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vendredi 6 novembre 2009

Two lovers, de James Gray


Le titre est assez transparent: Two lovers, deux amours, ou deux maitresses. Ce qui est moins transparent - et ce n'est précisément pas fait pour l'être -, c'est le sens profond du film de James Gray. Au contraire, le principe secret du film semble bien être une forme d'opacité réfléchissante: des plans, des actions, qui renvoient à eux-même personnages et spectateurs. A cause de cette fermeture, Joaquin Phoenix a l'air de se cogner aux murs d'une chambre trop petite pour lui. Comme nous, en somme, qui avons la désagréable impression de buter sur l'absence nécessaire de signification.

Et pourtant, si le film est réussi, c'est que ça résonne toujours mieux dans une impasse que sur une autoroute. D'autant plus que cette histoire de chambre, de lieu clos propice aux songes, est parfaite pour faire de l'une des deux maîtresses (Gwineth Paltrow) une créature de pellicule: un fantasme. C'est la clé, au fond, de la structure en miroir de Two lovers, croisement entre la romance et le film noir: la brune raisonnable, une épouse en puissance, contre la blonde mystérieuse, une fuyante idole de chair (surprenant, au passage, que ce soit dans ce sens-là).

La seconde, à la limite, n'existerait pas que ce serait pareil - elle resterait une image dans l'objectif: une invitation au voyage d'autant plus impossible que la relation avec l'autre est réaliste, une rencontre d'autant plus fortuite que l'engagement avec l'autre est socialement nécessaire. Invitation au voyage, nous avons dit, car c'est surtout avec elle que notre personnage s'aventure hors de l'appartement: sur le toit de l'immeuble, au restaurant, dans le métro. Un voyage en trompe-l'oeil éternellement ramené à la chambrée adolescente. La fuite est suscitée et interdite par la même trame narrative qui conduit irrésistiblement vers le monde de la brune Sandra. Le symbole en est la bague de fiançaille: achetée pour l'une, offerte à l'autre.


lundi 2 novembre 2009

Little Odessa, de James Gray



Pour savoir à quoi ressemble Little Odessa, il faut s'imaginer Antoine Doinel jeté dans le quartier enneigé de Brighton Beach, sanctuaire de la mafia russe - l'endroit qui donne au film son titre. Antoine Doinel, c'est Edward Furlong, un adolescent à la mine candide, qui fait son école buissonnière à vélo. Il fuit une atmosphère familiale plombée par la maladie de sa mère, la dureté de son père et l'absence de son frère enrolé dans la mafia. Les intenables retrouvailles avec ce tueur à gage de frère, voici justement ce que raconte le premier film de James Gray.

Deux regards silencieux sont confrontés. Le premier, ouverture du film, est celui du tueur. Le second est celui de l'enfant redécouvrant, avec ce tueur, le lien du sang. Mais dire cela, c'est déjà trahir le silence qui de part en part traverse le film - percé ici et là par des psalmodies slavonnes. Car la première qualité de ce film, c'est ce recul, cette retenue qui ceint les instants les plus dramatiques. Comme si James Gray avait le souci de ne pas révéler plus que ce qui se joue sous nos yeux - ou plutôt, de ne rien signifier en surplus de ce qui se passe dans chaque plan. Difficile de dater ce film de 1994, qui se passe probablement dans les soixante-dix: l'effet de distance et de mystère met perpétuellement le doute sur le temps et le lieu.

Une forme de recueillement, donc, qui donne à Little Odessa une atmosphère religieuse somme toute pas incohérente avec ce dont il est question: la mort de la mère ou le pouvoir du père, violemment contesté dans un élan sacrilège, le revolver au poing. Une atmosphère pas incohérente non plus avec l'esthétique cinéphile déployée, nous en avions parlé à propos de La Nuit nous appartient. Il y a en effet quelque chose comme l'embaumement d'un regard déjà promis à la mort et à la cendre (le feu final). Aussi ne faut-il pas s'étonner que Reuben, le petit frère, soit tué à travers un écran blanc, qui est déjà son linceul.

vendredi 23 octobre 2009

La nuit nous appartient, de James Gray



Difficile d'appréhender La Nuit nous appartient, le film de James Gray. Ne connaissant pas grand chose de ce cinéaste qui ne manque pourtant pas de partisans, j'ai eu un contact abrupt à cette œuvre léchée, compacte comme une grosse pierre taillée. Ce qui se dit autour du style de James Gray - on parle beaucoup de classicisme - a sa pertinence: ambition ou prétention, il y a dans ce film la solennité du marbre. Il faut dire que certains plans donnent de furieuses envies de capture d'écran. Et je ne suis pas sûr qu'il faille chercher quelque chose derrière ce matériau brut, qui n'impose au fond que sa propre évidence. Mais il ne faudrait pas exagérer, La Nuit nous appartient n'est pas non plus l'œuvre d'un contemplatif: ce qui fait l'intérêt du film de James Gray, ce sont surtout les moments de bravoure typiques d'un film de genre. De l'opération d'infiltration à la course-poursuite en voiture, les pics de tension ne manquent pas.

Pour toutes ces raisons, James Gray est souvent jugé sur sa qualité de bon artisan cinéphile. On se demande ici et là si La Nuit nous appartient est vraiment plus qu'un bel objet. A-t-on affaire à un "petit disciple de Clint Eastwood"? Pas forcément. Ce n'est pas seulement dans le fascination pour le cinéma d'antan que le jeune cinéaste aime à ressusciter les thématiques familiales du cinéma classique. Le rapport à la filiation, par exemple, retrouve dans son regard une rare puissance dramatique. Et si on finit par s'émouvoir d'un tableau plutôt commun de la famille américaine, c'est parce que James Gray a su lui donner une teinte inédite.