Déjà publié à propos de Christopher Nolan :
L'article qui suit a d'abord été publié chez Causeur.
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Les fâcheux auront beau se plaindre de la ferveur qui a accompagné l’attente et la sortie de The Dark Knight rises,
l’encombrante piété d’une armée de geeks aura trouvé dans le film des
résonnances surprenantes. Le héros que Christopher Nolan a réinventé est
un totem, c’est-à-dire tout à la fois une instance magique exorcisant
les peurs intimes (Batman begins), une inquiétante silhouette surplombant le monde (The Dark Knight) et un signe de ralliement (The Dark Knight rises). Gotham City a attendu pendant huit ans le retour de son héros, et avec lui une obscure raison d’espérer.
On pense à l’Apollinaire de Zone et à ses fétiches d’Océanie et de Guinée, qui sont « les Christ inférieurs des obscures espérances », tant le passage de The Dark knight à The Dark Knight rises
évoque un fétiche devenu christique : bouc émissaire à la fin du second
opus, en état de résurrection permanente pendant tout le troisième
opus. De manière plutôt surprenante, voici le cinéma fondamentalement
païen de Nolan envahi par des motifs chrétiens comme la foi, l’espérance
et la recherche (certes bien masquée) de la sainteté. Car ce qui est
émouvant dans cette évolution, ce n’est pas la déification du
super-héros, finalement très banale, mais la subtilité de son reflet
dans les yeux des personnages secondaires : Gordon, le fidèle Alfred ou
le jeune inspecteur Blake. Bruce Wayne fait à ce dernier un curieux éloge du masque : plus qu’une garantie
d’anonymat, le masque instaure une forme de présupposé démocratique –
n’importe qui pourrait emprunter les traits de Batman, car tout le monde
est appelé à exceller.
Avec l’exemple de Blake, interprété par un Joseph Gordon-Levitt
plutôt bon, on s’aperçoit que le super-héros n’existe que par un acte de
foi collectif. Mais cet acte de foi est d’abord très concret, c’est
simplement ce qui rend aux choses leur consistance et leur assise : il
suffit d’un doute pour que les surfaces se fissurent et que les sols se
dérobent. Il faut courir, comme le joueur de football fuyant la pelouse
du stade en train de disparaître sous ses pieds, ou, pire, avancer sur
un fleuve gelé, et voir petit à petit la glace se craqueler devant soi. The Dark Knight rises
raconte la mise en péril d’une confiance fondamentale, la croyance
comme mode d’appréhension des objets de la réalité ordinaire, ce que
Platon nommait pistis. L’arrivée de Bane, le méchant, a d’abord
pour conséquence de rendre impossible cette confiance basique dans la
solidité du sol. Comme par hasard, ce n’est pas sur la terre ferme qu’on
le voit apparaître la première fois, mais dans l’environnement
incertain et provisoire d’un avion détourné par un autre avion – avatar
de la fameuse séquence en apesanteur d’Inception.
Mais ne croyez pas pour autant que Bane soit comme le Joker de The Dark Knight
un pur ferment d’anarchie. Certes, l’un des premiers gestes de Bane est
de braquer la bourse de Gotham, trahissant cette autre forme de
confiance qui fait la valeur admise de l’argent. Et cette autre forme de
confiance a certes son importance dans l’univers de Batman et de la
Wayne enterprise. Mais Bane est plus un révolutionnaire qu’un anarchiste
: il n’a rien contre l’idée de l’ordre, il veut seulement instaurer un
nouvel ordre. Le Joker mène à Bane comme l’anarchie mène à la tyrannie.
Ils sont les deux visages du terrorisme : d’un côté le terrorisme tel
qu’on le conçoit aujourd’hui, de l’autre le terrorisme d’Etat qui est
celui de la Terreur. Le rapport de ces deux personnages à l’image filmée
dit beaucoup de leurs différences : quand le Joker diffuse ses menaces
via des vidéos amateur au comique glaçant, Bane s’exprime très sérieux
dans le micro d’un stade de foot américain, reproduit sur un écran
gigantesque. Avec Bane, c’est aussi le rapport de Batman avec son ennemi
qui s’inverse. Pour traquer le Joker, il avait du concevoir un écran de
contrôle agglomérant des milliers de caméras de surveillance, face à
Bane il se retrouve sous terre, condamné à regarder l’apocalypse de
Gotham sur un petit écran.
Le nouvel ordre instauré par Bane trouve son image dans
l’architecture de Gotham City, faite d’interminables buildings et de
souterrains ramifiés – Nolan exploite à fond l’imagerie romantique du
skyline au crépuscule, filmé comme un palais en ruines. La structure de
la ville est ainsi faite que quand le sol se dérobe, c’est pour laisser
place à un autre niveau, à un autre plancher. Les occurrences sont
nombreuses dans le film de ces raccords mille-feuille entre une strate
et une autre, par exemple quand il s’agit de s’approprier les engins de
guerre de Batman. C’est tout le charme de Nolan : avant d’être
symboliques, ses correspondances sont architecturales. Et le film
lui-même adopte ce type de structure stratifiée, jouant des tonalités de
l’image comme des niveaux de mémoire, et rendant le plan accessible aux
affleurements inattendus. Nous ne sommes plus ici dans la tendance au
fragment et à la discontinuité – qui était le propre de Memento ou même de Batman begins
– mais dans une narration transparente, laissant simplement flotter une
poignée de moments enfouis. Et puisqu’il faut toujours s’en défendre,
ce n’est pas là coquetterie de scénariste ou gadget de monteur de clip :
ce qui au fond intéresse Nolan, ce sont les moments d’absence qui nous
font circuler dans le film, ces situations d’apesanteur entre un endroit
et un autre.
Bien sûr, on l’admet bien volontiers en voyant Catwoman, Nolan reste
un sacré fétichiste. C’est d’ailleurs quand il filme l’excellente Anne
Hathaway qu’il retrouve son goût pour le plan très court, centré sur des
détails aussi intéressants que les talons de la jeune femme, la couture
de son bas, ou les perles de son collier. Eros a fait son entrée dans
le cinéma de Nolan, cela méritait d’être salué.
Tu as été vif d'esprit sur ce film et plusieurs de tes idées sont vraiment malines. Permets-moi de te citer chez nous pour compléter ou, mieux (sur la politique), contredire nos propos.
RépondreSupprimerJ'apprécie aussi ton développement sur la structure du film, à ce point transparente qu'il nous semble pouvoir la transposer sur papier en quelque figure géométrique (ce qui nous semble tout aussi faisable avec Inception, Le prestige, Memento... ; et davantage avec Nolan qu'avec d'autres).
Merci Benjamin pour ce commentaire. Il faut que je lise en détail l'article de Kinopithèque, je pense en effet qu'il peut y avoir une dimension politique intéressante dans ce Batman.
RépondreSupprimerJ'aime ce site et avec grand plaisir, je regarde tous les films ici https://filmstreaming.red/ Personnellement, je l'ai vraiment aimé, je vous recommande donc ce site et vous-même pour étudier, je pense que vous trouverez quelque chose d'intéressant pour vous-même.
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