lundi 13 juillet 2009

Public Ennemies, de Michael Mann - d'où l'on vient et où l'on va


John Dillinger, c'est un peu le dernier des mohicans de la grande dépression. Dernier grand bandit avant l'avènement et l'institutionnalisation du crime organisé. Encore l'un de ces héros solitaires, qui fourmillent chez Michael Mann, prisonniers d'une modernité grise et métallique. Et la police ne parviendra pas seule à bout de Dillinger: hors-la-loi au pays des hors-la-lois, il ne sera coincé que grâce aux forces conjuguées des fédéraux de la mafia.

Chose surprenante: s'il est un doux rêveur, le personnage brillament incarné par Johnny Depp ne rêve pas, ou que brièvement, à un après idyllique. Pas de futur impossible, cette fois, ni de projection en trompe-l'oeil, comme on en trouve tout le temps chez Mann - que l'on songe aux projets éternellement en suspens du taxi Max de Collateral, ou aux envies de fuite du personnage de De Niro dans Heat. Plus que ça, les intentions de Dillenger resteront pour nous quasiment opaques, en ce que nous le verrons à peine se représenter sa vie future, ou tout au moins les issues possibles. Pour la simple raison que ceux qui s'occupent de cela pour lui, ceux qui s'occupent de représenter, de cadrer, de cerner quelque chose ou quelqu'un, ce sont cette fois les flics, et plus précisément l'un d'entre eux: Melvin Purvis. Il y a à ce titre une scène typique de chasse à l'homme, où le personnage de Christian Bale vise son brigand gibier (un certain Pretty Boy Floyd) à travers les rangées parallèles d'un verger. Le plan a ceci de significatif qu'il donne l'impression que le fuyard, filmé de dos, fait du surplace alors qu'il est en train de courir à toutes jambes. Voici le genre de représentation qui détermine la trame de Public Ennemies: une visée annulant toute profondeur de champ, une ligne de mire interdisant toute perspective de fuite.

Le Dillinger de Michael Mann a, pour nous qui le voyons et pour ceux qui le poursuivent, un aspect insaisissable, hors du cadre. D'ailleurs, le scénario simplissime fonctionne sur un ressort unique et obsessionnel: il fuit, on le retrouve, fussillade, il s'échappe. Il a en face de lui, nous l'avons dit, des gens qui n'ont de cesse de le cadrer, de le représenter comme on mettrait en cage. C'est l'imagerie de la modernité - oppressante comme ces téléphones, ces cables, ces branchements, ces standardistes en bras de chemise, que l'on rencontre à la fois à l'endroit où la police met sur écoute et dans l'antre de l'organisation criminelle. L'imagerie moderne, c'est aussi le mur sur lequel Dillinger se voit représenté avec ses complices, presque tous morts, c'est indiqué sur les photos - de toute façon, on se le dit et peut-être qu'il se le dit aussi, on ne reste pas longtemps vivant lorsqu'on est en photo sur ce mur, c'est bien le principe.

Toute image n'a pas forcément cette odeur de mort. Car il y a bien du rêve, de la projection, dans la relation qui unit notre héros à Billie Frechette (Marion Cotillard). Quand tout le monde se soucie "d'où l'on vient", lui dit-il, il préfère accorder de l'importance à "où l'on va". Ce qu'il propose à Billie, c'est la vie d'aventure qu'il a déjà, ici et maintenant, dans cette trajectoire qui relie le passé au futur. Un rêve éveillé qui n'a pas pour lieu un improbable futur, mais un présent radical, entier et concret. Et ce rêve magnifique a tous les attraits du travail de Mann sur le numérique: une image trop précise, presque télévisuelle, que le cinéaste transforme en matériau pour des séquences impressionnistes - ce sont les pluies de flash et de fumigène, les décharges de lumière des mitraillettes, ou les jeux de phare et de reflet sur les voitures luisantes.

D'ailleurs le peuple ne s'y trompe pas, qui fait de lui un héros romantique, un Robin des bois moderne. Car avec le versant positif de la représentation, il y a le cinéma et la mythologie. A la fin, Dillinger va voir Manhattan Melodrama où il voit Clark Gable marchant fièrement vers son exécution. La scène qui suivra, celle de sa propre fin, aura peu à envier au cinéma d'antan. Il fallait cela, il fallait mourir en beauté, comme au cinéma, pour entrer dans la légende.

5 commentaires:

  1. Bonsoir, comme vous, je pense aussi que le Dillinger de Mann n'est pas le remake mélancolique du personnage de McCauley/Robert De Niro de Heat, ni la version années 30 du film. Ni aucun autre personnage de Michael Mann. Le film, même s'il conserve la charge de tristesse du cinéaste, a aussi la fièvre. Comme vous l'avez dit, Dillinger ne rêve pas d'un ailleurs paradisiaque. Son paradis, il l'a trouvé dans sa vie de hors la loi et dans Billie Frechette. C'est aussi pour cette raison que le film est pour moi bien plus émouvant et plus intense que Heat ou même que tout autre film de Mann, même si j'aime énormément tous ses films en particulier Collateral et Miami Vice. S j'aime à la folie ce Public Enemies, c'est parce que je trouve également que ses flics et ses truands empruntent beaucoup à la dureté, à la noirceur et à l'épaisseur de ceux de James Ellroy. Notamment le policier qu'on voit à la fin. on y voit même la future cible favorite d'Ellroy, le jeune Hoover.

    Rom.

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  2. Nous sommes d'accord, pour ça et pour pas mal d'autres choses, je m'en aperçois en parcourant votre blog (qui va venir épaissir ma liste). Par contre je n'ai pas lu Ellroy...
    Merci pour votre passage!

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  3. Tout pareil.
    Pour Ellroy, c'est très très noir, d'une violence inouie, et d'une grande épaisseur question personnages et histoire(s). L'histoire de l'Amerique via l'histoire du crime. Des flics vraiment durs à cuire, et c'est peu de le dire.
    A bientôt.

    Rom.

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  4. "Collateral" m'avait totalement crispé et "Public enemies" m'a plutôt emballé.
    Tu parles bien de cette mise en scène qui "bloque" le personnage, qui le plaque. La haute définition (oui, là c'est effectivement à couper le souffle) a permis à Mann de composer des plans très surprenants où, par exemple, le chasseur à l'arrière plan est aussi net que le grain de peau du chassé au premier plan. La profondeur de champ disparaît.

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  5. Pas de profondeur de champ, c'est la modernité selon Michael Mann...

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