mercredi 13 mai 2009

Agnus Dei, de Lucia Cedron

Voir la chronique sur Kinok
L’argument d’Agnus Dei, quand on le lit vite, fait très hollywood – ou du moins très cinéma (l’histoire d’un enlèvement dont on imagine déjà la mise en scène, les rebondissements et le potentiel dramatique). C’est pourtant une autre voie qu’a choisie Lucia Cedron. Elle a choisi la voie détournée : la diversion. La vie qui continue. Et si la tension de l’intrigue semble s’estomper au fil du quotidien, c’est aussi pour pointer vers le non-dit et l’hors-cadre.


L’enlèvement en lui-même est à peine filmé. La voiture s’arrête, on comprend tout juste ce qui se passe : la scène restera informative. Étonnant, de refuser ainsi délibérément la scène d’action, le balai de poursuites et de coups de feu, pourtant constitutifs d’une mythologie cinématographique pas forcément indigne. Les mauvaises langues diront que le contre-pied systématique aux canons du genre aliène tout autant que les canons eux-mêmes, mais ce serait ignorer la cohérence de ce procédé dans l’économie du film.
Parce que, justement, il n’y a pas eu le détail de l’enlèvement, qui aurait immanquablement conduit à une forme de dramatisation, la douleur de la petite-fille du captif, et singulièrement de sa fille, reste toujours un peu sourde. Pas de crise de larme, pas démonstration sanglotante, tout demeure contenu dans une forme de latence. Teresa, la mère de Guillermina (c’est elle, la petite fille que contactent les ravisseurs), serait presque souriante. Elle en veut à son père, on ne sait d’abord pas trop pourquoi. Tout ça pour dire qu’on en sait un minimum et que le départ même de l’histoire, à savoir l’enlèvement, garde tout le long du film une aura de mystère.

Cette ignorance originelle est aussi celle du miroir en énigme qui nous montre, côte à côte avec le rapt, l’histoire d’une fillette, de ses parents et de son grand-père. Cette intrigue parallèle nous parle, du point de vue de l’enfant, de la dissidence et de la répression dans l’Argentine des années 70. On devine vite que cette seconde histoire est un flashback mettant en scène les mêmes personnages du temps de l’enfance de Guillermina. Le passage d’un temps à l’autre ne fait que renforcer l’impression de mystère. On passe dans l’ancien temps comme on change de salle, parfois dans une même séquence, et c’est l’impression d’une maison hantée par le passé que donne cette demeure, lieu principal des deux actions.


Tout le mérite de Lucia Cedron, dans la mise en scène de Agnus Dei, est d’être parvenu à donner une profondeur à ces deux intrigues et, du même coup, une signification spirituelle à l’enlèvement en lui-même. Car ces deux histoires sont des vases communicants où le passé donne au présent, où le présent se donne au passé. Pour une fois, le latin de messe n’est pas utilisé trop à la coule et le titre Agnus Dei éclaire un des sens de ce film. Quel point de départ plus évangélique, en effet, que cette situation où il faut rassembler les conditions nécessaires à un rachat ? En même temps qu’elles ont leur signification littérale, les questions d’argent amènent les personnages à un travail de révélation. Toute la réussite de ce film tient à cette conversion de l’échange sonnant et trébuchant en échange sacrificiel. Et au moins autant que l’argent, c’est la confession du père qui permet son retour dans le monde des vivants. En ce sens le thème de l’agneau, présent symboliquement dans plusieurs scènes du film (jusque dans la peluche, présent offert à Guillermina), a toute sa place. Dans le film de Lucia Cedron, l’agneau de Dieu est moins messie que bouc émissaire.

C’est dans cette perspective de rachat d’un péché originel que s’éclaire le sens du mystère et du non-dit, dans Agnus Dei. Il s’agit, à travers ces deux histoires qui se répondent, d’explorer l’origine, ce qui constitue toute situation présente. Au fond, le montage inexpliqué des deux intrigues et le choix de la voie détournée ne font qu’expliciter l’opacité du péché, et la difficulté qu’il peut y avoir à faire lumière sur les fautes qui font notre vie. C’est surtout dans ce sens qu’il faut voir l’aspect très politique du film de Lucia Cedron : elle en est là, l’Argentine qui était enfant dans les années 70. Que doit-elle faire de cette enfance ? Qu’est-ce qu’un pays fait des blessures de son passé ?

4 commentaires:

  1. l’Argentine de Pinochet????? tu te rends compte de l'énormité Tim? c'est le Chili Pinochet! tu voulais peut être dire Peron ou je ne sais quoi...

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  2. Enorme!! Heureusement qu'il y a quelqu'un qui lit mes articles ici... Je vais changer tout ça.

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  3. Oui, il faut changer ça. D'autant plus que le papier est juste, c'est dommage de laisser une erreur pareille. Il s'agit de l'Argentine des Généraux (il y avait à l'époque une Junte militaire, un sinistre trio dont le plus célèbre est Videla).

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