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lundi 8 juin 2009

El Dorado, de Howard Hawks - misères de l'impuissance



A propos d'El dorado, on fait souvent remarquer, à raison, les similitudes avec Rio Bravo. De ces deux westerns de Howard Hawks, celui qui nous intéresse ici est le plus tardif, ce qui n'est pas anodin, quant à ce qu'est devenu le cow-boy dans la mythologie du western.

Le cow-boy est par excellence celui qui fait, celui qui exécute, c'est ce que nous nous disions à propos de L'Homme de la Plaine, d'Anthony Mann. Reliquats du western classique, John Wayne et Robert Mitchum sont deux variations de cette figure de puissance. L'un est chasseur de primes - force sauvage, mercenaire, mise au service du bien - l'autre est shériff - c'est-à-dire seule puissance vraiment légitime. Entre eux, dès le début, et en guise de présentation, il y a un fusil qui, une fois la tension lâchée, passera de mains en mains, comme entre frères d'arme.

Mais John Wayne et Robert Mitchum sont déjà deux vieux. Et ils sont travaillés de l'intérieur, l'un par une balle reçue (d'une femme!), l'autre par l'alcool. Impuissance et paralysie dévorent petit à petit les deux compères. En lieu et place de son revolver, Mitchum se retrouve bouteille en main, au saloon, alors qu'il est provoqué et moqué par ses adversaires. Quant à John Wayne, il doit littéralement passer l'arme à gauche pour en imposer encore un peu. Tous ces petits ennuis d'impuissance, qui gangrènent l'action de ce western, ressemblent à des signes. Le film date de 1966, on est déjà dans les sixties, et le passage de la puissance à l'acte commence déjà à se dérégler, de l'autre côté de l'écran.

La puissance est toujours au western question d'armes. Aussi, du couteau au pétaradant pistolet, James Caan apporte-t-il sa jeunesse au film d'Howard Hawks. Voici des gestes neufs, inattendus - comme lorsqu'il se jette sous les chevaux pour attaquer les cavaliers - en même temps qu'explosifs et parfois approximatifs (son pistolet semble éclater à chaque fois qu'il tire et il blesse à la fin John Wayne par erreur...)


Toute cette jeunesse ne nous enlèvera pas l'impression que la figure du cow-boy a été atteinte. Peut-être est-ce avec El Dorado qu'aura fait son apparition le western rongé par sa propre fin tel que nous le connaîtrons, au moins, jusqu'à Unforgiven?

vendredi 29 mai 2009

Sergeant York, de Howard Hawks - Voyage au bout de la gloire

Sergeant York, de Howard Hawks, a été fait en 1941, au moment de l'entrée des Américains dans le second conflit mondial. Le film, based upon a true story, met en scène un Gary Cooper un peu simple, que 1917 et l'intervention américaine en Europe viennent cueillir jusque dans le fin fond de son Tenessee natal - il se révèle un tireur hors-pair. Avec ce contexte patriotique, on sait à quoi s'attendre. Et Howard Hawks a su en effet rendre un certain génie de l'Amérique patriotique, celui que tout le monde moque trop facilement.

Ce film est l'histoire de trois conversions. La première est celle de l'amour. Mais attention, pas de l'amour passionnel et gnangnan, non, l'amour campagnard du fermier qui doit agrandir son lopin de terre pour pouvoir prétendre épouser sa fiancée. Apologie du travail, de la construction de soi-même par la sueur. Cette partie est très réussie: Hawks y construit sous nos yeux le caractère d'un personnage déterminé. Alvin York doit rassembler une certaine somme d'argent pour acheter ce bout de terrain, et le rythme des petits boulots va crescendo jusqu'à être suspendu, lors d'un concours de tir, à sa dextérité face à la cible. Seconde conversion: la Conversion, c'est-à-dire la révélation religieuse. Elle se passe sous la pluie, pendant un orage. Comme saint Paul, le voilà qui tombe de son cheval, touché par la foudre. Deux conséquences: l'amitié avec le pasteur, qui devient pour lui comme un père, et une légère altération de son caractère - Alvin s'en trouve plus humble, moins emporté. Troisième conversion, la conversion patriotique. Celle-ci passe par la camaraderie et par la découverte de grands modèles américains tels que Daniel Boone (qui n'est pas ch'ti, mais originaire de Pennsylvanie), puis par une réflexion, à la fois sur la Bible et l'Histoire des USA. Scène un peu pompeuse, mais qui a l'évidence pour elle, où Alvin York médite, en uniforme, au sommet d'un rocher sortant du brouillard...

Plus que le schéma idéologique en lui-même - propre aux Etats-Unis: travail, religion et patriotisme -, c'est l'aspect dialectique de son enchaînement qui a son intérêt. L'agressivité du combat vient en rupture avec le pacifisme du croyant, qui s'opposait lui-même au volontarisme du travailleur, antithèse de la débauche du tout premier Alvin York. Howard Hawks rend très bien ces paradoxes qui font à terme la richesse du personnage, dans une forme de synthèse. L'autre grand mérite de la mise en scène réside dans les petits détails, souvent comiques, qui donnent vie à l'ensemble. Par exemple le chuintement des bottes, pendant le sermon du pasteur. Un détail particulièrement savoureux est, lors du concours de tir, le bruit que Gary Cooper fait pour que le poulet lève la tête qu'il s'agit de viser. Un peu comme le personnage de L'Impossible monsieur Bébé imite le mugissement du tigre. C'est d'autant plus drôle que la même technique sera utilisée face à un poulailler d'Allemands. Si c'est pas du patriotisme version Hawks ça!

Enfin il est difficile de ne pas mettre ce film en relation avec Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter), de Michael Cimino, dont on pourrait dire qu'il constitue l'exact inverse. La structure, en forme d'avant-pendant-après la guerre est relativement similaire, et il y a cette même attention accordée à la vie de la communauté et à la façon dont celle-ci est affectée par des tels événements. Mais de Sergeant York au film de Cimino, la guerre a changé de visage. Elle n'est plus suspendue à l'action habile des soldats exemplaires: elle broie au contraire ses acteurs dans un courant cruel. Aussi la scène, comique, du rapport d'Alvin York à l'animalité (un poulet), prend-elle dans Voyage au bout de l'enfer une teinte majestueuse et dramatique (un cerf). L'action des personnages a perdu de sa portée, de 1941 à la guerre du Vietnam, et le constat a gagné en amertume. On entend pourtant, à la fin du film de Cimino, cet hymne devenu triste, que l'on claironnait encore joyeusement dans Sergeant York.