mardi 23 juillet 2013

Pacific Rim, de Guillermo del Toro

"Aucun mot ne saurait exprimer la différence qu'il y a entre l'alliance de deux hommes et l'isolement de chacun d'eux. On peut concéder aux mathématiciens que deux et deux font quatre. Mais, deux, ce n'est pas l'addition de un et un, c'est deux-mille fois un !
G.K. Chesterton, Le Nommé Jeudi

La question de la proportion est au centre de Pacific Rim. Avant cela, il y a évidemment la monstruosité (des bêtes géantes venues d'une faille dans le Pacifique, les Kaiju) et la démesure (des robots géants, les Jaegers, conçus pour combatte à armes égales avec ces monstres marins). Mais Guillermo del Toro semble avoir compris que la clé pour représenter vraisemblablement le gigantisme était de ne pas l'isoler du reste du monde, de tout ce qui est de taille normale, moyenne, petite ou minuscule. C'est ce qui fait que, dans sa dimension spectaculaire, Pacific Rim est une éblouissante réussite, l'exact inverse du King Kong de Peter Jackson par exemple, où des créatures toutes plus immenses les unes que les autres s'entre-dévoraient indifféremment sur une île mystérieuse. En fait le secret de Pacific Rim est d'avoir déplacé la promesse de spectaculaire : les créatures ne sont pas impressionnantes en elles-mêmes (on pourrait aussi bien les filmer comme de vulgaires jouets), mais dans le rapport au monde qui les entoure et aux autres créatures. Un robot ou un monstre géant ne provoque pas seul la sidération, c'est quand il y a deux forces, deux échelles, deux présences distinctes dans le plan que le spectacle peut commencer.

Le chiffre deux devient ainsi le code secret de ce blockbuster où chaque être tour à tour doit faire face à une altérité absolue, écrasante. Tout d'abord, le monde des hommes contre celui des géants. C'est la ville avec ses habitants, ses voitures, ses ponts, ses gratte-ciels écrabouillés sous les pattes des Kaiju, ou encore l'océan qui, aux abords de la ville, est comme un bassin pour les Jaegers. Ensuite, l'échelle des pilotes contre celle des Jaegers. Les pilotes installés sous le casque des robots font des gestes reproduits et amplifiés par les membres mécanisés, et en retour reçoivent à leur échelle les forces subies ou les coups reçues par le robot.  Enfin, inscrit au cœur de tout le dispositif : le rapport entre les deux pilotes du robot. Pour actionner un Jaeger, il doit y avoir deux personnes aux commandes, l'un pour l'hémisphère gauche, l'autre pour l'hémisphère droit. Les deux pilotes sont branchés au robot et surtout connectés entre eux, ce qui a pour conséquence que les souvenirs ou les sentiments de l'un peuvent devenir pour l'autre aussi dangereux et voraces que le Kaiju qui est en face.

Cette dualité seule assure l'équilibre du Jaeger, et du film tout entier. Car l'équilibre est un gros enjeu dans ce film de géants, dont on sent le poids au moins autant que la force. La 3D de Pacific Rim n'a rien à voir avec celle d'un film comme Avatar. James Cameron y utilisait la technologie comme un moyen d'évasion : la légèreté des êtres dans la profondeur du plan, pour un film qui nous racontait littéralement un voyage dans la virtualité. A l'inverse, la 3D de Pacific Rim est un outil de multiplication des sensations de la réalité présente : voir de très près la machinerie, considérer la pesanteur qui joue des tours au Jaeger. La virtualité est même le principal ennemi du pilote, car s'il se perd dans ses souvenirs ou dans ceux de son copilote, il perd le contrôle de la machine. Guillermo del Toro a choisi pour son spectacle en relief la voie la plus traditionnelle, rendant au regard son acuité et ne prétendant pas à l'invention d'un monde. C'est paradoxalement en faisant de l'homme la mesure de toute chose que Pacific Rim tient la promesse de sa démesure.

dimanche 14 juillet 2013

Frances Ha ha ha

Une seule remarque sur Frances Ha : la belle manière qu'a l'actrice Greta Gerwig de mener la petite barque de sa solitude, d'adresse en adresse, de vignette en vignette. Ses gestes tantôt gracieux tantôt disgracieux remplissent de vie le cadre plutôt rigide des appartements new-yorkais filmés en noir et blanc. Les dialogues (dont elle est en partie l'auteure) sont tout en hésitation, en digression à l'intérieur de la digression. Un minuscule espace de liberté et de moments suspendus, dans un monde contraignant, hostile, frappé par l'irréversibilité du temps. Pour autant, la subtilité du film vient de ce que l'opposition du personnage avec son environnement est toujours relativisée : Frances fait rire, attire la bienveillance et parvient même à faire quelque chose de sa solitude, à la mettre en mouvement et à la donner à voir.

Prince avalanche - marquages au sol qui ne mènent nulle part

Il y a deux histoires, deux théâtres, dans Prince avalanche. La première est celle d’une nature qui reprend ses droits dans une région américaine dévastée par les incendies. La seconde est celle de deux personnages posés là, sans trop d’explications, avec du matériel de marquage au sol. L’intérêt du film se situe au croisement de ces deux histoires. 

David Gordon Green, cinéaste à deux têtes, est à la fois l’esthète d’une Amérique délabrée (dans un film comme George Washington) et auteur de comédies régressives à la Judd Appatow (dans un film comme Pineapple Express). Avec ce nouveau film, il semble ne pas choisir entre ces deux voies. D’un geste timide et non dénué de charme, il hésite entre la contemplation du règne végétal et la comédie en sourdine. 

Si ce côté mou et tâtonnant peut décevoir, c'est pourtant ainsi que Prince avalanche parvient à nouer quelque chose entre le lieu et ses personnages. Ces deux bonhommes, perdus comme des playmobils au fond d'un bois (avec leurs tenues colorées, leur véhicule, leur casques de chantier, leur outillage varié), ont autant de raison de faire ce qu'ils font (du marquage au sol) que les arbres de pousser, ou les insectes de se déplacer. C'est le versant absurde et un peu paresseux d'une réflexion malickienne sur la raison d'être de personnes, de plantes, d'objets ou même des ruines.

Dans des ruines justement, il y a un joli passage où le personnage principal (Paul Rudd) rencontre une dame en quête de souvenirs dans ce qui reste de sa maison. La séquence dégage une forme de mélancolie, comme si notre personnage prenait conscience qu'il n'était lui aussi qu'un fantôme en sursis. Un être improbable avec sa moustache et son casque de chantier au milieu de la forêt : il pourrait ne pas exister, à la limite ce serait plus logique. Plus tard il résume cela par un : "I'm impossible". Cette qualité fantomatique de l'existence passe aussi par un jeu de couleurs. Ce sont notamment les couleurs artificielles des tenues et du marquage, qui font l'objet de détournements semi-poétiques dans lesquels des arbres, des chaussures ou la route se retrouvent colorés en jaune ou en bleu. 

Ce n'est ni la fontaine qui colore de rouge la nature, ni les routes de campagne qui ne mènent de nulle part, mais il y a quelque chose de tout ça dans ce Prince Avalanche, film mineur, rarement drôle et souvent amer.