vendredi 6 juin 2025

L'Ange écoute, de Philippe Roger




















Historien du cinéma et critique, Philippe Roger retrace dans L’Ange écoute, vivre avec les films de Jaime Rosales, l’évolution de la filmographie du réalisateur espagnol qui s’est fait connaître par Les Heures du jour en 2003. Il a depuis réalisé sept autres films : La Soledad (2007), Un tir dans la tête (2008), Rêve et silence (2012), La Belle jeunesse (2014), Petra (2018), Les Tournesols sauvages (2022) et a tourné un film en France, Morlaix, qui attend encore une date de sortie. Le livre de Philippe Roger accompagne la publication d'un essai de Rosales, intitulé La Caméra & la plume, par la même maison d’édition. Et la première originalité de l'analyse de Roger est de prendre à la fois comme objet les films de Rosales et l’histoire de ce compagnonnage, en tant que critique, avec le réalisateur. Il s’attache d’ailleurs, dès le début de sa réflexion, à définir son propre rôle : il n’y a pas selon lui de distinction à faire entre la démarche de l’analyste et celle du critique. Les deux ont en commun d’offrir sur les œuvres un point de vue singulier : le travail cérébral de l’analyse est indiscernable de celui, incarné, de la critique. Cette dernière implique des affects, une relation avec l’objet d’étude, et une inscription dans le temps, l’écriture sur les films étant souvent un exercice de mémoire, de retour sur les œuvres vues et revues. Fort de cette idée, Philippe Roger substitue à la traditionnelle monographie une sorte de journal critique rythmé par sa découverte des films, mais aussi par sa correspondance et par ses rencontres avec Jaime Rosales. Reprenant ses textes publiés dans les revues Études ou Jeune cinéma à la sortie de chaque film de Rosales, le critique donne à entendre la manière dont son analyse de ceux-ci a évolué. Mais il montre aussi que le cinéaste a fini par le faire participer indirectement à l’élaboration de ses films, en réagissant aux idées développées dans ses articles ou en lui demandant son avis sur ses productions en cours.

Le cinéma de Rosales a souvent été associé par la critique à celui de Michael Haneke, pour l’importance qu’y revêtent les dispositifs formels, la violence et un certain art du mystère. Philippe Roger réfute ce rapprochement, reliant plutôt Rosales à une veine spirituelle, qui s’épanouit pleinement dans un film comme Rêve et silence. Pour lui, le cinéaste adopte le point de vue de l’ange : à la fois subjectif et aérien, tenant ses personnages à distance pour mieux développer à leur égard une forme originale d’empathie. Philippe Roger est familier de ce type d’exégèse, lui qui a contribué à la diffusion des œuvres d’Henri Agel et de Jean Collet, deux critique chrétiens qui croyaient au pouvoir révélateur du cinéma, à sa relation avec l’invisible. Une tradition à laquelle se réfère Rosales lui-même en reprenant, par la forme de son recueil de bloc-notes, La Caméra & la plume, le principe des Notes sur le cinématographe de Bresson. Autant d'éléments qui donnent envie de se plonger dans l'oeuvre de ce cinéaste dont Philippe Roger démontre l'originalité avec un enthousiasme communicatif, en attendant la sortie sur les écrans français de Morlaix, déjà visible en Espagne depuis mars.


Philippe Roger, L'Ange Ecoute, vivre avec les films de Jaime Rosales, éditions Libel, avril 2025
Jaime Rosales, La Caméra & la plume, éditions Libel, avril 2025