jeudi 29 novembre 2007

Once


Fut un cinéma où, par la musique, le quotidien volait en éclats. C'étaient les comédies musicales. Les performances corporelles de Gene Kelly, l'équilibre miraculeux de Fred Astaire transformaient le monde en mélodies. Un objet banal devenait le centre d'un univers de rêve qui, très vite, se distordait pour former à nouveau une harmonie improbable, nouvelle à chaque chanson. Impossible n'était pas hollywoodien.

Quand la magie a cessé, qu'est devenu le film musical? Nous avons aujourd'hui le biopic, de préférence linéaire et réaliste, ponctué par les tubes - c'est Ray ou Walk the line. Tout ça est forcément un peu nostalgique, un peu vain.

Once instaure un dynamisme, un principe nouveau dans le genre. Et c'est presque exactement l'inverse de ce qui se passait dans les vieilles comédies musicales. Il ne s'agit plus, en effet, de faire exploser le possible dans le souffle d'une rengaine, vers un ailleurs infini, mais de s'attarder là où l'on est, de fixer l'instant en sa quintessence - jusqu'à heurter l'impossible.


L'instant, c'est justement une chanson, l'union fugitive d'un duo improvisé. L'album enregistré par nos deux personnages n'existera que par leur désir conjoint de retrouver la brêve harmonie qui fonda leur relation. Loin de la force centrifuge du musical classique, le mouvement de Once semble tendu vers le centre: l'origine. Le film de John Carney évoque le besoin d'enregistrer l'instant pour en retrouver la saveur et lui donner une trace éternelle, avant qu'il ne s'en aille à jamais. C'est ce même besoin qui fait exister le cinéma. Et c'est ce qui rend le film poignant: ce qui unit les personnages, comme la chanson, comme l'album qu'ils enregistrent, comme le film, n'a qu'un temps - once...

jeudi 22 novembre 2007

Robert Redford et les transports en commun



Nous n'avons plus le monopole de la flemme. Tenez, voici un joli trio d'acteurs américains touchés par la grêve des transports. Si si, regardez bien l'affiche. N'ont-ils pas des airs de traumatisés du métro, des visages comme bloqués entre deux portes? Leurs regards angoissés ne vous demandent-ils pas un peu de place dans cette galère, avant que ne retentisse le signal strident de l'implacable départ?



Fonctionnaire pour fonctionnaire, Robert Redford est à la fois le vieux cheminot du film "politique" et le petit prof du parti démocrate. Ce qu'il aime, le vieux beau - désormais plus vieux que beau, il faut l'avouer -, c'est l'engagement. L'engagement soft, bien sûr, l'engagement on the rock. Celui par exemple de miser tranquillement sur le capital-détestation de Tom Cruise pour en faire un Républicain, sur les timides gémissements de Meryl Streep pour en faire une journaliste consciencieuse et sur sa tête-de-mort de blond pour jouer au vieux sage. Ah oui, il y a aussi les deux soldats immigrés dans leur Afganistan de studio - qui se sont engagés littéralement: dans l'armée, les cons.



Les grévistes croient toujours nous apprendre ce qu'est l'engagement. Le geste militant de Robert fut, en vertu de cette règle, d'arrêter son film au milieu. Quel flemmard ce Bébert! Il nous fait le coup du silence éloquent pour ne pas se fatiguer à parler. Mais l'abîme de perplexité dans lequel tu crois nous avoir plongés, c'est un abîme d'ennui profond! On s'emmerde déjà assez dans le métro pour ne pas aller en plus s'embarquer dans le train-train de ta bonne conscience! Allez, à la retraite anticipée le Robert.

lundi 12 novembre 2007

Le Royaume

Quelle tristesse un film à la Michael Mann qui n'est pas de Michael Mann...

vendredi 9 novembre 2007

L'Ombre du double langage




La barbarie, Cronenberg l'évoque par le bon bout. Le bout de la langue - sans mauvais jeu de mot car ici le petit bout de chair et la demeure de l'esprit sont désignés ensemble. Et dans deux langages différents, deux mondes apparemment étanches l'un à l'autre. Aux codes d'honneur du milieu vient se heurter la parole quotidienne d'une communauté familiale, à la sombre froideur de Viggo Mortensen la beauté maternelle de Naomi Watts, aux cadavres et aux meutres la fragilité du nouveau-né.

Pour ajouter à l'ambivalence l'anglais vient recouvrir maladroitement un russe guttural, toujours charnel. (Ironie du sort: j'avais vu La Mouche, du même Cronemberg, sur une télé russe avec une grossière doublure par-dessus les dialogues - ce qui n'avait fait qu'ajouter au gore un mélange monstrueux des langues... Expérience doublement traumatique donc, et qui trouve avec ce nouveau film un écho inattendu.)

Mais les deux mondes n'existent pas forcément qu'en opposition. Le sang de la jeune mère - celui, aussi, de l'égorgement qui ouvre le film - est bientôt celui de l'enfant, celui de la naissance. Forme de violence dialectique, donc, que Cronenberg n'aura de cesse d'entretenir - l'enfant s'appelle Christine: comme Christmas fait-on la remarque, comme pour pointer vers le chemin de la résurrection.

Hésitation constante entre froid et chaud, entre ombre et lumière, jusque dans des parallèles étonnants (Naomi Watts semble bien utiliser le même sèche-cheveux que celui qui servit à décongeler un cadavre...) Car il y a un lien, une ouverture inattendue entre les deux mondes, c'est un journal intime, une parole que nous entendons en voix off tout le long du film, parole de confession qui devient l'enjeu même de l'intrigue. Comme une échappée du monde des morts vers celui des vivants.

Qu'est-il fait de cette ouverture? C'est là que se posent les vraies questions sur la Promesse de l'ombre. Il semble bien, en effet, qu'après un tremblement, une vibration - qui est aussi celle de l'attirance entre l'homme et la femme, celle d'un amour possible - rien n'est fait de ce lien. Rien, la dialectique n'était qu'illusion sophistique. Ce qui demeure ce sont des attirances stériles, des sensualités sanglantes, des symboles de chair - les tatouages - qui mènent à la mort, et finalement à rien d'autre.

Les deux mondes seront restés étanches l'un à l'autre. Qu'est-ce, alors, que ce héros ambigu? Une révélation absurde fait de lui un agent russe infiltré et nous fait du même coup basculer dans l'intrigue policière. Cronemberg nous laisse alors à la contemplation d'un monde binaire, l'un, tout attendri, de la mère et de l'enfant, l'autre, sanglant, des combats et de la débauche. Le film lui-même semble avoir deux fins.

Preuve de subtilité ou désir de satisfaire dans un même geste les passions de tous: difficile à décider. Elle est trouble la fontière entre le portrait d'une ambivalence et l'hypocrisie d'un auteur - avouons-le, la posture d'auteur a aussi désormais une déclinaison commerciale. Probablement me faudrait-il mieux connaître l'oeuvre du cinéaste pour bien en juger...


jeudi 1 novembre 2007

Sans Scarlett.


L'arriviste de Match point s'est dédoublé. Il y aura d'un côté l'amoureux des images, des illusions et de la mauvaise foi et de l'autre une tête de turc, un noeud de petites combines torturé de grandes questions. C'est aussi le divertissement et la conscience. Seulement ici la conscience, qui très vite n'est plus qu'angoisse stérile, n'a pas des allures moins lamentables que le divertissement - c'est juste que l'un ne peut plus vivre quand l'autre continue un instant de planer sur son vide.



Deux personnes pour un dialogue moral, pour une délibération et une responsabilité, c'est précisément ce que nous n'avions pas dans Match point, à part les représentants fantomatiques de la justice immanente, à la fin du film. Mais ce dialogue, ce combat plutôt, n'a d'issue que mortelle. Nous revoilà dans le film noir, ou dans la tragédie grecque - on ne sait plus trop.



Ce Rêve de Cassandre est celui d'une rédemption par les apparences - illusions qui se nourrissent de noirceur et élargissent finalement l'ombre: c'est Terry et sa névrose, Terry et le jeu, Terry et l'alcool et les pilules et la culpabilité.



Pas très érotique le rêve. On a bien une brune une blonde, comme dans tout bon film noir, mais la figure de l'actrice est tenue à distance de scène et la plouc anglaise n'est qu'une Scarlett Johansson dégonflée, rabougrie, sans charme aucun. Le rêve n'a plus la substance vitale, il porte déjà en lui la mort. Normal, vous me direz, d'être présage de malheur pour un rêve de Cassandre.




jeudi 18 octobre 2007

Jesse James par terre.


A l'image de son titre, The Assassination of Jesse James by the coward Robert Ford est un film long. Long et cloué au sol, comme rampant - désespérément horizontal. Brad Pitt y a des yeux un peu différents: plus vraiment bleus, plutôt rouges, et plissés. Il est animal en fait, comme les reptiles qu'il brandit sous les yeux - pour le coup écarquillés - de Robert Ford, ce somnambule à moitié muet, qui ne sait que se tortiller en réponse aux oraculaires énigmes de son idole. Etre serpent ou être sur la voie du serpent, tel semble être en effet l'enjeu d'un récit qui porte, dès le titre, la marque de fatalité d'une fin d'Eden. Aspect mythique donc, souligné par la forme orale de l'histoire, de la destinée que nous conte une voix off entre les scènes. Le film emprunte aussi au reptile une peau à la fois bariolée et uniforme (les effets visuels souvent démonstratifs qui s'installent dans un style répétitif), ainsi qu'une attitude à la fois fuyante et immobile (quoi de plus faussement fuyant que ces nuages, toujours les mêmes, passés en accéléré pour former toujours un paysage identique?)

Au gré de ces paradoxes s'installe en tout cas la certitude que nous sommes sur terre, que notre corps nous pèse (Jesse James en parle lui-même) et que nos mues nous laisseront toujours plus près du sol, jusquà la seule matière. Ce présent et ce futur terrestre, peut-être va-t-il vers cet étrange au-delà qui apparaît sous la surface translucide du lac gelé sur lequel Jesse James évoque le suicide. C'est un au-delà qui a plutôt des allures d'en-deça. Le seul monde que nous voyons, nous-autres spectateurs, c'est celui d'une mue qui se prétend réincarnation: le jeu que Robert Ford fait de la légende de Jesse James, l'action encore et encore répétée, dans un cycle naturel qui ressemble à une malédiction.

En ce sens, L'Assassinat de Jesse James n'est pas sans rappeler Mémoire de nos père dans le traitement qui y est fait du légendaire et de ses images comme une forme de damnation. En fait les deux films ont un mouvement opposé. Quand celui d'Eastwood évolue vers l'origine, nous faisant attendre l'action de départ - et y insoufflant une forme de salut, celui de la mémoire -, celui d'Andrew Dominik part du tout dernier coup d'éclat de Jesse James pour en montrer linéairement les sombre suites, se concluant sur un mortifère retour du destin.

L'épithète "crépusculaire" colle à la peau de presque tous les westerns depuis Unforgiven. Dans le langage journalistique, ça doit signifier "western sans trop d'action", ou "western pas joyeux alors qu'avant ils étaient joyeux les westerns" ou, plus littéralement et certes de façon plus rare, "western où il fera bientôt nuit". Avec cette formule, on passait un peu à côté de ce qui faisait l'intérêt du film, la voracité maligne du passé. L'idée, lorqu'on parlait du crépuscule, était qu'Unforgiven avait l'ampleur et la nostalgie d'un dernier western. Jesse James n'a quant à lui plus grand chose d'un western. Et, de nouveau, il inverse Eastwood en situant l'angoisse dans l'horizon en rase campagne d'un future qui n'est qu'une matière opaque.

Les héros ne sont définitivement plus ce qu'ils étaient. D'abord émus et actifs, puis explosifs ou épuisés, les voilà maintenant paralysés. Un peu comme l'impossible héros de Zodiac - sorte d'inspecteur Harry de gauche - Jesse James, de même que son ombre débile, Robert Ford, est embarrasé par son corps, ses mouvements et ce temps qui n'en fini plus de s'écouler pour rien. C'est la tristesse de ce film sans espoir que viennent à peine adoucir les quelques notes de Nick Cave.

samedi 6 octobre 2007

Eastwood - tuer & guérir



Les labyrinthes d’Iwo Jima


Dans Mémoires de nos pères, il y a un lieu, ou plutôt un ensemble de lieux - une nébuleuse - qui reste dans l’ombre tout en semblant régir l’ensemble du film. Ce sont ces labyrinthes souterrains dans lesquels se terre l’armée japonaise. Labyrinthique, la structure du film l’est aussi : Eastwood et son scénariste Paul Haggis refusent délibérément le linéaire. L’économie des flashbacks n’a plus qu’une cohérence lointaine, les souvenirs de guerre venant à la surface presque arbitrairement, à l’occasion de rimes visuelles apparemment quelconques. Dans la conception même du film, l’expérience de la guerre a déjà quelque chose d’absurde. Nous n’avons plus dans le même flux la stratégie, la préparation, le combat avec un début et une fin facilement discernables, ensemble d’éléments qui donneraient du sens à la violence.


C’est à travers un réseau de points noirs, d’absences remarquables, qu’Eastwood esquisse à nouveau une figure du mal. Dans un premier temps le mal c’est l’ennemi, comme dans toute guerre. Non pas l’ennemi frontal, celui du face à face, mais l’ennemi vicieux, celui qu’on ne voit jamais malgré sa présence fatale. C’est le sens premier de l’absence des japonais à l’écran. Le déséquilibre ainsi crée pointe par ailleurs vers l’attente du point de vue japonais, auquel nous aurons droit dans le second volet, Lettres d’Iwo Jima. En attendant, nous ne voyons que des visages déformés par la haine, des corps disloqués par la guerre.


La guerre elle-même s’identifie peu à peu comme ennemi véritable. Dans Mémoires de nos pères, le mal, c’est surtout ce que les hommes sont amenés à faire sous l’emprise de cette force sauvage qui les dépasse. Impossible de s’arrêter pour les combattants perdus en route dans cet océan. En s’étendant à la structure même du film, les souterrains d’Imo Jiwa symbolisent la malignité de la guerre. Violences retorses qui frappent aux moments inattendus, les scènes de combats filmées par Eastwood surprennent à chaque instant par leur cruauté. Comme dans Unforgiven le mal est mesurable à la présence trouble du passé : il n’est pas (à l’image du passé il est absent et invisible) et pourtant il n’a de cesse d’agir sous nos yeux, d’avoir des conséquences bien concrètes.


Médecin et soldat


Remarquable ambigüité que celle du personnage appelé « Doc », incarné par Ryan Philip. Nous le voyons dans un passage interrompre les soins qu’il administre à l’un de ses camarades éventré pour éventrer à son tour un soldat japonais qui lui tombe dessus. C’est la fonction du personnage qui est troublante : quel est ce soldat qui, quasiment avec les mêmes armes, peut guérir ou tuer ? Tout bêtement, on peut se demander comment il fait pour ne pas confondre les deux. Depuis longtemps, Clint Eastwood s’intéresse particulièrement à la souffrance, au meurtre, à la guérison et à la mort : il en offre dans ce film un entrelacs des plus complexes.
L’arme la plus utilisée dans ce film est celle de l’image. A l’origine : une image, une photo symbole censée fédérer le soutien de l’arrière. Arme de combat pour l’armée, remède pour les civils, cette photo permet aux trois personnages principaux de rentrer au pays - d’échapper aux atrocités de la guerre pour mieux les raconter à la population.


Le cinéaste maniant lui-même l’image, il pose des questions qui portent sur sa fonction propre. C’est lui aussi qui dispense des soins ou des blessures. Dans le film d’Eastwood, cette thérapie par l’image, cette dérisoire espérance de catharcis par le show médiatique s’apparente plutôt à une malédiction. Le processus de guérison s’éternise en torture. Les trois personnages principaux sont condamnés à revivre éternellement la même scène, sans même parvenir à son aboutissement. Le destin du cliché acquiert une dimension intemporelle : pour l’accomplir réellement, les trois soldats sont condamnés à en vivre l’éternel recommencement, avec à chaque répétition une volonté de réalisme plus intense et un sens du simulacre plus écœurant (jusqu’à la crème rouge sang qui vient souiller le sorbet en forme de combattants.)
C’est aussi le sens de l’organisation du film : le cinéaste ne donne pas à voir d’abord la scène, puis sa recréation à l’infini dans la propagande. Il commence au contraire par la tournée des soldats aux Etats-Unis pour approcher de plus en plus, par flashbacks, de la scène même. Il joue d’ailleurs sur l’attente ainsi créée : tantôt nous croyons y arriver alors que nous sommes dans un gigantesque stade, tantôt des soldats érigent effectivement un drapeau, mais ce n’est pas encore le bon, etc.


Le classicisme réfléchi du cinéaste refuse pourtant le désenchantement intégral. Si Mémoires de nos pères s’inscrit dans l’héritage des pères d’Eastwood au cinéma (John Ford et Howard Hawks, entre autres), ce n’est pas par préciosité, et encore moins par frilosité. La malédiction des trois soldats errants ne se perd pas à l’infini. Elle est elle-même englobée dans le récit que les vétérans font au fils de Doc, récit sur lequel l’ensemble du film est fondé. Ces témoignages se rapportent, comme le laisse entendre la dernière réplique, au titre français, « mémoires de nos père ». Voilà le mélodrame sauvant l’héroïsme du film de guerre : ce n’est qu’après l’hommage rendu au père sur le lit d’hôpital que l’enthousiasme est enfin possible.


A l’image de propagande, Eastwood oppose ici sa propre conception du cinéma. Au délire exponentiel de la reproductibilité technique, le cinéaste répond par le recueillement et la tradition. La transmission est ici charnelle, elle se fait d’homme à homme, entre le père (ou les pères) et le fils. Tradition orale dont le cinéaste fait un film. Les films de Clint Eastwood s’inscrivent souvent au cœur de cet échange de dons, de cette transmission : Million dollar baby est une lettre confiée à la fille de Frankie Dunn (le personnage interprété par Eastwood), de même que Sur la route de Madison est une sorte d’hommage à Francesca (Meryl Strip) destiné à ses enfants. Non seulement ces films évoquent la relation filiale, mais ils prétendent y occuper une place, faire du film la transmission même, sous forme de don. Peut-être faut-il y voir aussi une relation aux « anciens » du cinéma américain.


Ce fut longtemps le génie du cinéma américain que de puiser jusqu’au fond pour trouver finalement l’étincelle d’humanité permettant d’espérer. C’est aujourd’hui le mérite de Clint Eastwood que de rendre, dans la modernité, cette flamme aussi vive.

samedi 29 septembre 2007

Le dieu du stade



De tous les superhéros, ou du moins des plus célèbres, Superman est sans conteste le plus ridicule. Super-omnipotent, super-bienveillant, super-esthétique (une perfection de visage angoissante d’artificialité), super-omniscient (oui, il entend tout du ciel !) vous l’aurez compris : Superman, c’est Dieu. Zou! Envoyez les métaphores. Tout commence par une évidence visuelle presque discrète, celle d’une pietta, Mme Kent prenant dans ses bras un Clark inanimé tout juste retombé du ciel. Tout fier de sa découverte, Singer fait marcher la machine jusqu’à l’épuisement : Dieu tout-puissant, Sauveur souffrant, christ martyrisé retombant dans sa cape pourpre, corps glorieux, Père, Fils, Saint Esprit... On n’a pas envie de dire amen. Il faut voir de quel Dieu nous parle ce film. Du même acabit que le duo de la Belle et la Bête de King Kong, ce Dieu, célébré par une orgie visuelle, s’incarne en excroissance cinématographique. Les créatures de Peter Jackson avaient au moins le mérite d’être un peu enchanteresses.


Dieu immanent, il est toutefois amusant de voir à quel point aucune empathie n’est possible avec Superman. Comment s’identifier à ce type pour qui absolument tout est possible ? (La kriptonit? Ce n'est qu'une vaste arnaque qui ne le gêne qu’un instant.) Peu de place pour Clark Kent dans ce Superman, à part quelques brèves apparitions sous un déguisement terriblement grossier de journaliste bredouillant. Eh oui, le costume est celui de citoyen: superman est le seul superhéros qui vient d’une autre planète. Le seul qui soit à ce point inhumain. Il ne fait que mimer, pour illusionner la foule, l’effort, la douleur, l’émotion : pour celui qui peut tout, comment marquer naturellement la différence de difficulté d’un exploit à l’autre ? Au fond, dans sa version conviviale, superman n’est plus que le clown mimant des péripéties. Un phénomène de cirque.


Sa version cosmique est bien plus effrayante. Son corps, sa puissance, s’assimilent à la nature, au monde et à son fourmillement urbain et technique : son souffle est aussi fort que le vent, ses bras soulèvent des continents, ses narines servent de réacteurs aux navettes spaciales (la classe !). La voilà, la fascination pour superman. C e qui plaît probablement aux amateurs de ce film, c’est la débauche de mauvais effets techniques, d’ailleurs pour la plupart pillés à d’autres films. Ce qui plaît aux gens chez superman, c’est tout simplement un envie de puissance. Peut-être celle des grands temples du jeu, les stades (comme celui où atterit l’avion détourné par superman.) Face à ce personnage comique et un peu effrayant, on comprend que Lex Luthor fasse bien pâle figure avec sa bande de rapetous et ses discours vaguement cyniques sur Prométhée...

Deux coups de tête



Ce qui s’est passé le 9 Juillet 2006 n’est pas simplement mesurable à l’aune des classements de la fifa. Deux coups de tête. Le premier, image du victorieux de 98, est venu se briser, à l’horizontal, sur la barre transversale. Coup dur pour la mémoire télévisuelle des français. Quant au second, personne ne le vit arriver - et ce détail est loin d’être anecdotique. D’abord, une sorte d’agitation confuse pressentie hors du cadre. Après un temps d’hésitation nous apparaît, enrobée par le silence du mystère, la furie d’un coup asséné par Zidane sur la poitrine d’un italien gominé - vous excuserez le pléonasme. Image venue de nulle part, si ce n’est de ces zones opaques et incertaines du hors-champ - il fallut en fait l’intervention de la plus effacée des éminences grises, le quatrième arbitre, pour avoir une vidéo déterminant le carton rouge.


Ce carton fut précurseur d’un chaos : la fantasmagorie télévisuelle du black-blanc-beur a-t-elle volé en éclat sur la transversale ou sur le sternum de l’Italien ? Quel fut le premier, quel fut le second coup de tête ? Il sembla presque que cette action, surgie d’un « espace additionnel » - le hors-champ - bouleversait la stratégie narratrice du « temps additionnel ». A croire que la première tête de Zidane, frappée de malédiction, avait été manquée à cause du carton.
Pourtant, ces images furent loin de signifier la fin d’un mythe. Le propre de l’image et du spectacle, est de s’approprier, d’engloutir et parfois même de produire ce qui va à l’encontre de ses propres valeurs. Cette faiblesse, une fois sortie des ténèbres, fut à l’image une force d’autant plus grande.


Car il faut se l’avouer, quoi de plus beau que ce coup de boule de Zidane ? Quand Zizou met un coup, ce n’est pas la mauvaise béquille à la dérobée, la petite claque mesquine du latin excité. Non, nous avons eu le droit à un geste bien vertical, à un coup propre, à une faute en règle, tant efficace qu’esthétique. Merci d’ailleurs à ce grand comédien de Matterazzi qui voulu bien se prêter au jeu en s’étalant de tout son long. Voilà une histoire, vieille comme la mythologie, de mort et d’apothéose. On en oublierait presque que c'est le foot sur tf1.

Moustaches - Le World trade center et le Grand Meaulnes



Personne ne s’y attendait, c’est venu comme ça. Comme tous les grands événements. Le monde du cinéma n’a plus peur de rien désormais. Deux films fondé sur le prédicat selon lequel l’intempestif port de moustache est permis par les codes esthétiques de l’art cinématographique.


On peut comprendre à la limite le choix d’Oliver Stone. Son parti-pris est de filmer le 11 septembre à l’envers. Nous avons tous vu à la télé les images choc de l’avion qui s’écrase, des tours qui s’effondrent et des gens qui fuient. Dans World Trade Center, tout cet aspect n’apparaît qu’à contrejour, comme l’ombre de l’avion projetée sur une façade d’immeuble. Ce qui était dans l’obscurité, Oliver Stone le montre et ce qui était au plein jour de l’actualité mondiale, il nous le cache.


De là la volonté de filmer des personnages vrais, portant les valeurs de l’Amérique. Or qu’est-ce qui différencie un personnage faux (l'acteur hollywoodien), d’un personnage vrai ? Et surtout : un faux flic d’un vrai flic ? Malheureusement pour nous tous...c’est la moustache. Il parut alors nécessaire au réalisateur, probablement enivré de cette découverte, d’imposer le port de la moustache au trois quarts de ses acteurs. Ce petit égarement ne fait que trahir la fausseté générale de cette volonté de faire vrai. De détail réaliste, la pilosité fantaisiste se mue en pur et simple déguisement (et il s’agit d’un attentat, pas d’un bal masqué.) Le malheur, c’est qu’il en est de même pour le reste du film, particulièrement les scènes familiales. Ce n’est pas tant que les valeurs du film soient critiquables, comme on l’a laissé entendre en France, mais Oliver Stone échoue à rendre poignant le versant humain de l’histoire.


Le problème n’est pas franchement le même pour Le Grand Meaulnes. Nous parlerons plutôt ici d’un gigantesque gâchis (gâchis de l’histoire d’Alain Fournier, gâchis de Nicolas Duvauchel qui se débrouille bien en Grand Meaulnes et des quelques beaux passages du film.)


Le niveau du tout, visuellement parlant, est plutôt neutre. Le film prend un premier coup quand Jean-Baptiste Maunier, dans le rôle du personnage narrateur, se risque à prendre la parole et à tenter - au désespoir du spectateur - d’exprimer des émotions avec sa physionomie. Etait-ce vraiment une raison, je vous le demande, pour affubler ce choriste préado d’une improbable moustache ? Passe encore qu’il obtienne très jeune un poste d’instituteur, qu’il soit attiré par une femme qui a l’air d’avoir vingt ans de plus que lui, mais vouloir faire passer le tout par une moustache...L’apparition incongrue du postiche, vers la fin du film, nous fait oublier dans un fou rire l’ennui qui s’était installé jusqu’à ce passage. Quel blagueur ce Morhange !

vendredi 28 septembre 2007

Scorsese - Le Rire du Diable


Une gigantesque célébration funéraire. C’est l’atmosphère que Scorsese donne à sa nouvelle oeuvre, qui ressemble à cette carte "hommage aux défunts (departed)" que l’on fait déposer sur la tombe maternelle au début du film.

Hommage qu’il convient bien sûr de lire avec un sourire ironique. Les mort-vivants que nous allons voir sont comiques. La pompe des enterrement militaire, les derniers adieux larme à l’oeil pour l’aimé défunt, toutes ces cérémonies qui se multiplient jusqu’à plus soif se tranforment en festivités moyenâgeuses. Danses macabres, grotesque d’une fin du monde qu’incarne Costello, le mephistophélique personnage auquel Nicholson prête brillamment ses traits. La seule issue est le rire jaune. Les blagues grossières s’entassent, les jurons fusent, les éclats de rire des spectateur accueillent le carnage final - welcome to hell...

Cinéaste de l’espoir et des figures de la Rédemption, Scorsese aborde donc ici un domaine qui restait jusqu’alors en filigrane chez lui (dans le baroque After hours par exemple.) Dilatation de l’iris : le lieu clos dans lequel nous entrons est celui de l’enfer. Damnation des hommes, des valeurs et des désirs.

Plutôt que de se contenter du montage parallèle, comme on en voyait l’exemple dans le film hongkongais Infernal affairs (dont The departed est le remake), Scorsese introduit une dynamique qui dépasse celle du miroir. Le film d’origine avait une esthétique un peu desincarnee qui s’inspirait de films comme Heat - notamment pour l’élaboration des deux personnages. L’accent était mis sur la tension dramatique que permettait un tel montage. Ce que The departed perd en intensité, il est probable qu’il le gagne en profondeur et en vérité.

L’Entropie, ou la dynamique de mort, définit la relation de des deux infiltrés. En apparence, il y a, comme souvent chez Scorsese, deux types de salut : d’un côté la promotion, reconnaissance sociale dont bénéficie Matt Damon et qui dissimule la malignité de l’associé du diable, de l’autre l’apparence de truand qui est en fait l’habit du pêcheur repenti. C’est souvent, dans ce monde, la rédemption sociale qui l’emporte (cf. Taxi Driver) : il aurait donc été logique que Scorsese conserve la fin originale, qui consacrait la rédemption du faux polixier. Mais il n’en est rien. Peut-être est-ce justement que ce film ne nous parle plus de la vie sociale, mais de sa mort. La réussite souvent effrayante laissait l’espoir d’une justice de l’au-delà. Dans The Departed nous y sommes et la direction semble la même pour tous.

Plutôt que de définir le salut par rapport à la fausse rédemption, Scorsese nous montre inversement comment est pervertie la foi sincère. On le voit notamment dans la relation qu’entretient Di Caprio avec la psychologue : impossibilité de la confession - pourtant clé du catholicisme chez le cinéaste - et souillure de l’amour donné - à la scène d’amour succède une filature de Matt Damon qui aboutit dans un cinéma porno (la situation burlesque est soulignée par la présence du diable en personne...) On s’aperçoit que les blagues graveleuses sur le clergé, l’amour du sacrilège, dépassent les simples boutades. Ou que ces boutades meme ont deja quelque chose d'une damnation.