samedi 31 décembre 2016

Top 16 2016



1. ex-aequo :
Sully, de Clint Eastwood
Julieta, de Pedro Almodóvar
Ave César !, de Joel et Ethan Coen
The Nice Guys, de Shane Black
Everybody Wants Some !!, de Richard Linklater
6. Tu ne tueras point, de Mel Gibson
7. Hana et Alice mènent l’enquête, de Shunji Iwai
8. Midnight Special, de Jeff Nichols
9. Into The Inferno, de Werner Herzog
10. Victoria, de Justine Triet
11. Manchester by the sea, de Keneth Lonergan
12. Premier Contact, de Denis Villeneuve
13. Miss Peregrine et les enfants particuliers, de Tim Burton
14. La Loi de la jungle, d'Antonin Peretjatko
15. Steve Jobs, de Danny Boyle
16. Green Room, de Jérémy Saulnier

lundi 17 octobre 2016

La Huitième femme de Barbe-Bleue, d'Ernst Lubitsch


Premier Lubitsch scénarisé par le duo Billy Wilder / Charles Brackett, La Huitième femme de barbe bleue est une comédie de remariage puissance huit. L'histoire est la suivante : une jeune femme (Claudette Colbert) est sur le point d'épouser un millionnaire sûr de lui, joué par Gary Cooper, lorsqu'elle découvre que son futur mari a déjà été marié sept fois. Le film raconte alors le vertige de la reproduction : la fiancée accepte le mariage en vue d'un divorce probable, rejouant volontairement le destin des épouses qui l'ont précédée. Il est amusant de constater que le personnage de Claudette Colbert prend d'abord peur non pas devant le maire ou le prêtre, mais devant le photographe officiel. C'est littéralement la perspective du cliché qui l'effraie. 

Or c'est précisément sur la répétition machinale que joue le film. A commencer par la rencontre entre Claudette Colbert et Gary Cooper dans un grand magasin. Ce dernier souhaitant acheter un haut de pyjama (sans le pantalon), les employés s'en remettent chacun leur tour à leur supérieur, dans une sorte de pyramide de l'absurde. Gag typiquement lubitschien, donnant tout de suite au film une structure en abyme. Tout le film, toute l'histoire d'amour Colbert / Cooper, est une exploration comique de la part reproductible et prévisible du couple : ils doivent jouer tout ce qu'ils ne sont pas pour découvrir qui ils sont.


samedi 4 juin 2016

Rattrapages cannois, 4 : The Strangers, Victoria


The Strangers, de Na Hong-Jin
Le film commence comme du Bong Joon-Ho (une enquête sur une série de meurtre dans un village coréen) et se termine comme un film de zombie. Du cinéma de genre, sur lequel il s'appuie sans en avoir l'air, Na Hong-Jin tire deux idées obsédantes : la peur de la contamination et un doute radical quant à la nature des êtres. L'enquête policière initiale, dont l'objet est de savoir qui est le coupable, est peu à peu détournée au profit d'une enquête métaphysique sur l'origine des crimes : par quoi sont animé ceux qui les commettent, et y a-t-il un coupable ? Une invisible transition remplace les policiers par des prêtres et des chamans (qui du diable au fantôme se disputent implicitement le mystère du mal), et le polar se mue en film d'horreur. Les jeux de montage de la dernière partie, au lieu de résoudre le mystère, systématisent le doute en multipliant les fausses pistes. L'intérêt du film est vraiment là, dans cette idée (suggérée en exergue) que l'effroi peut venir simplement du caractère équivoque de l'apparence des autres : sain ou possédé, humain ou fantôme, esprit ou démon. 


Victoria, de Justine Triet
Une vraie comédie romantique, jouant avec les canons du genre et le double impératif d'efficacité comique et sentimentale. Mais si l'opération est réussie, c'est aussi que Triet dévie légèrement du schéma classique : son film parle autant d'amour que de dépression, avec une tonalité qui fait parfois penser aux films de Salvadori. La conséquence est très concrète dans la construction du film, qui, au lieu de ménager ses effets en alternant les hauts, les bas et les faux plats, nous montre au contraire un personnage chuter quasiment jusqu'à la fin (Victoria plaisante à un moment en disant que même au fond il n'y a pas de fond). Le monde de Victoria est une version cauchemardesque de la vie parisienne d'aujourd'hui, où il y a des enfants dont on ne sait pas trop quoi faire, des plans Tinder embarrassants, de la solitude et des animaux dont on se demande pourquoi ils sont là.

mercredi 1 juin 2016

Rattrapages cannois, 3 : Elle


Elle, de Paul Verhoeven 
Le mauvais esprit d'Elle, et son humour noir, font penser à la fin de Gone Girl : ce moment où on comprend qu'après leur combat à mort, le couple ennemi va reconstruire une conjugalité monstrueuse, jetant au passage le soupçon sur toute union légitime, pouvant tout aussi bien dissimuler une violence indicible, du sang, un péché originel. Cette dernière notion est familière au personnage principal de Elle, jouée par Isabelle Huppert, qui s'est fait connaître, enfant, pour avoir été indirectement associée à un crime de son père. La faute, transmise par le père, est un préalable au film et au personnage de Michelle, dont on suit quelques dizaines d'années plus tard sa relation avec un agresseur qui s'est introduit chez elle pour la violer. L'idée de péché originel ne dépareille pas dans un film multipliant les signaux religieux, notamment dans le portrait de voisins (Laurent Lafitte et Virgine Efira) en ravis de la crèche. Les moqueries de Verhoeven à l'égard du catholicisme ne sont pas innocentes, puisqu'elles placent le film dans une dialectique de la violence et de la norme : à la violence qui blesse ou transgresse répond celle qui sauve et qui par là devient acceptable, normale. Verhoeven singe ici le paradoxe de la croix, avec la même facilité qu'il caricature la bourgeoisie chrétienne sous les traits des voisins dont on ne sait trop, jusqu'à la dernière réplique de Virginie Efira, s'ils sont des hypocrites ou des réalistes. La légendaire ambiguïté du cinéma de Verhoeven (quant à la vulgarité, dans Showgirls, quant à la propagande dans Starship Troopers, et donc cette fois-ci quant à la violence) tourne quand même un peu à la formule magique.

dimanche 22 mai 2016

Rattrapages cannois, 2 : Apprentice, La Fille inconnue


Apprentice, de Boo Junfeng
Ce portrait d'un apprenti bourreau dans une prison de Singapour ne convainc qu'à moitié. La partie descriptive, disons documentaire, est plutôt réussie. La dénonciation de la peine de mort ne se lit qu'indirectement, au travers des problèmes d'intendance du métier de bourreau : avoir une balance en état de marche, de la corde du bon diamètre, savoir faire des noeuds pour tuer sans douleur ou utiliser les bons mots pour préparer les condamnés. Mais la véritable histoire d'Apprentice, celle du jeune Aiman fasciné par le métier de bourreau alors que son père a lui-même été exécuté, ne va malheureusement nulle part une fois les enjeux révélés. Une impasse qu'illustre bien le dernier plan, condamnant le personnage principal à sa propre incertitude.


La Fille inconnue, de Jean-Pierre et Luc Dardenne
L'avantage chez les frères Dardenne, c'est que les questionnements moraux ne se drapent pas de mystères. Il n'y a que des évidences, et la détermination du personnage joué par Adèle Haenel. Jenny est une jeune généraliste qui apprend un jour qu'une jeune fille ayant sonné la veille à son interphone a été retrouvée morte. Ce soir-là elle aurait pu ouvrir, elle n'a pas ouvert. Jenny fait part de son sentiment de culpabilité à qui veut l'entendre, et entreprend de mener une petite enquête en montrant un peu partout la photo de la victime. La réussite de La Fille inconnue tient en grande partie au jeu d'Adèle Haenel, à son visage buté qu'il s'éclaire à quelques rares moment : le film ne parle que de ces problèmes d'expression, d'images sur lesquelles il s'agit de mettre des mot. Une fille inconnue dont il faut trouver le nom. Jenny fait du secret médical un prétexte pour jouer le rôle de prêtre et de policier, soit les deux fonctions où on écoute des confessions. Toute la dimension sociale du film tient à ces passages du non-dit au dit : une idée toute simple, pas spécialement neuve, mais qui fait un film aimable.

vendredi 20 mai 2016

Rattrapages cannois, 1 : Julieta, Ma Loute


Julieta, de Pedro Almodóvar
Un très beau mélodrame de mères et de filles. Julieta écrit dans un cahier pour raconter à sa fille son histoire d'amour avec son père Xoan. Ce récit occupe la majorité du film, lui donnant à la fois son souffle et sa morale : former une famille, être responsable du bonheur des siens, passe par un devoir de mémoire et de vérité. La mémoire est ce qui tantôt sépare, tantôt unit les trois générations de femme mises en scène. Quand Julieta visite sa mère souffrante, leur retrouvailles tient à ce fil ténu qui se ravive dans une émouvante scène nocturne. Le devoir de vérité donne au film une tonalité d'enquête, faite de révélations suspendues avant d'être accomplies. Almodovar joue sur les étoffes recouvrant des corps : une chemise rouge dès le premier plan, un linge blanc cachant le corps d'un naufragé, et la serviette recouvrant puis dévoilant le visage d'une nouvelle Julieta au coeur du film. 


Ma Loute, de Bruno Dumont 
Après P'tit Quinquin, c'est encore une comédie que propose Bruno Dumont - une comédie d'un genre indéfinissable, qui ne relève ni de la satire, ni du burlesque pur et dur. Il est symptomatique qu'à la fin du film les personnages lévitent ou s'envolent : l'image est fidèle à un film qui voudrait ne s'accrocher à rien. Et ne rien donner à quoi s'accrocher. C'est dans un flottement perpétuel que les personnages passent d'une grimace à une autre, d'un sexe à un autre, d'un lien familial à un autre  Et si néanmoins tout se tient, en autarcie, c'est grâce à la mise en scène de Dumont qui porte jusqu'à l'abstraction les traits les plus burlesques ou dramatiques de son petit monde. Un exemple frappant est le jeu de Lucchini, sa démarche qu'on ne peut rapporter à rien de connu, ses exclamations dérivées du "c'est énorme" ou du "c'est sublime" qu'on lui connait, mais réduites à des demi-mots ou symbolisées par d'allusives simagrées. Voir Ma Loute, c'est un peu comme lire Bouvard et Pécuchet : on est ébloui par le geste, sa précision, sa drôlerie, sa radicalité - on savoure tout en sachant qu'on ne reviendra probablement pas une seconde fois.

mardi 22 mars 2016

Midnight special, de Jeff Nichols

Il y a déjà deux tendance dans la jeune filmographie de Jeff Nichols. La première, dans laquelle on peut ranger Shotgun Stories et Mud est celle de l'americana - le tableau hors du temps d'une Amérique du sud presque mythique. La seconde a donné des films plus épurés, moins foisonnants - Take Shelter et Midnight Special -, déroulant méthodiquement une idée fixe (l'imminence d'une tempête dans l'un, les pouvoirs mystérieux d'un enfant dans l'autre). Dans l'americana version Nichols les familles éclatées ou absente laissent libre cours au vagabondage, alors que dans ses deux autres films, la famille est le noyau autour duquel tout s'agrège et se concentre. 

Cette dimension nucléaire est le sujet de Midnight special : l'énergie dégagée par l'enfant est à la fois la raison pour laquelle les parents cherchent à le protéger, et une matérialisation rayonnante de ce qui les unit. A l'écran, l'enfant associé à la lumière est un pur objet de cinéma, auquel on nous demande de croire. Après un Take Shelter hanté par le doute et la paranoïa, Jeff Nichols créé soigneusement les conditions d'une foi partagée. En ceci il se rapproche moins des maîtres qu'il cite (le Spielberg d'ET et Rencontre du Troisième type, le Carpenter de Starman) que d'une désir très actuel de ressusciter un cinéma de la croyance et de la sidération. De fait, la solennité du geste, la gravité des acteurs et la recherche d'un certain réalisme minimaliste font plus penser aux Batman de Christopher Nolan qu'à la tonalité fantaisiste d'ET et Starman.


samedi 16 janvier 2016

Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino


Le talent de Tarantino consiste à tout transformer en comédie. Mais s'il prend le chemin de la parodie, c'est en sens inverse : il ne fait pas bégayer un genre pour le tourner en dérision, il utilise au contraire des ressorts comiques pour raviver les conventions auxquelles il fait référence. Quelque soit la place de l'action dans ses films, c'est par la parole que tout commence. L'étirement ou le dénouement des scènes, le dévoilement de l'intrigue, la construction des points de vues : toute la mise en scène est suspendue à l'éloquence facétieuse de ses personnages. Pour cette raison, j'ai tendance à juger les films de Tarantino à leur pure efficacité comique. Inglorious Basterds ou Django Unchained, par exemple, ont des qualités multiples, mais qui me semblent toutes procéder de la capacité qu'a Tarantino à mettre le sourire aux lèvres de ses spectateurs.

Tout ceci pour arriver à ma déception devant Les Huit Salopards, que je ne saurais pas expliquer autrement que par sa maladresse comique. Les dialogues sont bien là, mais distendus à force d'être étirés. Il y a bien des masques et des retournements, mais qui pointent vite vers un discours réchauffé et univoque sur la violence fondatrice de l'Amérique. Il y a enfin des gags, bien sûr, mais qui empruntent au comique de répétition le plus laborieux.