lundi 24 mai 2010

Tina Fey, Steve Carell: la comédie ventriloque



Pendant que certains élèvent leur autorité sur les marches cannoises, que d’autres sont empêchés par des problèmes “de type grec”, des artisans consciencieux continuent de besogner à la production de vrais films hollywoodiens. Voyez Shawn Levy, entendez les titres prestigieux qui l’annoncent – Pour le meilleur et pour le rire, La Panthère rose (celle avec Steve Martin et Jean Reno…), La Nuit au musée, La Nuit au musée 2

Il y avait, dans les pitreries du Ben Stiller gardien de musée, une forme de naïveté démocratique typiquement américaine, qui ramenait toutes les époques et tous les endroits du monde à un vivre-ensemble enfantin ou pathétique, comme on veut. Shawn Levy portait presque malgré lui un regard facétieux sur cette Amérique-là, celle des communautés et du relativisme culturel. C’est la même douce impression de réussite involontaire qui séduit dans Crazy Night.

Avant de faire le duo d’acteurs, Steve Carell et Tina Fey commencent dans ce film par former un couple de spectateurs. Ils regardent leurs amis se séparer, contemplent au restaurant les amoureux qui s’embrassent, considèrent un avenir en ligne de fuite. C’est que l’humour des deux comparses s’installe d’abord dans la retenue – dans la raideur machinale de Steve Carell, dans l’allure commune de Tina Fey – et dans l’impuissance que leur impose leur statut de bourgeois de banlieue.

Ils ne restent pourtant pas spectateurs – ce n’est pas un regard distancié qu’ils apportent au film -, mais parviennent à suggérer, jusque dans leur apparente banalité, tout le comique d’une situation. Crazy Night a en ceci la mécanique d’une comédie ventriloque: deux personnages spectateurs, certes, mais qui s’approprient le monde pour lui prêter des dialogues et une mise en scène. Le ventriloque ne veut pas qu’on le regarde: il se cache derrière sa créature – et Steve Carell a ce genre de comportement quand il glisse une imitation du coin de la bouche, de même Tina Fey imaginant la discussion de ses voisins de tablée.

Crazy Night, c’est un peu la comédie burlesque en creux - celle où les personnages ne nous renvoient à eux-même et à leurs gestes que par ricochet, dans l’acte même de s’effacer devant la situation comique, comme pour mieux en faire partie. Ce fonctionnement a l’avantage de tout pouvoir digérer des rebondissements loufoques et des nunucheries romantiques - parodiées par le couple de bandits au grand coeur dont ils avaient pris l’identité. Et le moment le plus réussi du film est celui où les deux acteurs sont sommés de vraiment jouer la comédie – mimer des gestes louches dans un club pas net -, obligés de sortir de la réserve, de s’approprier malgré eux le geste burlesque.

mardi 18 mai 2010

Judd Apatow, Funny People: le bal des clowns tristes



Chronique d'abord publiée sur Kinok

Il fallait que cela arrive : Judd Apatow nous fait le coup du clown triste. L’auteur de 40 ans toujours puceau et de En cloque, mode d’emploi – le producteur, aussi, de Supergrave ou de Rien que pour vos cheveux – a fait avec Funny People un film amer, parfois drôle, souvent triste.

Tout commence avec une troupe de trois comiques, qui à la vie sont aussi colocataires. Ils sont jeunes, viennent du même stand-up show, veulent tous les trois réussir – sur scène, à la télé ou autre. En face il y a George Simmons (Adam Sandler), un comique désabusé, ultra-célèbre, plein aux as, à qui l’on apprend qu’il a une grave maladie et que sa vie est menacée. On sent poindre déjà la dualité un peu mécanique sur lequel reposera le film : d’un côté la jeunesse, le rire, la simplicité, de l’autre la maladie, la tristesse et le superflu. Et derrière ceci, bien entendu, Apatow veut brosser un portrait ambivalent du comique : si drôle et pourtant si triste, etc.

C’est donc logiquement qu’on se retrouve avec un duo à l’écran : George Simmons et l’un des petits jeunes, Ira. Le second est payé pour trouver des blagues au premier. Paradoxalement, c’est plutôt le personnage d’Adam Sandler qui teinte l’atmosphère dans lequel les deux évoluent. Une forme de mélancolie s’installe. Au lieu de s’aider dans leurs sketchs, ils se parlent de leur passé, de leurs problèmes... Certains plans évoquent assez spécifiquement la psychanalyse, comme si l'obsession du zizi était un vecteur naturel vers un cinéma du divan.

Il est d’ailleurs intéressant de voir la manière dont l'humour régressif si typique de Judd Apatow, qui contribue à former sa troupe bigarrée de partisans, est repris sur le mode un peu triste de l'analyse. George Simmons nous raconte qu'il a "toujours voulu faire rire son père", quand Ira nous ressort les moqueries de ses camarades. Ce côté-là est franchement raté: on n’est pas là pour se farcir ceci.

C'est une voie de garage dans laquelle Apatow se fourvoie un bon bout de temps dans le film: au lieu de donner à travers la figure clown, du comique ou du foul– qui avait au cinéma et au théâtre une ascendance prestigieuse – un regard ambiguë sur le monde, il préfère nous montrer ses personnages pleurnicher sur eux-mêmes. Comme si les deux comparses n'étaient, au fond, dignes d'intérêt que quand ils cessaient d'être dans la comédie – alors qu'en l'occurrence, c'est la portée dramatique de l'humour et de l'acte de comédie qui posait vraiment question.

Il y a bien ces quelques instants de comédie relativement réussis, notamment autour des colocataires d'Ira, avec leur opportunisme assumé – encore une autre façon, peut-être, de donner un aperçu de l'envers du décor. L'ennui c'est que dans la manière dont les artistes sont montrés sur scène, il y a une façon de désamorcer les gags – de saboter toute mécanique de comédie – qui est terriblement vaine. Je crois tout simplement qu'Apatow a succombé sur ce point aux sirènes de la critique. Comme s'il ne pouvait faire un film sérieux qu'en nous confisquant la comédie.

Et c'est bête à dire, mais nous préférons Adam Sandler en personnage de Capra version retardée (Mr. Deeds), en coiffeur israëlien serviteur de ces (vieilles) dames (Rien que pour vos cheveux), ou même à la limite en idiot légèrement psychotique (Punch-drunk love), plutôt que dans cette version déprimée, qui n'est ni drôle ni fascinante. De la même manière, il y a plus d'intérêt dans les films purement comiques de Judd Apatow que dans cette sorte d'analyse sans énergie aucune, et par là sans efficacité.

Le film gagne pourtant en intérêt et en complexité quand le héros George Simmons apprend qu'il n'est pas forcément condamné. Le film tourne plus ou moins à la comédie de mœurs, voire, dans les meilleurs moments, à une ambiance de Woody Allen basique. Des filles s'en mêlent, la question de l'engagement, du sexe et de l'amour avec – et Apatow n'est pas si mauvais à ce jeu, même si tous les journalistes lui reprocheront consciencieusement d'être un peu réac sur le sujet. En fait, après avoir échoué à donner à la figure du comique un intérêt dramatique quelconque, le film reprend vaguement forme dans les trois derniers quarts d'heure, quand le sujet n'est plus la vie de comédien mais la vie tout court.

vendredi 7 mai 2010

Mammuth: viedemerde.com


Mammuth pourrait tenir rien que dans l'équilibre incertain de Serge, le gros bonhomme incarné - et c'est peu de le dire - par Gérard Depardieu. Il y a là non seulement un corps immense, abîmé par le temps, se confondant avec les morceaux de viande de l'abattoir (tiens, il ne partage pas que la chevelure avec le Mickey Rourke de The Wrestler), mais aussi une forme de paradoxe existentiel. Car ce Serge-là est à la fois habile quand il s'agit de trancher dans le vif du cochon, et terriblement maladroit quand il s'agit de passer le temps ou de rassembler de la paperasse. Il est à la fois gigantesque - il déborde en hauteur, en largeur, son corps obstrue le champ de vision, son visage dévore le cadre - et effacé: son être est en péril, ses trajectoires chaotiques ont l'air - littéralement, à l'écran - de le faire clignoter, comme une ampoule sur le point de griller. Ça doit être ça, une existence précaire.

lundi 3 mai 2010

Chaînes conjugales, de Mankiewicz - rêveuse société


La situation d'énonciation de Chaînes conjugales n'est probablement pas pour rien dans la grande subtilité de ce film de Joseph Mankiewicz. Tout commence avec une voix-off - celle d'une certaine Addie Ross - qui nous présente à trois femmes de sa connaissance. Toutes les trois sont mariées, toutes les trois ont leur histoire et leurs problèmes de couple. Le jour où elles reçoivent de leur amie mystérieus - la narratrice justement - un message leur annonçant qu'elle est partie avec le mari de l'une d'entre elles, elles se replongent chacune dans des souvenirs qui alimentent leurs soupçons.

Trois tableaux nous décrivent ainsi la genèse des trois couples, ou nous la font lire à travers leur quotidien. Des séquences assez théâtrales: nous avons la fermière intimidée par la bourgeoisie provinciale à laquelle son mari appartient, la créatrice d'émission de radio qui a épousé un prof de lettre sans le sou et la jeune fille arriviste, qui par le mariage veut sortir sa famille de son milieu modeste. Au-delà des pages de roman-photo qu'ont l'air de former ces petites histoires, Mankiewicz parvient à créer de réelles situations tragicomiques. Avec ce qu'il faut d'ironie. C'est par exemple la bonne qui annonce le diner en retirant gauchement le paravant, un vague et domestique rideau rouge. Ou encore le baiser de l'arriviste parvenue à ses fins, avec le riche patron, dans un décor et un cadre secoués une dernière fois par le train de la misère.

Mais la démarche de Mankiewicz, dans Chaînes conjugales, semble aller bien au-delà de la théâtralisation ironique. En fait, le cinéaste nous montre à la fois la situation de personnages pris dans un jeu social, et la manière dont, à travers ce jeu, tout le monde est en quête de quelque chose d'illusoire. En un sens, Mankiewicz parvient à rassembler dans un même regard le théâtre de la vie social et la manière dont tout ce jeu renvoie à une nature humaine foncièrement rêveuse. Les conventions sont bien là, les normes sociales sont annoncées par trois coups bien appuyés, et pourtant l'idéal culturel est toujours absent, comme pour continuer d'être désiré. Cette chimère porte justement le nom d'Addie Ross, la narratrice. Et si à la fin du film on ne l'entend plus, c'est peut-être qu'elle est tout à fait devenu le regard de la mise en scène. C'est enfin dans ce regard que l'on peut voir véritablement le décalage entre la société et le rêve qui constamment la fonde.

dimanche 2 mai 2010

La seconde guerre du golfe n'a pas eu lieu


Mots qu’on entend souvent autour des films de Paul Greengrass: « action », « urgence », « efficacité ». Green Zone n’échappe pas à la règle : on célèbre un Jason Bourne définitif, guerrier, pas tendre avec les Etats-Unis – de l’action intelligente, de l’investigation subtile!

C’est faux. Franchement : est-il vraiment nécessaire, pour signifier l’urgence, de saucissonner les séquences en petits morceaux indigestes ? Suffit-il de faire trembler la caméra pour immerger dans l’action ? Est-on vraiment obligé, pour filmer la guerre, d’avoir cette esthétique indistincte d’enregistrement clandestin ? En fait, concrètement, on commence par ne rien comprendre à ce qui se passe, on plisse les yeux pour y voir quelque chose, puis on termine écœuré d’avoir été trimballé avec la caméra pendant ces deux longues heures. Green Zone n’est pas efficace, ou alors un film trépidant nous aura rarement autant emmerdés.

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Encore une fois

Le blog est tout neuf, mais compte déjà une bonne dizaine de papiers sur l'actualité, la culture, la politique. C'est l'une des raisons de mon silence en ces lieux, ces dernières semaines. Outre votre serviteur, les auteurs de cette page ont pour nom ou surnom Théophane Le Méné, Virgile, ACL, Sébastien Lapaque... Au programme: billets d'humeur, dessins, analyses, critiques, et dossiers de fond.

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