Paru chez Causeur
Le titre du nouveau film de Bruno Podalydès est mensonger : ce n’est
pas à Berthe qu’on dit adieu, mais à Armand, son petit-fils, le
personnage joué par Denis Podalydès. Plus que l’histoire d’un
enterrement, c’est l’histoire d’une désertion, d’une soustraction. Celle
d’un pharmacien père de famille, qui n’en finit plus de quitter sa
chère petite femme pour sa maîtresse (son « petit lapin ») jouée par
Valérie Lemercier. Le jour où il apprend la mort de Berthe, la
grand-mère que tout le monde a oublié en maison de retraite, il faut
organiser les obsèques, prendre les choses en main. C’est la nuit, il
erre dans la maison, échange une dizaine de sms avec son amante,
retrouve son fils dans sa chambre et l’invite à méditer avec lui sur le
sujet de sa dernière dissertation de philosophie : « qu’est-ce que
vouloir ? »
Tout le film semble une manière de ne pas répondre à cette question.
Une manière de transformer en histoire l’absence de volonté, donc
l’absence de décision, donc l’absence d’action. Car face aux événements,
Armand n’a qu’une seule réaction : il fait le vide. En un sens, le film
a la tête à l’envers : le dénouement (la mort de mémé) survient au
début et la scène d’exposition (la découverte de sa chambre) plutôt à la
fin. Du point de vue du rythme, Adieu Berthe a aussi cette
surprenante construction inversée : plus on avance dans le film plus la
roue tourne au ralenti, moins notre personnage est intimidé par les
démons de la volonté. Armand s’absente, et Podalydès vide superbement
son film de toute énergie : à la fin l’ataraxie est proche.
Au départ, la passivité d’Armand permet de jouer sur deux versants de
la comédie : le burlesque d’une part, les dialogues d’autre part. Dans
cette seconde veine comique, il faut dire que Valérie Lemercier est
bonne cliente. Survoltée, elle déverse sur notre Armand des monologues
particulièrement savoureux – l’un d’entre eux se termine par un « Sors
ta bite et fais pas chier ! » qui devrait rester. Plus généralement, les
phrases non terminées du personnage de Denis Podalydès ont l’art de
susciter des dialogues absurdes. Parce qu’il manie comme personne les
propos qui n’engagent pas, il est le champion de l’équivoque et du texto
ambigü envoyé à la mauvaise personne.
Mais, la tête enfermée dans un caisson transpercé d’épées, ou se
déplaçant simplement sur sa trottinette à moteur, notre personnage
principal se prête surtout aux situations burlesques. Il y a dans Adieu Berthe
un art de l’espace et un tracé de silhouette qui évoqueraient presque
Tati. Les locaux grandiloquents de « Définitif » – l’entreprise de
pompes funèbres qui dispute à « Obsecool » l’enterrement de mémé – ont
quelque chose des décors de Playtime : on ose à peine entrer,
les pièces ont des dimensions inhumaines, les objets produisent des
couleurs et des sons incongrus. Armand s’efface devant l’hybris
bling-bling des célébrations funéraires, à tel point qu’on le voit
disparaître derrière l’un des écrans reproduisant en taille réelle les
modèles de cercueils les plus chics. A ce moment-là il n’est plus qu’une
ombre, et le clin d’œil burlesque veut même que cette ombre soit
calquée sur la forme d’un cercueil.
Pourtant, à mesure que le film avance et ralentit, Armand semble n’avoir même plus la volonté de ne plus vouloir. Si Adieu Berthe
n’est pas, en dernière instance, un film comique mais un film magique,
c’est parce que son personnage est aussi las de subir que d’agir. Les
Podalydès nous font sortir du burlesque par le haut : par les rêves, par
la folie et par les tours de magie. Les dialogues parfois cinglants du
début se noient dans le discours marécageux d’Armand pendant
l’enterrement. Les espaces intimidants sont réduits à la profondeur de
la malle de Berthe. Le personnage lui-même se dilue dans une série de
mises en scènes oniriques, avant de disparaître totalement. C’est le
principe des retrouvailles avec cette grand-mère qu’il a à peine
connue, mais qui est par excellence celle qui a précédé son existence.
Une absence fondamentale qu’il pourrait retrouver en se retirant en-deçà
de lui-même. « Pfuit, crac, pshitt » : il suffit pour cela d’un bon
tour de magie.
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