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mardi 9 juin 2009

La Sirène du Mississipi, de François Truffaut - parler et montrer



La Sirène du Mississipi est peut-être le film le plus caractéristique d’une tension toujours présente dans le cinéma de Truffaut. Le même qui dit :« tout ce qui est dit au lieu d’être montré est perdu pour le public »(1), dit aussi : « [...] je suis littéraire. J’aime les phrases, j’aime les mots. »(2) Ce cinéma, dont un brillant travail de critique constitua la genèse, s’est structuré en opposition aux « films de scénaristes ». Et pourtant, si les films du passionné cinéphile ont bien en héritage le cinéma très visuel d’un Hitchcock (La Mariée était en noir, Fahrenheit 451), la parole tient une place non négligeable dans chacune de ses œuvres.


Voir la parole On trouve toujours dans les dialogues de Truffaut cet amour des mots, qui oblige l’acteur ou l’actrice à ne jamais négliger le style dans la conversation du quotidien. Jean-Pierre Léaud, quintessence de ce jeu d’une gracieuse maladresse, en fut probablement le meilleur interprète. Sa gestuelle ramenait forcément les dialogues à une réalité visuelle. Comme Hitchcock, ironisant sur les « vraisemblants » qui cherchent à tout prix une vraisemblance dans les événements montrés, Truffaut se soucie peu de « faire vrai » dans les dialogues. Antoine Doinel peut ainsi tout naturellement dire à Christine : « tu es ma mère, tu es ma fille, tu es ma sœur ».


Ce qui est surprenant dans la majorité de ses films, c’est son goût pour la voix-off, qu’elle soit impliquée dans la fiction, quand on entend un personnage dire une lettre par exemple, ou qu’elle soit plutôt en narration. Dans La Sirène du Mississipi, Louis lisant la lettre de la sœur de Julie Roussel est accompagné, en surimpression, du personnage féminin se mettant elle aussi à dire la lettre. Autant à Louis qu’à nous-même spectateurs. Pourquoi insister sur ce détail (fréquent chez Truffaut, par exemple dans Les Deux Anglaises et le continent)? Parce que la parole semble ici ne pas pouvoir se passer de la personne qui en est l’origine: la parole caractérise son auteur. Prendre la parole, c'est esquisser un geste de confession, même si on ne parvient pas à l'achever- à l'image de ce vinyle enregistré par le personnage de Catherine Deneuve. On pense aussi à Antoine Doinel qui répète, dans Baisers volés, son nom, comme pour s'assurer que ce qui se montre correspond bien à ce qui se dit.


Le culte de la femme La sirène du Mississipi donne une fonction toute particulière à la parole : le personnage de Belmondo a un rôle proche de celui du spectateur, il voit, et dit ce qu’il voit avec des mots. Ce qu’il voit est intimement lié à la fausse Julie Roussel. Leur relation repose avant tout sur l’apparence - apparence d’une photo glissée dans leur correspondance, apparence trompeuse de l’imposture de Deneuve. La parole permettra de mettre au jour la mystification du personnage féminin, elle est cause de conflit, mais rend aussi la femme mystérieuse, et transforme la relation amoureuse en une relation actrice-cinéphile.


Les scènes d’amour sont très particulières et typiques de Truffaut: tout tourne autour d’un fétichisme qui n’est pas sans rappeler la relation du cinéphile aux femmes de cinéma, les détails occupent une place essentielle. (3) Cette relation est transposée à l’écran, et Belmondo joue, dans la vie, la passion du cinéphile (et à la limite, du critique), puisqu’il essaie de capter par les mots l’apparence de la femme. Sur ce point, la scène la plus touchante est celle se déroulant à côté du feu qui éclaire Deneuve d’une lumière sacrée. Belmondo tente de décrire la femme qu’il aime. En champ/contrechamp Louis parlant et la femme ainsi décrite. Ils semblent retrouver, l'espace d'un instant, l'adéquation perdue entre ce qui est montré et ce qui est dit.

Derrière eux, le feu sacré: l'usage de la parole ressemble de plus en plus à un rituel religieux, à une incantation, à un culte dont l’objet est la femme. Aucun mot ne vient au hasard et l’expression est toujours attachée à un souci de vérité qui pousse Belmondo à clarifierles mots d’amour : « vous êtes adorables, c’est-à-dire digne d’être adorée ». Tout est dit.


Enfer, paradis, purgatoire Dans le cheminement amoureux du couple on distingue trois états, eux-mêmes significatifs des luttes originelles dans le cinéma de Truffaut, quant à l’idéal d’un cinéma "pur" et à la tentation du cinéma "impur".

Le film s’ouvre sur la lecture de petites annonces de journaux. Des voix, d'abord distinctes, sombrent bientôt dans la cacophonie. S’affiche alors le titre du film. C’est le chaos d’avant la genèse, le chaos qui précède le coup de foudre visuel. C’est aussi ce vers quoi dérive parfois le couple - l’usage excessif et violent de la parole - et la tentation du cinéaste - les dialogues d’un cinéma aux racines et ramifications multiples et pas seulement cinématographiques.

Vision paradisiaque, le dernier plan est la vision épurée d’un amour parfait. Belmondo et Deneuve, enlacés, marchent vers le blanc immaculé de la neige, jusqu’à disparaître. En même temps qu’un amour idéalisé, cette dernière scène donne à voir un cinéma au destin purement esthétique, la marche vers une innocence impossible.

« - Est-ce que l’amour fait mal ? - Quand je te regarde, c’est une souffrance tu es si belle - Hier tu me disais que c’était une joie - Oui. C’est une joie et une souffrance »


Comme au purgatoire Louis doit se contenter de voir et de vouer son culte à Marion, sans jamais l’atteindre vraiment. Le vinyle brisé de Marion sur lequel est inscrit son aveu marque clairement l’impuissance de la parole à accéder à la perfection esthétique qui est l'émotion même - cet amour maladif qui hante le cinéma de Truffaut.


Notes:

(1)Hitchcock/Truffaut, Gallimard (ed. 2003)

(2)Aline Desjardins s'entretient avec François Truffaut, Ramsay poche (ed. 1999)

(3)Antoine de Baecque le fait d’ailleurs remarquer dans son livre La Cinéphilie (Fayard, 2003), quand il affirme, à propos de Truffaut « le détail, fétichisé, hante sa vie quotidienne de cinéphile, de critique, de cinéaste, d’homme. »

mercredi 13 mai 2009

Gaslight, de Cukor - Eclairage au gaz pour yo-yo émotionnel


Bêtement je m'attendais à une comédie. A la place j'ai eu un thriller qui fait penser à Soupçons ou à Rebecca. Et la présence d'Ingrid Bergman, qui n'avait pourtant pas encore à l'époque tourné avec le bon maître du suspens, ne fait que conforter l'impression hitchcockienne. Elle partage l'affiche avec Charles Boyer, dans ce film de Cukor qui date de 1944. Charles Boyer, qui était surtout pour moi l'écrivain hongrois drôle et détaché du Cluny Brown de Lubitsch, prend ici un sacré nouveau visage (même si, merci google, je m'aperçois que Gaslight précède Cluny Brown dans la date de sortie).


A l'effacement - le flegme amusé et bonhomme de Charles Boyer version Lubitsch - succède le regard d'un manipulateur. De spectateur ironique, il devient le metteur en scène pervers de la folie de Paula, le personnage de Bergman. Les expressions composées pour le marivaudage, l'accent français, le magnétisme de son regard sont vite les procédés d'un mystificateur. Ingrid Bergman, en face, est plus belle que jamais, le visage torturé par la lumière et les ombres, ce qu'elle croit être la folie et qui n'est qu'un jeu d'éclairages.

Le yo-yo émotionnel que parvient à susciter Gregory chez Paula est à la fois celui d'un personnage et d'un spectateur de cinéma. Mais c'est aussi, surtout, la manière d'un sorcier qui veut redonner vie à la mort - et en l'ocurrence il s'agit d'habiter la maison de la morte pour achever de la tuer dans les tourments de sa nièce. Et l'on se dit que, comme dans les plus grands films de suspens et dans les plus grands films à actrice, il y a ce jeu avec la mort. Le jeu d'un acteur et d'un metteur en scène. C'est Rebecca, la morte qui vient hanter le couple des vivants, mais c'est aussi James Stewart essayant de recréer la Kim Novak de ses rêves. Ici les bijoux ne sont qu'un prétexte, une diversion hitchcockienne, pour hanter encore la maison de la morte et en faire réentendre les voix, revivre les spectre.