La crise de la quarantaine qui se profile pour Debbie et Pete est une
crise de l’espace. C’est d’ailleurs le propre d’une comédie domestique
que de poser le problème du foyer, de l’endroit où l’on vit, célibataire
ou en famille. C’était le cas de
The Apartment de Billy Wilder, ou de certaines comédies de Minnelli comme
Father of the bride.
Brillamment joué par Paul Rudd – qui devient tranquillement un des
meilleurs acteurs comiques américains –, le personnage de Pete supporte
difficilement le principe de la cohabitation : il n’arrête pas de fuir.
Quand il ne se réfugie pas dans les toilettes avec son iPad, il est
dehors à faire du vélo, ou prétexte des rendez-vous de travail. La
maison de Debbie et de Pete, le fonctionnement de leur couple et
l’énergie de leur famille, fait du foyer un lieu à la fois désirable et
asphyxiant. Et c’est sur ce paradoxe que la comédie se construit.
L’anecdote veut que Leslie Mann, qui joue Debbie, soit dans la vraie vie
l’épouse de Judd Apatow, et que les enfants du film soient ses vrais
enfants. 40 ans : mode d’emploi a quelque chose d’un lieu
fermé, qui n’appartient qu’à son auteur et à ses protagonistes.
Discrètement, le film pointe la part d’égoïsme sur laquelle repose la
construction d’une famille. Au sens propre, dans la manière dont les
problèmes d’argent du père de Pete sont abordés. Mais aussi sous une
forme plus contournée, à travers les gags sur l’abondant matériel Apple
qu’ils utilisent tous : c’est un petit monde avec ses références
culturelles, ses iPods, ses allusions à des séries fétiches – Lost pour les enfants, Mad Men
pour les parents. Nos personnages versent même parfois dans la
méchanceté, comme en témoigne cette confrontation avec une pauvre mère
d’élève, grosse bonne femme qui se ridiculise dans le bureau de la
directrice d’école.
Si le tableau de la famille américaine est parfois cruel, le portrait
des personnages n’est jamais dépourvu de tendresse. Judd Apatow sait
abattre les décors, créer des ouvertures secrètes, changer de rythme
pour redonner vie à Pete et à Debbie. Un peu à la manière d’un James L.
Brooks – on pense notamment à Spanglish – il ménage pour ses
personnages un espace de liberté, donnant aux dialogues le pouvoir de
raccourcir ou d’étirer les séquences. Le comique ne tient pas, comme
dans certains films, à la perfection d’une mécanique plaquée sur une
situation. Le rire vient au contraire comme une rassurante anomalie.
C’est une réplique saugrenue venue embrouiller le fil d’un dialogue, ou
une porte de voiture venue stopper la fuite d’un cycliste du dimanche.
Cette histoire de la quarantaine est aussi une certaine manière
d’envisager le couple, non à travers la cristallisation des première
fois, mais via la recherche d’un temps et d’une énergie perdus. Comédie
inscrite dans l’espace, donc, mais aussi dans le temps, avec un futur
redouté et un passé qu’il faut raviver. Sans être tout à fait de ces « comédies de remariages » qu’évoquait Stanley Cavell dans son fameux essai, 40 ans mode d’emploi a en commun avec des films relativement récents comme 5 ans de réflexion et Date Night
de Shawn Levy, de cueillir le couple au moment où il ne s’agit plus de
vivre mais de revivre la comédie des sentiments. Cette relation au temps
fait la complexité secrète d’un cinéma en recherche de lui-même, où la
romance est à double détente, entre la fatigue et la frénésie : souvenir
du passé et hypothèse pour le futur.