dimanche 1 juillet 2012

Adieu Armand


Paru chez Causeur

Le titre du nouveau film de Bruno Podalydès est mensonger : ce n’est pas à Berthe qu’on dit adieu, mais à Armand, son petit-fils, le personnage joué par Denis Podalydès. Plus que l’histoire d’un enterrement, c’est l’histoire d’une désertion, d’une soustraction. Celle d’un pharmacien père de famille, qui n’en finit plus de quitter sa chère petite femme pour sa maîtresse (son « petit lapin ») jouée par Valérie Lemercier. Le jour où il apprend la mort de Berthe, la grand-mère que tout le monde a oublié en maison de retraite, il faut organiser les obsèques, prendre les choses en main. C’est la nuit, il erre dans la maison, échange une dizaine de sms avec son amante, retrouve son fils dans sa chambre et l’invite à méditer avec lui sur le sujet de sa dernière dissertation de philosophie : « qu’est-ce que vouloir ? »

Tout le film semble une manière de ne pas répondre à cette question. Une manière de transformer en histoire l’absence de volonté, donc l’absence de décision, donc l’absence d’action. Car face aux événements, Armand n’a qu’une seule réaction : il fait le vide. En un sens, le film a la tête à l’envers : le dénouement (la mort de mémé) survient au début et la scène d’exposition (la découverte de sa chambre) plutôt à la fin. Du point de vue du rythme, Adieu Berthe a aussi cette surprenante construction inversée : plus on avance dans le film plus la roue tourne au ralenti, moins notre personnage est intimidé par les démons de la volonté. Armand s’absente, et Podalydès vide superbement son film de toute énergie : à la fin l’ataraxie est proche.

Au départ, la passivité d’Armand permet de jouer sur deux versants de la comédie : le burlesque d’une part, les dialogues d’autre part. Dans cette seconde veine comique, il faut dire que Valérie Lemercier est bonne cliente. Survoltée, elle déverse sur notre Armand des monologues particulièrement savoureux – l’un d’entre eux se termine par un « Sors ta bite et fais pas chier ! » qui devrait rester. Plus généralement, les phrases non terminées du personnage de Denis Podalydès ont l’art de susciter des dialogues absurdes. Parce qu’il manie comme personne les propos qui n’engagent pas, il est le champion de l’équivoque et du texto ambigü envoyé à la mauvaise personne. 

Mais, la tête enfermée dans un caisson transpercé d’épées, ou se déplaçant simplement sur sa trottinette à moteur, notre personnage principal se prête surtout aux situations burlesques. Il y a dans Adieu Berthe un art de l’espace et un tracé de silhouette qui évoqueraient presque Tati. Les locaux grandiloquents de « Définitif » – l’entreprise de pompes funèbres qui dispute à « Obsecool » l’enterrement de mémé – ont quelque chose des décors de Playtime : on ose à peine entrer, les pièces ont des dimensions inhumaines, les objets produisent des couleurs et des sons incongrus. Armand s’efface devant l’hybris bling-bling des célébrations funéraires, à tel point qu’on le voit disparaître derrière l’un des écrans reproduisant en taille réelle les modèles de cercueils les plus chics. A ce moment-là il n’est plus qu’une ombre, et le clin d’œil burlesque veut même que cette ombre soit calquée sur la forme d’un cercueil.

Pourtant, à mesure que le film avance et ralentit, Armand semble n’avoir même plus la volonté de ne plus vouloir. Si Adieu Berthe n’est pas, en dernière instance, un film comique mais un film magique, c’est parce que son personnage est aussi las de subir que d’agir. Les Podalydès nous font sortir du burlesque par le haut : par les rêves, par la folie et par les tours de magie. Les dialogues parfois cinglants du début se noient dans le discours marécageux d’Armand pendant l’enterrement. Les espaces intimidants sont réduits à la profondeur de la malle de Berthe. Le personnage lui-même se dilue dans une série de mises en scènes oniriques, avant de disparaître totalement. C’est le principe des retrouvailles avec cette grand-mère qu’il a à peine connue, mais qui est par excellence celle qui a précédé son existence. Une absence fondamentale qu’il pourrait retrouver en se retirant en-deçà de lui-même. « Pfuit, crac, pshitt » : il suffit pour cela d’un bon tour de magie.

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