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samedi 20 février 2010

La Boulangère de monceau & La Carrière de Suzanne, d'Eric Rohmer - chroniques de l'inattendu



De ce petit film qu'est La Boulangère de monceau, qui ne dure qu'une vingtaine de minutes, on retient que dès ses premiers pas de cinéaste - dès son premier conte moral - Rohmer a essayé de saisir la temporalité comme telle, sans se laisser obnubiler par une iconographique statique ou par une action en fuite. Selon le procédé qu'il reprendrait dans La Collectionneuse, le héros est aussi narrateur de l'histoire, donnant des airs de chronique ou de nouvelle à cette histoire, plus que de conte. Le temps, dans La Boulangère de monceau, c'est le rituel, la répétition. Tout d'abord la régularité des rencontres avec une jeune fille inconnue, qui se trouve brisée le jour où il la heurte et lui adresse la parole. Pour la retrouver, il s'impose de nouvelles règles, bientôt transformées en habitudes, et qui passent par un saut à la boulangerie, pour acheter toujours le même sablé - toujours en échangeant des regards avec la boulangère. Petit à petit, l'objet de ces promenades solitaires se déplace: il cherche moins à retrouver sa beauté mystérieuse qu'à réussir son passage dans la boulangerie. Cette boulangère, c'est l'action du temps, c'est le rituel qui se substitue à l'apparition. Mais Rohmer manie aussi la rupture, dans une sorte d'anti-morale au conte: tout ce rituel lui aura en fait servi, sans le savoir, à faire sa cour à l'autre jeune fille, la première apparition - et à lui rendre son culte. Dans La Boulangère de monceau, nous avons déjà un Rohmer qui sait manier subtilement l'attendu et l'inattendu, donnant au temps l'allure familière et surprenante des rues parisiennes.



De La Carrière de Suzanne, un peu moins séduisant, on retiendra surtout le sourire fuyant de Suzanne, qui cristallise une autre relation au temps - celle des situations trompeuses et des carrières indéchiffrables.

vendredi 12 février 2010

La Collectionneuse, d'Eric Rohmer - qui collectionne qui?


La Collectionneuse, d'Eric Rohmer, s'ouvre par de petites séquences de prologue. C'est un film qui commence par des petits bouts de films. Lorsqu'il s'agit de nous présenter Haydée, le personnage féminin central, la caméra s'arrête aux jambes, au ventre, aux épaules. Voilà un film qui, avant même de nous parler d'une collectionneuse, semble déjà collectionner des moments, des personnages, des parties du corps féminin.

La caméra se ressaisit vite, et bientôt la narration prend le dessus. Car La Collectionneuse présente l'originalité d'être une histoire racontée par un narrateur en voix-off. Le narrateur est aussi le personnage principal, Adrien, qui passe l'été avec son ami Daniel dans une maison provençale. Adrien s'est donné pour but d'élever son oisiveté jusqu'au vide le plus absolu. Le "je" qui s'affirme dans la narration est tout d'un bloc: tout ou rien, rien plus que tout. Paradoxalement, les moments où le narrateur expose son attirance pour le vide, et la nécessité pour cela d'avoir une existence disciplinée - monacale, comme il le dit lui-même - ces moments sont ceux qui expriment la meilleure plénitude, dans des plans de contemplation pure que je ne connaissais pas à Rohmer. De l'eau qui coule dans les algues, comme dans un Tarkovski.

Quand Haydée vient troubler ce vide, avec son comportement frivole - sa collection de jeunes hommes qui, tous les jours, viennent la chercher en voiture - c'est à nouveau les discours qui sont contredits, un comportement qui s'impose dans l'aura de son arbitraire. Avec Haydée, voici à nouveau le réel fragmenté, insaisissable, imprévisible. Tout l'enjeu sera, pour Adrien et son ami Daniel, d'interpréter cette force mystérieuse. Collectionne-t-elle parce qu'elle n'est jamais satisfaite, ou collectionne-t-elle dans une direction précise? Adrien finit par dire: "J'ai trouvé la définition de Haydée, c'est une collectionneuse. Haydée, si tu couches à droite et à gauche comme ça sans préméditation, tu es l'échelon le plus bas de l'espèce, l'exécrable ingénue. Maintenant si tu collectionnes d'une façon suivie avec obstination, bref si c'est un complot, les choses changent du tout au tout."

Au fond, Adrien est plus collectionneur qu'Haydée. Haydée éparpille, opacifie le sens des choses, quand Adrien recueille, compare - collectionne. Il y a dans le comportement d'Adrien une confrontation au mystère, qui ne passe plus par le vide, comme il le voulait au départ, mais par le recueillement, la récollection, qui est autant désir de comprendre que désir tout court. Pour cette raison, La Collectionneuse fait penser à L'Homme qui aimait les femmes de Truffaut: le narrateur n'arrive plus à savoir s'il est sujet ou objet du désir, il oublie ce qu'il cherche à mesure qu'il avance.