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vendredi 9 novembre 2012

Skyfall, de Sam Mendes : James Bond au musée

Article publié sur Causeur

Daniel Craig avait su être convaincant dans Casino Royale, où il jouait un espion britannique à visage humain, avec un passé, des sentiments et un semblant d’épaisseur dans le costard. Le but du Skyfall de Sam Mendes semble être de persévérer dans cette relecture à la fois plus physique et plus crédible de l’imagerie de James Bond. C’est le paradoxe à la mode : pour redorer le blason du héros de cinéma, il faut d’abord l’assombrir. Sam Mendes a donc décidé que James Bond était un héros de l’ombre, à la manière du Batman de Christopher Nolan. 

Suite à une mission de James Bond au cours de laquelle l’identité de plusieurs agents infiltrés s’est trouvée révélée, le MI6 est attaqué par de mystérieux hackers terroristes. La cible n’est autre que M, mise en cause à la fois par les terroristes et par les autorités politiques de son propre pays. Lors d’une audition où elle répond, devant son ministre, de son action et de ses décisions, elle développe une longue tirade sur le rôle des services secret dans le chaos du monde moderne. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, dit-elle, notre époque est plus celle de l’opacité que de la transparence : pour y agir efficacement, il faut des personnages de l’ombre. Ce motif de l’obscurité – et ce jeu sur l’opacité et la transparence – revient souvent dans le film, dans la bouche de M mais aussi dans la mise en scène. Le visage de James Bond n’en finit plus de se dessiner dans le noir : il n’est souvent qu’une forme ténébreuse, dans un couloir ou dans la salle à manger de M. Une scène est particulièrement significative de ce traitement du personnage : de nuit, James Bond suit en haut d’une tour de Shangaï un terroriste qui prépare un assassinat. Impossible de se cacher dans ce château de verre, et pourtant l’espion joue de sa silhouette et des multiples reflets créés par les vitres pour finalement venir à bout de son ennemi. 

Il y a, il faut l’avouer, une certaine virtuosité dans cette scène qui transforme subrepticement la transparence en opacité, fait de la vitre un écran. Le tour de passe-passe évoque assez bien le traitement opéré sur notre personnage : James Bond était le personnage superficiel, parfaitement lisible et transparent – on sait exactement à quoi s’attendre en allant voir un James Bond –, il faudra le reprendre à zéro pour en faire un personnage intérieur, qui souffre et qui a un passé mystérieux impliquant un manoir, des brumes nordiques et des passages souterrains. Le problème est que Sam Mendes se contente de poser ces quelques éléments sans aller plus loin et se limite à regarder la nouvelle figurine qu’il vient d’inventer, articulée comme un enchaînement de concepts. 

Car, ne nous voilons pas la face, a-t-on vraiment besoin d’une histoire fondatrice et d’un discours des origines pour apprécier les galipettes de James Bond ? La vision presque théorique de l’agent secret qui se déploie dans Skyfall a quelque chose de vain : plutôt que d’en entendre l’Histoire, on aimerait participer à l’aventure du moment, à cette histoire-là. Or Sam Mendes ne nous emmène pas sur ce terrain. On s’ennuie plusieurs fois dans son Skyfall : les scènes s’étirent, on perd du temps à re-fabriquer James Bond, à tout changer pour que rien ne change. Le mélange naturel entre la classe et le mauvais goût, qui faisait le charme si anglais de James Bond, s’est quelque peu perdu dans ce personnage vaguement torturé. 

 La recherche éperdue du nouveau souffle pour la « franchise » Bond, qui ne date pas d’hier, se double ici d’une opération de séduction de la part du réalisateur : il faut ramener l’agent secret dans le camp de la culture et du cinéma de qualité. Le cinéaste, lui-même oscarisé pour le pesant American Beauty, s’est entouré de Ralph Fiennes, de Javier Bardem (le méchant, sorte d’enfant naturel de M et de Pedro Almodovar) et de Ben Wishaw (l’acteur qui jouait Keats dans Bright Star). Ce dernier disserte avec James Bond sur les qualités d’une toile de Turner à la National Gallery. À un autre moment, c’est un tableau de Modigliani qui intervient. Mais c’est seulement quand M se met à réciter du Tennyson pendant son audition qu’on se dit que Sam Mendes en fait peut-être un peu trop. Ce n’est pas tant le saupoudrage culturel qui pose problème, que la manière de tout traiter comme citation, comme petite note d’humour sérieux. Le film a le même rapport à la mythologie James Bond qu’à la culture : il n’en finit plus de réviser, de remâcher, d’ajouter, de recycler. Comme si le réalisateur n’arrivait jamais à dépasser ce prétentieux constat que James Bond ne suffit pas.

mardi 3 novembre 2009

Away we go, de Sam Mendes - d'autres vies que la leur



Un comique français célèbre avait l'habitude de commencer ses sketches par un "c'est l'histoire d'un mec...". Dans le cas de Sam Mendes, l'accroche rituelle serait plutôt: "c'est l'histoire d'un couple..." - et son nouveau film, Away we go, ne déroge pas à la règle. C'est l'histoire d'un couple, donc, qui avant la naissance de son premier enfant décide de partir en voyage, à la rencontre d'autres couples, pour décider de la vie qu'ils veulent pour leur famille à venir.

Premier choix, marqué, du cinéaste: les acteurs. Elle, Maya Rudolph, dont le visage typé est relativement neuf au cinéma et lui, John Krasinski, dont l'allure de barbu à gros pif n'est pas banale non plus, et qu'on connaissait surtout pour son interprétation de Jim, le personnage officiellement sympathique de The Office version US. Le but, on l'a compris, est de donner à ce couple d'américains l'image la plus simple et la plus singulière possible.

Le même parti pris est adopté pour la galerie de portraits des couples visités (je ne suis pas sûr qu'il faille tenter la comparaison avec l'épisode biblique de la Visitation, ou alors sur un mode désenchanté, voire un peu ironique). Chaque famille que découvre notre couple en recherche a beau représenter une catégorie de personnes, un mode de vie particulier, aucune n'est pour autant résumée à un type. Et c'est justement la bizarrerie des choix de vie, la folie, la joie et la tristesse de tous ces gens qui donnent au film son énergie. L'une assume en perpétuels fou-rires sa vie déprimante d'américaine de base, l'autre élabore des théories sur l'éducation naturelle, quand chez d'autres encore, le bonheur affiché cache une douleur plus profonde. Ce n'est pas tant que ce pot pourri "fasse vrai" - quoiqu'il se trouve justement qu'il fait assez vrai -, c'est surtout qu'il est l'occasion de sauts entre les registres - la comédie, le drame, la satire - et le prétexte à des scènes plutôt jubilatoires.

Il y a enfin une certaine naïveté dans cet Away we go, surprenante de la part du réalisateur d'American Beauty. Ce n'est pas tous les jours qu'un cinéaste censément spécialiste en démythification de la vie de couple nous fait entendre de telles déclarations d'amour, nous met ses personnages dans une "si belle maison...", avec des fenêtres qui donnent sur la mer sans aucun complexe. C'est tout à son honneur, car il est toujours plus facile de croquer le couple bourgeois que de rendre justice au sentiment amoureux.

Ceci concédé, il faut préciser que, dans la mise en scène de nos deux amoureux, Sam Mendes tombe dans plusieurs travers du cinéma américain "indépendant". On a les couchers de soleil opportuns, filmés de manière vaguement artsy. On a surtout, dans les moments de vérité, l'enclenchement fatidique de la guitare acoustique, qui sert à accompagner des chansonnettes fades. C'est dommage - car le film n'est pas pour cela raté -, mais ce n'est pas cette fois-ci que Sam Mendes aura réussi à ré-enchanter son cinéma.