L'Aurore est le premier film américain de Murnau, et c'est aussi celui où l'expressionnisme du cinéaste allemand est portée à son degré essentiel. C'est en se jouant de la lumière qu'il fait miroiter les illusions et reluire les sentiments. L'amour ressemble, dans l'oeil de Murnau, à un questionnement existentiel et photographique sur la présence et l'absence de l'autre ou de soi-même.
L'amour en surimpression L'Aurore est hanté d'emblée par le combat entre les lumières de la ville et l'austérité de la campagne. Première incarnation de la sophistication urbaine : le personnage de la brune qui vient semer la discorde dans l'honnête couple. Ses vêtements, sa coupe de cheveux, son corps – sa danse endiablée qui appelle à l'image le tourbillon de la ville – sont une infiltration du désordre moderne dans la campagne traditionnelle et paisible. Tout nous mène vers une opposition nette et puritaine entre le sobre, le vrai – le bonheur –, et le clinquant, le fake – la discorde.
Cette opposition moralisante est pourtant bientôt contournée, le noeud des sentiments déplacé : pour le paysan torturé que nous suivons, l'amour adultère est une certaine manière de s'absenter. Physiquement – dans sa petite escapade avec son amante –, mais surtout, et à tout instant, mentalement. L'usage de la surimpression, absolument essentiel dans ce film, n'est qu'une manière parmi d'autres de mettre en question la présence réelle du personnage dans le plan. Plus de place pour le présent, à tous les sens du terme, notre paysan est coincé entre ce qu'il a été – flashback mettant en scène un couple heureux – et ce qu'il voudrait être – lumière de la ville et étreinte de la vamp, en surimpression.
Aimer et être aimé A partir de cette situation, tout le génie de Murnau sera de détourner la question morale, de faire des sentiments conjugaux de notre personnage une affaire esthétique et existentielle. Quand il esquisse le geste meurtrier, c'est la présence véritable de sa femme qui s'impose à lui comme une évidence du regard et de la chair. Et c'est tout le beau paradoxe de cette Aurore, que ce geste, puis cette poursuite, nous mène tout naturellement de cette obscurité lourde vers les lumières et les vapeurs de la ville. Place, dès lors, au dialogue fertile de l'amour renouvelé, entre l'être et les aspirations, entre la réalité et l'émerveillement.
L'amour, dans l'Aurore, est littéralement photographique : il a beau reproduire la réalité, il se nourrit de rêve, de lumière, de changements de plan et d'arrière-plan – comme notre couple, chez le photographe de la ville, pose devant un fond bucolique. D'un coup, l'ivresse et les tourbillons de la ville ne sont plus vecteurs de chaos, la surimpression n'est plus une fuite, mais forme l'étoffe de l'instant présent, fait les sentiments plus profonds et plus aériens. Les lumières de la ville ne sont plus sources d'équivoque et d'ubiquité, elles donnent au contraire à la vie un lieu précis et un horizon déterminé – un plan et une profondeur de champ.
L'aurore en question est bien sûre religieuse : l'instant de vérité, l'angoisse du forfait à commettre, l'imploration de l'épouse et bientôt le renoncement, résonnent au son des cloches comme un acte de contrition. Cette aurore est le mouvement d'amour qui renouvelle toute chose, amène d'une main invisible les êtres à la présence et les libère du règne de la pesanteur. En cela, l'aurore de Murnau ressemble aussi beaucoup au cinéma.
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