lundi 27 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants (Chapitre 3 - Steve Carell.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.

Voici enfin le nouveau venu. Droit comme un piquet, le visage tendu - que vient fendre de temps à autre un sourire crispé, agiter dans le feu de l'action un rire forcé -, Steve Carell est connu des Américains sous les traits de Michael Scott, le patron peu charismatique de la série The Office (US). Il jouait dans Bruce Tout-puissant un journaliste victime de la farce sadique de son collègue, Bruce, alias Jim Carrey. Etre manipulé comme une marionnette dégingandé ne l'a pas empêché d'être le héros de la suite, Evan Tout-puissant. Une marionnette: comment mieux parler de ce être mécanique trop tôt livré à lui même, de cette machine grippée, dont l'inventeur aurait depuis longtemps déposé le bilan (à défaut du brevet)?

Il y a pourtant un fantôme dans la machine à faire rire: un souffle mélancolique traverse la raideur métallique. Chez Steve Carell le comique et le pathétique sont les deux versants d'un même état. D'abord parce que nul n'est plus pathétique et plus drôle que Michael Scott dans The Office: patron auquel personne n'obeit, ami que personne ne veut... C'est d'ailleurs le principe de cette série que de donner à voir et à entendre, par le biais d'une caméra faussement intrusive, tous les soupirs émanant des rouages du lieu de travail.

Steve Carell sait faire moduler le pathétique jusqu'à la dépression. On l'a vu dans Little Miss Sunshine, ou récemment dans Coup de Foudre à Rhodes Island laisser quasiment de côté le comique pour se vouer au personnage triste. C'est que le ton pathétique peut sans transition mener du rire à la déprime. Et le comique même gardera une teinte foncièrement mélancolique, celle de la machine inachevée.
Une occasion rêvée pour nous faire le coup de l'espion gaffeur. Dans Max La Menace Steve Carell a cette allure insatisfaite du personnage limité dans ses fonctions. Par exemple Max ne fait pas deux choses à la fois: il ne peut pas se soulager et espionner en même temps une conversation en Russe - le courant n'est qu'alternatif... En somme tout le talent du personnage est de laisser affleurer, dans ce genre de singeries, le fond de mélancolie qui fait du comique un révolté contre sa propre condition.

dimanche 26 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants. (Chapitre 2 - Ben Stiller.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.



Le second est un peu moins abruti. Donc un peu moins sympathique. Petit, trapu, nerveux, Ben Stiller a le chic pour se laisser dépasser par les événements. Que ce soient les créatures de son musée (La Nuit au musée) ou un encombrant beau-père (Mon Beau-père et moi), sa posture comique est la plupart du temps conditionnée par la force des choses. Pire que cela, il est l'acteur involontaire, de scènes dont il maudit le scénario.


On peut avoir une idée de ce que veut dire chez Ben Stiller "acteur involontaire" en le voyant faire, contraint à la mitraillette, le bouffon sur la scène d'un petit village vietnamien, dans Tonerre sous les tropiques. Ce passage reflète en un sens l'ensemble du film, et même l'ensemble des films de cet acteur, réalisateur pour l'occasion. Ben Stiller passe son temps dans des rôles non assumés, à incarner comme contre son gré des personnages mals dans leurs frippes. Mannequin ringard dans Zoolander ou ici acteur sur le déclin, grimaçant et gesticulant pour essayer de rester à la hauteur de ce qu'il a été ou aurait voulu être, l'énergie comique de notre pitre est celle du désespoir.


Tout est dans l'expression forcée chez Ben Stiller. Forcée par les choses - ou par lui-même, pour faire face, c'est le cas de le dire, aux événements. On le voit mimer à grand peine les émotions dans Tropic Thunder, ou révolutionner la moue du mannequin dans Zoolander, comme si tout le salut de l'acteur était concentré dans la complexion du visage. On s'aperçoit, à travers ces deux films réalisés par l'acteur, que le défi revient à faire sien le rôle imposé, le personnage involontaire. On rit pourtant de la grimace mal placée, des improvisations mal senties, des mimiques vides de sens: ce qui est drôle, cruellement, c'est l'échec d'un personnage toujours dépassé, toujours à côté de la plaque.

samedi 18 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants. (Chapitre 1 - Adam Sandler.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.

Adam Sandler, c'est le pantouflard adolescent de bientôt quarante ans que la force des chose a érigé en héros d'une histoire. Il a beau n'ouvrir les yeux qu'à moitié et avoir la voix d'un étudiant tiré du lit, l'Amérique en a fait son représentant - au même titre que les Mr Smith ou Mr Deed de Capra. Quand le Mr Smith version James Stewart va défendre une loi au sénat (dans Mr Smith au Sénat, 1939), le Mr Smith version Adam Sandler ira résoudre le conflit du proche orient en se faisant coiffeur-gigolo à New-York (Rien que pour vos cheveux, 2008). D'un peu béta, ce Mr Smith est devenu complètement idiot. Et pourtant, la fonction est la même: Adam Sandler reste le vecteur de fables moralistes, idéalistes au fond, avec l'humour gras pour faire passer.

Une chose a changée cependant. Le spectateur actuel n'est plus un naïf qui ira s'émerveiller ou s'insurger devant les intrigues de la ville, puisqu'il est déjà saturé de fictions et d'images, il a lui aussi ce look de pas réveillé, les yeux rivés à ses écrans. Et sa projection - artificielle et purement virtuelle - dans les personnages d'Adam Sandler sera d'autant plus fantasmée, d'autant plus impossible (il faut le voir nager, faire le dj ou le coiffeur dans Rien que pour vos cheveux...).

C'est là d'ailleurs que s'arrête la comparaison avec les films de Capra: nous parlons d'un acteur, pas d'un cinéaste. Ce n'est plus l'action et sa portée qui nous intéressent, mais le personnage en lui-même, avec sa force d'inertie et l'univers qu'il crée autour de lui. Et ici l'acteur imprime sa marque comme l'aurait fait un réalisateur. La fable passe au prétexte à l'éternelle pérégrination du même personnage: Adam Sandler, c'est-à-dire tout-un-chacun. Peut-être est-il là l'échec. Un personnage éternellement personnage rate son incarnation réelle, reste éternellement dans la paralysie du virtuel. Ça tombe bien, c'est en loser qu'on l'aime Adam Sandler.