Il ne fait pas bon non plus être une femme, dans Coco avant Chanel. Quelles sont ces femmes qui ont besoin de couleurs et de frou-frou pour être femmes? Coco, elle, est simple, elle est libre. Anne Fontaine prend soin de filmer religieusement son aura d'authenticité, au milieu du cadre, au milieu de la foule. Peut-être que le sombre et le sobre lui vont bien au teint, à notre Coco, mais on ne peut pas s'empêcher de se dire que sa quête de simplicité préfigure la banalité du tailleur d'open-space. La patronne dictatrice perce déjà sous la Coco anarchiste. Bonjour tristesse.
mercredi 29 avril 2009
T'as le look Coco (d'avant Chanel)
Il ne fait pas bon non plus être une femme, dans Coco avant Chanel. Quelles sont ces femmes qui ont besoin de couleurs et de frou-frou pour être femmes? Coco, elle, est simple, elle est libre. Anne Fontaine prend soin de filmer religieusement son aura d'authenticité, au milieu du cadre, au milieu de la foule. Peut-être que le sombre et le sobre lui vont bien au teint, à notre Coco, mais on ne peut pas s'empêcher de se dire que sa quête de simplicité préfigure la banalité du tailleur d'open-space. La patronne dictatrice perce déjà sous la Coco anarchiste. Bonjour tristesse.
dimanche 26 avril 2009
Ankara, nid d'espions - les petits détournements
Bien sûr, on a beau être en 1944, la guerre est comme absente de ce film d'espionnage. Ou du moins, la guerre n'est pas celle que l'on croit, ce n'est pas le Reich contre les alliés. Non, Von Papen, par exemple, est moins un représentant du nazisme qu'un aristocrate pur sang et serait bien plus proche, à l'écran, dans sa prestance, du lord d'en face, l'ambassadeur anglais, que de son subordonné Moyzisch. Les deux ambassades mises en miroir présentent à l'évidence la même structure, la même hiérarchie, le même ordre. La guerre véritable est menée par un homme, notre Cicéron (James Mason), qui cherche à subvertir cet ordre.
La première fois que nous le voyons, surgi de nulle part, pour s'introduire dans l'ambassade allemande, il présente toutes les caractéristiques d'un diplomate ou d'un espion. Il a l'autorité, l'applomb nécessaire pour négocier les termes d'un marché avec Moyzisch. Il convainc d'emblée, par la seule apparence. Pourtant, nous nous en apercevons plus tard, il n'est que le valet de l'ambassadeur anglais et il cherche à vendre ses informations aux Allemands. Mais il a compris que ça se passait du côté de la mise en scène. Ce qu'il n'a pas compris, en revanche, c'est que le statut de ces aristocrates n'était pas accessible par le détournement et l'amas d'informations sonnantes et trébuchante. Le qualitatif est inaccessible au quantitatif. C'est ce que la trahison de la comtesse Staviska (Danielle Darrieux) lui rappelle cruellement et dans la dernière scène, à Rio, les billets sans aucune valeur que James Mason laisse s'envoler, symbolisent sans doute la vanité de ce combat perdu d'avance.
Ce détournement-là peut, si on a l'esprit suffisamment tordu, faire penser à un autre, qui se sert lui aussi d'un jeu d'apparences. Car que singe OSS 117, sngulièrement Le Caire nid d'espions, sinon ces bons mots échangés entre diplomates distingués, ainsi qu'un ordre esthétique bien déterminé? Hazanavicius, le réalisateur, est adepte du détournement - il est l'un des créateurs du Grand Détournement (avec des dialogues inventés sur des séquences de vieux films.) On pourrait dire qu'avec OSS 117 - Le Caire nid d'espion, il avait précisément tenté de subvertir un genre, le film d'espionnage, en s'inspirant très précisément des détails visuels et en plaquant par dessus un discours pataud, celui d'un personnage représentant tous les défauts de son époque. C'est dans cette exactitude fétichiste de la reconstitution que le procédé du détournement se distingue de la simple parodie: plus que des situations comiques, le rire vient d'un décalage entre ce qui se montre et ce qui se dit.
Le second OSS 117 (Rio ne répond plus) contient des références encore plus appuyées. Particulièrement dans ses effets, par exemple la multiplication des splitscreen ou cette scène de vertige pointant de façon insistante dans la direction de Vertigo. La tirade shakespearienne prononcée par le nazi fait penser à To be or not to be de Lubitsch - autre mascarade impliquant des officiers nazis - où les même vers sont dits par des personnages secondaires. En un sens, Hazanavicius détourne les codes esthétiques d'un genre comme James Mason, dans L'Affaire Ciceron, détournait l'ordre de la caste des diplomates. Les chutes comiques pour l'un, l'échec pour l'autre témoigneraient presque de la même vanité. Pour les deux, en tout cas, il est clair que Rio ne répond plus.
mercredi 22 avril 2009
Katyn - du Polak contre la langue de bois
"L'action se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part." (Alfred Jarry)
Bref, on a compris que ce devoir de mémoire-là emmerde tout le monde. Et comme c'est la Pologne, on a le droit de le dire tout haut. Jean-Baptiste Morain, inrockuptible de son état, reproche au film sa "religiosité". Supposons que le journaliste, qui n'a surement rien contre la religion des Polonais - Dieu préserve la presse d'un tel travers -, veut désigner par là un aspect pompeux de la mise en scène. Ce monsieur a cru toucher le marbre d'un monument aux morts et ça l'a refroidi. Qu'il se rassure, le marbre n'est pas encore un matériau indigne, tout juste bon pour un "académisme empesé", on en a déjà tiré de plutôt belles choses, par le passé.
Toute scandaleuse qu'elle soit, cette forme de silence sur ce qui fait l'intérêt du film (rien, il me semble, dans les Cahiers) détient sa part de logique. Car c'est un peu ce que ça raconte: l'histoire d'une nation simplement niée pendant plusieurs décennies. La première scène représente une situation emblématique du passé de la Pologne. Une foule qui, sur un pont, fuit dans un sens les Allemands, dans l'autre les Russes. Les deux vont s'entendre, c'est l'époque du pacte, sur un partage de la Pologne, de ses prisonniers et de ses réfugiés. Au-delà de l'évidence géopolitique du pays pris entre deux grandes puissances, il y a une nation destituée de sa fierté, de son armée et, plus important encore, de sa langue.
De là un culte voué à la parole et à l'écrit de vérité, chez les derniers des Polonais. Irrépressible besoin de dire ce qui est. Cela va d'une confession, dans l'église transformée en camp de transit, symboliquement dissimulée derrière un numéro de la Pravda, à la lutte d'une Antigone polonaise pour faire inscrire sur la tombe (re-voilà le marbre?) de son frère la date véritable de sa mort. Il y a enfin le carnet retrouvé, bientôt lui aussi réduit au silence, comme en témoignent les pages laissées blanches. C'est à ce moment que le massacre en lui-même nous est montré. Katyn aurait pu s'appeler Mémoire de nos pères, comme le film d'Eastwood, avec lequel il partage cette dynamique du retour à l'origine.
mardi 21 avril 2009
Un Vitellono, des Vitelloni
Inconséquent, le mot est lâché, qui décrit si bien le personnage, pas forcément diabolique, de Fausto. On pourrait dire qu'il est le pendant négatif de Gelsomina dans La Strada. Comme elle, Fausto s'accomplit dans l'expression, l'extériorisation. Comme elle encore, Fausto a un visage si facile à déchiffrer qu'il en devient mystérieux. Paradoxe.
Impossible de voir un motif au travers des mobiles trop évidents. Peut-être - et en cela je dirais qu'il s'oppose à Gelsomina - parce que plus qu'inconséquent, Fausto est un personnage inconsistant, donc inconstant. Inconsistant en ce sens qu'il n'est au fond que le visage qu'il compose dans les situations. Celui du bon fils quand il rentre chez son père, de l'amoureux quand il regarde son épouse, de l'amant quand il désire une femme, du lâche quand il cherche à fuir et ainsi de suite. Ce n'est pas un hypocrite - il est réellement, quoique successivement, tous ces personnages, on le voit bien (et heureux le spectateur qui croit ce qu'il a vu.) On le voit bien succomber au charme des situations, quand par exemple, le soir du carnaval, il est séduit par la femme de son patron qui lui lance, sourire aux lèvres, des confetis au visage. Il essaiera plus tard, dans l'arrière-boutique, de mimer ce geste pour charmer en retour. Il laisse les aléas de l'existence décider des traits de son visage.
Fausto n'est pas le seul, il y a plusieurs Vitelloni. Mais ils ont en commun de reconnaître à Fausto un charisme naturel. Charisme qui lui vient évidemment de cette capacité à coller à la situation. Le même trait se décline, dans la bande, sous plusieurs formes: la naïve (Alberto, pour qui le crime suprême est de "faire pleurer maman"), l'inspirée (Léopoldo, le passionné de comédie) et la suiviste (Riccardo, qui se contente de divertir par ses talents de chanteur). Un seul pourtant sort du lot, ne participe pas de cette sainte expressivité latine, il s'agit de Moraldo.
Moraldo est celui qui a le visage fermé. Il est en cela l'opposé de Fausto. Il a le teint sombre et le visage fermé. C'est lui qui sait opposer à Fausto un regard de constance. Il est en fait le seul à refuser d'épouser les aléas de l'existence, à finalement agir, à finalement partir. On a dit que c'était lui, Fellini. Peut-être bien. C'est ce que laisse entendre une voix-off à la fois extérieure et identifiée au point de vue de Moraldo.
dimanche 19 avril 2009
Deux autres William Blake
Soyons clairs: Dead Man et le personnage de Johny Depp, encore un autre William Blake, n'ont pas grand chose à voir avec le poète - et encore moins avec sa peinture. Il y a pourtant une forte identité visuelle, dans Dead Man, qui consiste en une vision infernale et grotesque du western. Le noir et blanc cadre bien avec la condition fondamentale de squelette propre aux personnages de cette danse macabre. C'est drôle et terrifiant. Le film, dans sa structure, tend aussi vers une certaine ascèse, avec ses courtes scènes séparées par un simple fondu au noir.
C'est le personnage de Nobody, un Indien poète et franc-tireur, qui tranche dans cet univers. Nobody, et certainement pas le Nobodaddy de Blake le poète dans To Nobodaddy. Nobody n'est certainement pas cette figure absente et honnie du Père. Il joue pourtant le rôle de guide, dans la quête initiatique du personnage de William Blake, mais n'est pas pour autant un père spirituel. Car sa parole, opaque, semble plutôt celle de l'immanence, celle d'une création encore préservée, encore hantée par les "esprits de la nature", pour parler dans le langage un peu new-age des natives américains.
Il est possible de voir, dans cette opposition - entre une civilisation dévastée, pourrie, mort-vivante et un esprit imaginatif, ayant sa propre "vision du christ" et s'inspirant du langage déchiffré dans la nature - le manichéisme qui, selon Pierre Boutang, est propre à William Blake. C'est qu'il y a une certaine cohérence à mettre en scène un William Blake en terre d'Amérique, qui plus est dans le contexte mythique qui est celui du western. Car le mythe, on le voit dans ses gravures, peintures, eaux-fortes, enluminures, représente en tant que fiction fondamentale un échapatoire à l'infernale putréfaction des désirs. Le mythe, c'est la vision, le songe auquel on se doit de donner une réalité. Et l'un des plus grands rêves de l'Europe ne fut-il pas l'Amérique?
Dans Dead Man, le rêve américain a franchement tourné au cauchemar. Peut-être est-cela qui explique le nécessaire dialogue entre Europe et Amérique: l'improbable enfance de Nobody le native en Angleterre, la quête d'identité de William Blake et sa fin dans l'océan, en Amérique mais en route vers l'Europe: l'Origine. Il est permis d'espérer qu'à ce moment-là, William Blake devient effectivement William Blake.
La musique de Neil Young pour Dead Man:
"In the Electric mist": sous-titres pour un titre
jeudi 16 avril 2009
Mort et résurrections des surfaces
La peau est ce qu’il y a de plus profond en nous (P. Valéry)
Personne mieux que Scorsese ne connaît cette profondeur à fleur de peau dont parle Valéry. L’omniprésence des miroirs dans ses films en témoigne. Le reflet engendrant l’examen de conscience, dans Raging Bull, constitue le somment d’une époque ( les seventies, la décennie qui voulait faire affluer du sang neuf à l’écran), autant que l’aboutissement d’une recherche, puisque c’est par le reflet que s’ouvre la possibilité de rédemption. Il est à ce titre significatif que dans Gangs of New York, ce soit le reflet d’une plaie ou plutôt le reflet du reflet d’une plaie puisque la scène avait déjà eu lieu en plus sanglant dans The Big shave.
Une fois la plaie aseptisée et cicatrisée, c’est la peur du vide qui l’emporte. La surface stérilisée est le lieu des névrose et des pathologies. Dans Aviator, les questions de surface sont irrésistiblement orientées par l’aérodynamisme. Obsession du lisse, jusqu’à la perte des prises, jusqu’à la perte du sens, telle est la folie d’Howard Hughes. C’est aussi ce qui permet à son avion de s’envoler : la surface atteint une telle pureté qu’avec un peu d’élan elle peut être portée par le vide. La recherche de pureté, dans l’esthétique du film, va avec l’hommage rendu au cinéma de l’âge d’or : le métafilm, l’autoréférence, autant d’aspects d’une esthétique qui vide le cinéma classique de son propos pour jouer de ses faces, des traces qu’il laisse dans les mémoires cinéphiliques. Bien sûr, il y a le revers de la médaille : des accidents d’avion toujours plus ensanglantés et une sorte d’impureté qui s’installe en creux de la démesure hygiénique (la barbe, les cheveux gras, les traces de brûlure sur la peau, les lieux insalubres...)
Dans Collatéral, le même Tom Cruise, spectre d ’un Robert de Niro mort dans Heat (costume et cheveux grisonnants), vient hanter l’honnête chauffeur de taxi. Michael Mann aime bien faire ainsi cohabiter les solitudes, superposer les façades. Outre le chatoiement des reflets, il fait mentir les plans, démasque les illusions de la profondeur de champ. L’une des figures qui revient est celle de la peinture murale : le marchand de fruits et légumes dans Collatéral, ou les peintures d’enfant dans Ali. On en remarque deux usages contraires : quand Ali est figé sur un mur en symbole pour les Africains, il semble inversement que le très nuisible Waingro de Heat sort littéralement du décor - la façade peinturlurée d’un hangar. A la limite, le personnage de Vincent dans Collatéral n’est qu’une émanation des surfaces métalliques de Los Angeles. Chez Michael Mann, la surface signifie l’insurmontable : illusion d’une facilité des rapports humains - c’est la fonction de la vitre, celle qui sépare Max de Vincent dans le taxi - ou encore utopie - la perspective y est ramenée aux deux dimensions de la carte postale face aux yeux de Max. Le talent du cinéaste est de donner de la teneur à la pure surface, non plus par la profondeur de champ, mais par l’espace qui sépare le spectateur de l’écran. Prendre conscience du trompe-l’oeil, partager la solitude et l’impuissance de ces personnages, c’est à nouveau mettre à vif la déchirure inhérente au cinéma.
La question de la surface se pose aussi sur le mode du mesurable. Chez Michael Mann, il arrive que le personnage soit englouti dans l’abstraction de figures géométriques. Ce sont les blocs d’immeubles de L.A à travers lesquels évolue le taxi de Max dans Collatéral. Chez Christopher Nolan, c’est au contraire le zoom aveugle sur la matière qui déstabilise, menace le plan de perdre son sens et le regard de redevenir poussière. La surface en morceaux est à recomposer pour échapper à une mort qui, à nouveau, est à notre poursuite : celle de l’épouse dans Memento, celle d’une jeune fille innocente dans Insomnia et celle des parents dans Batman begins. Du mari vengeur au justicier masqué en passant par l’enquêteur, l’enjeu au fil de cette oeuvre est de plus en plus héroïque. Autre adaptation de comics, Spiderman 2, de Sam Raimi. Là aussi le héros existe en réaction à un chaos, rendu notamment par un passage en spitscreen où la mort des chirurgiens opérant le Dr Octopus conduit en toute logique à l’éclatement du cadre en plans simulatanés. La seule solution pour répondre au chaos, ce sont les peintures de guerre : l’étendue du corps comme oeuvre d’art.