samedi 24 octobre 2009

(500) jours ensemble - ou le "cinéma américain indépendant"



J'ai déjà remarqué que dans tous les films qui colportent un discours niais sur "l'amour", et s'en revendiquent avec je ne sais quel décalage ou second degré trendy (c'était le cas d' Amélie Poulain - qui a fait des émules outre-Atlantique, si on prend l'exemple de la série mort-née Pushing Daisies), il y a toujours l'enfance respective des deux âme-soeurs qui est mise en regard. A tel point qu'on se demande si l'étape enfantine (le "stade anal" dit clairement l'héroïne Summer) n'est pas l'horizon indépassable du genre de relation qui fait rêver les réalisateurs américains-mais-indépendants (indépendants de quoi?) comme Marc Webb, l'auteur de (500) jours ensemble. Bizarrement, le personnage qui donne les conseils les plus pragmatiques est celui de la petite soeur, un enfant.

Le personnage principal, dénommé Tom, a un travail qui consiste à écrire des cartes de voeux - c'est l'occasion, au moment de la déception amoureuse, d'un pétage de plombs sur le thème "on ment aux gens, on leur fait croire à un bonheur qui n'existe pas". Soit. Mais on aime quand même jouer de ces idées et de ces phrases toute faites: même si on ironise sur les décors ikéa, on se laisse prendre au jeu... C'est toute l'ambiguïté de ce film, qui joue sur tous les clichés du genre, mais essaie de s'en tirer avec des astuces de scénario, des plans art-déco et une fin triste. Car en effet, le film se finit mal: notre personnage se laisse marcher dessus comme un paillasson - on l'a dit au début, ce n'est pas un homme c'est un petit garçon. Mais attention, il le supporte car son propre échec signifie la victoire de l'idéologie carte de voeux (amour, bonheur, bonne santé... des autres).

On aurait aimé que tout le film se passe comme le mini passage de comédie musicale, ou comme la gentille parodie de Bergman, deux moments réellement réussis. On aurait aimé aussi s'attacher à Summer, incarnée - c'est un bien grand mot - par Zooey Deschanel (l'actrice était autrement plus convaincante dans Yes Man). Mais non, Marc Webb préfère nous plonger dans le nunuche pour nous punir ensuite d'y avoir cru. Il nous traite comme un vulgaire personnage masculin de film américain indépendant. Une manière très peu classe, presque lâche, de ne pas assumer le cliché - tout le problème de ce genre de film.

vendredi 23 octobre 2009

La nuit nous appartient, de James Gray



Difficile d'appréhender La Nuit nous appartient, le film de James Gray. Ne connaissant pas grand chose de ce cinéaste qui ne manque pourtant pas de partisans, j'ai eu un contact abrupt à cette œuvre léchée, compacte comme une grosse pierre taillée. Ce qui se dit autour du style de James Gray - on parle beaucoup de classicisme - a sa pertinence: ambition ou prétention, il y a dans ce film la solennité du marbre. Il faut dire que certains plans donnent de furieuses envies de capture d'écran. Et je ne suis pas sûr qu'il faille chercher quelque chose derrière ce matériau brut, qui n'impose au fond que sa propre évidence. Mais il ne faudrait pas exagérer, La Nuit nous appartient n'est pas non plus l'œuvre d'un contemplatif: ce qui fait l'intérêt du film de James Gray, ce sont surtout les moments de bravoure typiques d'un film de genre. De l'opération d'infiltration à la course-poursuite en voiture, les pics de tension ne manquent pas.

Pour toutes ces raisons, James Gray est souvent jugé sur sa qualité de bon artisan cinéphile. On se demande ici et là si La Nuit nous appartient est vraiment plus qu'un bel objet. A-t-on affaire à un "petit disciple de Clint Eastwood"? Pas forcément. Ce n'est pas seulement dans le fascination pour le cinéma d'antan que le jeune cinéaste aime à ressusciter les thématiques familiales du cinéma classique. Le rapport à la filiation, par exemple, retrouve dans son regard une rare puissance dramatique. Et si on finit par s'émouvoir d'un tableau plutôt commun de la famille américaine, c'est parce que James Gray a su lui donner une teinte inédite.



mercredi 14 octobre 2009

Arts (1952-1966) - Le temps de la critique à l'état furieux

Jacques Laurent, le patron de la revue Arts de 1954 à 1958 - journal qui a connu cette année une résurrection sous forme d'anthologie, aux éditions Tallandier - a eu un jour ce commentaire inspiré: "Il y a deux sortes de critiques de cinéma. D'abord une critique dont l'enseigne pourrait être la cuisine bourgeoise. Et puis il y a une intelligentsia qui pratique la critique à l'état furieux. Truffaut est l'un des représentants les plus doués de cette dernière sorte." C'est donc logiquement que Arts est devenu, jusqu'en 1958, le défouloir du futur cinéaste, dans la ligne (droite) de son premier article aux Cahiers du Cinéma: "Une certaine tendance du cinéma français". Une entreprise en démolition dirigée contre le cinéma de salon, le "cinéma de qualité" à la française - ne sont épargnés ni les scénaristes, ni Cannes, ni surtout Claude Autant-Lara.

Pauvre Claude Autant-Lara... Bouc-émissaire de Truffaut parce qu'il représente le cinéma empoudré qu'il déteste, il est qualifié successivement, au fil des articles, de "bourgeois", de "faux martyr", de "lâche", de "censeur", de "père courage" et d'"opportuniste". Ce feu d'artifice a, comme il se doit, un bouquet final. C'est en 1957: "Lorsque j'ai écrit sur Autant-Lara, que ce soit avant ou après La Traversée de Paris, les mêmes mots sont venus sous mon clavier: grossièreté, hargne, méchanceté, mesquinerie, muflerie, menue bassesse, délire, exagération. Ce sont les mots clés." Le futur auteur des 400 coups avait en effet poussé le raffinement sadique jusqu'à écrire une critique positive sur La Traversée de Paris, en se gardant bien de faire rejaillir le moindre mérite sur le metteur en scène - un peu comme le millionnaire balance trois centimes au clochard du coin.

Il faut dire cependant que la passion de Truffaut pour la polémique est à la mesure de sa passion pour le cinéma. Et derrière la querelle, on perçoit bien la divergence esthétique, avec ses débats éthiques et politiques - par exemple sur la censure qui, nous dit-il, existe surtout pour ceux qui n'essaient pas de la contourner. Être cinéaste, pour Truffaut, c'est se donner les moyens de pouvoir répondre de son film au moment où il est projeté. On le voit bien dans ce recueil d'articles: Arts était aussi un endroit où se prolongeait le combat de la politique des auteurs. Un journal où on ironisait, certes, où on tournait en dérision le festival de Cannes et le manque d'ambition du cinéma français, mais pour donner plus de relief aux grands maîtres que sont Renoir, Rosselini ou Bresson. Et même le jeune François Truffaut, en qui bouillonne le cinéaste, tempère sa propre fougue dans un article contre le jeunisme intitulé "Il est trop tôt pour secouer le cocotier. Les dix plus grands cinéastes du monde ont plus de 50 ans". C'est un peu comme Jean-Paul Belmondo qui râle, dans A bout de souffle: "j'aime pas les jeunes..."

Truffaut n'est pas le seul de sa clique à écrire à Arts. On y trouve aussi Godard - qui signe notamment un entretien avec Rossellini et un autre avec Renoir -, l'indispensable Rohmer et, pour la seule critique qu'il n'ait jamais écrite, Louis Malle. Ce dernier se livre à une exégèse subtile du Pickpocket de Robert Bresson, dans un article de 1959. C'est ce qui apparaît, d'ailleurs, dans cette anthologie rassemblée par Henri Blondet: Arts a été, pendant une grosse dizaine d'années, le creuset de beaucoup de talents, dépassant largement par le prisme des styles la seule troupe dite des hussards (Jacques Laurent, Roger Nimier, Michel Déon, Antoine Blondin). Au contraire, la variété des signatures (par exemple Bernard Frank, Jean-René Huguenin ou Boris Vian), en même temps que celle des sujets traités, a vite fait déborder le journal de sa mission uniquement critique. Que ce soit Giono parlant de l'affaire Dominici ou Marcel Aymé racontant une exécution capitale, c'étaient des visions d'écrivains qui s'amalgamaient, à l'époque bénie de Arts, aux événements de l'actualité.

L'Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Tridivic


Aussi étonnant que cela puisse paraître, L’Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, commence comme un film de Michael Mann. Dans l’esthétique, du moins, il y a la modernité froide, l’obscurité baignée de lumières artificielles. Et de fait, l’histoire a beau se passer à Paris, on retrouve nos personnages dans des centres commerciaux, dans des cafés lounge, au sommet d’un immeuble – ces lieux plutôt impersonnels qui sont légion dans les grandes villes occidentales et occidentalisée. Il est significatif que, là où l’Américain voit l’occasion de films noirs, nos Français trouvent l’inspiration pour un thriller psychologique. Dans les deux cas, pourtant, l’homme est piégé dans le même rapport pathologique à son environnement.

Lire l'article chez Kinok

vendredi 9 octobre 2009

Heureux, ceux qui croient sans avoir vu.

Barack Obama récompensé d'un prix Nobel de la paix, c'est l'intention, le discours, le virtuel enfin consacrés comme actions politiques. Il était temps, après tous ces siècles désagréables où la parole engageait, où l'on croyait au verbe (celui qui se fait chair). Désormais, dans le procès en canonisation laïque, l'acte de foi suffit, le "yes we can" a valeur de présence réelle. Cela ne veut pas dire que le cinéma se soit substitué au réel. Car détruisant le réel, on détruit l'imaginaire. Hors des salles obscures, le cinéma est condamné à la dilution. Il est déjà presque entièrement dissipé dans l'air du temps.

dimanche 4 octobre 2009

Hôtel Woodstock, d'Ang Lee - tu n'as rien vu à Woodstock


Je dois vous faire une confession. Quelque soit mon âge, à Woodstock, je ne suis pas sûr que j'aurais été du côté des jeunes. J'ai honte, mais je crois même que j'aurais été parmi les grognons qui pestent contre l'invasion des chevelus - comme un indigène râlant à l'arrivée des touristes en sandales. Et Ang Lee, apparemment, n'avait pas trop envie de convaincre les ronchons de mon espèce. Il faut la voir, la tête de son Woodstock. Pour vous donner un aperçu, imaginez un week-end d'intégration de business school (en plus chic: on y prend de l'acide, pas de l'alcool) où les étudiants décideraient d'ériger en loi morale leur propre déchéance.

Car c'est ça, Hôtel Woodstock, deux longues heures où la médiocrité d'une génération est auréolée du seul prestige de sa présence oisive et partiellement vêtue. Ang Lee joue d'ailleurs à fond la carte de la nostalgie - avec ses splitscreens inutiles, dans le genre "images d'époque" - et je me sentais presque de trop, moi qui n'ai connu ni les sixties ni les seventies (et à peine les eighties! Mais ça n'a rien à voir.) Ce qui ne m'a pas échappé, en revanche, c'est la curieuse ressemblance de ces silhouettes aux mines hagardes avec les zombies de La Nuit des mort-vivants. Et bien sûr, par analogie, leur ressemblance avec les mort-vivants de la consommation de masse.

Ang Lee ne s'y trompe d'ailleurs pas, en s'extasiant sur la logistique de l'entreprise et l'imaginaire de la marque Woodstock, comme pour mieux ignorer ce qui représente le seul intérêt de l'événement: la musique. C'est toute l'histoire du film, ce personnage d'Eliot qui veut aller au fameux concert qu'il a contribué à organiser, mais qui n'y arrive jamais, tant il est happé par l'euphorie de la foule - en gros, c'est comme une ménagère de moins de cinquante ans, première entre toutes à l'ouverture des soldes, mais à qui la folie de la horde acheteuse fait oublier ce qu'elle était venue chercher. Les divers acides ne font que flatter cet enthousiasme sans motif qu'est l'effet de masse, le mouvement de foule.

Il faut enfin parler de la remarque finale de notre héros face au terrain dévasté et parsemé de déchets (une remarque dépourvue d'ironie, faut-il le préciser): "It's beautiful". Ce bon mot dépasse de bien loin le fameux "Ceci n'est pas une pipe" de Magritte. Rarement un personnage aura aussi bien décrit l'exact contraire de ce qu'il y a à l'écran.

samedi 3 octobre 2009

Croix de fer, de Sam Peckinpah - l'art des mises en regard


A propos de La Horde sauvage, je parlais d'une complicité entre l'enfant et le général sanguinaire, comme si l'enfant, par définition, était fasciné par le décorum et la geste militaires. En voyant Croix de fer, je me suis demandé si ce n'était pas l'inverse, si pour Peckinpah toute guerre n'était pas le jeu infernal du retour en enfance. Une marche forcée vers l'univers édulcoré des costumes, des médailles, des bons points, ou des croix de fer. D'ailleurs le titre du film vient de là: cet aristocrate de capitaine veut la décoration suprême pour faire honneur à sa famille, comme on veut une bonne note pour faire plaisir à ses parents. Le générique, où sont intercalés les chansons enfantines et les tambours de défilés militaires, installe bien cette confusion mimétique: on ne sait plus qui imite qui - du reste ils ne le savent probablement pas, eux non plus.

On retient en tout cas de tout ceci l'art singulier des associations explosives. Ce talent qu'a Peckinpah pour les coupures, pour les longues séquences criblées de plans courts, conduisant ou ne conduisant pas à l'analogie. Contrairement à The Wild bunch, il n'y a pas seulement là l'alliance insolite de l'instinct et de l'analyse, de l'homme et de la bête. La troupe dont il est question est ici d'autant plus sauvage que le film a une découpe de plus en plus arbitraire, semblant produire de moins en moins de sens, jusqu'à la folie, juqu'à l'hallucination. C'est que l'important n'est pas tant pour Peckinpah la finalité de ces confrontations visuelles que l'effet même de ces mises en regard. Que cela aille ou non quelque part, ce que recherche le cinéaste, c'est le choc thermique, et éventuellement les étincelles.

"Mise en regard", l'expression n'est pas vaine pour évoquer Croix de fer. Nous en avons parlé comme art du découpage, mais elle a aussi chez Peckinpah une signification littérale. S'il les plans se répondent, s'incluent, s'excluent à toute vitesse, c'est aussi qu'ils sont des points de vue, des regards posés sur le reste du monde. C'est l'aspect western de ce film de guerre, que de tant appuyer les regards - d'observation, d'émotion ou de confrontation. Et c'est dans le regard que réside le désir. A nouveau, l'enfance comme instant privilégié - innocent ou non - du désir de croissance peut permettre de comprendre ce qui s'échange dans le regard du caporal Steiner et le jeune prisonnier russe - la pure et enfantine "envie d'être grand" et la volonté de puissance.

L'immense James Coburn, car c'est lui le caporal Steiner, compose un national-anarchiste qui ne supporte pas l'apparat et les traditions de l'aristocratie prussienne. Croix de fer est l'histoire de son face à face avec un représentant de cette classe honnie (le capitaine). Un débat muet sur l'origine secrète de leur envie de se battre - l'un effectivement, l'autre virtuellement. La guerre est faite, au fond, de ces jeux de regard, de puissance et d'explosion. Mais cela commence plus simplement encore: il y a le regard inquisiteur du capitaine sur son second lançant des oeillades trop insistantes au jeune homme qui l'accompagne - c'est le désir qui se regarde lui-même - ou même la découverte, par notre troupe euphorique, d'une section de femmes russe qui ne se laisse pas faire - révélation: l'ennemi est une femme!



The informant, de Steven Soderbergh


Il est massif, Matt Damon, dans The Informant. Physiquement je veux dire. Il a l'allure, les épaules, les motifs de cravate, la moustache et les lunettes de l'acteur involontaire dans un documentaire sur l'entreprise américaine des années 90. Mark Whitacre, le bon gars du midwest, toujours persuadé d'être dans le camp des good guys - si bien qu'en un sens, il l'est effectivement. Ou pas tant que ça, justement, puisqu'il travaille dans une grande société agro-alimentaire qui, non contente de fabriquer tout et n'importe quoi avec du maïs transgénique, s'entend avec ses concurrents et néanmoins camarades pour fixer des prix à l'international (ce qui est mal et interdit par la loi).

La pesanteur très bien installée par Matt Damon permet à Soderbergh de travestir le film d'investigation en comédie. Il y a certes le FBI, une grande entreprise, un indic, des enregistrements mais les stylos ne marchent pas, le matériel d'enregistrement fait des bruits bizarres, il faut changer la cassette au milieu d'une réunion - comme si ce personnage tout simple était allergique aux gadgets. Ou plutôt: comme si ce personnage transparent était incapable du moindre secret, de la moindre conspiration. Tellement transparent, le héros, qu'on entend ses pensées. Et, surprise: il a beau être dans toutes les situations délicates de la terre, il pense à tout et n'importe quoi, disserte sur la vie et la mort... Bref,un gars brut de décoffrage qu'on a du mal à faire entrer dans le jeu raffiné de l'enquête, de l'infiltration et de la double vie.

Comme toujours avec Soderbergh, il y a les marques du travail de pro - cette comédie était faite pour fonctionner à merveille. Seulement, j'ai eu beau me dire de temps en temps "tiens c'est drôle", je n'ai pas ri une seule fois. Et dans la salle je n'ai pas entendu la moindre amorce de petit rire discret. Non pas que Soderbergh fasse dans un comique trop cérébral: c'est simplement du comique trop peu comique. La carrure du personnage, sa massivité - tout le jeu de Matt Damon - fait finalement que le film s'essouffle sans même tirer parti des situations cocasses (et ce n'est certainement pas le swing en fond sonore, façon Une Nounou d'enfer, qui parviendrait à donner du rythme à cette intrigue mollassonne). Dommage, car Mark Whitacre devient précisément un objet de fascination quand on s'aperçoit qu'il n'est pas si univoque et transparent: on sort de The Informant avec le sentiment qu'on a eu affaire à un menteur de bonne foi.