jeudi 11 juin 2009

Faut-il blanchir Dirty Harry? Le Monde diplo contre Clint Eastwood


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La réponse est non. Non, Clint Eastwood n’a pas vraiment changé. Pas besoin d’écrire au Monde Diplomatique, ni de s’appeler Philippe Person, pour s’en apercevoir. Pour celui-ci, en tout cas, voilà un sacré motif d’indignation renouvelée. Il l’explique dans un article, qui porte le titre incrédule : « Clint Eastwood a-t-il vraiment changé ? » Le schéma est le suivant : il y eut Dirty Harry, autre nom du fascisme, stigmatisé en son époque dans les bonnes colonnes du New-Yorker et il y a aujourd’hui le Clint Eastwood cinéaste, toujours aussi réac, mais qui fait l’unanimité critique, de Libé au Figaro, de Positif aux Cahiers du Cinéma. D’où la question existentielle : comment la critique de cinéma, forcément de gauche, peut-elle tolérer cela ?


Car, honnêtement, tout le monde les connaît, les orientations politiques de Clint Eastwood. Il faut vraiment être une autruche pour s’imaginer que ce vieux cow-boy a les idées d’un ambassadeur de l’ONU, il faut vraiment être une autruche pour découvrir en 2009 qu’il tapait, à l’époque de l’America is back, dans le dos de Ronal Reagan. Il faut en tout cas aimer enfoncer les portes ouvertes pour révéler, quelques dizaines années après Josey Wales hors-la-loi, L’Homme des hautes plaines et Pale Rider, que Clint Eastwood est un anarchiste de droite. L’accusation est assez douce, dans un article qui se prétend plus ou moins à charge – et pour définir en note cet anarchisme venu du mauvais côté, c’est l’exemple de Céline et de Michel Audiard qui est donné. J’en connais pas mal, écrivains et cinéastes, qui ne cracheraient pas sur de telles accusations. Enfin s’il faut verser dans le portrait idéologique, il est étonnant que Philippe Person n’ait pas fait le récit de cette savoureuse réponse du Clint, à une cérémonie de récompense, lorsqu’un journaliste lui demande son avis sur Michael Moore : « […] Michael, si vous vous présentez un jour à ma porte avec une caméra, je vous tue. » Puis, s’apercevant que la salle éclate de rire, il précise : « je suis sérieux. »


Comme la ficelle idéologique est usée, il faut l’emmêler avec un jugement esthétique. Clint Eastwood n’est qu’un tâcheron hollywoodien. Pour preuve : ce n’est pas lui qui fait ses scénarios. Chacun sait, en effet, que le véritable auteur d’un film n’est pas le réalisateur, mais le scénariste. On retrouve ici une autre haine de Philippe Person, celle de la Nouvelle Vague et de sa genèse critique aux Cahiers du Cinéma – à qui l’on doit la « politique des auteurs », qui consiste dans la défense des cinéastes comme auteurs de leurs films. C’est-à-dire comme responsables, in fine, de ce qu’on a à l’écran. Cette méthode de lecture est peut-être imparfaite, elle a peut-être ses dérives complaisantes et promotionnelles, mais elle a le mérite de faire du film une œuvre. Que l’on pourra juger avec des critères esthétiques propres au cinéma. On s’en fout pas mal, qu’Eastwood ne signe pas les scénarios de ses films : il est maître de la mise en scène, c’est là l’essentiel. Mais c’est précisément ce qui énerve les Philippe Person, pour qui un film est avant tout un propos, un discours, un contenu enveloppé dans une forme. Aussi n’est-il pas étonnant que les Cahiers du Cinéma soient égratignés au passage, comme ils le furent dans un article précédent du même auteur(1), car pour lui ces gens-là, qui croient dans la profondeur spirituelle de la mise en scène, sont des formalistes bien trop éloignés des préoccupations sociales et politiques. Quand le journaliste, flairant l’indigence de ses arguments, se rabat sur l’accusation politique, c’est pour reprocher à Eastwood de n’être pas du côté du peuple, de « l’action de masse ». Et Philippe Person de donner Capra en exemple. Mais justement, Mr Smith au sénat c’est la détermination de l’individu envers et contre tous – et c’est précisément pour cette personne unique, rebelle en un sens, au sens où le sont aussi les personnages d’Eastwood, qu’existent ces institutions, et non pour le peuple en tant que masse.


Non, Clint Eastwood n’a pas changé, il a toujours fait ce que les journalistes appellent un cinéma « classique » – ou, comme on dit au Monde diplo, qui « ne s’est jamais confronté aux réalités de son temps ». Aussi étrange que cela puisse paraître, il est dans le même temps reproché à Eastwood de ne pas être vraiment l’héritier de l’âge d’or hollywoodien et de ne rien apporter de neuf au cinéma. Mémoires de nos pères, l’un de ses derniers films, contredit à lui seul ces deux critiques. Concernant l’inspiration hollywoodienne, on peut penser entre autre à Sergeant York : ce film de 1941 raconte la vie d’un jeune paysan que la première guerre mondiale vient cueillir jusqu’au fin fond de son Tennessee natal. Le réalisateur Howard Hawks, probablement la référence la plus pertinente concernant Eastwood (et encore un qui ne faisait pas ses scénarios) met en scène un personnage simple et naïf, un peu dépassé par la renommée qu’il va acquérir sur le champ de bataille. Comme Alvin York, les personnages de Mémoires de nos pères sont, presque malgré eux, donnés en exemple d’héroïsme, à travers une photo les montrant en train de hisser la bannière étoilée. Seulement, quand à l’époque de Howard Hawks il suffisait d’écarter d’un revers de main la rentabilisation de la renommée, le mécanisme de l’image prend chez Eastwood un tour maléfique. Pour les soldats en question, la célèbre photo devient une damnation, dans la reproduction même du geste à l’infini. Cette mise à nu de l’image comme agonie éternelle, n’est-ce pas à la fois bien plus que la « vision post-hollywoodienne » que Philippe Person appelle de ses vœux et bien plus que cet héritage hollywoodien qu’il refuse à Clint Eastwood ?


Bien sûr que les critiques sont des girouettes, qui disent toutes la même chose, sur Eastwood ou sur d’autres. Mais il n’y a vraiment que le Monde diplomatique pour s’attrister de ce que Clint Eastwood est resté le même. Et c’est rassurant, au fond, de s’apercevoir que quelques-uns le détestent encore. Comme ça on est sûr qu’il n’est pas devenu le Jean d’Ormesson du cinéma américain.


Notes:


(1) Le Monde diplomatique, février 2009 : « A-t-on le droit de critiquer la Nouvelle Vague ? »

3 commentaires:

  1. Analyse pertinente de cet article de Philippe Person dans Le Monde Diplomatique.
    Merci de celle-ci qui, à mon avis, reflète plus la carrière de Clint Eastwood réalisateur que l'avis de M. Person...
    Des internautes "clintophiles" avaient déjà rebondi sur le forum et le site qui sont consacré à M. EASTWOOD : http://eastwoodclint.free.fr & http://clintophiles.les-forums.com

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  2. Cet article me rappelle une conversation que nous avions eu au rdv des touristes un lundi soir il y a quelques mois... Très bon article !!!

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  3. Dirty Harry est surtout un très mauvais film et Eastwood a fait de nombreux navets ! Cette propension d'une certaine intelligentsia de "gauche" d'adorer certains réalisateurs américains, très à droite, m'a toujours fait sourire ! Ca me rappelle les Cahiers du cinéma portant au pinacle des réalisateurs américains d'un classicisme absolu, alors qu'ils les auraient immolés sur la place publique s'ils avaient été français !

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