jeudi 30 juillet 2009

Là-haut - l'aventure, c'est extra!



On se sent un peu bête, avant Là-haut, quand il faut mettre ses "lunettes 3D". Et ça ne s'arrange pas, quelques minutes après, quand on fait la rencontre de cet autre binoclard, un enfant émerveillé, au cinéma lui aussi. "L'aventure, c'est extra!" - comme dit, pouce en l'air, l'aventurier moustachu et photogénique, celui qui fait rêver notre gamin à lunettes.

Là-haut c'est assez extra aussi. Tout d'abord par cette complicité qui d'emblée s'installe entre cet ex-enfant et nous même. On le voit tenir avec lui ses souvenirs, comme le garçon qu'il fut tenait avec lui son ballon de baudruche gonflé à l'hélium. L'enfance aux couleurs de l'utopie. Non pas ce laps de temps passé et irrémédiablement perdu, mais un lieu que l'on garde par-devers soi. Un endroit que notre héros, petit vieux, s'attellera à retrouver, avec son boyscout de camarade, pour mieux grandir, pour mieux transmettre. Il faut dire que c'est quelque chose, là où nous emmène l'explosion des couleurs, la même qui envoie au ciel la maison du vieil homme. On y trouve bien des choses, dans ces mystérieuses chutes d'Amérique du Sud: de Doug, chien parlant gentil mais collant, jusqu'à ses compères, chiens parlants, aussi, mais très méchants, en passant par un oiseau exotique, mi-autruche mi-pélican, blagueur et amateur de chocolat (c'est ce qu'on appelle un oiseau rare.)

En somme, dans le cinéma d'animation, Là-haut est un peu l'inverse de Shrek. Pas simplement parce que c'est "la tête dans les nuages" versus "les pieds dans la boue". Aussi parce que c'est la fragilité du comique enfantin contre le second degré, contre la dérision, contre le rire adulte. Et l'on se dit que ça ne s'était pas vu depuis belle lurette, depuis un certain âge d'or, un studio de cinéma accompagnant ses avancées technologiques d'une esthétique et d'un esprit bien déterminés. C'est toute la force de Pixar, et des auteurs du film, Pete Docter et Bob Peterson, que de croire dans cette magie des choses, dans cette aventure aérienne qui n'est pas éthérée.

jeudi 23 juillet 2009

Manpower, de Raoul Walsh - de l'électricité dans l'air

Dans Manpower, il y a power (et man). Il est question, en effet, d'une troupe de bonshommes dont le métier est de réparer des cables électiques, perchés en haut de pilones en feraille. A tous les coups, ça ne rate pas une seule fois, quelqu'un tombe ou se prend une décharge. Pas facile, la vie des power men. Alors pour oublier, c'est une autre forme d'énergie, plus anarchique, qui se déchaîne. Deux d'entre eux sont ivres en permanence et font toutes les idioties possibles, les autres rient gras, s'engueulent parfois, se battent souvent.



Puis quand Marlene Dietrich débarque, c'est une autre forme de tension qui s'installe. Face à elle deux camarades, Edward G. Robinson, un petit trapu un peu pataud, et George Raft, un Humphrey Bogart trop lisse, presque efféminé. Cette polarité définira le reste de l'intrigue, le premier se mariant avec la femme convoitée, demi-mondaine en quête d'enbourgeoisement, et le second cultivant ses sentiments avec des bonnes charges d'amour vache. Le visage décharné de Dietrich, ses yeux et son allure de femme fatale, savent très bien maintenir la tension.


Raoul Walsh a réussi, dans Manpower, a faire de cette atmosphère électrique un milieu naturel. On ne sait plus si ce sont les hommes ou la nature qui se déchaînent. Et le film y gagne un côté sauvage, gratuit, comme toutes ces bagarres qui éclatent sans véritable raison, pour l'amour de la castagne.

mercredi 22 juillet 2009

The Reader, de Stephen Daldry - lectio difficilior


Attention, voici le film intelligent de l'année. Non seulement Le Liseur est adapté d'un livre, ce qui donne déjà une idée du sérieux de la chose, mais en plus de ça y sont abordés des thèmes majuscules: Mémoire, Désir, Culpabilité... Autant prévenir les flâneurs, les spectateurs d'en-bas et les cinéphiles lambdas: ici, ça réfléchit. Mais à ceux que cet avertissement n'aura pas glacé sur place, on peut l'avouer: derrière ces grandes poses intellectuelles, Le Liseur ne va pas plus loin que n'importe quel Fast and Furious 8. Ce n'est pas parce qu'on multiplie les procédés narratifs avec un héros inepte, qui n'arrête pas de se souvenir qu'il se souvient (c'est David Kross, puis Ralph Fiennes), qu'on fait oeuvre de complexité ou de subtilité. Non, précisément, rien n'est subtil dans ce Liseur, ni l'histoire d'amour, ni le procès, ni même le personnage de Hanna Schmitz, un concept en jupon (ou sans, le plus souvent), qui n'est là que pour donner quelques généreuses rondeurs à la banalité du mal (1).

Dommage car, si je n'ai pas lu le livre, j'ai cru voir quelque chose d'intéressant dans ces histoires de lecture et d'écriture, qui mettent à la fois en jeu le désir (le rituel de la lecture) et la culpabilité ultime (le rapport qu'Hanna Schmitz est accusée d'avoir écrit). On se demande si l'accusée n'est pas justement une créature d'avant et d'après la lettre, une sauvage produite par la civilisation, qui n'a nul besoin de savoir lire ou écrire pour appliquer, à la lettre justement, ses instructions de garde. Et, par là même, un être incapable de porter la culpabilité qu'on lui attribue. Incapable de responsabilité. A la limite, on peut dire que le jeu tant loué de Kate Winslet est effectivement "impeccable", au sens où il s'agit d'incarner celle qui n'a jamais fauté, celle qui ne peut pas fauter.

De tout ceci, une seule et unique scène du film sait rendre témoignage. C'est Hanna Schmitz empilant les livres qu'elle a appris à lire, pour former la dernière marche, celle d'où elle pourra mettre fin à ses jours. Et l'on ne saura pas si ce geste signifie l'accession tardive à l'état de péché. Pour le reste, il faudra se contenter d'un prof de droit grotesque, qui fait semblant d'être intelligent parce qu'il pose des questions. Pire, il faudra supporter le mille-feuilles des souvenirs de Ralph Fiennes, qui, avec toute cette histoire, se pose des questions sur la nature de son fantasme, le pauvre.

NOTE:

(1) Le critique du Monde Jean-Luc Douin a vu dans Le Liseur un "antisémitsme insidueux". Franchement! Le film a beau être nul, il ne porte pas non plus tous les péchés de la terre... Lire la critique bien plus juste de Gil Mihaely, chez Causeur, qui ne part pas dans ce genre de délire.

lundi 20 juillet 2009

L'anniversaire de Leila, de Rashid Masharawi

C'est l’histoire d’Abu Leïla, un juge palestinien qui, en attendant de pouvoir exercer, fait le taxi avec la voiture de son beau-frère. Le jour du septième anniversaire de sa fille, il part avec l’espoir de rentrer tôt chez lui, pour célébrer dignement l’événement. C’est compter sans les petits et les grands soucis qui saturent la vie quotidienne, en terre de Palestine. Lire la suite chez Kinok.

samedi 18 juillet 2009

Une étoile est née, de George Cukor - Hollywood sans voile


Est-ce à cause des minutes sans image qui trouent sa version de 1954? En tout cas A star is born, de George Cukor, est un film bien mélancolique. Il est loin, le roi de la comédie de remariage - mais a-t-il jamais été, du moins tel qu'on le décrit? Et si le principe est de faire fuser les répliques, ou de les tisser ensemble, bien serrées, pour faire une bonne comédie, alors la maille s'est peu à peu distendue, de Holiday à A star is born, en passant par The Philadelphia story. Car, de toute évidence, cette texture a des trouées de mélancolie. C'est le visage de Katharine Hepbnurn, les yeux embués, et qui regardent ailleurs. C'est aussi, dans le film qui nous intéresse, le regard halluciné de James Mason.

James Mason, dans le rôle de Norman Maine, est malade d'images plus que d'alcool. Il faut voir le même acteur dépendant à la cortisone dans Bigger than life, de Nicholas Ray - le titre français, Derrière le miroir, dit encore mieux la chose - pour comprendre quel genre de mal il a su exprimer à l'écran. Précisément, cette comédie musicale avec Judy Garland, plus encore que les autres avant, nous fait regarder à travers les mailles du genre, par l'intermédiaire, révélateur, de Mason qui y joue un personnage fondamentalement ambivalent. A la fois l'amoureux, celui qui a les yeux purs du spectateur pieux et fervent, et la créature morbide du système hollywoodien, celui qui brise le miroir et nous laisse entrevoir la folle mécanique. En cela, Norman Maine est le film lui-même.

Truffaut aimait parler de "grands films malades", et il n'y a qu'à regarder la longue cicatrice privant le film de quelques bonnnes minutes pour lui accorder ce statut. Judy Garland, dont ce film raconte aussi un peu la vie, offre de grands numéro en même temps qu'une espèce de maladresse. Il est poignant de voir la façon dont A star is born, par le fait même que c'est un film boiteux, avec des moments de vague tranchant sur des séquences magnifiques, est devenu contre la volonté de son réalisateur, le témoignage vivant de ce qu'il voulait montrer.

lundi 13 juillet 2009

Public Ennemies, de Michael Mann - d'où l'on vient et où l'on va


John Dillinger, c'est un peu le dernier des mohicans de la grande dépression. Dernier grand bandit avant l'avènement et l'institutionnalisation du crime organisé. Encore l'un de ces héros solitaires, qui fourmillent chez Michael Mann, prisonniers d'une modernité grise et métallique. Et la police ne parviendra pas seule à bout de Dillinger: hors-la-loi au pays des hors-la-lois, il ne sera coincé que grâce aux forces conjuguées des fédéraux de la mafia.

Chose surprenante: s'il est un doux rêveur, le personnage brillament incarné par Johnny Depp ne rêve pas, ou que brièvement, à un après idyllique. Pas de futur impossible, cette fois, ni de projection en trompe-l'oeil, comme on en trouve tout le temps chez Mann - que l'on songe aux projets éternellement en suspens du taxi Max de Collateral, ou aux envies de fuite du personnage de De Niro dans Heat. Plus que ça, les intentions de Dillenger resteront pour nous quasiment opaques, en ce que nous le verrons à peine se représenter sa vie future, ou tout au moins les issues possibles. Pour la simple raison que ceux qui s'occupent de cela pour lui, ceux qui s'occupent de représenter, de cadrer, de cerner quelque chose ou quelqu'un, ce sont cette fois les flics, et plus précisément l'un d'entre eux: Melvin Purvis. Il y a à ce titre une scène typique de chasse à l'homme, où le personnage de Christian Bale vise son brigand gibier (un certain Pretty Boy Floyd) à travers les rangées parallèles d'un verger. Le plan a ceci de significatif qu'il donne l'impression que le fuyard, filmé de dos, fait du surplace alors qu'il est en train de courir à toutes jambes. Voici le genre de représentation qui détermine la trame de Public Ennemies: une visée annulant toute profondeur de champ, une ligne de mire interdisant toute perspective de fuite.

Le Dillinger de Michael Mann a, pour nous qui le voyons et pour ceux qui le poursuivent, un aspect insaisissable, hors du cadre. D'ailleurs, le scénario simplissime fonctionne sur un ressort unique et obsessionnel: il fuit, on le retrouve, fussillade, il s'échappe. Il a en face de lui, nous l'avons dit, des gens qui n'ont de cesse de le cadrer, de le représenter comme on mettrait en cage. C'est l'imagerie de la modernité - oppressante comme ces téléphones, ces cables, ces branchements, ces standardistes en bras de chemise, que l'on rencontre à la fois à l'endroit où la police met sur écoute et dans l'antre de l'organisation criminelle. L'imagerie moderne, c'est aussi le mur sur lequel Dillinger se voit représenté avec ses complices, presque tous morts, c'est indiqué sur les photos - de toute façon, on se le dit et peut-être qu'il se le dit aussi, on ne reste pas longtemps vivant lorsqu'on est en photo sur ce mur, c'est bien le principe.

Toute image n'a pas forcément cette odeur de mort. Car il y a bien du rêve, de la projection, dans la relation qui unit notre héros à Billie Frechette (Marion Cotillard). Quand tout le monde se soucie "d'où l'on vient", lui dit-il, il préfère accorder de l'importance à "où l'on va". Ce qu'il propose à Billie, c'est la vie d'aventure qu'il a déjà, ici et maintenant, dans cette trajectoire qui relie le passé au futur. Un rêve éveillé qui n'a pas pour lieu un improbable futur, mais un présent radical, entier et concret. Et ce rêve magnifique a tous les attraits du travail de Mann sur le numérique: une image trop précise, presque télévisuelle, que le cinéaste transforme en matériau pour des séquences impressionnistes - ce sont les pluies de flash et de fumigène, les décharges de lumière des mitraillettes, ou les jeux de phare et de reflet sur les voitures luisantes.

D'ailleurs le peuple ne s'y trompe pas, qui fait de lui un héros romantique, un Robin des bois moderne. Car avec le versant positif de la représentation, il y a le cinéma et la mythologie. A la fin, Dillinger va voir Manhattan Melodrama où il voit Clark Gable marchant fièrement vers son exécution. La scène qui suivra, celle de sa propre fin, aura peu à envier au cinéma d'antan. Il fallait cela, il fallait mourir en beauté, comme au cinéma, pour entrer dans la légende.

dimanche 12 juillet 2009

Whatever works - New-York est revenu!


On l'avait presque oublié, celui-là. Le new-yorkais névrosé, celui qui parle à la caméra, celui qui a des théories sur tout, le mégalomane attendrissant. Et, pour le coup, ce n'est pas Woody Allen, mais un certain Larry David, un chauve à lunettes. Son personnage, Boris Yellnikov, ressemble d'autant plus au cinéaste que ses réguliers apartés au spectateur lui donnent quasiment un statut de narrateur, qu'il semble difficile de dissocier de celui du metteur en scène.

Il s'agit d'illustrer, sur le mode comique, le slogan selon lequel "nous ne sommes que des vers". C'est cela qui charme, d'ailleurs, dans Whatever works: d'un côté une trame schématique, assez peu vraisemblable, et de l'autre une prétention à l'observation scientifique. Et il y a comme du Heisenberg de boulevard à montrer la façon dont l'observation, toute désabusée qu'elle soit - et c'est précisément le rôle de Boris - influe finalement sur l'objet d'étude.

L'objet d'étude, ici, c'est l'anthropologie new-yorkaise, à la quelle viennent se frotter des Américains profonds, des Américains du sud. La rencontre donne lieu à des formules cocasses (un exemple: le sudiste demandant à son camarade de comptoir s'il est "de la confession homosexuelle" et pestant contre toutes les femmes, "either male or female"). La conversion de la famille américaine traditionnelle aux moeurs dissolues de New-York est simplement présentée comme le passage d'une mascarade à une autre, la seconde n'étant pas moins absurde que la première - même si c'est celle du faux observateur et du vrai metteur en scène. Relativisme culturel aussi facile qu'efficace, notamment quand il s'agit d'éclairer le sens du titre: Whatever works...
Des avis plus tranchés chez Nightswimming et Dr Orlof

lundi 6 juillet 2009

Jeux de pouvoir: héros chevelu pour histoire échevelée

Ce n'est pas seulement la présence de Ben Affleck qui donne à Jeux de pouvoir un côté nostalgique, voire ringard. C'est aussi plusieurs autres choses comme la référence aux thrillers politiques de Pakula et Pollack (Les Hommes du président, les Trois jours du Condor) et l'éloge sans illusion qui y est fait d'une presse papier en stade terminal. Ceci, loin d'être accessoire et joli prétexte à des remarques émues des critiques cinéma de ladite presse papier, est en fait la base même du film de Kevin Mc Donald.

Avant même les rebondissements d'une intrigue prenante, avant même l'esthétique (vintage, elle aussi), c'est le vocabulaire et les dialogues qu'il faudrait analyser. Entre Russel Crowe (le journaliste chevelu) et la responsable du site Internet du journal en question, entre ce même chevelu et la directrice du journal, entre tous ces journalistes et la police, il y a un grand débat lexical. "Comment appelle-t-on ce qu'on est en train de faire?" semblent vouloir récapituler épisodiquement les protagonistes. Dans la mêlée, on entend investigation, gossip, facts, blog, truth, case, scoop et - celui qui finira par s'imposer - story.

Peut-être voyez vous où j'en viens: la question de la presse d'investigation est intéressante, ici, dans la mesure où sa capacité à raconter une histoire est en question. Son autorité, en somme. Aussi l'intérêt de Jeux de pouvoir est-il moins dans les révélation, plutôt communes, mais dans cette histoire qui, sous couvert de rebondissements, met en question sa propre autorité, sa propre légitimité, comme Russel Crowe doutant de son ami. Et c'est aussi le thriller politique qui, avec Mc Donald, ne se fait guère d'illusion sur sa portée, qui n'est guère que celle du divertissement nostalgique.

jeudi 2 juillet 2009

Après l'Océan, d'Eliane de Latour

Chronique parue sur Kinok

Après l’océan est un film franco-ivoirien d’Eliane de Latour qui raconte l’histoire de Shad et Otho, deux amis d’Abidjan qui ont voulu s’aventurer en Europe. L’un, Otho, est ramené à la frontière après une descente de police, l’autre, Shad, parvient à s’en tirer et continue l’aventure, à Londres et à Paris.


Le premier mérite de ce film est de ne pas être sur les immigrés en général. Ce n’est pas un film sur l’exil, ou l’errance. Pas de célébration larmoyante des destins apatrides, pas de gros plans sur des visages venus de partout et de nulle part. Non, il y a très précisément deux lieux, dans Après l’océan : Abidjan d’un côté (de l’océan), l’Europe de l’autre. Comme le point de vue est essentiellement celui d’Africains, il n’y pas cette analyse occidentale de choses. Pas de « question de l’immigration » - ni pour la rejeter, ni pour la célébrer.

Et cette perspective ivoirienne ne se donne pas non plus pour neuve. L’une des choses sympathiques, dans le film d’Eliane de Latour, est en effet cette façon d’inscrire le départ pour l’Europe dans une mythologie africaine. C’est le guerrier qui part chasser en-dehors du village, pour rapporter ensuite à la communauté le savoir glané dans l’aventure, ainsi que de quoi vivre et manger. Partant en Europe ils restent, ou ils voudraient rester, dans une culture et dans une tradition qui leur sont propres. Ceci – cette idée de point de vue – est assez bien construit par la mise en scène. Par exemple les moments où l’on suit Shad, tantôt émerveillé, tantôt dégouté par ce qui lui arrive en Europe, mais toujours dans une atmosphère d’aventure guerrière, épique. À cette vision des choses vient se mélanger le mirage d’une Europe d’abondance et de réussite. L’échec relatif des aventures de Shad et Otho vient du décalage entre ces deux imaginaires, celui de l’aventure épique et de la réussite moderne.

Et d’ailleurs, le problème du film vient aussi de là. Une fois cette idée de base développée, cette tension installée, Après l’Océan manque cruellement du souffle épique revendiqué. Les complications sont assez peu intéressantes, le pire étant la rencontre avec Tango, jeune Française en rupture avec sa famille (son père est l’éternel papa beauf Kad Merad), jouée par Marie-Josée Croze. Lesbienne pour les besoins de la cause (il ne faut pas qu’elle tombe amoureuse de Shad, puisqu’il est promis à la petite sœur d’Otho), elle connaît une histoire d’amour avec une jeune femme, nostalgique, du coup, de ses origines africaines. Dans le même temps, Tango a des problèmes avec un frère aussi roux que jaloux, qui a un sérieux souci quant à sa relation à sa (trop) chère sœur. Franchement, tout ceci, on s’en serait bien passé. Et les micro-ralentis vaguement esthétisants ne parviennent pas le moins du monde à intensifier ces situations grotesques.

Il y a enfin une question de langue et de langage dans Après l’océan. C’est d’abord un Français très singulier qui est utilisé, avec des expressions souvent amusantes, une forme de gouaille. Mais le problème est que nos personnages semblent toujours un peu dépassés par la langue qu’ils utilisent. Les dialogues restent des dialogues et, honnêtement, les jeux d’acteur sont assez pauvres. Le Français et l’Anglais – auquel a souvent recours Shad – résonnent comme chanson européenne. D’ailleurs l’Anglais donne l’impression de mieux faire rêver. Avec la question de la langue c’est l’identité qui est en jeu. Et l’obsession d’Otho pour l’identité culturelle, l’authenticité (des tissus, des vêtements, des aventures), a paradoxalement un côté occidental, voire touristique, assez ridicule.

En somme voici de plutôt bonnes idées, mais qu’Eliane de Latour ne parvient jamais à déployer aussi bien qu’elle les a lancées. Tout le problème est là, justement : les idées ne suffisent pas à faire un film.