mardi 26 septembre 2017

Bulles de cool à Hollywood



NB : Texte préparé pour le podcast Outsiders.

Baby Driver reprend et systématise un lieu commun rencontré dans plusieurs grosses productions récentes : celle de la scène d’action vue à travers les yeux et remixée à travers les oreilles d’un jeune homme avec des écouteurs. C’était également comme ça que commençait les Gardiens de la Galaxies, si vous vous vous souvenez de la scène de générique dans laquelle Starlord explore des ruines sur une planète inconnue en écoutant dans son casque Come and get your love de Redbone. Et c’était aussi le mode de fonctionnement du passage le plus remarquée de X-Men, Days of future past, dans lequel le mutant ultra rapide nommé Quicksilver mettait son grain de sel dans une scène montrée au ralenti, sur fond de Time in a bottle de Jim Groce.


L’originalité de Baby Driver est d’en faire le sujet et le fonctionnement du film, qui n’est qu’une longue playlist passant dans les oreilles de ce jeune chauffeur et bandit malgré lui. La première scène emblématique est celle de la course poursuite, alors que se joue dans les oreilles du chauffeur Bellbottoms de Blues Explosion.


Là où le film me semble intéressant, c’est qu’il met le doigt sur le paradoxe de ce genre de scène, souligné à plusieurs reprise par des personnages dans le film : la musique sert à la fois à créer une bulle dans laquelle s’enferme le héros, et à le rendre hyper-conscient de son environnement. Les braqueurs sont sans cesse en train de mettre en doute la concentration et le professionnalisme de Baby, alors que c’est justement son côté autiste qui garantit son efficacité dans sa mission.

Ce paradoxe se décline de plein de façons, à commencer par le choix de la musique et la manière dont il s’articule avec l’environnement et l’action. Soit tout s’adapte comme par magie à ce qu’il y a dans les oreilles du héros, comme c’est le cas dans la scène illustrant par exemple le trajet de Baby pour aller chercher un café au début du film. Soit la musique se joue en contrepoint de l’action, accentuant l’effet de bulle : c’est l’utilisation de Barry White pour un braquage dans Baby Driver, ou alors de la balade de Jim Groce au plein coeur de l’action dans l’exemple d’X Men.

Il n’est pas anodin de parler de bulle : il y a quelque chose d’enfantin et de profondément régressif dans ces espèces de cocons cool. Dans Baby Driver autant que dans Gardiens de la Galaxie, la passion pour la musique est directement associée à une mère défunte. Se retirer derrières les écouteurs est un moyen de s’enfermer dans un substitut au sein maternel. Il est d’ailleurs intéressant de voir l’attrait vintage pour les cassettes audio, dans Gardiens de la Galaxie, et pour l’iPod dans Baby Driver, explicitement associée à ce désir régressif. A défaut d’une mère, c’est avec la machine que les héros fusionne. Le starlord des Guardiens de la galaxie avec son walkman, son casque et ses autres attributs de super-héros, le Baby de Baby Driver avec son ipod, son dictaphone et sa voiture qui devient un prolongement de sa personne, voire une arme dans le combat final.

L’intérêt de Baby Driver devient très vite sa limite : c’est un fantasme moderne, un “fantasme pop”, selon la formule consacrée. Mais c’est surtout un mensonge, et Edgar Wright se heurte vite au fait qu’un tel personnage ne peut pas avoir d’histoire, passé l’émerveillement des quelques scènes décrites plus haut. Le film, comme Baby, est piégé par sa manie de ne remixer toujours et encore que sa propre playlist. Il est passionnant, en effet, de se demander à quoi ressemblerait une comédie musicale où les personnages auraient des écouteurs dans les oreilles. A condition de ne pas faire comme s’ils écoutaient tous la même musique.

dimanche 12 mars 2017

Outrage, de Ida Lupino


Outrage commence comme un film noir et se termine comme un mélodrame. Du film noir, Ida Lupino reprend l'idée d'un crime initial jetant la victime dans une spirale de peurs auto-réalisatrices. Ann Walton, violée la veille de son mariage, voit le monde qu'elle connaît métamorphosé en jungle menaçante. Le point de vue que Lupino prête à son héroïne est à la fois paranoïaque, en ce qu'il donne à chaque homme une aura négative, et d'un réalisme implacable : c'est comme si elle voyait pour la première fois les gestes déplacés, les regards libidineux et les remarques équivoques de ceux qui l'entourent depuis toujours. La force du film vient de ce croisement entre l'image mentale et une mise en scène brute, au propos très direct.

Le film se transforme en mélodrame au moment où Ann fuit et rencontre Bruce Ferguson, un pasteur qui amène avec lui une lecture religieuse des événements. Le viol est semblable à un péché originel : commis par un seul homme mais rejaillissant sur tous. Lors d'une scène où elle subit à nouveau les avances plus qu'insistantes d'un jeune homme, elle voit en surimpression la cicatrice qui barrait le cou de son agresseur initial. Ce qui ressemble d'abord à une laborieuse explication psychologique prend avec cette idée de blessure une autre dimension : il n'est plus seulement question de la guérison d'Ann mais de la responsabilité portée par tous les hommes. 

lundi 30 janvier 2017

La la land, le snobisme à la portée de tous


Avec La la land, Damien Chazelle ne fait que raviver les meilleures influences de la comédie musicale, mais il le fait en en saisissant une sorte de fil conducteur, qui serait la plasticité de l'espace-temps. L'idée que le montage et la construction du récit se font non seulement dans le temps mais aussi dans l'espace par les couleurs, la lumière, les chorégraphies. L'histoire est dépliée et réécrite perpétuellement, isolant tantôt un personnage dans le plan, le reliant tantôt à un autre au prétexte d'un bruit de klaxon ou d'une mélodie déjà entendue.

Un seul élément détonne dans cet exercice : c’est l’impression, précisément, que Chazelle se livre à un exercice de puriste. Il est comme son personnage un peu snob qui ne tolère que le free jazz. Comme lui il carbure aux références prestigieuses, et comme lui il croit à la magie menacée de l’art pur qu’il s’agirait de préserver (le film sur pellicule, par exemple). Or s’il y a bien une idée étrangère à la comédie musicale, c’est bien ce genre de prétention. Les musicals ont toujours opposé les songes de gens modestes aux caprices risibles des prétentieux : le metteur en scène grandiloquent de The band wagon, les intellectuels français de Funny Face, etc. Cette fois-ci Chazelle inverse le paradigme et nous montre à quoi rêvent les snobs. Pourquoi pas. D’autant qu’il y a une certaine facétie à faire un éloge du snobisme dans cette machine hollywoodienne, probable succès aux oscars et au box office.