dimanche 19 avril 2009

Deux autres William Blake

Deux autres visions. William Blake le poète, de même qu'il entendait les poèmes qu'il s'apprêtait à écrire - sous l'impulsion d'une dictée - était un visionnaire. Un visionnaire au sens propre: il voyait des choses qu'il était seul à voir. C'est du moins ce qu'essaye de rendre évident l'excellente exposition qui lui est consacrée au Petit Palais (celui qui nargue son grand frère d'en face, Andy Warhol avec). Puisqu'il est question de vision, de représentation et d'expression, chez William Blake le peintre, il n'était pas sans pertinence de faire un pont avec le cinéma, un pont sur l'Antlantique en l'occurence, puisque le film projeté était américain: Dead Man, de Jim Jarmusch.



Soyons clairs: Dead Man et le personnage de Johny Depp, encore un autre William Blake, n'ont pas grand chose à voir avec le poète - et encore moins avec sa peinture. Il y a pourtant une forte identité visuelle, dans Dead Man, qui consiste en une vision infernale et grotesque du western. Le noir et blanc cadre bien avec la condition fondamentale de squelette propre aux personnages de cette danse macabre. C'est drôle et terrifiant. Le film, dans sa structure, tend aussi vers une certaine ascèse, avec ses courtes scènes séparées par un simple fondu au noir.

C'est le personnage de Nobody, un Indien poète et franc-tireur, qui tranche dans cet univers. Nobody, et certainement pas le Nobodaddy de Blake le poète dans To Nobodaddy. Nobody n'est certainement pas cette figure absente et honnie du Père. Il joue pourtant le rôle de guide, dans la quête initiatique du personnage de William Blake, mais n'est pas pour autant un père spirituel. Car sa parole, opaque, semble plutôt celle de l'immanence, celle d'une création encore préservée, encore hantée par les "esprits de la nature", pour parler dans le langage un peu new-age des natives américains.


Il est possible de voir, dans cette opposition - entre une civilisation dévastée, pourrie, mort-vivante et un esprit imaginatif, ayant sa propre "vision du christ" et s'inspirant du langage déchiffré dans la nature - le manichéisme qui, selon Pierre Boutang, est propre à William Blake. C'est qu'il y a une certaine cohérence à mettre en scène un William Blake en terre d'Amérique, qui plus est dans le contexte mythique qui est celui du western. Car le mythe, on le voit dans ses gravures, peintures, eaux-fortes, enluminures, représente en tant que fiction fondamentale un échapatoire à l'infernale putréfaction des désirs. Le mythe, c'est la vision, le songe auquel on se doit de donner une réalité. Et l'un des plus grands rêves de l'Europe ne fut-il pas l'Amérique?


Dans Dead Man, le rêve américain a franchement tourné au cauchemar. Peut-être est-cela qui explique le nécessaire dialogue entre Europe et Amérique: l'improbable enfance de Nobody le native en Angleterre, la quête d'identité de William Blake et sa fin dans l'océan, en Amérique mais en route vers l'Europe: l'Origine. Il est permis d'espérer qu'à ce moment-là, William Blake devient effectivement William Blake.


La musique de Neil Young pour Dead Man:

2 commentaires:

  1. Voilà j'ai enfin lu un article de ton blog!
    J'ai choisi celui-ci, pas au pif, mais parce que j'avais beaucoup aimé ce film...

    Enfin bon, j'ai presque rien compris au post! lol

    nabou

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