mercredi 21 janvier 2009

Slumdog millionaire


Parce que le cadre du film est celui d'un jeu télé, Qui veut gagner des millions, tout, dans Slumdog millionaire, est prévu d'avance, écrit - comme on nous le dit pendant tout le film. Pourtant ce n'est pas monotone. Un peu comme la course initiale des deux gamins dans les bidonvilles. C'est coloré, hétéroclite, plein d'énergie, de musique, d'effets de caméra. Et tous les chemins de traverse, on le sait bien, vont vers un point précis. Un bon film anglais à la sauce indienne.

Niul à Che




"Un petit coup de maquillage, commandante?" Cette innocente question posée au barbu, avant qu'il ne prononce un discours barbant, c'est un peu tout le film de Soderbergh.

Il faut dire que le sujet n'est pas commode. A-t-il seulement jamais existé cet Ernesto "Che" Guevara, autre part que sur les t-shirts, autocollants, magnets, tasses, porte-clés et autres pins? Oui, me direz-vous, les images d'archive le prouvent. Voilà la destinée paradoxale de ce personnage représenté, manufacturé encore et encore, partout dans le monde, alors précisément qu'il est censé être (ou du moins représenter, justement) la spontaneïté, la pureté, l'authenticité même de la Révolution. Le rythme de reproduction est d'autant hystérique que chacun croit à la virginité originelle - unique, première - de ces images, de cette gueule d'ange, de ce noyau rayonnant l'énergie révolutionnaire.

Idôlatre de l'image d'archive, faussaire, revendeur de reliques, Soderbergh prend avec ce film un visage franchement détestable. Il fait le choix (c'est au fond le seul mérite de Soderbergh: un choix esthétique par film) de faire comme si Guevara n'était pas devenu un simple modèle d'usine, un simple archétype du produit "révolutionnaire" - ne serait-ce que pour contester, justement, cette réduction.

En ignorant le mythe, la mythologie, en se refusant à pointer toute dissociation entre ce qui s'est passé à l'époque et ce que nous disent les photos, les T-shirts et les Castro, Soderbergh choisit simplement d'ignorer la vérité de l'histoire. Pire: il prétend à l'imagerie documentaire, façon réel-caméra, participant ni plus ni moins à ce fantasme du révolutionnaire pur, vierge et saint. C'est un vrai mensonge qu'il nous fait, un faux authentique, une belle oeuvre de propagande, à la fois communiste et capitaliste.

Et encore, s'il avait réussi à nous faire vibrer avec la révolution... Mais non, même pas. C'est pourtant facile normalement, quand on est du côté des gentils, des gauchistes, d'émouvoir la compagnie! Non, là l'ambiance est plutôt à la révolution conscienscieuse, morale, scolaire, assez chiante en fait.

vendredi 5 décembre 2008

Angelina Jolie, Clint Eastwood: L'Echange.



Au festival de Cannes, Clint Eastwood avait préféré aller s'envoyer un bon resto plutôt que de se laisser officiellement euthanasier par un "prix d'honneur pour l'ensemble de sa carrière". Le jury avait choisi cet hommage en forme de momification plutôt que de reconnaître à sa juste valeur le joyau de classicisme qu'est L'Echange. C'est dans l'ordre des choses. Comment les garants de la culture véritablement culturelle, c'est-à-dire progressiste, en fuite vers tous les horizons, vers toutes les diversités possibles, auraient-ils pu comprendre cet hymne à la filiation, à la tradition, à la verticalité? Vingt ans après la projection de Pale Rider à Cannes, où l'on avait fait comprendre à Eastwood qu'un fascitoïde de son espèce n'avait pas sa place dans un festival sérieux, on essaie aujourd'hui d'enterrer le conservatisme formel d'un cinéaste qui n'a pourtant jamais été aussi vivant.

Clint Eastwood emprunte ici encore la voie du mélodrame. Film linéaire, centré sur le visage de son héroïne, Christine (Angelina Jolie), L'Echange suit l'itinéraire douloureux d'une mère à la recherche de son fils. Tout se passe comme si l'absurdité d'une situation - un enfant remplacé par un autre - se trouvait réfutée par les mises en scène de la normalité. La facture classique, dont on a tant parlé, confère dans un premier temps une sorte de froideur au récit. Policiers, médecins, tous s'accordent pour rejeter les états d’âmes de Christine hors du cadre préétabli de leur simulacre d'enquête. La mise en scène aide donc d'abord l'étau de la société à se refermer sur la personne, sur le personnage. Le symbole ultime de cet enfermement est bien entendu l'institution psychiatrique.

Mises en scènes, apparences, c'est la deuxième fois, après Mémoire de Nos Pères, que Clint Eastwood nous donne à voir les méfaits de l'imagerie journalistique. Mais dans L’Echange, plus de répétition à l’éternel, plus de tournis, plus d’ivresse écœurante, non, le récit est déroulé dans l’ordre temporel, à quelques accessoires exceptions près. Cela rend d’autant plus impitoyable la suite des événements.

Ce qu’il y a pourtant de commun, c’est la façon dont sont piégés les personnages. Les apparences produites par la police, avec la complicité des journalistes, sont les pièces d’un mécanisme social qui lie, enchaîne à des obligations purement virtuelles, vides de sens et d’objet réels. Ainsi le capitaine de police rappelant Christine à ses obligations de mère à l’endroit d’un garçon qui n’est pas le sien. Ainsi le psychiatre brandissant une photo et un article comme évidence du mensonge ou de la folie de sa patiente. La leçon de morale ressemble au discours d’un logicien qui aurait une fois pour toute écarté le réel d’un revers de la main. Le discours et l’imagerie journalistiques ne font que créer ex-nihilo les conditions d’une raison et d’une morale décharnées.

La responsabilité est toujours au centre de l’interrogation d’Eastwood. Et l’entêtement de son héroïne donne un contre-exemple charnel au jeu de reflets qui lui est opposé. Le profil de Christine se détachant des ténèbres abrite le peu d’humanité qui sauve le film du désespoir sans retour. Clint Eastwood a fait un pari sans réserve sur son personnage – et sur son actrice. C’est elle en effet qui donne la profondeur de son émotion à l’enchaînement implacable des séquences. Depuis Million Dollar Baby, le cinéaste témoigne d’une singulière sensibilité aux personnages féminins. Peut-être celles-ci auront-elles pris, avec leur volonté sans relâche, le relai des héros rebelles et des forces sauvages.

Au moment où l'enquête véritable prend forme, le thriller vient rejoindre le mélodrame. Comme dans Mystic River, on découvrira que l’innocence n’a rien d’un attribut de l’enfance. La vérité a été recouverte, enterrée par l'émulation journalistique, il est temps désormais de creuser. Bien sûr la vérité n'est pas belle à voir. C’est pourtant au cœur de l’obscurité ce qui fonde l’espoir.




lundi 27 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants (Chapitre 3 - Steve Carell.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.

Voici enfin le nouveau venu. Droit comme un piquet, le visage tendu - que vient fendre de temps à autre un sourire crispé, agiter dans le feu de l'action un rire forcé -, Steve Carell est connu des Américains sous les traits de Michael Scott, le patron peu charismatique de la série The Office (US). Il jouait dans Bruce Tout-puissant un journaliste victime de la farce sadique de son collègue, Bruce, alias Jim Carrey. Etre manipulé comme une marionnette dégingandé ne l'a pas empêché d'être le héros de la suite, Evan Tout-puissant. Une marionnette: comment mieux parler de ce être mécanique trop tôt livré à lui même, de cette machine grippée, dont l'inventeur aurait depuis longtemps déposé le bilan (à défaut du brevet)?

Il y a pourtant un fantôme dans la machine à faire rire: un souffle mélancolique traverse la raideur métallique. Chez Steve Carell le comique et le pathétique sont les deux versants d'un même état. D'abord parce que nul n'est plus pathétique et plus drôle que Michael Scott dans The Office: patron auquel personne n'obeit, ami que personne ne veut... C'est d'ailleurs le principe de cette série que de donner à voir et à entendre, par le biais d'une caméra faussement intrusive, tous les soupirs émanant des rouages du lieu de travail.

Steve Carell sait faire moduler le pathétique jusqu'à la dépression. On l'a vu dans Little Miss Sunshine, ou récemment dans Coup de Foudre à Rhodes Island laisser quasiment de côté le comique pour se vouer au personnage triste. C'est que le ton pathétique peut sans transition mener du rire à la déprime. Et le comique même gardera une teinte foncièrement mélancolique, celle de la machine inachevée.
Une occasion rêvée pour nous faire le coup de l'espion gaffeur. Dans Max La Menace Steve Carell a cette allure insatisfaite du personnage limité dans ses fonctions. Par exemple Max ne fait pas deux choses à la fois: il ne peut pas se soulager et espionner en même temps une conversation en Russe - le courant n'est qu'alternatif... En somme tout le talent du personnage est de laisser affleurer, dans ce genre de singeries, le fond de mélancolie qui fait du comique un révolté contre sa propre condition.

dimanche 26 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants. (Chapitre 2 - Ben Stiller.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.



Le second est un peu moins abruti. Donc un peu moins sympathique. Petit, trapu, nerveux, Ben Stiller a le chic pour se laisser dépasser par les événements. Que ce soient les créatures de son musée (La Nuit au musée) ou un encombrant beau-père (Mon Beau-père et moi), sa posture comique est la plupart du temps conditionnée par la force des choses. Pire que cela, il est l'acteur involontaire, de scènes dont il maudit le scénario.


On peut avoir une idée de ce que veut dire chez Ben Stiller "acteur involontaire" en le voyant faire, contraint à la mitraillette, le bouffon sur la scène d'un petit village vietnamien, dans Tonerre sous les tropiques. Ce passage reflète en un sens l'ensemble du film, et même l'ensemble des films de cet acteur, réalisateur pour l'occasion. Ben Stiller passe son temps dans des rôles non assumés, à incarner comme contre son gré des personnages mals dans leurs frippes. Mannequin ringard dans Zoolander ou ici acteur sur le déclin, grimaçant et gesticulant pour essayer de rester à la hauteur de ce qu'il a été ou aurait voulu être, l'énergie comique de notre pitre est celle du désespoir.


Tout est dans l'expression forcée chez Ben Stiller. Forcée par les choses - ou par lui-même, pour faire face, c'est le cas de le dire, aux événements. On le voit mimer à grand peine les émotions dans Tropic Thunder, ou révolutionner la moue du mannequin dans Zoolander, comme si tout le salut de l'acteur était concentré dans la complexion du visage. On s'aperçoit, à travers ces deux films réalisés par l'acteur, que le défi revient à faire sien le rôle imposé, le personnage involontaire. On rit pourtant de la grimace mal placée, des improvisations mal senties, des mimiques vides de sens: ce qui est drôle, cruellement, c'est l'échec d'un personnage toujours dépassé, toujours à côté de la plaque.

samedi 18 octobre 2008

Comédie US: le royaume des perdants. (Chapitre 1 - Adam Sandler.)

Ils sont tous losers à leur façon. Trois grandes envolées fantasques retombant comme des soufflés. Trois acteurs américains que l'on voit gesticuler sur les écrans, certains depuis longtemps - l'éternel et inexportable Adam Sandler, l'infatigable Ben Stiller - d'autres, un autre en fait, depuis quelques années seulement, sous les traits du génial patron de la série The Office - Steve Carell bien sûr.

Adam Sandler, c'est le pantouflard adolescent de bientôt quarante ans que la force des chose a érigé en héros d'une histoire. Il a beau n'ouvrir les yeux qu'à moitié et avoir la voix d'un étudiant tiré du lit, l'Amérique en a fait son représentant - au même titre que les Mr Smith ou Mr Deed de Capra. Quand le Mr Smith version James Stewart va défendre une loi au sénat (dans Mr Smith au Sénat, 1939), le Mr Smith version Adam Sandler ira résoudre le conflit du proche orient en se faisant coiffeur-gigolo à New-York (Rien que pour vos cheveux, 2008). D'un peu béta, ce Mr Smith est devenu complètement idiot. Et pourtant, la fonction est la même: Adam Sandler reste le vecteur de fables moralistes, idéalistes au fond, avec l'humour gras pour faire passer.

Une chose a changée cependant. Le spectateur actuel n'est plus un naïf qui ira s'émerveiller ou s'insurger devant les intrigues de la ville, puisqu'il est déjà saturé de fictions et d'images, il a lui aussi ce look de pas réveillé, les yeux rivés à ses écrans. Et sa projection - artificielle et purement virtuelle - dans les personnages d'Adam Sandler sera d'autant plus fantasmée, d'autant plus impossible (il faut le voir nager, faire le dj ou le coiffeur dans Rien que pour vos cheveux...).

C'est là d'ailleurs que s'arrête la comparaison avec les films de Capra: nous parlons d'un acteur, pas d'un cinéaste. Ce n'est plus l'action et sa portée qui nous intéressent, mais le personnage en lui-même, avec sa force d'inertie et l'univers qu'il crée autour de lui. Et ici l'acteur imprime sa marque comme l'aurait fait un réalisateur. La fable passe au prétexte à l'éternelle pérégrination du même personnage: Adam Sandler, c'est-à-dire tout-un-chacun. Peut-être est-il là l'échec. Un personnage éternellement personnage rate son incarnation réelle, reste éternellement dans la paralysie du virtuel. Ça tombe bien, c'est en loser qu'on l'aime Adam Sandler.

lundi 18 août 2008

The Dark Knight, de Christopher Nolan

Finis, les balbutiants débuts du Batman de Christopher Nolan. Les hésitations et faux pas du héros en devenir, celui de Batman Begins, auront fini dans l'ombre d'une envergure bien plus ample. The Dark Knight est un film long, ses développements sont déployés lentement, les uns après les autres, comme pour prendre l'élan nécessaire à un envol. Aussi le héros de Christopher Nolan n'est-il plus au ras du sol, il s'élève et survole désormais ces chemins tortueux, aux ramifications sans fin, dans lesquels se perdent les héros ambigus.

C'est, curieusement, ce qui fait que ce film ne ressemble pas à ce qu'a déjà fait le cinéaste. Où sont passées les zones de brouillard, d'indécision et d'incertitude? Que sont devenus les détails obsédants et les microcosmes qui rendent aveugle? On les avait encore dans Batman Begins: Bruce Wayne s'y agrippait pour donner du sens à sa quête de justice. Voilà pourtant, avec The Dark Knight, qu'on s'en éloigne, qu'on s'installe dans une fluidité aérienne offrant au héros le surplomb nécessaire à sa tâche.

C'est peut-être que Nolan, plutôt que de jouer comme à son habitude des petites ruptures et de la structure fragmentaire, s'appuie ici sur l'impression de continuité. Continuité à l'égard du Batman de DC Comics - avec son foisonnement de personnages - et continuité dans la tradition du cinéma. Il y a en effet ces références aux films des années soixante-dix: un Harvey Dent aux allures de Robert Redford politique façon Sydney Pollack et des réminiscences de l'Inspecteur Harry, dans ce combat contre un psychopathe terrorisant la ville - et le joker prend la fuite dans ce bus jaune qui rappelle celui de Scorpio... -- Chose amusante, la presse la plus dramatiquement française a gardé ses bons réflexes idéologiques, puisque dans sa critique le Libé a tranquillement taxé le Batman de "fascistoïde", dans son obsession de "nettoyer" la ville. Ah! --


Le thriller des seventies apporte avec lui son obsession: le complot. Seulement la conspiration, et le mensonge final, ne se jouent pas cette fois-ci du côté d'obscurs puissants tirant les ficelles, mais bien du côté de notre héros, Batman, et de ses complices, Gordon et Harvey Dent. Et c'est justement parce qu'on est du côté de la conspiration qu'on a cette vue d'ensemble, cette omniscience douteuse - Batman espionnant l'intimité de la ville au moyen de milliers de points de vue simultanés.

C'est dans la bouche du Joker que l'on entend cette vérité qui blesse: lui seul ne complote pas. Il est plutôt cette force délirante et méticuleusement chaotique. Son origine est incertaine - il attribue multiples causes fantaisistes à ses cicatrices - et son mobile est encore plus flou. Lui seul improvise et ce sont ses menaces, sous forme de petits films, qui rythment une action au bord de l'errance. Cette sacralisation diabolique du hasard transforme Harvey Dent en Pile-et-Face et oblige en réaction Gordon et Batman à asséner les notions édifiantes de Bien, de Justice, d'Héroïsme, pour sauver la ville des séquences de terreur du Joker - au prix même d'un mensonge d'état dont Batman se fait le bouc-émissaire.

Nolan prend ainsi à rebours son propre cinéma. De Batman au Joker, c'est évidemment un transfert de gravité qui s'est opéré: pour la première fois c'est la matière aveugle, la matière non inspirée qui scelle la défaite d'une moralité éthérée - une moralité aérienne tant elle peine à garder prise sur un monde en désordre.

lundi 28 juillet 2008

Encore l'Ile

Profitons du silence de mort qui règne sur le cinéma - j'avoue attendre impatiemment le Batman nouveau (oui, j'aime être en communion avec le peuple) -, pour parler encore de L'Ile, ce très beau film de Pavel Lounguine qui vient de sortir en dvd.

Pour vous mettre l'eau à la bouche, un lien vers la note postée à l'époque sur ce blog.

Pour voir enfin ce film, moyennant quelques sous, un lien vers sa page amazon.

samedi 24 mai 2008

Volver - "Nos histoires ne regardent personne..."

On en a beaucoup dit sur Almodovar et les femmes, Almodovar et la figure de la Mère. Ce qui marque dans son nouveau film, Volver, c’est la conception du cinéma qui y semble attachée, la place de ces figures dans l’économie structurelle du film. Deux dynamismes, deux mouvements se répondent pour accomplir l’oeuvre. D’abord la mort du Père. Ou plus exactement son meutre. Ensuite, le retour de la Mère, jusqu’alors niée par la monstruosité de l’inceste (élan à voir avec les yeux d’ un cinéphile et non d’un analyste.) Ce qui apparaît dans cette histoire, c’est dans un premier temps la mort, puis la conservation et l’ensevelissement comme condition nécessaire de réalisation du film - dont l’accomplissemnt est l’apparition de la mère de Raimunda. En cela, Almodovar rappelle l’aspect mortifère de tout enregistrement du réel (qui est son embaumement, sa sépulture.) Ce requiem est aussi celui de l’homme, ou du Père, pour célébrer le culte de la femme, ou de la Mère.

Il est vrai que les hommes n’ont pas bonne presse dans Volver. Avec eux, Almodovar semble vouloir rejeter quelque chose du cinéma, quelque chose de monstrueux. Comme s’il fallait soutenir la vue de l’insuportable, l’homme, pour finalement accéder à la rédemption, la femme. D’où une forme de paradoxe dans ce cinéma : une obsession pour le monstrueux qui accompagne une atmosphère de recueillement et une recherche de bonheur innocent. D’une part il y a le désir de désir, le désir perverti et régressif de l’inceste, qui est aussi le désir imposé par le cliché télévisuelle de la révélation publique (tourné en ridicule avec une pointe d’amertume dans la scène de l’émission), d’autre part il y a le retour à la mère, le retour à l’origine, le retour à l’auteur naturel et à la confession intime authentique- c’est le sens du titre Volver, « revenir » en Espagnol.

« Nos histoires ne regardent personne » confie la mère à Agustina, qui a renoncé à parler à la télévision. Domine en effet cette impression d’un cinéma intime, filmé à hauteur d’homme (de femme, pardon) tout en étant habité par une sorte de mysticisme païen. Une ramification baroque - il est tentant de dire décadente - de la politique des auteurs. Le film est bien obligé de se heurter à cette impossibilité essentielle : que faire du film si ces histoires ne regardent personne ? S’il exclut symboliquement le voyeurisme malsain de la télévision pour se replier sur la sphère de la maternité, Volver ne traite pas moins du monstrueux et de l’obsession personnelle d’un cinéaste : le nouvel épanchement d’Almodovar - auteur désormais mondialement célèbre - est bien forcé de couler dans la sphère d’un désir malsain, d’histoires qui, si elles « ne regardent personne », n’en sont pas moins regardées par tout le monde. C’est à la fois la beauté et la finitude de ce film, au sens où c’est aussi celle du cinéma.

mercredi 26 mars 2008

There has been blood


C'est toujours un peu ennuyeux l'unanimité critique. Que le film soit bon ou mauvais. Plein de bonnes critiques sur un mauvais film, cela permet au moins de relativiser l'autorité des journalistes (ce qui, ma foi, ne peut nous faire que du bien.) Quand un bon film fait l'unanimité, c'est une autre paire de manches. Que faire de ces bons films tant encensés qu'on oublie de les regarder?

Eastwood a été traité de tous les noms avant de faire l'objet de toutes les dithyrambes. Et ses films d'avant n'étaient pas spécialement moins bons. D'où viennent les louanges? Qui dirige les cantiques? Il est probable qu'une bonne critique dans le New-Yorker ou le New-York Times garantit au moins une louange bien ficelée, avec ses formules choc, dans Le Monde et au Libé. Peut-être une louangette dans Télérama, où l'on prendra soin, s'il y a le moindre risque, de peser le pour (avec l'impayable bonhomme souriant) et le contre (le même petit bonhomme, faisant la gueule.) Où est passée l'époque où l'on se battait pour les films? Où l'on pratiquait, comme Truffaut, "la critique à l'état furieux"?

Peut-on reprocher à There will be blood l'uniformité de ton de sa réception critique? Probablement pas. D'autant que le film est plutôt réussi. Disons que ce n'est ni le chef d'oeuvre attendu ni l'imposture redoutée. Daniel Day-Lewis compose brillamment, il est vrai, un Citizen Kane sans son rosebud, s'enfermant jusqu'au bout dans une implacable solitude.

Mais bizarrement toutes ces bonnes critiques sèment le doute - et ce doute me coupe l'envie, injustement peut-être, de défendre le film. J'ai malgré moi à l'esprit le soupçon d'un P. T. Anderson complaisant. Adoptant comme on attend de lui un schéma à la Barry Lindon et cultivant sagement les métaphores offertes par le titre (pétrole = sang de la terre; religieux = sang du christ; le tout = sang des hommes.) Cela donne, bien sûr, une esthétique soignée et un film sombre. Sombre comme le sont en ce moment tous les films qui affichent de grandes ambitions et que les journalistes aiment qualifier de "crépusculaires".

A cette tendance, nous pouvons opposer des films imparfaits: le récent Be kind rewind par exemple, comédie de la décompression et du mode mineur. Certes moins ambitieux, ce film a pourtant le mérite de nous faire revenir, à travers sa toute petite forme, à ce qui fait l'excitation initiale du cinéma.

samedi 8 mars 2008

Bienvenue chez les Français


ça y est, je m'apprête à le faire: pour la première fois, il va être question ici d'un film français. Vous vous imaginez bien, surtout si vous aimez le cinéma, que la décision n'a pas été facile. Mais après concertation avec moi-même, j'ai décidé (à la quasi-unanimité) que le film était légèrement au-dessus de ce qui ce qui se commet tous les jours sous les yeux hébétés de nos concitoyens.

Bon, la décision prise, que dire de ce film sympathique? D'abord qu'il ne prétend pas à grand chose, sinon à une forme de fierté et d'entente nationale. Premier mérite, donc, tout simplement parce que la prétention n'a jamais été profitable au cinéma français si l'on regarde du côté des Garrel, Jacquot ou Godard des mauvais jours. En magnifiques exemples de simplicité, nous avons des Truffaut ou des Philippe de Broca.

Danny Boon fait de l'art des régions une affaire de comédie, dont on se joue et dans laquelle on entre: une comédie qui va du cliché et de la mise en scène aux liens d'hospitalité et d'amitié. Les quelques passages dans le sud sont bien conçus en ce qu'ils donnent paradoxalement une impression de froideur et de platitude, à l'image de l'épouse, une sorte de femme-mannequin. Le sud c'est un peu la vitrine. A l'inverse dans le nord il y a une mise en profondeur de la comédie: l'amitié permet de jouer des images et des réputations.

En somme, si le film est agréable, si les Français le plébiscitent, c'est qu'il est à la bonne échelle. Danny Boon et Kad Merad viennent chercher la comédie là où elle se trouve déjà. C'est déjà ça, non?


lundi 3 mars 2008

Fast blood for fast food


Sweeney Todd semblait ne rien annoncer de très nouveau. Rien de nouveau chez Burton - encore du gothique émerveillé -, rien de nouveau non plus au cinéma: une comédie musicale, de l'amour contrarié, un tueur en série, du quasi noir & blanc quasi à la mode (quasi déjà ringard?), enfin, bien sûr, du sang, beaucoup de sang.


C'est peut-être à cela que le film doit son efficacité. Burton fait de la forme surannée une machine diabolique. De l'incolore originel, de l'amertume de Sweeney Todd, de ses cernes noires naît un retour d'enthousiasme, un sourire ironique et du sang bien rouge. Dans ce cartoon nihiliste Jonnhy Depp se met à chanter, sur un air à la Walt Disney, que le monde n'a plus de sens, qu'il importe donc si peu de trancher des gorges... En quelque sorte, le spectateur est testé dans sa capacité à croire à l'humanité du personnage central. Et la limite est portée de plus en plus loin.

Burton tire du poussiérieux une substance destructrice. Le technicolore s'est aggloméré, a quitté, dans une fête hémoragique, la surface du plan pour former cette sauce ketchup de l'égorgement en série. Et la relative réussite du film tient au naturel de cet épanchement: la machine existait déjà, sa fonction était presque la même: on passe juste d'une passion à une autre (des histoires d'amour aux histoires de mort.)


Le sang qui gicle redonne trop facilement des couleurs au cinéma moribond. Ce qui est effrayant dans ce film, ce n'est pas que l'on fasse du meurtre la matière première d'un fast food, mais justement que tout ça se fasse si naturellement, comme dans l'aveu que la mécanique avait toujours été faite pour ça.

dimanche 10 février 2008

Traumatix


Des cellules psychologiques ont été mises à la disposition des spectateurs les plus traumatisés par cette daube.

mercredi 30 janvier 2008

No Country for old men - les formes du destin




Mais qu'allaient-ils faire dans cette galère? Il faut dire que le pari n'était pas sans risque: voler à deux millions de dollars à des cadavres - c'est la faute originelle de Moss dans le roman - ou faire du livre de Cormac Mc Carthy un film noir Coen Bros, ce genre de décision se paye au prix fort. Il en fallait de peu, en effet, pour que les frères Coen ne s'emprisonnent dans les mailles d'un genre, le film noir, ou ne sombrent dans le gouffre de l'oeuvre de Mc Carthy: No Country for old men. Et c'est probablement en faisant les deux à la fois qu'ils parviennent à maintenir, temporairement du moins, le film en équilibre.

On retrouve donc le personngae, traditionnel chez les Coen, du héros condamné par ses propres actes: dans les sables mouvants, agir revient à aider le destin à nous engloutir un peu plus. Se débattre, c'est étouffer. Les frères Coen jouent sur les codes du genre - motels, cadavres dans la piscine, crime scenes (il manque certes la femme fatale) - pour en accentuer la portée tragique. Et Moss n'aura pas le droit à une vraie mort. L'angoisse est abolie par une ellipse qui ne nous livre que la silhouette de son corps déja refroidi.

L'inhumanité du destin a un représentant. Curiosité du film - il est vrai que Javier Bardem est impressionnant -, le personnage est aussi omniprésent qu'absurde. Deux traits tellement soulignés par la mise en scène qu'ils déteignent sur la tonalité du film: qu'est-ce, au fond, que le destin, sinon un psychopathe à coupe de fillette qui se balade, bouteille d'oxygène en main, pour tuer les gens par plaisir? La question en deviendrait presque naturelle.


Mais Chigurh, car c'est son nom, n'est pas qu'une ombre, il n'est pas errant. Son ingéniosité imperturbable est tendue vers une fin précise: récupérer l'argent volé aux morts, ceux du commencement - un peu comme on dit "rendre à la mort son tribut". En cela, en cette impassible obsession qui est toujours là, même quand les choses se compliquent, il s'oppose diamétralement à Moss, dont toute action se perd dans une technique qui produit de nouveaux problèmes à résoudre, de nouvelles situations à débloquer, de nouveaux pièges à déjouer.

Contemplant tout cela en spectateur, comme s'il lisait le journal (il ne manque pas de le faire, pour commenter les faits divers), le shériff Bell ne croit pas dans la fin de son enquête. Rien ne sera dévoilé, tout restera opaque, comme l'obscur récit qu'il fait de son rêve, à la toute fin. Il en est de même pour ce film qui ne se termine pas vraiment. Et ce n'est pas tant le résultat qui fascine, dans ce film intrigant, que l'énergie employée - par Moss, par la mise en scène - à trouver une issue. Peu importe que le film soit abouti ou inachevé: il a la beauté d'une impasse.

mercredi 16 janvier 2008

L'Ile, de Pavel Lounguine


L'ile c'est d'abord un amas de terre. Terre pateuse. Sombre comme l'espace, profonde comme la mer. Nous y sommes plongés, nous nous y cachons en bonnes autruches, comme ces deux marins, gibiers soviétiques fuyant les exécutions sommaires. Seulement la boue - si l'on appelle ainsi une terre gorgée d'eaux troubles - a ceci de commun avec le péché qu'elle souille, s'accroche, colle à la peau. C'est un lieu de meurtre, donc, et de trahison: Caïn fixe, les yeux écarquillés, le navire repartir avec pour emblème de son forfait une svastika sur fond rouge se perdant dans l'horizon grisâtre.

La caméra restera longtemps ainsi obnubilée par le sol, par la terre et ses motifs. Tantôt une mousse humide, tantôt une roche aux dessins de lichen, quand ce n'est pas du bois rongé par le flux et reflux, assez solide pourtant pour porter ponts et pontons. Enfin, des pieds foulant ce sol pour en cueillir à la pioche le fruit noir, désespérément opaque, sous la lourde pierre: le charbon. Trente ans ont passés, le père Anatoli, avant d'avoir un visage, a des pieds et des mains pour aller chercher de quoi nourrir les flammes.

Son visage de vieux fou, nous le voyons quand les pélerins en quète de miracle viennent quotidiennement le chercher. Mais le commencement d'intrigue, l'envie de spectaculaire est d'abord détournée par le charbon, par le travail répétitif d'un moine solitaire qui marmonne ses prières. C'est plus tard que nous comprendrons que de casser de l'opaque à la pioche, jusqu'à se heurter à la matière noire qu'il y a en-dessous, n'est que l'occasion de convertir l'effort en feu spirituel. La sueur de charbon est, pour le père Anatoli, une sueur d'expiation. Un travail dont la répétition est un appel lancé vers la Grâce: le bois sur lequel roule la brouette et marche le pécheur n'est pas celui de la croix, mais il y a déjà les stations, le chemin couronné d'agonie.

Son visage maintenant, son regard surtout. Longtemps, il est le slave timbré et bourru. Car il y a, étonnament, beaucoup de comique dans ce film sur la sainteté - avant le vrai miracle, nous le voyons mettre en scène la parole de l'ancien: comme si Pavel Lounguine (le cinéaste), prenait plaisir à saper le fondement même de ce qu'il s'apprêtait à nous montrer. Pourtant, après la farce, c'est la même personne qui priant Dieu pour un miracle nous regarde en face, dans les yeux. Quelle naïveté dans ce regard! Quelle provocation! Celui-la même qui vient de jouer de la mystification, qui vient de mettre en doute notre foi - de spectateur, pour commencer -, nous regarde en croyant au miracle qui s'accomplit à l'instant même. Et ses yeux, fixés sur nous, nous mettent au défi de croire nous aussi.

Quant au rire du grotesque, celui, par exemple, du père Anatoli imitant les oiseaux - ou celui, plus raisonnable, de la comédie tchékhovienne qui se joue dans le monastère -, devient bientôt effrayant, car c'est le rire de la possession qui lui répond. Pourtant, notre cinglé reste comique jusqu'à la fin, jusqu'à la mort. Au diable, la dérision! C'est de folie dont nous avons besoin, non de dérision, non de ce gloussement voltairien obsédé de vraisemblance. Le vraisemblant est une imposture de vérité. Ce qui est fascinant dans l'Ile, c'est cet humour qui n'entache pas l'innocence, c'est le scandale d'une foi que le rire n'arrive jamais à saboter.

Il y a enfin ce dernier regard, qui est peut-être celui d'un fou, sûrement celui d'un saint. C'est juste après que les deux moines sont sortis de la salle enfumée. Il sont assis tous les deux, l'un se lamente, l'autre, serein, a les yeux mystérieusement dirigés vers l'extérieur du cadre, dans la contemplation d'un au-delà. La caméra se fixe longuement à ce visage comme pour en faire une icone, une image vraie.

jeudi 29 novembre 2007

Once


Fut un cinéma où, par la musique, le quotidien volait en éclats. C'étaient les comédies musicales. Les performances corporelles de Gene Kelly, l'équilibre miraculeux de Fred Astaire transformaient le monde en mélodies. Un objet banal devenait le centre d'un univers de rêve qui, très vite, se distordait pour former à nouveau une harmonie improbable, nouvelle à chaque chanson. Impossible n'était pas hollywoodien.

Quand la magie a cessé, qu'est devenu le film musical? Nous avons aujourd'hui le biopic, de préférence linéaire et réaliste, ponctué par les tubes - c'est Ray ou Walk the line. Tout ça est forcément un peu nostalgique, un peu vain.

Once instaure un dynamisme, un principe nouveau dans le genre. Et c'est presque exactement l'inverse de ce qui se passait dans les vieilles comédies musicales. Il ne s'agit plus, en effet, de faire exploser le possible dans le souffle d'une rengaine, vers un ailleurs infini, mais de s'attarder là où l'on est, de fixer l'instant en sa quintessence - jusqu'à heurter l'impossible.


L'instant, c'est justement une chanson, l'union fugitive d'un duo improvisé. L'album enregistré par nos deux personnages n'existera que par leur désir conjoint de retrouver la brêve harmonie qui fonda leur relation. Loin de la force centrifuge du musical classique, le mouvement de Once semble tendu vers le centre: l'origine. Le film de John Carney évoque le besoin d'enregistrer l'instant pour en retrouver la saveur et lui donner une trace éternelle, avant qu'il ne s'en aille à jamais. C'est ce même besoin qui fait exister le cinéma. Et c'est ce qui rend le film poignant: ce qui unit les personnages, comme la chanson, comme l'album qu'ils enregistrent, comme le film, n'a qu'un temps - once...

jeudi 22 novembre 2007

Robert Redford et les transports en commun



Nous n'avons plus le monopole de la flemme. Tenez, voici un joli trio d'acteurs américains touchés par la grêve des transports. Si si, regardez bien l'affiche. N'ont-ils pas des airs de traumatisés du métro, des visages comme bloqués entre deux portes? Leurs regards angoissés ne vous demandent-ils pas un peu de place dans cette galère, avant que ne retentisse le signal strident de l'implacable départ?



Fonctionnaire pour fonctionnaire, Robert Redford est à la fois le vieux cheminot du film "politique" et le petit prof du parti démocrate. Ce qu'il aime, le vieux beau - désormais plus vieux que beau, il faut l'avouer -, c'est l'engagement. L'engagement soft, bien sûr, l'engagement on the rock. Celui par exemple de miser tranquillement sur le capital-détestation de Tom Cruise pour en faire un Républicain, sur les timides gémissements de Meryl Streep pour en faire une journaliste consciencieuse et sur sa tête-de-mort de blond pour jouer au vieux sage. Ah oui, il y a aussi les deux soldats immigrés dans leur Afganistan de studio - qui se sont engagés littéralement: dans l'armée, les cons.



Les grévistes croient toujours nous apprendre ce qu'est l'engagement. Le geste militant de Robert fut, en vertu de cette règle, d'arrêter son film au milieu. Quel flemmard ce Bébert! Il nous fait le coup du silence éloquent pour ne pas se fatiguer à parler. Mais l'abîme de perplexité dans lequel tu crois nous avoir plongés, c'est un abîme d'ennui profond! On s'emmerde déjà assez dans le métro pour ne pas aller en plus s'embarquer dans le train-train de ta bonne conscience! Allez, à la retraite anticipée le Robert.

lundi 12 novembre 2007

Le Royaume

Quelle tristesse un film à la Michael Mann qui n'est pas de Michael Mann...

vendredi 9 novembre 2007

L'Ombre du double langage




La barbarie, Cronenberg l'évoque par le bon bout. Le bout de la langue - sans mauvais jeu de mot car ici le petit bout de chair et la demeure de l'esprit sont désignés ensemble. Et dans deux langages différents, deux mondes apparemment étanches l'un à l'autre. Aux codes d'honneur du milieu vient se heurter la parole quotidienne d'une communauté familiale, à la sombre froideur de Viggo Mortensen la beauté maternelle de Naomi Watts, aux cadavres et aux meutres la fragilité du nouveau-né.

Pour ajouter à l'ambivalence l'anglais vient recouvrir maladroitement un russe guttural, toujours charnel. (Ironie du sort: j'avais vu La Mouche, du même Cronemberg, sur une télé russe avec une grossière doublure par-dessus les dialogues - ce qui n'avait fait qu'ajouter au gore un mélange monstrueux des langues... Expérience doublement traumatique donc, et qui trouve avec ce nouveau film un écho inattendu.)

Mais les deux mondes n'existent pas forcément qu'en opposition. Le sang de la jeune mère - celui, aussi, de l'égorgement qui ouvre le film - est bientôt celui de l'enfant, celui de la naissance. Forme de violence dialectique, donc, que Cronenberg n'aura de cesse d'entretenir - l'enfant s'appelle Christine: comme Christmas fait-on la remarque, comme pour pointer vers le chemin de la résurrection.

Hésitation constante entre froid et chaud, entre ombre et lumière, jusque dans des parallèles étonnants (Naomi Watts semble bien utiliser le même sèche-cheveux que celui qui servit à décongeler un cadavre...) Car il y a un lien, une ouverture inattendue entre les deux mondes, c'est un journal intime, une parole que nous entendons en voix off tout le long du film, parole de confession qui devient l'enjeu même de l'intrigue. Comme une échappée du monde des morts vers celui des vivants.

Qu'est-il fait de cette ouverture? C'est là que se posent les vraies questions sur la Promesse de l'ombre. Il semble bien, en effet, qu'après un tremblement, une vibration - qui est aussi celle de l'attirance entre l'homme et la femme, celle d'un amour possible - rien n'est fait de ce lien. Rien, la dialectique n'était qu'illusion sophistique. Ce qui demeure ce sont des attirances stériles, des sensualités sanglantes, des symboles de chair - les tatouages - qui mènent à la mort, et finalement à rien d'autre.

Les deux mondes seront restés étanches l'un à l'autre. Qu'est-ce, alors, que ce héros ambigu? Une révélation absurde fait de lui un agent russe infiltré et nous fait du même coup basculer dans l'intrigue policière. Cronemberg nous laisse alors à la contemplation d'un monde binaire, l'un, tout attendri, de la mère et de l'enfant, l'autre, sanglant, des combats et de la débauche. Le film lui-même semble avoir deux fins.

Preuve de subtilité ou désir de satisfaire dans un même geste les passions de tous: difficile à décider. Elle est trouble la fontière entre le portrait d'une ambivalence et l'hypocrisie d'un auteur - avouons-le, la posture d'auteur a aussi désormais une déclinaison commerciale. Probablement me faudrait-il mieux connaître l'oeuvre du cinéaste pour bien en juger...


jeudi 1 novembre 2007

Sans Scarlett.


L'arriviste de Match point s'est dédoublé. Il y aura d'un côté l'amoureux des images, des illusions et de la mauvaise foi et de l'autre une tête de turc, un noeud de petites combines torturé de grandes questions. C'est aussi le divertissement et la conscience. Seulement ici la conscience, qui très vite n'est plus qu'angoisse stérile, n'a pas des allures moins lamentables que le divertissement - c'est juste que l'un ne peut plus vivre quand l'autre continue un instant de planer sur son vide.



Deux personnes pour un dialogue moral, pour une délibération et une responsabilité, c'est précisément ce que nous n'avions pas dans Match point, à part les représentants fantomatiques de la justice immanente, à la fin du film. Mais ce dialogue, ce combat plutôt, n'a d'issue que mortelle. Nous revoilà dans le film noir, ou dans la tragédie grecque - on ne sait plus trop.



Ce Rêve de Cassandre est celui d'une rédemption par les apparences - illusions qui se nourrissent de noirceur et élargissent finalement l'ombre: c'est Terry et sa névrose, Terry et le jeu, Terry et l'alcool et les pilules et la culpabilité.



Pas très érotique le rêve. On a bien une brune une blonde, comme dans tout bon film noir, mais la figure de l'actrice est tenue à distance de scène et la plouc anglaise n'est qu'une Scarlett Johansson dégonflée, rabougrie, sans charme aucun. Le rêve n'a plus la substance vitale, il porte déjà en lui la mort. Normal, vous me direz, d'être présage de malheur pour un rêve de Cassandre.