s'incruster définitivement dans la maison parentale, avec mari et enfants : la réunion famiale que met en scène Kore-Eda Hirokazu dans Still Walking a peu de choses en commun avec une partie de poilade généralisée. D'autant que souvent la caméra n'est pas très légère. Elle insiste. Regardez, regardez donc la tête du cadet quand on parle trop de l'aîné défunt, ou alors: regardez, regardez donc les manières d'un père qui n'arrive pas à exprimer ses sentiments... Un ensemble de sentiments censés être imbriqués, complexes, latents parfois, sont étendus au grand air. Comme le linge, celui qu'on lave ou qu'on a pas le coeur de laver en famille. Un peu schématique et emmerdant, donc, ce système de sentiments refoulés pas tant refoulés que ça.


Bizarrement, si Still Walking est un beau film, c'est comme malgré son projet. Malgré le motif initial que l'on devine plus ou moins, et qui revient en gros à donner à voir l'entrelac émotionel caché derrière les rituels familiaux. J'ai été plus ému par les rituels que par les sentiments. Les moments les mieux filmés sont les instants gratuits, ceux où les enfants jouent par exemple. Il y a aussi les marches, dont les points d'arrivée et de départ importent peu, des marches qui se ressemblent car elles sont toujours la preuve qu'on est encore vivant, qu'on a encore les pieds sur terre, probablement l'un des sens de still walking. La marche comme condition des vivants, mais la marche aussi comme communion avec les morts - c'est le principe de la tradition. C'était là avant et ce sera là après, autre sens de still walking. Communion avec un mort en particulier, le frère aîné, dont l'absence hante tout le monde. Pire que l'arlésienne celui-là.



Plus que de montrer que toutes les familles se ressemblent, qu'il y a des secrets, des non-dits et de l'inachevé dès qu'il y a parents et enfants, la force du film de Kore-Eda Hirokazu aura certainement été de donner à voir la puissance des rites. Et en quoi ils nous dépassent.

dimanche 3 mai 2009

Guignol contre le grand spectacle - Holiday, de George Cukor


On peut appeler ça la lutte des classe, mais à mon avis la confrontation dont Holiday est la mise en scène est bien plus simple. Ou plus subtile. Dans ce film de George Cukor, où Gary Grant donne la réplique à une superbe Katharine Hepburn, un peu avant The Philadelphia Story, on voit un jeune homme aussi méchu que farfelu embarqué dans le grand jeu des fiançailles avec une riche héritière (la soeur de Katharine Hepburn - vous voyez venir le drame.)

Vont s'opposer deux mondes, ou plutôt deux scènes. D'abord il y a la grande bourgeoisie américaine. Le décor consiste en grandes pièces marbrées, en escaliers majestueux et en smokings amidonnés. C'est sur cette scène, à l'ambiance assez guindée et pas très commode, il faut le dire, que débarque Johnny Chase, le personnage de Gary Grant. Forcément, celui-ci détonne d'entrée de jeu. Direct, il entre côté jardin au lieu de côté cour, mélange les registres dans ses répliques aux domestiques, et semble confondre cravate et noeud pap. Plutôt que de se laisser effrayer par le silence éternels des espaces infinis de cette grande demeure bourgeoise, Johnny Chase se met en mouvement, allègre dans les décors figés.


Une chambrée, ou un âtre, vient s'opposer à ces espaces interminables et inhospitaliers. Il s'agit de la salle de jeux, essentiellement habitée par l'originale de la famille, la soeur de la fiançée: Linda (Katharine Hepburn). On y trouve entre autre piano, percussions, livres, cheminée, flutes, chevaux en bois et - très important, nous le verrons après - un théâtre de marionnettes. C'est aussi un lieu qui a été déserté par le frère, qui y fit jadis fructifier ses talents artistiques, auxquels il renonça finalement sous l'impulsion de son père. C'est bien entendu en cet endroit que se rencontrent pour la première fois Gary Grant et Katharine Hepburn.

Car si les deux scènes sont un temps laissées à l'abandon, c'est bien vite que le jeu s'anime: les deux théâtres s'opposent, les deux spectacles s'affrontent. L'essentiel se passe pendant la réception en grandes pompes, donnée à l'occasion des fiançailles. Le couple cousin de la fiancée, parcourt de ses sarcasmes suffisants la foule des convives. Linda, dont l'absence est remarquée, a préféré rester dans cette salle de jeux qu'elle appelle sa chambre. Vont bientôt s'y retrouver Johnny Chase, le frère de Linda et le couple d'ami de Johnny, qui sont la simplicité même. Toutes sortes de petits jeux, burlesques pour la plupart - de la musique, des discussions, des gags - se mettent à former un contrepoint à la réception qui se tient dans l'étage du dessous. Le sommet de cette subversion du grand spectacle de la bourgeoisie est atteint quand les vieux amis, exact inverse du couple snob des cousins, se mettent au spectacle de marionnettes, dans lequel ils ont l'air de moquer le "grand jeu" des fiançailles.





Ce qui se passe, dans cette salle de jeux, ressemble à une révolte du burlesque contre la grande forme ou contre l'esprit de sérieux. Pourtant, si l'aspect comique est moins important dans Holiday que dans une comédie de Hawks par exemple, c'est aussi parce que Cukor montre la façon dont le burlesque, le petit jeu, l'excentricité, se laisse facilement engloutir par le grand spectacle du conformisme. Tragédie bourgeoise. Ainsi, même s'il y a le happy-end, on retient surtout le sourire résigné du frère Ned, au-dessus de son verre de champagne, celui qui a tout compris mais a préféré renoncer...

mercredi 29 avril 2009

T'as le look Coco (d'avant Chanel)


Il ne fait pas bon être un homme dans un film comme Coco avant Chanel. D'un côté, il y a l'aristo fin de race, désabusé, vaguement macho dès qu'on passe aux choses sérieuse (le travail par exemple). Dans son rôle, Benoît Poelvoorde est d'une excellente ambiguïté. Il n'en demeure pas moins celui qui ne croit pas dans le génie et dans l'indépendance de Coco. De l'autre côté, il y a le beau ténébreux, caché derrière son accent et sa moustache ridicules. Voici l'homme-objet. Un "gentleman anglais" vide comme une bouteille de champagne au petit matin. C'est lui, l'amour de sa vie - ce qui donne une idée de la haute estime à laquelle Coco pas encore Chanel tient l'homme en général.

Il ne fait pas bon non plus être une femme, dans Coco avant Chanel. Quelles sont ces femmes qui ont besoin de couleurs et de frou-frou pour être femmes? Coco, elle, est simple, elle est libre. Anne Fontaine prend soin de filmer religieusement son aura d'authenticité, au milieu du cadre, au milieu de la foule. Peut-être que le sombre et le sobre lui vont bien au teint, à notre Coco, mais on ne peut pas s'empêcher de se dire que sa quête de simplicité préfigure la banalité du tailleur d'open-space. La patronne dictatrice perce déjà sous la Coco anarchiste. Bonjour tristesse.

dimanche 26 avril 2009

Ankara, nid d'espions - les petits détournements


L'Affaire Cicéron (Five Fingers, pour le titre en v.o.), de Joseph L. Mankiewicz a pour cadre les ambassades anglaises et allemandes à Ankara, au plus fort de la seconde guerre mondiale. La diplomatie se trouve ainsi mise en scène, avec ses personnages, ses rituels, ses apparences, et ses bons mots. La guerre met des gants de velour et donne son visage le plus apprêté. Celui de Danielle Darieux d'abord, modèle de raffinement et, nous allons le voir, d'ambivalence, puis celui de Von Papen, digne représentant de l'intelligence et de la distinction de la noblesse allemande.

Bien sûr, on a beau être en 1944, la guerre est comme absente de ce film d'espionnage. Ou du moins, la guerre n'est pas celle que l'on croit, ce n'est pas le Reich contre les alliés. Non, Von Papen, par exemple, est moins un représentant du nazisme qu'un aristocrate pur sang et serait bien plus proche, à l'écran, dans sa prestance, du lord d'en face, l'ambassadeur anglais, que de son subordonné Moyzisch. Les deux ambassades mises en miroir présentent à l'évidence la même structure, la même hiérarchie, le même ordre. La guerre véritable est menée par un homme, notre Cicéron (James Mason), qui cherche à subvertir cet ordre.

La première fois que nous le voyons, surgi de nulle part, pour s'introduire dans l'ambassade allemande, il présente toutes les caractéristiques d'un diplomate ou d'un espion. Il a l'autorité, l'applomb nécessaire pour négocier les termes d'un marché avec Moyzisch. Il convainc d'emblée, par la seule apparence. Pourtant, nous nous en apercevons plus tard, il n'est que le valet de l'ambassadeur anglais et il cherche à vendre ses informations aux Allemands. Mais il a compris que ça se passait du côté de la mise en scène. Ce qu'il n'a pas compris, en revanche, c'est que le statut de ces aristocrates n'était pas accessible par le détournement et l'amas d'informations sonnantes et trébuchante. Le qualitatif est inaccessible au quantitatif. C'est ce que la trahison de la comtesse Staviska (Danielle Darrieux) lui rappelle cruellement et dans la dernière scène, à Rio, les billets sans aucune valeur que James Mason laisse s'envoler, symbolisent sans doute la vanité de ce combat perdu d'avance.

Ce détournement-là peut, si on a l'esprit suffisamment tordu, faire penser à un autre, qui se sert lui aussi d'un jeu d'apparences. Car que singe OSS 117, sngulièrement Le Caire nid d'espions, sinon ces bons mots échangés entre diplomates distingués, ainsi qu'un ordre esthétique bien déterminé? Hazanavicius, le réalisateur, est adepte du détournement - il est l'un des créateurs du Grand Détournement (avec des dialogues inventés sur des séquences de vieux films.) On pourrait dire qu'avec OSS 117 - Le Caire nid d'espion, il avait précisément tenté de subvertir un genre, le film d'espionnage, en s'inspirant très précisément des détails visuels et en plaquant par dessus un discours pataud, celui d'un personnage représentant tous les défauts de son époque. C'est dans cette exactitude fétichiste de la reconstitution que le procédé du détournement se distingue de la simple parodie: plus que des situations comiques, le rire vient d'un décalage entre ce qui se montre et ce qui se dit.



Le second OSS 117 (Rio ne répond plus) contient des références encore plus appuyées. Particulièrement dans ses effets, par exemple la multiplication des splitscreen ou cette scène de vertige pointant de façon insistante dans la direction de Vertigo. La tirade shakespearienne prononcée par le nazi fait penser à To be or not to be de Lubitsch - autre mascarade impliquant des officiers nazis - où les même vers sont dits par des personnages secondaires. En un sens, Hazanavicius détourne les codes esthétiques d'un genre comme James Mason, dans L'Affaire Ciceron, détournait l'ordre de la caste des diplomates. Les chutes comiques pour l'un, l'échec pour l'autre témoigneraient presque de la même vanité. Pour les deux, en tout cas, il est clair que Rio ne répond plus.