mardi 22 février 2011

Je suis schizo mais je me swan

A la danseuse la mort fertile, au catcheur la vie stérile. Précisément parce que la danseuse a réussi là où le catcheur avait échoué, Aronofsky a manqué Black Swan comme il avait réussi The Wrestler. Avec la danse, plus question d'assumer le chiqué, plus question de se jouer de l'enclos du ring pour ramener le héros au constat de sa spectaculaire finitude. La finitude n'est plus de ce monde où la "perfection" est érigée en mot de la fin, sous un tonnerre d'applaudissements.

lundi 14 février 2011

Be Bad (sois mauvais)

Chronique publiée chez KINOK

Miguel Arteta voudrait que son film tienne debout grâce à son acteur principal, Michael Cerra. Vous connaissez probablement le bonhomme, c’est l’ado géniteur de Juno, l’ado supergrave de Superbad et le super-ado de Scott Pilgrim. Il est devenu, dans le cinéma américain, l’archétype de l’adolescent qu’on aime bien : loser comme il faut, sensible comme une fillette et opportunément cultivé. Son secret ? Une silhouette fluette, les cheveux d’un Harpo Marx qui serait allé chez le coiffeur et surtout un timbre de voix très spécial, à la fois doux et haut perché. Bref, l’adolescent moyen plus plus, tel que fantasmé par les filles, et donc par les garçons.

Le principe de Be Bad (Youth in revolt en VO) repose sur le travestissement de cette toute récente icône. Nous connaissions le jeune homme résigné et plein d’autodérision : son double Nick Twisp sera un mâle à l’ancienne, un dandy qui fume et qui jure. On imagine que son double et lui sont censés représenter les deux faces de la masculinité moderne. Spontanée, presque efféminée d’un côté – old-school et violente de l’autre. Malgré l’inanité de cet argument principal – nouvelle rêverie vintage comme il s’en fait aujourd’hui tous les jours au cinéma – on pouvait espérer des gags et des développements qu’ils soient au moins dignes d’un teen movie de base. Mais même pas.

Non seulement Be Bad est d’une extraordinaire vacuité, mais tout ce qui est vaguement entrepris, timidement esquissé ou mollement déroulé dans cette longue heure et demie l’est avec un tel manque de conviction qu’on se demande bien vers quoi le réalisateur voulait nous emmener – ou même s’il y avait bien quelqu’un aux commandes.

Mais pour être parfaitement honnête, c’est surtout le jeu en sourdine de Michale Cera qui déteint sur l’ensemble du film, et empêche la comédie de tirer partie de l’idée d’origine, pourtant simplissime. Le tiède dédoublement du jeune homme n’est pas crédible pour un sous et ne fait que tamiser l’ensemble d’un flou très peu artistique. Tout est désamorcé, avec Michael Cera, tout est réduit à un stade puéril. Le moindre rebondissement devient une contine, le moindre plan un gribouillis d’enfant. Qu’on ne s’y trompe pas : la régression n’est pas ici propice à l’émerveillement, elle ne sert qu’à créer de l’informe, de l’immature – de l’amorphe.

dimanche 13 février 2011

Le goût de l'invisible - Au-delà, de Clint Eastwood


Après un décevant Invictus, où l’on a vu le classicisme flirter avec un certain consensualisme mollasson, il est très agréable de voir Clint Eastwood renouer avec cette persévérante audace qui fait le charme de sa filmographie.

Dans les films catastrophe, le tsunami arrive en général à la fin, après le crescendo des signes annonciateurs. Dans Au-delà – comme dans la réalité – c’est l’inverse qui se produit. Tout commence par le tsunami, venu prendre les hommes dans leur vie quotidienne, un peu à la manière des habitants de Pompéi. Marie, la journaliste française jouée par Cécile de France, est elle-même emportée et voit littéralement la mort. De la silhouette de cette femme se débattant dans l’eau aux ombres dans la lumière qu’elle voit au moment de mourir, il y a comme une continuité esthétique qui déteint sur l’ensemble du film. Les héros de cet Au-delà seront des êtres frôlés par la mort et figés par elle dans un état spectral.

Mis à part les quelques intrusions du paranormal, sous forme de visions plutôt sobres, l’au-delà se déploie dans le film comme un impératif de mise en scène. Eastwood semble avoir fait ce constat de phénoménologue que la mort peut aider à éclairer la vie. L’imminence ou le souvenir d’événements tragiques est un excellent prétexte pour nous montrer d’un œil neuf les choses les plus simples : la solitude d’un homme, l’amour de deux jeunes garçons pour leur mère, le déclin d’une relation amoureuse....

Tout se passe comme si, dans Au-delà, la mort altérait le regard pour mieux révéler en retour. C’est paradoxalement en baissant la lumière qu’Eastwood parvient à mieux donner forme et relief aux visages. C’est en se masquant les yeux que le personnage de Matt Damon voit naître ses sentiments pour sa binôme de cours de cuisine. Cette scène très réussie où les deux personnages se font goûter des ingrédients à l’aveugle ressemble assez à la gageure du film – faire sentir dans la pénombre ce qui n’était pas visible en plein jour.

Mais c’est, particulièrement aujourd’hui, un miroir obscur que nous présente la mort. Il y a une dimension obsessionnelle dans ces portraits de personnages fascinés, presque aveuglés par la question de l’au-delà. Dieu est radicalement absent, il a cédé sa place à une assemblée de charlatans, qu’on voit se succéder, face au petit Marcus. Avec Internet pour répondre aux questions, s’impose aux vivants un écran de virtualité qui donne un aspect irréel, presque toc, à certaines scènes. Ainsi Cécile de France allant visiter dans son institution des Alpes un médecin spécialisé en expérience de mort imminente – les panoramas sur cette maison de repos semblent sortis d’une pub pour thalasso en Suisse. Dans leur manque de vraisemblance, les scènes se passant en France sont indéniablement les points faibles du film. Mais cette faiblesse même se marie plutôt bien à l’état second dans lequel la journaliste nage et se débat depuis le début du film.

La mort a dans Au-delà une ambivalence qui fait penser à la photographie du drapeau américain planté sur le mont Suribachi, dans Mémoire de nos pères. C’est à la fois une occasion de mettre en scène une humanité intemporelle, poignante ou héroïque, et d’en montrer le revers morbide, avec ces personnages qui vivent leur passé comme une maladie. Clint Eastwood a fait de cette présence de l’au-delà une lumière autant qu’une malédiction, avec un réalisme saisissant qui en dit finalement plus sur la vie que sur la mort.

lundi 7 février 2011

Corps et décors du roi


C'est tout de même dommage, un film qui s'appelle Discours d'un roi, cite Shakespeare toutes les trois secondes, et qui oublie de sonder la portée d'une parole royale, ou de mesurer le poids d'une couronne.

Au début il y a bien le corps du roi. Le visage rosé, la peau d'anglais d'un Colin Firth engoncé dans ses vêtements gris. Une bouche toujours figée dans la grimace, une moue qui est un peu plus que du flegme britannique. Et quand les mots se refusent, le bonhomme est seul devant la forme improbable du micro, les yeux de la foule renvoyant son royal hoquet à un silence encombrant. Ce n'est pas un orthophoniste qu'il faut voir, c'est un coach sportif. Notre roi en bras de chemise fait des exercices, s'essouffle, rougit, rugit. Entre le corps miséreux du prince et le corps glorieux du roi, il y a ce chemin balisé du bégaiement à la parole que le film de Tom Hooper nous fait emprunter paisiblement.

L'ennui vient avec les décors. Comme dans l'appartement du docteur Logue, il y a dans Le Discours d'un roi un effet papier-peint. Les reliefs sont soigneusement aplatis, les murs soigneusement décorés. De manière pertinente, me direz-vous, pour parler de la vie lambrissée d'une famille royale avec ses frises de conventions. Mais le théâtre que nous avons-là est bien grossier, les visages sont déformés, et Churchill a mauvaise mine. Les corps perdent en relief et notre histoire de roi bègue perd en profondeur. On se fourvoie dans les confidences psychologisantes d'un prince pincé par sa nounou, grondé par son papa, corseté par l'héritage de son rang.

A aucun moment, la question du mutisme et de la parole ne dépasse en portée le petit théâtre de la cour. Plus qu'un moyen de communication, la radio devient à la fin du film l'occasion d'un confinement (la petite salle aménagée par le docteur Logue) et d'un aboutissement personnel tout juste sympathique. Pas plus? Non, pas plus.