mardi 4 juin 2019

Séances de mai et rattrapages cannois

Portrait de la jeune fille en feu (Copyright Pyramide Distribution)

Lourdes, de Thierry Demaizière et Alban Teurlé
Touchante immersion aux côtés de pèlerins à Lourdes. Ce documentaire en forme de reportage a l’empathie de la caméra embarquée, portée à croire en tout ce qu’elle filme, comme l’illustre une scène amusante où des gitans commentent avec enthousiasme la vidéo d’un improbable miracle filmé via plusieurs écrans de téléphone interposés.

John Wick Parabellum, de Chad Stahelski
Film d’action placé sous l’empire du nombre : les armes et les munitions se multiplient à l’infini (les décors se muant en réserves d’arme inépuisables), les rapports de forces sont quantifiés et classifiés avec rigueur (au-dessus ou au-dessous de la « Grande Table ») et chaque action semble devoir constituer une monnaie d’échange (ce qui fait leur ambiguïté, toute pièce ou médaille ayant son revers comme tout acte sa motivation secrète). Dans ce genre là, le film est une indéniable réussite.

Les Siffleurs, Corneliu Porumboiu
Comment ne pas tomber sous le charmes des Siffleurs, utilisant les codes du polar pour inventer une autre langue, légèrement à coté (celle des siffleurs, de toute évidence). Un vrai film de personnages : plutôt taiseux, ils font rire et émeuvent sans qu’on sache exactement comment.

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma
Une peintre tombe amoureuse de la femme dont elle doit faire le portrait pour son futur époux. Méditation sur le regard d’artiste, le film de Céline Sciamma est ambitieux : il est question de donner vie au modèle en bousculant les représentations conventionnelles, liées au point de vue masculin. Edifié dans cette perspective, le scénario est une jolie construction où tout s’imbrique : le sentiment amoureux, la solidarité féminine qui se met en place sur cette île sans homme, et en même temps l'impossibilité de cet amour, sublimée par l'art et par le recours au mythe (notamment celui d'Orphée, qui perd Euridice au moment où il veut la regarder.) Mais malheureusement, toute habile qu'elle soit, cette histoire n'échappe par à l'académisme, passant dans sa réalité concrète à côté de sa promesse d'incarnation. Ce sont d'autres conventions que Sciamma substitue à celles qu'elle croit bousculer : ses symboliques sont surlignées, ses cadrages appuyés, et ses dialogues prévisibles. Les personnages sont corsetés - que les habits soient neufs ne change rien à l'affaire. D’ailleurs, la peinture reste in fine la seule manière possible de représenter cet amour. Ce n'est pas le tableau qui prend vie, mais la vie qui devient toujours un tableau, comme lors de cette scène d'avortement qui se répète, transformant une réalité humaine en geste artistique bien trop conscient de lui-même.

This must be heaven, d'Elia Suleiman
Pérégrination d’Elia Suleiman entre la Palestine, Paris et New-York. Le comique de cadrage fonctionne à plein. On peut trouver le procédé et le discours politique un peu appuyés, mais ils donnent lieu à quelques séquences hilarantes, naviguant entre la satire, la rêverie et l’absurde.

Sibyl, de Justine Triet
Après Victoria, Justine Triet poursuit sa collaboration avec Virginie Efira et son exploration des affres de la dépression. Le film frappe par un montage audacieux, où les souvenirs d’une psychologue et la relation avec ses patients se mêlent au travail d’écriture et aux questions de mise en scène cinématographique, comme autant de visages de l’emprise psychologique. Objectivement très bien fait  même si ses enjeux m’ont justement un peu laissé sur le côté.

Le Traître, de Marco Bellochio
L’histoire de Tommaso Buscetta, premier mafieux italien à avoir collaboré avec le juge Falcone à la fin des années 80. Film intéressant à la fois pour ce qu’il raconte et pour la manière dont il traite l’imagerie de la mafia sicilienne. Le film commence par une photo de famille qui porte en elle les germes de sa fin : derrière l'appareil photo, Bellochio met en scène une sorte de monde sous cloche, guetté par la déliquescence. Quelques années plus tard, les parrains et leurs lieutenants ne sont plus que des spécimens en cage, revenus à l'état de petites frappes, freaks montrés dans des procès publics. Bellochio filme les derniers feux de la Cosa Nostra comme un spectacle qui s’éternise, une fin qui n’en finit pas, de vendetta en attentats.