jeudi 31 décembre 2015

Top 5 2015


1. Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin
2. Les Mille et Une nuits, vol. 1 & vol. 2, de Miguel Gomes
3. Vice Versa, de Pete Docter
4. Foxcatcher, de Benett Miller
5. The Rewrite, de Mark Lawrence

Mention spéciale : Mad Max - Fury road, Songs My brothers taught me, Star Wars  - The force awakens, Mia Madre, The Grief of others, Aloha.

Ceux qu’il faut que je rattrape : Knight of cups, Comme un avion, La Sapienza, Le Pont des espions, The Visit, Les Mille et une nuits - vol.3, Le Grand jeu, Notre petite soeur, Ricki and the flash, Sicario.

J’aurais du aimer, mais non : American sniper, It Follows, Jauja, Hacker, Snow Therapy, Birdman, Tomorrowland.

Heureuses découvertes :

 






 






dimanche 27 décembre 2015

La crédulité retrouvée


Le point faible du nouveau Star Wars - l'impression de remake machinal de la trilogie originale - est aussi son point fort : une modestie efficace et, surtout, une manière habile de réactiver la magie d'un univers en n'en changeant rien, sinon la façon de le regarder. Le Réveil de la force met en scène une série de jeunes personnages qui, vivant des aventures similaires à celles de leurs aînés, se découvrent eux-mêmes comme énièmes chaînons d'une mythologie toujours vivante. L'histoire est ancienne, mais les héros son neufs. J. J. Abrams n'invente rien, il se contente de réveiller la crédulité d'un jeune public en même temps que celle de ses personnages. Le plus beau plan du film ne montre pas un paysage désertique, mais le visage vieilli de Han Solo dans le halo bleu de la carte projetée par BB8, assurant à ses nouveaux compagnons que tout cela (la force, les jedis), est bien vrai - "it's all true".

mercredi 28 octobre 2015

Le primat de l'éloquence - sur trois séries d'Aaron Sorkin


Les défauts des séries d'Aaron Sorkin sautent aux yeux, sans que cela ne gâche ce qui les rend aimables. Leur côté désuet, par exemple. Le premier épisode de The West Wing a été diffusé en 1999, le dernier en 2006, et pourtant il est difficile de croire que cette série est contemporaine de The Wire ou des Soprano. Non seulement The West Wing ressemble à une série des années 90 perdue dans les années 2000, mais ce décalage a dans le contexte de sa diffusion quelque chose d’utopique : tandis que Martin Sheen incarne à la télévision un président démocrate idéalisé, le vrai bureau oval est occupé par George Bush. 

Parmi les traits irritants des séries d’Aaron Sorkin, il y a aussi un côté moralisateur. The West Wing ne cachait pas sa dimension édifiante, ou au moins pédagogique : en montrant les coulisses de la maison blanche, il s’agissait d’expliquer le fonctionnement des institutions américaines, en soulevant des questions politiques et morales. Dans The Newsroom, sa série arrêtée en décembre 2014 qui mettait en scène l’équipe d’un journal télévisé, le manichéisme prend encore plus de place. Le présentateur Will et sa productrice MacKenzie proclament à tout moment qu’ils font de la “news”, sorte de notion immaculée logée dans une forteresse assiégée par le marketing. Et paradoxalement quand Will est au micro, il fait tout sauf donner des nouvelles : il prend position, défend la veuve et l’orphelin, démonte le Tea party, etc. Dans une moindre mesure, Studio 60 on the sunset strip succombait aux mêmes oppositions schématiques entre la liberté éditoriale et la contrainte du chiffre. Dans cette série sur la fabrication d’une émission inspirée du Saturday Night Live, l’éternelle démarcation morale, quoique plus subtile que dans The Newsroom, amenait avec elle un esprit de sérieux plombant quelque peu la légèreté revendiquée de la troupe d’humoristes.

Ces défauts, donc, ne parviennent pas à émousser ce qui accroche et retient immédiatement l’attention dans ces séries, et qu’on peut simplement désigner comme le spectacle de l’emprise de la parole sur la vie. C’est dans ce primat de l’éloquence que The West Wing se distingue des séries de son époque (David Chase, le créateur des Soprano, n’a pas de mots assez durs à propos de Sorkin), et c’est ce qui fait la singularité des trois séries qui nous intéressent. Le discours a ici plusieurs facettes : les dialogues qui crépitent, la parole argumentative, mais aussi l’art des histoires - l’art de les raconter et de voir ce qu’il en reste quand le temps a passé. 

Dialogues. L’ivresse de la parole vient d’abord bien sûr des dialogues qui fusent comme dans les screwball comedy. La mécanique, si elle n’est pas dépourvue d’automatismes - ce montage sur youtube le souligne à merveille - exerce forcément une fascination. A titre d’exemple, cet effet comique récurrent qui consiste à faire répéter hors contexte, comme un bug, une phrase entendue plus tôt. 


Mais la frénésie des répliques est moins intéressante dans son côté machinal que dans son côté vital. En effet, tout le problème est pour Sorkin de donner corps et âme à ses personnages de papier. Et la réponse qu’il donne au problème est inscrite dans sa formulation : il faudra filmer des personnages possédés par les mots qu’ils prononcent et des corps animés par le besoin de parler. Le rôle de la caméra de The West Wing est purement et simplement de montrer des gens parler. Quand elle n’assure pas, par un plan-séquence, le passage d’un dialogue à un autre, elle tourne autour des interlocuteurs comme pour dessiner l’étendue de ce qu’ils disent. L’ingéniosité de la mise en scène est alors de tirer le meilleur parti du lieu filmé comme espace où s’échangent les répliques. Les trois séries citées ont pour titre les lieux dans lesquels elles se situent : la Maison blanche, un studio, une salle de rédaction. Chacun de ces endroits a ses spécificités qui se reflètent dans la dynamique des dialogues. Le dédale des couloirs dans The West Wing introduit la complication administrative et politique. Le balcon de Studio 60, longeant les bureaux et donnant sur la scène, est à la fois propice à la nervosité des allers et venues et à la mélancolie de la contemplation. La communication entre la régie et le plateau de The Newsroom - l’oreillette par laquelle MacKenzie parle avec Will -, est à l’image de leur relation mêlant le public et l’intime, l’une soufflant dans l’oreille de l’autre des instructions que toute la régie entend. 

Plaidoiries. Les discussions sont animées, c'est entendu, mais par quoi ? Studio 60 et The Newsroom commencent en posant la question. Dans le premier cas, un showrunner se lance en direct dans un monologue mettant en cause la chaîne qui l’emploie, dans le second, c’est un présentateur vedette qui explique par le menu à un public d’étudiants en quoi l’Amérique n’est plus le plus grand pays du monde. C'est que dans ces deux séries, au moins autant que dans The West Wing, les envolées rhétoriques prennent une place centrale. Cet art du discours est en fait un art de la plaidoirie. Le studio, la Maison Blanche, la rédaction peuvent à tout moment se transformer en tribunal dans lequel les arguments sont entendus et la justice rendue. L’analogie est développée par un personnage dans la première saison de The Newsroom : le plateau de télévision est semblable à une cour dans laquelle le présentateur est un juge qui donne la parole et modère les interprétations contradictoires. C’est en réponse à ce dispositif que Will McAvoy est accusé par ses ennemis d'agir en redresseur de torts plutôt qu'en rédacteur en chef. On pourrait adresser la même objection à Aaron Sorkin, dont les convictions démocrates percent continuellement sous l’éloquence de ses porte-paroles. Ce serait oublier qu'il laisse une chance à la contradiction, jusque dans ses personnages : la très religieuse Harriet Hayes tourne sur scène les religions en dérision, et le républicain Will McAvoy traite sans état d'âme de talibans les membres du tea party. 

Les personnages d'avocats dans les trois séries

C'est que l’adversité n’est pas, pour eux, du côté des ennemis idéologiques. Elle est dans la tentation de la rhétorique et des jeux de langage : la parole qui tourne à vide, transformant la justice en machinerie politicienne ou judiciaire. Il est intéressant à cet égard de noter les traits communs des personnages d'avocat dans les trois séries, et le rôle qu'ils y jouent. Dans The West Wing, Olivier Babish, le chef du service juridique de la maison blanche mène une enquête interne sur la communication autour la maladie du président Jed Bartlet. Dans Studio 60, une certaine Mary Tate est embauchée par la chaîne NBS pour défendre Matt d’une plainte pour licenciement abusif. Et dans The Newsroom, c’est toute la saison deux qui est contruite autour de dépositions à Rebecca Halliday, l’avocate de la chaîne ACN. Dans les trois cas, ces avocats sont là pour préparer des personnages aux poursuites légales qu'ils risquent d'affronter. Leur ambivalence tient à cette double fonction d'alliés (ils défendent en réalité la même cause que ceux qu'ils interrogent) et d'adversaires virtuels (le temps d'une scène, d'un épisode, d'une saison, ils sont effectivement les adversaires). Une dualité qui se reflète dans leur manière de parler, séduisante mais dangereuse car elle perd l'interlocuteur dans un jeu de répliques sans fin. Face à eux, les personnages redeviennent des créatures de papier. En somme, Sorkin décrit dans ces situations le tiraillement de sa propre écriture entre la fiction et la rhétorique. 

Histoires. Les intrigues ne sont pas réputées être le fort d'Aaron Sorkin. On voit bien en effet que les rebondissements n'ont chez lui d'intérêt que dans les situations, et donc les dialogues, qu'ils suscitent. Pourtant, vue à travers la même idée de justice - tendre vers l'équilibre en rendant à chacun ce qui lui revient - ses histoires prennent un tour plus surprenant. La saison deux de The Newsroom, par exemple, est structurée par les questions de Rebecca Halliday au sujet de l’affaire Genoa : la révélation par l’équipe de Will McAvoy d’un scandale lié à l’utilisation par l’armée américaine de gaz sarin. La majorité des épisodes sont constitués de flashback accompagnant les dépositions à l’avocate des journalistes ayant participé à l’affaire. En éclairant l’histoire et le point de vue spécifiques de chaque personnage, cette mise en lumière rétrospective donne à la série une profondeur qui lui manquait dans la première saison. Ce contexte judiciaire aide à définir ce qu'est un personnage pour Sorkin : quelqu'un à qui on rend justice, c'est-à-dire quelqu'un qu'on laisse s'exprimer et qu'on écoute raconter. 


La définition vaut pour l'affaire Genoa, pour les intrigues politiques dans The West Wing, mais aussi pour les histoires sentimentales de Studio 60 et de The Newsroom. Hariett et Matt, dans le premier cas, et Will et Mackenzie, dans le second. Les deux couples ont le même genre d'histoire : un passé commun, une séparation, et la nécessité de travailler à nouveau ensemble. Ce passé ressurgit dans des anecdotes ressassées, qui cristalisent simultanément ce qui unit le couple et ce qui le sépare. Dans Studio 60 c'est une dispute à propos de la participation d’Harriet à l’émission “the 700 club”. Dans The Newsroom c’est une infidélité de MacKenzie. Dans les deux cas, le couple ne trouve un avenir commun que si chacun a eu l’occasion, dans des moments de vérité, de s’expliquer sur le passé. Le dénouement d'une histoire d'amour correspond à son élucidation. L’idéalisme sentimental de Sorkin n’est au fond pas séparable de son idéalisme politique. Dans les deux cas, il s’agit de rendre justice aux personnages, de les faire participer à un équilibre d’ensemble.

lundi 25 mai 2015

Préférences cannoises


Mes compte-rendus de Cannes pour Independencia sont disponibles dans la rubrique consacrée au festival, ici. Voici quelques préférences, avec les critiques associées :

- Trois souvenirs de ma jeunesse, d'Arnaud Desplechin
- Les Mille et Une nuits : Volume 1 - L'Inquiet // Volume 2 - Le Désolé
- Vice Versa, de Pete Docter
- Mia Madre, de Nanni Moretti
- Songs my brothers taught me, de Chloe Zhao
- Green Room, de Jérémy Saulnier


samedi 14 mars 2015

Dr Clint and Mr Eastwood - sur American sniper et d'autres bizarreries


Les détracteurs d’Eastwood font en général le portrait d’un metteur en scène aussi réac que flemmard, et American Sniper ne fait, à première vue, pas grand chose pour contredire cette réputation. L’anecdote du bébé en plastique est, à ce titre, plutôt intrigante. Selon le témoignage du scénariste Jason Hall, le vrai bébé prévu pour la scène avait de la fièvre, et faute d’en trouver un autre, Eastwood a fini par réclamer une poupée. On pourrait s’en tenir là, et sourire de la négligence du vieux cinéaste. Mais ce serait laisser de côté la curieuse sensation que procure cette scène, qui fait penser au maquillage surchargé du vieil Hoover dans J. Edgar, ou à l’irréalité de certains passages d’Au-delà. En un mot, il y a un Eastwood dont on oublie de parler, que certains qualifient de kitsch, mais qu’on peut plus simplement décrire comme bizarre

Clint Eastwood se place volontiers dans la descendance du cinéma américain classique de William Wellman, de John Ford ou d'Howard Hawks - l'intrigue d'American sniper fait d'ailleurs penser au très beau Sergent York. Mais à côté de cet héritage classique, il y a aussi le patronage de Sergio Leone, et le personnage de cow-boy angélique créé pour la trilogie du dollar. Dans l'ombre du Dr Clint classique, il se trouve toujours un Mr Eastwood maniériste pour venir distordre la perspective ordinaire.

L'Homme des hautes plaines, qui reprend presque à l'identique le personnage de Blondin, est peut-être le film le plus représentatif de cette veine étrange : un homme sans nom met à sa merci un village qui a voulu l'engager comme protecteur. Ce personnage à la silhouette spectrale apporte avec lui deux ingrédients qu'on retrouve jusque dans les films récents d'Eatswood : une obsession pour la mort (l'homme sans nom est une sorte d'ange exterminateur) et une tentation de l'onirique (le village repeint en rouge, entre autres détails effrayants et incongrus). Dans Mémoire de nos pères ce sont les héros qui sont condamnés par la célébrité à revivre éternellement la bataille d'Iwo Jima. Dans Au-delà ce sont les décors parisiens et les paysage alpins, qui semblent dépourvus de réalité, comme altérés par l'attente de la mort. Et enfin, dans J. Edgar, c'est le vieil Hoover momifié par le temps qui passe.

Qu'en est-il, alors, d'American Sniper ? La mort dans le viseur de Chris Kyle est évidemment le sujet du film et l'éternel retour sur le champ de bataille reprend timidement le motif de Mémoire de nos pères. Mais Eastwood se fait plus hésitant, on remarque surtout sa retenue narrative et esthétique - autre caractéristique de son style. Car s'il y a chez lui une part de maniérisme, elle procède par soustraction plutôt que par surcharge. Les tourments et la mort de Chris Kyle sont par exemple passés sous silence. Cette économie tendant à l'abstraction était présente dans Jersey Boys, un musical vidé de ses couleurs et troué par une ellipse faisant vieillir les four seasons pour un hommage harmonique au temps passé. Mais paradoxalement, cet art du non-dit manque de rigueur dans American Sniper et aboutit à des raccords à l'éloquence facile.

Tout ceci ne résout pas le problème du bébé en plastique, me direz-vous. Sauf à dire que cette bizarrerie d'Eastwood tient une fois de plus à l'inquiétude d'une disparition et d'un remplacement. Comme la photo qui se substitue à la réalité dans Mémoire de nos pères, comme l'enfant disparu de l'Echange, comme l'index pointé à la place du pistolet dans Gran Torino, et comme le monde des vivants hanté par celui des morts dans Au-delà.

dimanche 4 janvier 2015

Le Signe de Zorro, de Rouben Mamoulian


Le Signe de Zorro, de Rouben Mamoulian, est un curieux éloge du masque. Don Diego Vega est de retour de Madrid pour retrouver sa famille en Californie. Son allure et ses manières de citadin raffiné ne sont pas au goût de son père et du moine qui l'a élevé. Mais pour dissimuler sa vocation de justicier, il force le trait, agite un mouchoir en dentelle, joue avec un éventail. Don Dego Vega porte donc deux costumes : celui d'un précieux le jour, celui de Zorro la nuit. Et c'est justement en maniériste que Mamoulian redonne vie au mythe : il joue avec l'apparition des symboles comme le cheval qui se cabre ou le "Z" gravé à la pointe de l'épée. Le Signe de Zorro parle du plaisir de porter, de superposer les masques.