jeudi 7 novembre 2024

Juge et partie



Eastwood part d'une improbable coïncidence (un juré découvre lors d'un procès qu'il est peut-être l'auteur du meurtre en train d'être jugé) pour décrire une justice où tout le monde est à la fois juge et partie. Une incongruité devient la règle : la « vérité en marche », selon la définition de l'un des personnages, pousse chacun à sortir de son rôle (de la procureure, innocentant à contre-temps celui qu'elle accusait, à cet autre juré, ancien policier, qui mène sa propre enquête). Et ce qui commence sagement comme un film de procès, voyant se succéder par des montages parallèles les plaidoiries, les témoignages à charge et à décharge, est déséquilibré par ce juré, spectateur embarqué se projetant par ses souvenirs, par son dilemme, dans l’arène du tribunal. Avec ce débordement de la vie sur l'institution, le film acquiert une dimension existentielle, où la culpabilité n'est pas une donnée extérieure, mais une potentialité affectant intérieurement tous ceux qui œuvrent à sa révélation.

mercredi 3 avril 2024

Denis Clavel par ses poèmes



Ce texte est un hommage à mon oncle Denis Clavel, disparu le 24 mars. 

Qu’est-ce qu’un poète ? Cette question, Denis Clavel se l’est posée jusqu’au bout, comme en témoigne son dernier livre paru, Le Songe et les rêves (Esope Editeur, 2023). Cet « essai bibliographique » est une relecture de son cheminement poétique, sur la période allant de 1961 à 2002. En regardant le jeune homme qu’il était à vingt ans, il se revoit « poète errant et triste comme une algue », cherchant le secret « d’une autre poésie nuancée d’espérance ». Cet « autre » se matérialise en 1963, lorsque Jean Lurçat, exposant à Annecy, lui commande un commentaire poétique pour accompagner l’édition du beau livre consacré à sa série de neuf tapisseries, intitulée Le Chant du monde. Ce moment décide de sa vocation, qui prendra la forme d’une grosse vingtaine de recueil de poèmes, publiés entre les années 1960 et les années 2020. Vocation peut sembler un bien grand mot. Il a pourtant une signification à la fois existentielle et pleine d’interrogations pour celui qui endossera plusieurs autres responsabilités : notaire, maire de sa ville de montagne sans avoir été candidat, père de famille, grand-père. A quoi est-il appelé comme poète et par quoi, par qui ? 

j’ai le pressentiment qu’on parle à travers moi 
il y a dans l’oeuvre une formule qui se cherche 
(La Théorie de Delphes, 2002) 

A la source de son écriture, il y a l’idée de se tourner vers le monde et de le laisser parler. Car « ma vie même n’est pas de moi », comme il le déclare dans Poésie (1969). La méthode employée pour l’écriture du Chant du monde est, à cet égard, révélatrice. Il raconte avoir demandé quelques heures seul à parcourir l’exposition, pour noter tout ce qu’il y voyait sur des bouts de papier de la même forme que les tapisseries : terre, écorce, taureau, étoile, etc. Ses poèmes se devaient d’exprimer ce qu’il avait devant les yeux, de faire parler l'œuvre de Jean Lurçat. Il s’est souvent donné ce but : compresser ou réduire par des mots ce qu’il avait vu ou lu. Dans un poème intitulé « Tombeaux » (Je ne vois aucune différence de principe entre un poème et une poignée de main, 2007), il se prête à l’exercice d’associer à chaque poète une strophe. Le résultat : quatorze quatrains évoquant les motifs de quatorze poètes (de Valéry à Jean de la croix) et mettant au jour un paradoxe propre à sa poésie : il donne à entendre la singularité de son style par une évocation de celui des autres. Dans des textes inédits à ma connaissance, il s’était livré au même procédé pour faire parler ses philosophes ou ses cinéastes de chevet : il avait fait le poème de Kierkegaard, celui d’Ingmar Bergman, et ainsi de suite. Si le poète parle de lui-même, c’est pour donner à voir ou à comprendre ce qui ne vient pas de lui. Cette idée, il la doit en partie au philosophe Henri Maldiney, dont il a suivi les cours d’esthétique dans sa jeunesse. Ce phénoménologue disciple de Husserl et de Heidegger avait influencé de nombreux peintres, tels que Pierre Tal Coat, un proche de Denis Clavel qui a illustré en 1981 son recueil Les Regards contagieux. Sans doute inspiré par la démarche du peintre et du philosophe, Clavel a souvent mis en scène dans ses poèmes une sorte de retournement dans la rapport de l’homme à son environnement, qui serait le propre de la démarche poétique. Ainsi à la fin du Poème (1990) : 

on à tort de croire que l’âme est en nous 
c’est nous qui sommes en elle car l’âme est espace 
on ne comprends pas le paysage mais lui nous comprend 
c’est poétiquement que l’homme a été conçu 

Le poète a beau faire parler le monde, il le fait toujours d’une manière qui lui est propre. Le style de Denis Clavel est reconnaissable entre tous. Influencé par la poésie moderne de Tristan Tzara, Pierre Reverdy ou Ezra Pound, il affirme néanmoins dès le début la singularité de son écriture. Souvent des vers libres, troquant la ponctuation pour une respiration plus naturelle du discours. C’est une poésie qui dit « je » et qui n’hésite pas à faire s’entrechoquer les registres de parole. Que ce soit la maxime (« L’orgueil prouve qu’un dieu nous regarde », dans La Théorie de Delphes, 2002), les jeux de mots (« Ceux qui observent le silence / Que voient-ils dans la nuit ? », dans La Fin du temps, 1994), les néologismes (« squelletude », « guerissure », dans Lazare, 1984) ou le lyrisme : 

Je n’ai jamais vu le rossignol chanter 
ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas 
mais l’enfant de mes enfants qui chante 
à la claire fontaine je ne l’oublierai jamais 
(La Fin du temps, 1994) 

Une poésie qui, tout en n’ayant pas peur des grands mots (« âme », « ange », « dieu », « grâce », « chair », « silence », « désir » sont omniprésents), veille à les faire dérailler de leur sens communément admis (« je veux qu’un ange sorte de la pierre », Le Poème, 1990). Le paradoxe règne en maître, et les réalités du corps voisinent les considérations spirituelles : 

La poésie est la sainteté des yeux 
des mains du ventre et de tout ce qui saigne 
(Poésie, 1969) 

Parmi les motifs récurrents du poète : l’oiseau. Hirondelle, merle, pigeon, aigle, rossignol. Il est à la fois le symbole de ce qui dans le monde reste à distance, ne saurait être apprivoisé (« mon merle blanc, mon écureuil après la nuit », La fin du temps, 1994). C’est sans doute une métaphore du poète : évoquant dans son essai bibliographique sa découverte de Francis Ponge, il s’étonne de ce que les hirondelles du poème de Ponge soient si nombreuses alors que la sienne, qu’on trouve dans Porte d’âge (1992), semble seule au monde. Comme le poète, donc, l’oiseau est solitaire et il chante (les « solfèges d’oiseaux » dans Le Jardin de Talèfre, 2011). Mais s’il sait s’envoler, il est aussi un antidote à la rêverie poétique : « un oiseau qui rêve est un oiseau mort / car je connais l’aigle à sa réalité » (Le Jardin de Talèfre). Quand il n’est pas mort, l’oiseau s’écrase contre les vitres ou les grillages : « les oiseaux parfois se heurtent en plein vol » (La Ténèbre, 1983). Ils peuvent aussi rappeler ironiquement ce que le monde a de prosaïque : dans Paysage clandestin (1972), sont évoqués « les repères d’oiseaux et les fientes poétiques glissant sur la moiteur idiote du beau temps ». Ils représentent en fin de compte la marche ordinaire du monde en l’absence du poète : 

quand je serai tout à fait rien, 
les oiseaux viendront se poser sur moi 
(La Fin du temps, 1994) 

poète se dit d’un incapable 
il donne ce qu’il n’a pas 
et jette le reste aux oiseaux 
(La Théorie de Delphes, 2002) 

Il ne faut pas se méprendre sur les interrogations incessantes sur la fonction du poète : Denis Clavel avait en horreur l’idée du poète maudit. Ses poèmes sont habités par sa foi chrétienne et parlent de la condition de l’homme comme créature. L'Éternel, disait-il, est une personne et non une idée. « Un désir qui ne provoque pas l'espérance / appartient au passé » (Lazare, 1984). La recherche du salut semble indissociable de sa quête poétique, qui fait dialoguer la finitude de l’homme avec l’infini. Encore un grand mot, mais que Denis Clavel est spécifiquement allé chercher chez Teilhard de Chardin, qui parle « d’infiniment complexe » : au croisement entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, seule l’idée de complexité peut rendre compte du foisonnement de la vie. 

Au début des années 2000, Denis Clavel est parti sur la route de Saint Jacques de Compostelle. Pendant plusieurs mois, il n’a rien écrit mais portait avec lui un carnet qu’il n’a ouvert qu’à son retour pour écrire ce qui allait devenir La Théorie de Delphes, paru en 2002. De ce pèlerinage, il a gardé l’idée d’une opposition entre les rêves et le songe. Les rêves répondant aux désirs, le songe à l’espérance. Les rêves viennent du dedans, le songe du dehors : 

Un jour je vous dirai la différence entre le songe et les rêves 
L’épluchure de l’esprit c’est le rêve 
même si le fruit est parfait il y a des restes 
le songe est parole pour l’âme 
même si la parole est imparfaite il y a le chant 
(La Théorie de Delphes, 2002) 

Ces vers ont eu une certaine fortune : Sylvie Germain les cite dans son livre intitulé Les Personnages (2004) puis JB Pontalis dans Le Dormeur éveillé (2004). Peu enclin aux mondanités littéraires, le poète montagnard a pu tout au long de son œuvre compter sur des amitiés fidèles parmi ses pairs : celle de Pierre Emmanuel, de Guy Chambelland qui a édité la majorité de ses recueils, ou encore de Georges Haldas qui lui a dédié un poème dans son recueil La Blessure essentielle (1992). Robert Sabatier lui fait une place dans son Histoire de la poésie française (1992) : « Comme dans une genèse un chaos tout se fait et se défait dans un poème persuasif parfois au bord du discours toujours ambigu jusque dans l’évidence et en offrant une charge magnétique de pensée poétique ». Des marques d’estime qui lui furent précieuses, dans le silence entourant la production poétique et, bien souvent, les recueils qu’il a continué de faire paraître chez l’éditeur Esope à Chamonix, jusqu’en 2023. Peu importe : depuis le début sa vocation était ailleurs, comme il se le remémore à propos de la parution de Paysage Clandestin en 1976 : 

Je n’ai pas voulu de ces « rendez-vous en d’autres langues avec des inconnus qui arrivent trop tard ». J’ai mis une croix sur l’illusion d’être poète à la façon des autres. 
(Le Songe et les rêves, 2023)



Bibliographie
  • Fenêtre sur la mer, Gardet, 1963 
  • Le Chant du monde (Album d'art : Les Tapisseries de Jean Lurçat), Gardet, 1963 
  • Poésie suivi de Le Goût du feu et Journal d'un pharisien, Guy Chambelland, 1969 
  • La Genèse du poème, Guy Chambelland, 1972 
  • Opéra sur la vitre, Guy Chambelland, 1972 
  • Paysage clandestin, Gardet, 1976 
  • Distance apprivoisée (illustrations par Jacques Labrunie), Le Pont de l'Épée, 1978 
  • Les Regards contagieux (illustrations par Tal Coat), Le Pont de l'Épée, 1981 
  • La Ténèbre, suivi de Esquisse pour un sourire, Le Pont de l'Épée, 1983 
  • Lazare, Le Pont de l'Épée, 1984 
  • Le Chant de la créature, Éliane Vernay, 1988 
  • Le Poème, Le Pont sous l'eau, 1990 
  • Métier d'homme, Le Pont sous l'eau, 1990 
  • Porte d'âge (illustrations par Singier), Le Pont sous l'eau, 1992 
  • La Fin du temps, Le Pont sous l'eau, 1994 
  • La Théorie de Delphes, L'Âge d'homme, 2002 
  • Je ne vois aucune différence de principe entre un poème et une poignée de main, Édimontagne, 2007 
  • Le Livre du repos, Edimontagne, 2009 
  • Le Jardin de Talèfre, Édimontagne, 2011 
  • Infinition de l'heure, Esope, 2018 
  • Le temps ordinaire, Esope, 2020 
  • Monologue du silence, Esope, 2022
  • Le Songe et les rêves, Esope, 2023

mardi 19 décembre 2023

Top 5 2023


- La Chimère, d'Alice Rohrwacher

- Anatomie d'une chute, de Justine Triet

- Oppenheimer, de Christopher Nolan

- La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, de Wes Anderson

- Trenque Lauquen, de Laura Citarella


Et aussi : Mrs Maisel, I Think you should leave with Tim Robinson, Sambre

jeudi 20 juillet 2023

Oppenheimer - Morale quantique

 


Qu’y avait-il dans la tête d’Oppenheimer ? Au risque de dérouter, Nolan se concentre sur cette question, se refusant aux mises en perspective historiques ou scientifiques - nulle trace ici de la démarche de vulgarisation qu’on trouvait dans Interstellar. Vulgariser, ou en tout cas donner à voir, est pourtant ce qui occupe Oppenheimer tout au long du film, l’acculant à un paradoxe : pour convaincre de renoncer au feu nucléaire, il faut en montrer les effets, et donc le déclencher. Mais la vue d’ensemble est ici remplacée par une plongée tonitruante dans les méandres d’un esprit et des pièges que l’époque lui a tendus. Ce que le film perd en pédagogie, il le gagne en intensité : la frénésie permanente du récit, du montage et de la musique emmènent assez loin au-delà de l’essai nucléaire en lui-même, qui n’est que partiellement le sujet du film. Le véritable étant : qu’y avait-il dans la tête d’Oppenheimer ?

A sa future femme qui lui demande de lui expliquer la physique quantique, Oppenheimer donne cette explication : c’est le jeu d’ondes et de forces qui s’ébrouent dans le vide, donnant l’illusion de la solidité du monde et des choses (il prend pour exemple le buffet, un verre, leurs mains qui se touchent). Cette définition en dit sans doute moins sur la physique quantique que sur le film de Nolan, son cinéma, et ce qu’il veut faire du personnage.

Comme celui d’Inception, le monde d’Oppenheimer n’est pas un tout cohérent, mais une série de décors dans lesquels évolue le personnage principal. Ces décors sont faux, ils sont creux, comme ces gradins d’un gymnase dans lequel Oppie fait un discours, jetant ensuite un œil consterné sous la structure en bois. Et comme ces dispositifs de procès qui n’en sont pas, ainsi que les protagonistes se plaisent à le rappeler. D'abord visiteur de ces décors successifs, il en devient l'acteur puis le metteur en scène, en dirigeant la construction du village éphémère de Los Alamos. Mais il n’a pas le monopole de la mise scène, puisqu’en face de lui, Lewis Strauss cherche à le piéger dans ses propres dispositifs, tels que cette salle étriquée aménagée en tribunal pour son non-procès. On retrouve ici la rivalité entre deux illusionnistes, évoquant Le Prestige. Mais dans Oppenheimer, c’est le face à face entre un scientifique, qui opère par les démonstrations et les images, et un politique, qui opère par les raisonnements et la parole.

L’obsession d’Oppenheimer pour le monde théorique est figurée dès le début du film par des images mentales, à la fois abstraites et sensorielles : des champs magnétiques, des crépitement, le souffle d’une explosion préfigurant l’essai nucléaires, des gouttes d’eau, etc. On revient ici à sa définition de l’univers quantique, fait de particules qui s'attirent et se repoussent dans le vide. En d’autres termes, il y a de la matière, de l’esprit, mais rien d’organique pour les relier : la chair est le grand tabou. Elle est viciée, comme la pomme dans laquelle du cyanure a été injecté. Les scènes de sexe sont placées sur le signe de la destruction et ont effectivement des conséquences tragiques. Pas étonnant, dès lors, que les corps dénudés refassent leur apparition de manière incongrue lors d’un interrogatoire, alors que la culpabilité du physicien pour le projet Manhattan est à son comble. La bombe pèse sur Oppenheimer à la manière d’un corps de trop. Un corps qui vient se substituer aux images, jamais montrées, des victimes d’Hiroshima, et que le physicien ne peut pas regarder en face.

Nolan signe avec Oppenheimer le film expressionniste autour duquel il tourne depuis ses débuts. Avec Dunkerque, il jouait avec les temporalités du récit sans s’encombrer des justifications de la science-fiction. L’étirement du temps, semblable à celui d’Inception et d’Interstellar, devenait un postulat arbitraire, qui lui permettait de faire de la guerre un tableau impressionniste. En se plongeant dans la psyché d’Oppenheimer, son nouveau film reprend les mondes illusoires d’Inception, mais sans les justifier par le rêve. Les décors et le montage sont entièrement modelés par les états d’âmes du protagoniste. Le monde peut trembler, les visages s’irradier, l’image et le son se désynchroniser sous le simple effet d’une atmosphère mentale. La musique est littéralement assourdissante, puisqu'elle a pour rôle de remplacer l’espace sonore naturel, de redoubler l'éloquence de la mise en scène, la faisant entrer en concurrence avec les dialogue - en d'autres termes, la musique fait ici coexister le muet et le parlant. 

samedi 17 juin 2023

John Gilbert, the great lover


Le destin tragique des stars du muet, à l'arrivée du parlant, a été souvent traité : dans Chantons sour la pluie bien sûr, mais aussi plus récemment dans The Artist et dans Babylon. Ce genre de personnage fait maintenant partie de la légende dorée hollywoodienne, au point qu'on oublie les acteurs qui l'ont inspiré dans la réalité. Injustice réparée par un documentaire diffusé sur OCS : John Gilbert, the great lover. Réalisé par Bernard Louargant et Emmanuel de Dainville, ce film retrace la vie de John Gilbert, acteur fétiche de la période muette de King Vidor (on le voit dans Son Heure, La Femme de Don Juan, Bardelys le magnifique, Mirages, La Grande parade) et amant de Greta Garbo, de Marlene Dietrich et d'innombrables autres actrices. 

Au milieu des années 1920, la MGM a besoin d'une star masculine pour répondre au phénomène Rudolph Valentino et jette son dévolu sur John Gilbert. Après d'éclatants succès, il est pourtant détruit par le système qui l'avait porté aux nues. Sous le double effet de l'arrivée du parlant et d'une relation plus qu'orageuse avec Louis B. Mayer, le patron de la MGM, John Gilbert voit sa célébrité se ternir du jour au lendemain. Sa tendance à l'alcoolisme, aggravée par ses échecs au cinéma, a raison de sa santé et il meurt d'une crise cardiaque en 1936. Avec des témoignages de journalistes, d'universitaires et de descendants de John Gilbert, le documentaire rend hommage au grand acteur injustement oublié et donne à voir, derrière la figure légendaire, le destin singulier d'un homme passionné.



mercredi 5 janvier 2022

Top 2021


Une année musicale :

1. West Side story 

2. Annette 

3. Encanto 


Mais aussi : 

Matt Damon dans Stillwater et The Last Duel. 

L'ouverture d'In the heights. 

Quelques films entêtants : Old, The Card Counter, Being the Ricardos, Les 2 Alfred.

Des heureuses découvertes : Boire et déboires (1987), Y aura-t-il de la neige à Noël (1996), Plus One (2019), Nos Plus belles années (1973)

mercredi 21 juillet 2021

Annette, de Leos Carax - the raging ape

Les réserves que je lis sur Annette me semblent souvent très justes, mais n'entament pas le souvenir entêtant que je conserve du film. Holy Motors m'avait semblé, à l'époque, encombré par les incarnations successives de Denis Lavant, puis sauvé par les passages musicaux. Logiquement, la réussite d'Annette vient aussi de sa dimension musicale.

La partition de Sparks reprend une habitude de la comédie musicale : celle des scènes purement descriptives où les personnages disent qui ils sont ("I'm the accompanist") ou se contentent de répéter leur état sentimental ("We love each other so much"). Ce qui a pu être perçu comme de la platitude ou un défaut de narration me semble être une tendance volontaire à s'attarder sur le cadre de l'action au lieu de la laisser se dérouler. En se décrivant eux-mêmes, jusqu'à la redondance - comme quand les personnages d'un musical clament "That's entertainment!" -, ces numéros prétendent révéler un ressort des situations dissimulé dans les apparences : ainsi le rire artificiel du public d'Henry McHenry (nom tautologique par excellence), bien loin de la réaction spontanée, sert à dépeindre un rapport de force entre l'humoriste et ceux qui l'écoutent. Systématisant cette idée, le film met d'ailleurs du rire partout, tout en se passant de la comédie : ainsi dépouillé de sa drôlerie, le rire n'est qu'un instrument de puissance. C'est quelque chose de vital et de monstrueux qui sert tantôt à tuer (les chatouilles) tantôt à donner vie (l'accouchement).

Les personnages d'Annette sont pris dans un rapport inextricable entre l'intériorité et l'extériorité. D'un côté, la musique expose leur sensibilité et en fait des coeurs à ciel ouvert, et de l'autre elle les embarque dans quelque chose qui semble les dépasser : les stéréotypes propres à cette forme musicale, mais aussi un rapport au tragique, au sentiment que tout est déjà écrit. Pour cette raison, le film offre une vision déstabilisante de la culpabilité, à la fois propre et impropre à décrire la marche implacable de son personnage principal vers la destruction. D'un côté il n'est que le jouet de cette "sympathy for the abyss" qu'il invoque à la fin du film, mais de l'autre, c'est bien sa toxicité propre qui contient tout le tragique de son histoire : c'est lui qui projette son amante en actrice vouée à la mort et son enfant en marionnette vouée à l'exploitation. 

Cette question de la culpabilité renvoie forcément à une autre, qui est celle de la réflexivité du film, Leos Carax se mettant en scène avec sa fille en ouverture, et pointant à la fin vers une identification avec le personnage principal. Quelles conclusions en tirer ? Le film ne le dit bien sûr pas, mais les références qu'il mobilise le placent quelque part entre la sublimation macabre et la confession. Le film irait autant chercher du côté des Chaussons rouges, de Powell et Pressburger, que d'un Raging Bull : comme le film de Scorsese, Annette montre d'abord un perfomer répétant ses répliques devant le miroir, personnage en peignoir associé à un animal ("the ape of god" vs. "the raging bull") rejouant pour le public l'histoire de son ascension et de sa chute. Côté pile : la sublimation macabre, la marionnette et son gorille abandonnés dans leur prison. Côté face : la confession et la nouvelle naissance d'Annette.


mercredi 30 décembre 2020

Top 2020



1. Le Cas Richard Jewell, de Clint Eastwood
2. Les Siffleurs, de Corneliu Porumboiu
3. Malmkrog, de Cristi Puiu
4. Love Life, saison 1, de Sam Boyd
5. Tenet, de Christopher Nolan
6. The King Of Staten Island, de Judd Apatow   
7. Les Sept de Chicago, d'Aaron Sorkin 

Heureuses découvertes de 2020 :
- A bout de course, de Sidney Lumet
- Le Brigand bien aimé, de Henry King
- Crashing, saison 1 à 3, de Pete Holmes
- Bachelor mother, de Garson Kanin
- Baby it's you, de John Sayles
- La Maison des bois, Maurice Pialat

lundi 14 septembre 2020

A lire à propos de Tenet

- Un beau billet sur le blog L'oreille est hardie

- L'article de Camille Brunel sur Débordements

- L'article, plus réservé, de Sylvain Blandy pour Critikat

- Toujours sur Critikat, une discussion autour de Nolan, entre Thomas Grignon, Josué Morel, Sylvain Blandy et moi

- Sylvain Métafiot m'a posé des questions à propos de Nolan pour Le Comptoir

- J'ai aussi rédigé une notule pour La Vie, et un article sur Nolan pour La 7ème obsession n°30 

mardi 31 décembre 2019

Top 2019


Au cinéma
- Jeanne de Bruno Dumont
- Once upon a time... in Hollywood de Quentin Tarantino
- Alice et le maire de Nicolas Pariser
- So long, my son de Wang Xiaoshuai
Le Traître de Marco Bellocchio
- La Mule de Clint Eastwood

Chez moi
- Marvelous Mrs Maisel (saison 3) de Amy Sherman-Palladino
- Triple frontière de J. C. Chandor
- Succession (saison 2) de Jesse Armstrong
- I Think you should leave with Tim Robinson de Zach Kanin et Tim Robinson

lundi 26 août 2019

Ce qui résiste à l'Histoire


Au lieu de filmer 1969 comme un point de bascule, un moment historique, Tarantino s'attache au contraire à montrer ce qui s'obstine à rester tel quel quand tout s'accélère. Ce sont les rêves de western, la radio, ou les enseignes lumineuses de Los Angeles. Mais il serait faux de faire de Once upon a time... in Hollywood un énième caprice de Tarantino, une bulle enfantine dans laquelle tout serait conservé à l'identique. Le film parie plutôt sur l'histoire contre l'Histoire, le hasard contre la nécessité. Le révisionisme de Tarantino a évolué : il n'oppose plus, comme dans Inglorious basterds sa propre fatalité d'auteur à celle des événements historiques. Il s'agit cette fois de rendre vie à l'anecdotique (une maison hollywoodienne confondue avec une autre) comme ce qui n'est pas emporté par le fleuve de l'Histoire. Les personnages de Once upon a time... in Hollywood tiennent leur épaisseur de cette force d'inertie, et le film tient son émotion des ramifications qui lui font échapper à l'itinéraire attendu.

dimanche 28 juillet 2019

Spider-man : far from Hamlet


Spider-Man : far from home est le film idéal pour qui, comme moi, ne suit plus que d'un œil les sorties Marvel. Je me souviens m'être dit, devant Captain America : Civil war en 2016, que le studio avait bradé ses super-héros, qu'il était impossible désormais de prendre au sérieux cette farce en costume où chaque personnage n'est que le figurant d'une insipide histoire collective. J'ai d'ailleurs découvert les derniers développements de la saga dans l'introduction de ce nouvel opus de Spider-Man, avec tous ces gens qui se volatilisent et reviennent en un claquement de doigt. L'intérêt du film est d'intérioriser, via le personnage de Mysterio, l'idée selon laquelle les super-héros existent si peu qu'ils peuvent disparaître et réapparaitre à l'envi. Mysterio est un ancien employé de feu Tony Stark, cherchant à prendre sa place en simulant des combats épiques dont il est le héros : sous les apparences de l’affrontement super-héroïque se cache une armée de drones contrôlés par le félon. Entre les lignes, le film fait l’aveu de sa propre vacuité : l’illusion qui le fonde ne tient qu’à un fil.

Il n'est pas anodin non plus que, dans cette nouvelle série de Spider-man avec Tom Holland, ce soit un adolescent qui soit confronté à cette réalité intermittente et précaire. Une réplique shakespearienne, tirée d'Henry IV, est citée comme alternative aux grands pouvoirs impliquant de grandes responsabilités - "Uneasy lies the head that wears a crown" -, mais c'est tout aussi bien le "To be or not to be" d'Hamlet qui aurait pu servir à relier toutes les intrigues entre elles : être ou ne pas être le nouveau Tony Starck, être ou ne pas être le petit ami de MJ, et être ou ne pas être tout court, dans les mises en scène oniriques échafaudées par Mysterio. Rien de sérieux, pourtant, dans ce voyage de classe où les capitales européennes défilent tout en faisant de la crise identitaire de Peter Parker un matériau de teen movie. Si le spectre paternel de Tony Stark fait son apparition, c'est sous la forme désormais totalement démonétisée du super-héros Marvel : une pair de lunette donnant accès à une palette de pouvoir, ou une machine à fabriquer le costume idéal.

mardi 4 juin 2019

Séances de mai et rattrapages cannois

Portrait de la jeune fille en feu (Copyright Pyramide Distribution)

Lourdes, de Thierry Demaizière et Alban Teurlé
Touchante immersion aux côtés de pèlerins à Lourdes. Ce documentaire en forme de reportage a l’empathie de la caméra embarquée, portée à croire en tout ce qu’elle filme, comme l’illustre une scène amusante où des gitans commentent avec enthousiasme la vidéo d’un improbable miracle filmé via plusieurs écrans de téléphone interposés.

John Wick Parabellum, de Chad Stahelski
Film d’action placé sous l’empire du nombre : les armes et les munitions se multiplient à l’infini (les décors se muant en réserves d’arme inépuisables), les rapports de forces sont quantifiés et classifiés avec rigueur (au-dessus ou au-dessous de la « Grande Table ») et chaque action semble devoir constituer une monnaie d’échange (ce qui fait leur ambiguïté, toute pièce ou médaille ayant son revers comme tout acte sa motivation secrète). Dans ce genre là, le film est une indéniable réussite.

Les Siffleurs, Corneliu Porumboiu
Comment ne pas tomber sous le charmes des Siffleurs, utilisant les codes du polar pour inventer une autre langue, légèrement à coté (celle des siffleurs, de toute évidence). Un vrai film de personnages : plutôt taiseux, ils font rire et émeuvent sans qu’on sache exactement comment.

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma
Une peintre tombe amoureuse de la femme dont elle doit faire le portrait pour son futur époux. Méditation sur le regard d’artiste, le film de Céline Sciamma est ambitieux : il est question de donner vie au modèle en bousculant les représentations conventionnelles, liées au point de vue masculin. Edifié dans cette perspective, le scénario est une jolie construction où tout s’imbrique : le sentiment amoureux, la solidarité féminine qui se met en place sur cette île sans homme, et en même temps l'impossibilité de cet amour, sublimée par l'art et par le recours au mythe (notamment celui d'Orphée, qui perd Euridice au moment où il veut la regarder.) Mais malheureusement, toute habile qu'elle soit, cette histoire n'échappe par à l'académisme, passant dans sa réalité concrète à côté de sa promesse d'incarnation. Ce sont d'autres conventions que Sciamma substitue à celles qu'elle croit bousculer : ses symboliques sont surlignées, ses cadrages appuyés, et ses dialogues prévisibles. Les personnages sont corsetés - que les habits soient neufs ne change rien à l'affaire. D’ailleurs, la peinture reste in fine la seule manière possible de représenter cet amour. Ce n'est pas le tableau qui prend vie, mais la vie qui devient toujours un tableau, comme lors de cette scène d'avortement qui se répète, transformant une réalité humaine en geste artistique bien trop conscient de lui-même.

This must be heaven, d'Elia Suleiman
Pérégrination d’Elia Suleiman entre la Palestine, Paris et New-York. Le comique de cadrage fonctionne à plein. On peut trouver le procédé et le discours politique un peu appuyés, mais ils donnent lieu à quelques séquences hilarantes, naviguant entre la satire, la rêverie et l’absurde.

Sibyl, de Justine Triet
Après Victoria, Justine Triet poursuit sa collaboration avec Virginie Efira et son exploration des affres de la dépression. Le film frappe par un montage audacieux, où les souvenirs d’une psychologue et la relation avec ses patients se mêlent au travail d’écriture et aux questions de mise en scène cinématographique, comme autant de visages de l’emprise psychologique. Objectivement très bien fait  même si ses enjeux m’ont justement un peu laissé sur le côté.

Le Traître, de Marco Bellochio
L’histoire de Tommaso Buscetta, premier mafieux italien à avoir collaboré avec le juge Falcone à la fin des années 80. Film intéressant à la fois pour ce qu’il raconte et pour la manière dont il traite l’imagerie de la mafia sicilienne. Le film commence par une photo de famille qui porte en elle les germes de sa fin : derrière l'appareil photo, Bellochio met en scène une sorte de monde sous cloche, guetté par la déliquescence. Quelques années plus tard, les parrains et leurs lieutenants ne sont plus que des spécimens en cage, revenus à l'état de petites frappes, freaks montrés dans des procès publics. Bellochio filme les derniers feux de la Cosa Nostra comme un spectacle qui s’éternise, une fin qui n’en finit pas, de vendetta en attentats.

lundi 25 février 2019

Séances de janvier et de février


Bohemian rhapsody, de Bryan Singer
Pas convaincu par ce biopic en forme de Greatest Hits qui échoue là où il croit réussir - à savoir dans sa volonté de reconstitution à la fois fétichiste et spectaculaire, culminant dans la scène du Live Aid de 1985. Si la ressemblance rigoureuse de cette séquence avec la retransmission de l'époque (soulignée ici) est en effet frappante, la maniaquerie du projet d'ensemble aurait plutôt tendance à vider la musique de sa sève : les titres et les périodes du groupe s'enchaînent dans des montages paresseux, comme dans une mauvaise playlist radio entrecoupée de spots publicitaires. Sauf qu'ici, la pub, ce sont les scènes d'enregistrement qui réduisent chaque chanson à une supposée trouvaille du groupe.

Bodied, de Joseph Khan
Peut-on aimer un film dont tous les personnages sont détestables ? Bodied est une plongée dans le monde des battle de rap, sur les pas d'un personnage de petit blanc, étudiant en littérature, qui voudrait s'y faire un nom. Mais le film met moins en scène les joutes des rappeurs entre eux que le combat qui les oppose aux social justice warriors des campus américains. Une mécanique infernale où s'alimentent mutuellement le politiquement correct et les humiliations déversées au hasard par des poètes du samedi soir. Moraline contre méchanceté cheap : bienvenue dans l’enfer de 2019.

La Mule, de Clint Eastwood
Quel plaisir de voir à nouveau Eastwood trimballer son corps de vieux pour chambrer, sourire, ronronner, grimacer, marmonner, jurer, imiter des personnages de son époque, chantonner un peu à contretemps, dans un film qui ressemble à tout ça à la fois. Ce mode d'être, qui contamine le film, fait penser à un monde perdu qu'il s'agit de reconduire ou de réparer, en répétant les mêmes gestes patients, comme ceux d'un fleuriste qui s'occupe de ses lys d'un jour. Eastwood semble sorti de sa phase crépusculaire : La Mule ne pose pas en dernier film, son modèle est au contraire la répétition bucolique et sereine.

A Cause des filles..?, de Pascal Thomas
Un jeune marié s'enfuit dès la sortie de l'église, laissant la mariée et les convives festoyer sans lui, sur une plage au bord de la mer. Le film est fait de leurs récits qui se succèdent, comme autant de saynètes. On y trouve à la fois le pire et le meilleur de Pascal Thomas. Du côté du pire, une tendance au clin d'oeil graveleux (le sketch de la prof aguicheuse jouée par Marie-Josée Croze par exemple). Dans son versant positif, pourtant, ce côté obsédé fonctionne comme un véritable carburant à fantaisie, qui donne vie à ces histoires improbables, dans un esprit libre et inventif. On retrouve alors l'anarchisme distingué de La Dilettante, et même par petites touches discrètes, son côté mélodramatique qu'il y avait dans Confidence pour confidence. A ce double titre, le sketch avec José Garcia en père de famille nombreuse est particulièrement attachant.

Guy, Alex Lutz
Alex Lutz joue le rôle de Guy Jamet, vieux chanteur de variété fictif, à mi chemin entre Claude François et Michel Sardou, qu'un jeune journaliste décide de filmer après avoir appris que celui-ci était son père. Difficile de définir ce qui fait l'intérêt de cet objet bizarre, sinon le soin et l'entêtement avec lequel il est façonné. C'est le même art du détail dans le jeu de Lutz et dans la confection de ce faux documentaire qui rendent le personnage émouvant : il aurait tout à fait pu exister, et pourtant il n'existe pas.

vendredi 28 décembre 2018

Top 2018



Top 5 2018 :
1. Heureux comme Lazzaro - Alice Rohrwacher
2. A L’ombre d’Emily - Paul Feig
3. La Ballade de Buster Scruggs - Ethan Coen, Joel Coen
4. La Mort de Staline - Armando Iannucci
5. Une affaire de famille - Hirokazu Kore-eda

Mentions spéciales :
Spider-man : new generation - Bob Persichetti, Peter Ramsey, Rodney Rothman
Roma - Alfonso Cuaron
Les Veuves - Steve McQueen
En Liberté ! - Pierre Salvadori
Tully - Jason Reitman
First Man - Damien Chazelle
Senses - Ryusuke Hamaguchi

Tout était fait pour que j'aime, mais finalement non :
- First Reformed - Paul Schrader
- Ready player one - Steven Spielberg
- Molly's game - Aaron Sorkin




mardi 18 décembre 2018

Séances de décembre

Leto, de Kirill Serebrennikov

Leto, de Kirill Serebrennikov
Triangle amoureux sur fond de rock dans l’union soviétique de Brejnev. Kirill Serebrennikov joue avec les surfaces : l’énergie d’une jeunesse sous la façade officielle du « rock club » de Leningrad, quelques plans en couleur sous le joli noir et blanc, l’image de Victor qui fait vaciller celle de Mike, l’icône rock, dans le cœur de Natalia. Tout est donc une histoire de couches : chaque plan peut craqueler et laisser voir une autre réalité, ou à l’inverse se retrouver recouvert de griffonnages, comme c’est le cas dans des séquences musicales réinterprétant musicalement des situations quotidiennes. Un pur film de fantasmes jamais réalisés, donc, et en cela assez inoffensif.

Une affaire de famille, de Hirokazu Kore-Eda
On a un peu vite tendance à faire de Kore-Eda le peintre attendri de la famille choisie (plutôt que la famille subie). En voyant Une affaire de famille, on comprend que c'est plus compliqué. Dès la première partie du film, et plus clairement dans la seconde, le tableau fait de cette famille est ambivalent : on ne saura jamais vraiment s'ils ont accueilli ou enlevé les enfants avec qui ils vivent, et l'insistance que met le personnage du père à se faire appeler "papa" est aussi touchante qu'oppressante pour l'enfant à qui il s'adresse. Le cocon familial, qui prend la forme d'un appartement tout en bricoles et en chausse-trappes, recèle ses lieux cachés qui sont autant d'espaces de libertés, propice à l'imagination, que de possibles prisons - c'est d'ailleurs sous la maison que sera enterrée la grand-mère si attachante. Kore-Eda ne fait jamais totalement basculer le point de vue d'un côté ou de l'autre, il montre cette famille de fortune telle qu'elle a été, jusqu'à son inéluctable fin.

Heureux comme Lazzaro, d'Alice Rohrwacher
(Attention, je dévoile ici quelques éléments clés de l’intrigue.)
Difficile de dire en peu de mots tout ce que ce film parvient à cristalliser, entre une certaine réalité sociale, la légende paysanne, l’hagiographie et le récit biblique - sans lourdeur et toujours au service d’une histoire singulière : celle de Lazzaro, simple d’esprit dans une exploitation agricole italienne des années 80. Vraiment convaincu par la manière dont Alice Rohrwacher utilise le merveilleux chrétien pour déployer son récit d’une époque à l’autre, avec des miracles aussi saugrenus (comme il se doit dans une vie de saint) que profondément naturels au personnage.

Spiderman new generation, de Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman 
Mieux que d'autre films de 2018 (Ready player One par exemple), Spiderman new generation parvient à faire cohabiter différents régimes d’images sans sacrifier la lisibilité de l'action. On voltige entre l’animation, le comic book, des touches de street art, de cartoon et d'animé japonais. Phil Lord, au scénario, sait tirer de cette esthétique fragmentée, et d’une idée compliquée (un trou noir et plusieurs dimensions), un véritable film pour enfants.

Roma, d'Alfonso Cuaron
Je n’ai pas été gêné comme d’autres par la virtuosité affichée des plans séquences de Roma, en revanche j’ai d’abord eu du mal à comprendre l’intérêt du noir et blanc, qui m’a semblé aplatir l’image et la neutraliser. De fait, peu de chose ressort de la première partie, sinon la familiarisation progressive avec le personnage de Cleo. Mais on découvre justement, au gré des événements qu’elle traverse, que tout l’intérêt du film est là : dans ce point de vue flottant, persistant, accueillant avec une sorte de flegme vital la variétés des peines et des joies d’une vie.

vendredi 7 décembre 2018

Séances de novembre


First Reformed, de Paul Schrader
J'ai beau être parfaitement dans la cible de First Reformed, de Paul Schrader, j'ai du mal à aimer ce film, qui transplante brillamment le mélodrame du doute religieux (à la Bresson et Bergman) dans un monde moderne, avec ses peurs et ses questions existentielles spécifiques. Mais, à l'exception d'un moment magnifique, je trouve le film un peu poseur, se contentant d'envoyer les signaux mystico-pessimistes et de jouer avec les symboles. Le traitement par Schrader de son sujet de toujours est un peu emprunté (sur un thème voisin, il était plus surprenant par exemple dans Touch).

La Ballade de Buster Scruggs, de Joel et Etan Coen
La juxtaposition des formats courts est parfaitement adaptée au style des frères Coen, qui se joue de l'anecdotique, le pousse jusqu'à l'absurde et, paradoxalement, jusqu'à une forme d'émerveillement.

Les Veuves, de Steve McQueen
Un film de genre investi par une scénariste (Gyllian Flynn) et un plasticien (Steve McQueen), cela donne moins une démonstration de mise en scène qu'une collection de beaux personnages et de belles idées. Je retiens par exemple un dialogue en hors champ entre un politicien et sa conseillère en communication, dans une voiture, qu'on surprend comme un enregistrement qui aurait fuité. Le film parvient en deux heures à donner vie aux quatre personnages féminins, puis à les faire coexister, sans forcer le trait ni hâter les trajectoires.  


jeudi 8 novembre 2018

Séances d'octobre




A Star is born, de Bradley Cooper
Le mélodrame musical fonctionne. J'ai été frappé par l'animalité des deux personnages, qui semblent ne pouvoir communiquer que par le chant, le geste ou l'étreinte. Le tragique de leur histoire d'amour est inscrite dans cette difficulté à s'exprimer (Bradley Cooper dit à un moment avoir été contraint de voler la voix de son frère) ou à écouter (le même personnage perdant l'ouïe).

Halloween, de David Gordon Green
Mise en scène chichiteuse. DGG est si obsédé par le duo Michael Myers / Jamie Lee Curtis qu'il oublie de développer les nouveaux personnages qui pourraient donner vie au film - triturer une mythologie ne suffit pas à faire peur. Par contre, Halloween est intéressant sur ses références aux années 80. Il vient après tous ces films nostalgiques à la It et Stranger Things mais en en retournant l’enjeu : ce n’est plus une période qu’on regrette, mais une époque à laquelle on est condamnés. Entre hier et maintenant ce sont les mêmes vêtements, les mêmes bals de promo et les mêmes démons. Le film se passe dans une Amérique où l'idée de progrès n'a plus vraiment cours.

First Man, de Damien Chazelle
Il est ingrat pour Chazelle d'arriver après Gravity et Interstellar, auxquels il emprunte respectivement la bulle immersive et l'hommage aux pionniers de la nouvelle frontière, façon Etoffe des héros. Mais la véritable singularité de First Man tient à mon sens à sa tonalité mélancolique. Chazelle fait de la Lune l'astre de la nostalgie : une espèce de soleil sombre du passé, du deuil, de ce qui n'est plus là, qui justifie la photographie à l'ancienne et donne à Neil Armonstrong son caractère ombrageux. Un pas en avant pour l'humanité, mais un pas en arrière (ou en dedans) pour un personnage tout en intériorité.

L'Ombre d'Emily, de Paul Feig
Totalement sous le charme de ce film à la fois hors du temps et jouant avec des archétypes modernes plutôt pertinents (la maman vlogueuse jouée par Anna Kendrick). C'est une comédie qui se transforme vite en farce macabre avec un jeu de récits et de montages très audacieux (les flashback qui disent autre chose que la voix-off pare exemple). En fait, Paul Feig remet au goût du jour le principe de la comédie policière : un genre postulant que la mises en scène peut traiter dans un même geste les mystères policiers et les sous-entendus humoristiques, les rebondissements d'une enquête et les effets comiques.

Le Bureau des légendes - saison 4, d'Eric Rochant
La présence de Mathieu Amalric dans cette nouvelle saison et l'importance que prend petit à petit son personnage détraque la belle mécanique de la série. Impression de voir un transfuge de Desplechin infiltré dans le monde de Rochant : il cherche partout de la pourriture, de la perversion, des motivations secrètes. Or s'il y a bien quelque chose d'absent dans les personnages de la série depuis le début, c'est bien la perversion. Ils sont tous très droits, au contraires - même la trahison de Malotru est présentée dans les saisons précédentes comme une fidélité supérieure. La série perd avec les soupçons d'Amalric son côté efficace, fonctionnel, sans pour autant gagner en profondeur (Amalric emploie les mêmes mines torturées que chez Desplechin, mais pour dire les banalités de Rochant).


samedi 13 octobre 2018

Cyrano au pays des teen movie netflix


Trois comédies romantiques sorties sur Netflix à la rentrée partent de la même idée de machination amoureuse. Dans Petits coups montés, deux employés arrangent une histoire d'amour entre leurs boss respectifs. Dans A tous les garçons que j'ai aimés, une jeune fille se trouve entrainée malgré elle dans une relation simulée avec le beau gosse du lycée. Et dans Sierra Burgess is a loser, une lycéenne complexée joue les Cyrano en entretenant une relation téléphonique où elle se fait passer pour une autre, plus populaire qu'elle.

Il y a, dans les trois cas, une comédie dans la comédie. Et des dispositifs censés apporter au genre une nouvelle fraicheur. On attend le transfert d'une strate de mise en scène à l'autre : que ceux qui ont fomenté le coup monté soient pris à leur propre piège, que ceux qui font semblant d'être un couple se découvrent amoureux, et que la Cyrano par texto gagne véritablement le coeur de Roxane. Mais alors que tout cela a lieu, on est surtout marqué par des personnages hyper-conscients d'eux-mêmes, grignotés par la théâtralité ambiante : les acteurs de Petits coups montés sonnent faux, ceux d'A tous les garçons ne savent que minauder.

Sierra Burgess is a loser sort du lot. D'une part en acceptant d'explorer jusqu'au bout les conséquences étrange ou problématiques de la machination, comme en témoigne cette scène bizarre où Sierra parvient à embrasser le garçon qu'elle aime alors qu'il ferme les yeux. D'autre part en déplaçant l'enjeu en cours de route, d'une histoire d'amour à une histoire d'amitié.