lundi 8 mars 2010

Ghost writer, de Polanski: négritude et transparence


Tout commence dans une belle maison d'architecte faite de vitres et de blocs de pierre. La mer, la plage, le jour et la nuit sont là, et nous, nous sommes avec Ewan Mc Gregor et l'équipe d'Adam Lang, comme dans un bocal. Tout commence donc comme un jeu sur la transparence et la distance: nous sommes sur une île sauvage, où le vent et la pluie se déchaînent, et pourtant non: nous sommes à l'intérieur, au sec, dans un endroit plein (ou vide) de calme et de symétrie. En sécurité au cœur de l'orage. C'est la vitre, compromis entre la proximité et l'obstacle, qui s'impose d'abord dans de belles évidences. Difficile de ne pas opposer cette impossible horizontalité aux cheminements rocailleux et souterrains de Shutter Island. Tout nous y invite: l'autre forme de classicisme de Polanski, cette musique inquiétante, souvent en contrepoint de l'intrigue, et surtout la simplicité de The Ghost Writer, contre la complexité du Scorsese.

Ewan Mc Gregor est un nègre parfait. Un ghost writer parfaitement fantomatique: visage lisse, corps interchangeable, ombre. Ombre d'Adam Lang, car c'est son job, mais bientôt ombre de Ruth, sa femme, puis ombre de l'adversaire politique, Rycart - ombre enfin du nègre précédent. Tenez, pendant que j'écris ces lignes je n'arrive même pas à me souvenir du nom de notre personnage - je me demande s'il est cité une seule fois, alors que le prédécesseur, Mike Mc Ara, est mentionné à l'envi. Bref, Polanski se sert de la figure du nègre comme expression de la transparence. Archétype, il boit pour remplir son vide.

Ce personnage n'a d'intérêt que dans la mesure où il est traversé par une intrigue. Il est là, le charme de The Ghost Writer, dans la manière dont notre personnage se laisse manipuler - se laisse guider, idée géniale, par la voix d'un GPS. La transparence prend alors toute sa mesure et son ambiguïté, puisque c'est aussi un moyen de dissimuler et de ménager les effets. Un peu comme dans ces plans en baie vitrée: c'est là, devant nous, mais on se heurte à la vitre. Le nègre, le fantôme, l'être transparent, est l'instrument d'intentions obscures. La présence opaque d'Adam et de Ruth, indéchiffrables, mène très logiquement à la fin en hors-champ, une révélation invisible.

Polanski a fait, avec The Ghost Writer, un magnifique thriller théorique. Un peu comme le William Holden de Sunset Boulevard, Ewan Mc Gregor semble le vecteur d'un pur exercice. Là où le film de Wilder faisait du cinéma un art d'outre-tombe, Polanski désigne l'écran comme surface d'expression d'un vide essentiel.

4 commentaires:

  1. Bonjour, comme je l'ai dit sur mon billet, j'ai trouvé ce film brillant. Je trouve qu'Ewan Mc Gregor est parfait dans le rôle. Un grand film. Bonne après-midi.

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  2. Belle inspiration. Tu rapproches parfaitement deux des points forts du film, selon moi : son invention architecturale et son personnage principal, qui se laisse manipuler, qui se laisser "remplir" par la fiction (et par nos désirs de spectateurs).

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  3. Ce qui m'a marqué (entre autre) dans ce thriller, c'est l'utilisation très ingénieuse des outils technologiques de notre quotidien où chaque objet finit par devenir vecteur d'un danger mortel.

    J'ai hâte de le revoir.

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  4. C'est vrai, magnifique, et en-même temps l'antithèse esthétique de Shutter Island !

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