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samedi 19 janvier 2013

Le maître et l'idiot

 
L'idiot est le matériau rêvé de tout cinéaste. C'est par excellence un personnage malléable : ses motifs sont si opaques, ses gestes si désordonnés, que le réalisateur peut en faire une marionnette sans s'attarder sur une quelconque vraisemblance de comportement. Et en même temps, chacun sait que l'idiot, comme le fou, n'est irrationnel qu'en apparence : il possède sa propre logique, encore plus implacable et obsessionnelle que celle du commun des mortels. Il s'agira donc, pour celui qui met en scène l'idiot, de postuler des motifs cachés, de créer du mystère autour de son personnage. L'auteur tirera donc de sa créature le double bénéfice de passer pour un maître-cinéaste et pour un perceur d'énigme humaine.

Le principe se vérifie dans The Master. C'est même le sujet du film : un semi-demeuré revenu de la guerre, Freddie, finit à force de vagabondages par se lier avec Lancaster Dodd, sorte de gourou d'un mouvement scientifico-mystique. La relation entretenue entre les deux personnage est bien celle d'un maître et de son idiot, où l'un prend le contrôle de l'autre tout en faisant mine de sonder son âme. 

Ce qui différencie un psychanalyste d'un maître scientologue, c'est que dans le traitement de l'un le patient passe son temps à parler, quand dans le traitement de l'autre il passe son temps à écouter. Le personnage de Freddie est plutôt du genre silencieux et la caméra de Paul Thomas Anderson est plutôt du genre bavarde.

P. T. Anderson pousse au maximum l'ambiguïté de son rôle de metteur en scène. Il décortique la manipulation en même temps qu'il y participe. C'est pour cette raison que le film est toujours à cheval entre le sérieux et le grotesque. C'est pour cette raison aussi que le cabotinage souvent insupportable de Joaquin Phoenix a une forme de cohérence : il s'étend à la mise en scène dans son ensemble, où chaque plan semble vouloir s'affirmer comme petite œuvre d'art.

mercredi 26 mars 2008

There has been blood


C'est toujours un peu ennuyeux l'unanimité critique. Que le film soit bon ou mauvais. Plein de bonnes critiques sur un mauvais film, cela permet au moins de relativiser l'autorité des journalistes (ce qui, ma foi, ne peut nous faire que du bien.) Quand un bon film fait l'unanimité, c'est une autre paire de manches. Que faire de ces bons films tant encensés qu'on oublie de les regarder?

Eastwood a été traité de tous les noms avant de faire l'objet de toutes les dithyrambes. Et ses films d'avant n'étaient pas spécialement moins bons. D'où viennent les louanges? Qui dirige les cantiques? Il est probable qu'une bonne critique dans le New-Yorker ou le New-York Times garantit au moins une louange bien ficelée, avec ses formules choc, dans Le Monde et au Libé. Peut-être une louangette dans Télérama, où l'on prendra soin, s'il y a le moindre risque, de peser le pour (avec l'impayable bonhomme souriant) et le contre (le même petit bonhomme, faisant la gueule.) Où est passée l'époque où l'on se battait pour les films? Où l'on pratiquait, comme Truffaut, "la critique à l'état furieux"?

Peut-on reprocher à There will be blood l'uniformité de ton de sa réception critique? Probablement pas. D'autant que le film est plutôt réussi. Disons que ce n'est ni le chef d'oeuvre attendu ni l'imposture redoutée. Daniel Day-Lewis compose brillamment, il est vrai, un Citizen Kane sans son rosebud, s'enfermant jusqu'au bout dans une implacable solitude.

Mais bizarrement toutes ces bonnes critiques sèment le doute - et ce doute me coupe l'envie, injustement peut-être, de défendre le film. J'ai malgré moi à l'esprit le soupçon d'un P. T. Anderson complaisant. Adoptant comme on attend de lui un schéma à la Barry Lindon et cultivant sagement les métaphores offertes par le titre (pétrole = sang de la terre; religieux = sang du christ; le tout = sang des hommes.) Cela donne, bien sûr, une esthétique soignée et un film sombre. Sombre comme le sont en ce moment tous les films qui affichent de grandes ambitions et que les journalistes aiment qualifier de "crépusculaires".

A cette tendance, nous pouvons opposer des films imparfaits: le récent Be kind rewind par exemple, comédie de la décompression et du mode mineur. Certes moins ambitieux, ce film a pourtant le mérite de nous faire revenir, à travers sa toute petite forme, à ce qui fait l'excitation initiale du cinéma.