vendredi 12 février 2010

La Collectionneuse, d'Eric Rohmer - qui collectionne qui?


La Collectionneuse, d'Eric Rohmer, s'ouvre par de petites séquences de prologue. C'est un film qui commence par des petits bouts de films. Lorsqu'il s'agit de nous présenter Haydée, le personnage féminin central, la caméra s'arrête aux jambes, au ventre, aux épaules. Voilà un film qui, avant même de nous parler d'une collectionneuse, semble déjà collectionner des moments, des personnages, des parties du corps féminin.

La caméra se ressaisit vite, et bientôt la narration prend le dessus. Car La Collectionneuse présente l'originalité d'être une histoire racontée par un narrateur en voix-off. Le narrateur est aussi le personnage principal, Adrien, qui passe l'été avec son ami Daniel dans une maison provençale. Adrien s'est donné pour but d'élever son oisiveté jusqu'au vide le plus absolu. Le "je" qui s'affirme dans la narration est tout d'un bloc: tout ou rien, rien plus que tout. Paradoxalement, les moments où le narrateur expose son attirance pour le vide, et la nécessité pour cela d'avoir une existence disciplinée - monacale, comme il le dit lui-même - ces moments sont ceux qui expriment la meilleure plénitude, dans des plans de contemplation pure que je ne connaissais pas à Rohmer. De l'eau qui coule dans les algues, comme dans un Tarkovski.

Quand Haydée vient troubler ce vide, avec son comportement frivole - sa collection de jeunes hommes qui, tous les jours, viennent la chercher en voiture - c'est à nouveau les discours qui sont contredits, un comportement qui s'impose dans l'aura de son arbitraire. Avec Haydée, voici à nouveau le réel fragmenté, insaisissable, imprévisible. Tout l'enjeu sera, pour Adrien et son ami Daniel, d'interpréter cette force mystérieuse. Collectionne-t-elle parce qu'elle n'est jamais satisfaite, ou collectionne-t-elle dans une direction précise? Adrien finit par dire: "J'ai trouvé la définition de Haydée, c'est une collectionneuse. Haydée, si tu couches à droite et à gauche comme ça sans préméditation, tu es l'échelon le plus bas de l'espèce, l'exécrable ingénue. Maintenant si tu collectionnes d'une façon suivie avec obstination, bref si c'est un complot, les choses changent du tout au tout."

Au fond, Adrien est plus collectionneur qu'Haydée. Haydée éparpille, opacifie le sens des choses, quand Adrien recueille, compare - collectionne. Il y a dans le comportement d'Adrien une confrontation au mystère, qui ne passe plus par le vide, comme il le voulait au départ, mais par le recueillement, la récollection, qui est autant désir de comprendre que désir tout court. Pour cette raison, La Collectionneuse fait penser à L'Homme qui aimait les femmes de Truffaut: le narrateur n'arrive plus à savoir s'il est sujet ou objet du désir, il oublie ce qu'il cherche à mesure qu'il avance.

3 commentaires:

  1. Je me rappelle de cette frontière définie très précisément qui légitimait le comportement de la "collectionneuse". J'avais adoré cette idée simple que la durée, l'obstination d'un comportement, d'une ligne de conduite, l'anoblisse de fait.
    Et bien sûr cette coupe de cheveux impossible à porter par n'importe qui d'autre que l'actrice, comme signe sensible de ce "complot" cousu sur mesure. Voilà cette authenticité et recherche du vrai au sein même du complot d'Haydée.
    Une véritable inspiration à entreprendre son complot légitime et authentique avant qu'il ne soit tard et qu'on se sache plus noblement comploter pour/contre des hommes ou un homme.

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  2. Oui, en fait Haydée est la plus constante, dans son inconstance même, face à un Adrien qui interprète, hésite et fuit. Enfin, Rohmer laisse quand même planer le mystère sur ce motif de collectionneuse.

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  3. Oui. Ce mystère permet l'empathie quelle que soit la quête, qu'elle se concentre sur un homme ou plusieurs. Les personnages féminins sont vraiment plus stylées que les personnages masculins. La jouissance est moindre en tant que spectatrice du coup. ( cf mon commentaire sur Ma nuit chez Maud).

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