Un Monde sans femme était l’histoire d’un tendre, nommé Sylvain, et de sa rencontre avec deux femmes en vacances dans son village au bord de la mer. Le jeune homme redécouvrait son propre monde avec les yeux écarquillés de l’explorateur qui enregistre tout ce qui l’environne en prévoyant, le soir, d’épingler chacune de ses trouvailles de la journée : un instant à la plage, un geste maladroit, un essayage de polo rouge. Dans Tonnerre, Vincent Macaigne, qui donnait à Sylvain son visage rond et bienveillant, reste un trentenaire solitaire, plus exactement un rocker qui revient vivre quelques temps chez son père, dans la petite ville de Tonnerre, en Bourgogne. Encore un séjour provisoire qui crée une perméabilité inattendue entre deux mondes : Maxime tombe sous le charme de Mélodie, une jeune journaliste du coin.
Il est toujours question d’exploration. Les découvertes minuscules s’enchaînent, les rencontres se multiplient dans des instants flottants dont ne reste qu’une expression frappante ou une réflexion saugrenue. Un caviste grivois prend Maxime et Mélodie pour un couple. Un autre Tonnerrois, dans une autre cave, montre à Maxime son revolver en se confiant la larme à l’oeil. Le tenancier d’un bistrot cherche à vendre ses sapins couverts de neige artificielle aux couleurs improbables. Chacune de ces séquences s’ajoute à une sorte de catalogue des singularités humaines, posé là par hasard et feuilleté sans commentaire ni arrière-pensée.
Maxime n’est pas un nouveau Sylvain. Guillaume Brac s’emploie avec succès à détourner l’énergie douce que dégageait Vincent Macaigne dans Un Monde sans femme : la passion amoureuse suivie du silence transforment sa timidité en quelque chose d’inquiétant. Son regard s’est retourné contre lui, sa présence est devenue suspecte, et dès lors plus rien de ce qui se passe devant lui ne peut être gratuit. Il est tenu à distance derrière une vitre quand il contemple Mélodie qui danse ou parle avec un autre. La transparence et l’obstacle de cet écran teintent ce qu’il voit d’un désir obsessionnel. Maxime va aussi épier Ivan, le copain de Mélodie, à ses entrainements de foot. Il tape son nom sur Internet, regarde ses photos. Un nouveau catalogue prend forme, celui d’un collectionneur un peu morbide qui cogite et calcule, l’esprit saturé par ce qu’il a sous les yeux.
Jouant sur cette ambivalence du regard, Brac parvient à laisser progressivement de côté l’idéal de simplicité de son film précédent, pour oser le développement narratif. Le rôle que joue le revolver dans l’histoire est significatif : d’abord amené sans raison, de la même manière que les sapins colorés, il finit par se retrouver dans la main de Maxime, pointé contre Ivan. L’arme est à la fois un pivot, condition du basculement vers le film noir, et un substitut symbolique du regard. Au moment où Maxime espionne le couple haï à travers la fenêtre d’un restaurant, il se met à les viser, et joue avec l’idée du passage à l’acte. Le revolver n’est, somme toute, que le prolongement naturel de son fantasme. Film instable, imparfait, Tonnerre se retourne encore plusieurs fois jusqu’à un dénouement un peu artificiel, aux allures de calme après la tempête. Ne pas s’y fier : la violence est toujours là, au cœur du regard et au cœur du désir.
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