lundi 27 décembre 2010

City Girl, de Murnau - Le bonheur n'est pas dans le pré


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Respectivement première et dernière collaboration de Murnau avec la Fox, L'Aurore et City Girl partagent bien des traits communs. Les amours contrariées sont semblables : perdues quelque part dans le contraste entre la campagne et la ville. Les deux oeuvres ont pourtant une tonalité différente l'une de l'autre, et cette différence va au-delà du contexte de création – apparemment plus difficile pour City Girl, comme expliqué dans les suppléments du dvd. Le premier film, chef d'oeuvre depuis longtemps célébré, nous immerge dans les affres des sentiments, en en faisant vaciller la lueur à l'écran. Le second, longtemps jugé mineur, est moins radical : les sentiments y sont plus évidents, et la vie y est tantôt paisible, tantôt inquiétante, mais jamais menacée par l'ombre expressionniste de la tragédie.

Un muet très parlant Il n’y a pas, dans City Girl, ce vertige essentiel de l’absence et de la présence. Le film y perd en éclat ce qu’il gagne en simplicité. La donnée initiale est plus basique, en effet, plus sociologique, puisqu’ici la campagne et la ville se rencontrent à travers deux archétypes : le fils de paysan et la serveuse de fast food. En cela déjà Murnau s’éloigne du romantisme allemand pour aller vers un réalisme romanesque – c’est probablement ce qui fait dire aux commentateurs que City Girl est le premier vrai film américain du cinéaste allemand.

City Girl donne par ailleurs une impression de modernité. Peut-être est-ce dû au statut ambiguë de cette œuvre, à cheval entre le muet et le parlant – il existait apparemment une version parlante qui ne nous est pas parvenue. Toujours est-il que les combats d’ombre et de lumière ont laissé place à des scènes plus explicites, plus théâtrales, plus parlantes justement.

La caméra de Murnau s’adapte de manière parfaitement cohérente aux lieux et aux situations. Les scènes dans le fast food, par exemple, avec ces plans fixes qui laissent serveuses et clients s’ébattre devant les machines métalliques. Puis, dans ce brouhaha (toujours filmé silencieusement), le jeu de charme entre nos deux personnages insensibles à l’agitation. Ou encore les scènes de moissons, d’abord pédagogiques, puis déroulant les longs champs de blé dans de grands travellings.

Le couple à l'épreuve de la solitude Campagne et ville ont beau s’opposer de manière si juste, on retrouve dans les deux lieux illusion et désillusion. La richesse de City girl tient à ce déplacement, de la beauté et de l’oppression de la ville vers la douceur et la rudesse de la campagne. Dans les rues ou dans les champs, notre serveuse est toujours le jouet d’un destin plutôt sombre, aux mains d’hommes cruels ou lâches. Les rêves sont les mêmes, des lumières de la ville à l'horizon des champs de blé. Et les cauchemars aussi, qui déforment les visages, tamisent les sentiments et endurcissent les coeurs.

City Girl, au fond, nous raconte l'histoire du couple à l'épreuve de la solitude. A la ville comme à la campagne, être deux permet de jouer avec l'espace – et de se jouer de son emprise. En témoigne la rencontre dans le fast food : le comptoir qui sépare nos deux personnages, les machines et la patronne qui guette sont autant d'épreuves dans le jeu de séduction qui s'établit naturellement. Il en est de même quand le couple arrive a la campagne et joue, dans l'euphorie du moment, à se poursuivre et à sa cacher comme pour mieux s'enlacer. A l'inverse, les moments de solitude sont ceux où l'espace se fait le plus oppressant. Par exemple quand notre paysan apprend au milieu de la foule, sur un journal, que le cours du blé vient de chuter : la nouvelle est emportée dans la marche indifférente de la population urbaine. Dans la ferme, c'est au tour de notre serveuse d'être broyée par cette in-hospitalité. Elle se retrouve dans la pénombre de pièces vides avec comme seul vis-à-vis un père autoritaire ou un paysan lubrique.

Pourtant, il y a toujours – et c’est là encore la patte de Murnau – cette naïveté émerveillée jusque dans le réalisme le plus abrupt. La nuit de tension qui voit notre couple se perdre et se retrouver est l'occasion de plans magnifique à la lueur des lanternes. On y retrouve ce vertige de la présence et de la disparition qui faisait la beauté de l'Aurore et consacre dans City Girl le portrait tout en nuances d'une histoire d'amour étonnamment moderne.

3 commentaires:

  1. Il me semble que l'on retrouve dans l'ultime partie de City Girl le combat d'ombres et de lumières et certaines scènes - l'arrivée de la carriole de Lem à la fin - font penser à Nosferatu. On retrouve aussi la capacité de Murnau à incarner le mal et sa tendance à opposer les espaces. Aussi le film me semble-t-il finalement assez caractéristique de son œuvre.
    Quant à la modernité, je ne suis pas sûr qu'elle soit liée au fait que le film s'inscrit dans le contexte du passage du muet au parlant (apparemment, Murnau a toujours voulu faire un film muet et ce sont les producteurs qui ont imposé une version sonore) mais je crois qu'elle naît d'un montage parfois assez surprenant et qui emprunte beaucoup, je trouve, à ce que pouvaient faire les Soviétiques à la même époque.
    En tout cas, le film - même s'il n'atteint pas aux mêmes sommets que L'Aurore et Tabou - vaut beaucoup mieux que ce que l'on a longtemps pensé de lui (il n'est que lire le livre d'Eisner sur Murnau)et ne dépare en rien dans l'oeuvre murnalcienne.

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  2. Merci pour ces remarques, qui sont, je crois, d'un connaisseur! On retrouve en effet, surtout à la fin du film, le jeu typique d'ombre et de lumières. Mais il n'a pas, je trouve, la même portée spirituelle que dans l'Aurore. et c'est vrai que l'ambiance de terreur que ça produit n'est pas sans faire penser à Nosferatu...

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  3. Je suis d'accord avec le fait que cela n'a pas la même portée que dans L'Aurore (dont le titre laisse d'ailleurs entendre à quel point Murnau faisait SON film sur la lumière ; c'est aussi, sans doute, son chef d'oeuvre).
    Après, on sait que Murnau n'a pas totalement maîtrisé la production de son film - mais on ne sait pas jusqu'à quel point (et on ne le saura probablement jamais) - notamment dans sa troisième partie et qu'il voulait notamment accentuer l'aura maléfique de Mac dans celle-ci. Après, on retrouve tout de même clairement les deux mêmes oppositions que dans L'Aurore : ville/campagne ; jour/nuit. Aussi City Girl - et je crois que tout le monde est désormais d'accord - est-il vraiment un film de Murnau, même si ce n'est peut-être pas vrai dans tous les détails.
    En tout cas, j'ai été ravi de pouvoir le découvrir.

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