jeudi 12 novembre 2009

Apocalypse, démocratie et herbes folles

Etait-ce une si bonne idée d'enchaîner à un jour d'écart Les Herbes folles et 2012? Je me pose la question, parce que depuis hier j'ai dans la tête des rapprochements farfelus - franchement: Alain Resnais et Roland Emmerich! Et pourtant je n'y peux rien, ces deux films apparemment étanches l'un à l'autre semblent bien suivre une unique et secrète trame (carrément bien cachée, même, cette trame, le raisonneur en moi l'avoue facilement).


Ce qu'il y a de commun, entre 2012 et les Herbes folles, c'est l'aura de la narration, le pouvoir illimité de l'histoire racontée. Entre la prophétie maya qui se réalise (2012) et l'anedocte romanesque dite par Edourd Baer (Les Herbes folles, vous l'aviez deviné, mais je précise pour faire symétrique), on pourrait se demander s'il y a vraiment plus qu'une différence d'échelle. Dans les deux cas, il y a une forme de fatalité narrative - de déterminisme - qui vient menacer l'intégrité physique de nos personnages, voire simplement les fracasser. Que ce soit la fin du monde ou la rencontre explosive d'un homme et d'une femme, c'est comme si l'effet d'annonce avait un pouvoir magique. Origine et point de fuite, on ne fait que graviter autour de cette fin dernière qui engouffre tout et tout le monde. D'ailleurs, nous parlions de questions d'échelle: il y a d'étonnants parallèles à faire entre les gouffres qui avalent des villes entières et les sols fissurés dans lesquels poussent les herbes folles - il suffit de prendre un peu de hauteur (en avion, dans les deux cas). Il est quand même assez drôle de constater que l'écrit qui a l'air le plus implacable (l'apocalypse maya) laisse en vie les héros, quand le récit apparemment anecdotique (la voix parfois hésitante d'Edouard Baer) se couronne d'une fin cruelle pour les personnages.

Là où nos deux films prennent des voies opposée, c'est dans la manière dont ces histoires s'écrivent et se mettent en scène. Dans 2012, il y a l'obsession du storytelling, de la petite histoire faite pour en dire long sur la grande. On s'aperçoit par exemple que les débats moraux et les instants fatidiques sont retranscrits sur grand écran. Quand Adrian, le scientifique éclairé, combat pour la démocratisation de l'apocalypse, c'est en visio-conférence avec les puissants de ce monde, embarqués eux aussi. Quand la famille re-recomposée, coincée dans une pièce inondée, sauve l'arche du naufrage, c'est encore tout le monde qui profite du spectacle. Le président, lui, n'a même pas besoin de caméra, tellement son sacrifice rayonne de mille feux (quoique, il y a bien une allocution au peuple, moment démocratique parfait, auquel tout le monde participe en face de sa télé). Bref, il y a tout une série de films dans le film, comme pour faire comprendre avec les moyens du bord qu'on a affaire à l'histoire de l'Histoire. Cela donne aussi un côté amusant et superficiel à la chose: on voit bien qu'en off, notre Adrian national n'a pas l'air si mécontent de se retrouver entre gens de bonne compagnie - le spectacle n'est pas, dans 2012, qu'une affaire de fête foraine.

Autant le film d'Emmerich est aussi attendu - et annoncé - que la fin du monde, énième réécriture de l'ultime catastrophe, autant celui de Resnais est fou, libre, surprenant. Si le narrateur est omnipotent, il laisse pourtant une place aux pensées et idées fixes des personnages - probablement pour mieux les retourner contre elles-mêmes. André Dussolier est excellent de mystère et d'imprévisibilité. Mais c'est surtout la mise en scène qui frappe par sa perpétuelle créativité, son ingéniosité formelle: tous ces moments où l'on perd la notion du temps et de l'espace (par exemple grâce aux effets de bande-son pendant le dîner avec les enfants), comme pour donner une impression de vertige ou d'apesanteur, de même que le sac volé à Sabine Azéma reste un temps en suspens dans les airs. Au fond, cette liberté est très conciliable avec le fatum narratif: c'est justement une déclaration d'amour à la force des choses, un hymne au saut dans le vide. Ne vous inquiétez pas, je n'irai pas jusqu'à dire que Resnais fait au cinéma une profession de foi pascalienne: assez de comparaisons bizarres pour aujourd'hui...

samedi 7 novembre 2009

Le Concert, de Radu Mihaileanu


L'âme russe, c'est un peu comme la valise de Mary Poppins: on se demande toujours ce qui va en sortir. Dans le Concert, on se retrouve avec quelque chose d'assez gros. Il ne fait pas dans la dentelle, Radu Mihaileanu. Et c'est pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c'est-à-dire les moments comiques aussi poussifs que jouissifs, plus le concerto pour violon opus 35 de Tchaïkovski qui, quelque soit le traitement auquel il est soumis, reste le concerto pour violon opus 35 de Tchaïkovski.

Mais il faut dire qu'il est rude, le traitement (ici on passe au pire), si l'on comptabilise tous les flashbacks explicatifs, Miou Miou et la durée des dialogues en Français façon "tempérament slave" (Ah! L'usage poétique de l'infinitif: "moi chercher beaucoup harmonie"). Bref, même si les défauts abondent à un débit de centrale hydraulique, on est tout surpris de se surprendre à rire. Puis à frissonner, mais ça c'est l'effet Tchaïkovski.

vendredi 6 novembre 2009

Two lovers, de James Gray


Le titre est assez transparent: Two lovers, deux amours, ou deux maitresses. Ce qui est moins transparent - et ce n'est précisément pas fait pour l'être -, c'est le sens profond du film de James Gray. Au contraire, le principe secret du film semble bien être une forme d'opacité réfléchissante: des plans, des actions, qui renvoient à eux-même personnages et spectateurs. A cause de cette fermeture, Joaquin Phoenix a l'air de se cogner aux murs d'une chambre trop petite pour lui. Comme nous, en somme, qui avons la désagréable impression de buter sur l'absence nécessaire de signification.

Et pourtant, si le film est réussi, c'est que ça résonne toujours mieux dans une impasse que sur une autoroute. D'autant plus que cette histoire de chambre, de lieu clos propice aux songes, est parfaite pour faire de l'une des deux maîtresses (Gwineth Paltrow) une créature de pellicule: un fantasme. C'est la clé, au fond, de la structure en miroir de Two lovers, croisement entre la romance et le film noir: la brune raisonnable, une épouse en puissance, contre la blonde mystérieuse, une fuyante idole de chair (surprenant, au passage, que ce soit dans ce sens-là).

La seconde, à la limite, n'existerait pas que ce serait pareil - elle resterait une image dans l'objectif: une invitation au voyage d'autant plus impossible que la relation avec l'autre est réaliste, une rencontre d'autant plus fortuite que l'engagement avec l'autre est socialement nécessaire. Invitation au voyage, nous avons dit, car c'est surtout avec elle que notre personnage s'aventure hors de l'appartement: sur le toit de l'immeuble, au restaurant, dans le métro. Un voyage en trompe-l'oeil éternellement ramené à la chambrée adolescente. La fuite est suscitée et interdite par la même trame narrative qui conduit irrésistiblement vers le monde de la brune Sandra. Le symbole en est la bague de fiançaille: achetée pour l'une, offerte à l'autre.


mardi 3 novembre 2009

Away we go, de Sam Mendes - d'autres vies que la leur



Un comique français célèbre avait l'habitude de commencer ses sketches par un "c'est l'histoire d'un mec...". Dans le cas de Sam Mendes, l'accroche rituelle serait plutôt: "c'est l'histoire d'un couple..." - et son nouveau film, Away we go, ne déroge pas à la règle. C'est l'histoire d'un couple, donc, qui avant la naissance de son premier enfant décide de partir en voyage, à la rencontre d'autres couples, pour décider de la vie qu'ils veulent pour leur famille à venir.

Premier choix, marqué, du cinéaste: les acteurs. Elle, Maya Rudolph, dont le visage typé est relativement neuf au cinéma et lui, John Krasinski, dont l'allure de barbu à gros pif n'est pas banale non plus, et qu'on connaissait surtout pour son interprétation de Jim, le personnage officiellement sympathique de The Office version US. Le but, on l'a compris, est de donner à ce couple d'américains l'image la plus simple et la plus singulière possible.

Le même parti pris est adopté pour la galerie de portraits des couples visités (je ne suis pas sûr qu'il faille tenter la comparaison avec l'épisode biblique de la Visitation, ou alors sur un mode désenchanté, voire un peu ironique). Chaque famille que découvre notre couple en recherche a beau représenter une catégorie de personnes, un mode de vie particulier, aucune n'est pour autant résumée à un type. Et c'est justement la bizarrerie des choix de vie, la folie, la joie et la tristesse de tous ces gens qui donnent au film son énergie. L'une assume en perpétuels fou-rires sa vie déprimante d'américaine de base, l'autre élabore des théories sur l'éducation naturelle, quand chez d'autres encore, le bonheur affiché cache une douleur plus profonde. Ce n'est pas tant que ce pot pourri "fasse vrai" - quoiqu'il se trouve justement qu'il fait assez vrai -, c'est surtout qu'il est l'occasion de sauts entre les registres - la comédie, le drame, la satire - et le prétexte à des scènes plutôt jubilatoires.

Il y a enfin une certaine naïveté dans cet Away we go, surprenante de la part du réalisateur d'American Beauty. Ce n'est pas tous les jours qu'un cinéaste censément spécialiste en démythification de la vie de couple nous fait entendre de telles déclarations d'amour, nous met ses personnages dans une "si belle maison...", avec des fenêtres qui donnent sur la mer sans aucun complexe. C'est tout à son honneur, car il est toujours plus facile de croquer le couple bourgeois que de rendre justice au sentiment amoureux.

Ceci concédé, il faut préciser que, dans la mise en scène de nos deux amoureux, Sam Mendes tombe dans plusieurs travers du cinéma américain "indépendant". On a les couchers de soleil opportuns, filmés de manière vaguement artsy. On a surtout, dans les moments de vérité, l'enclenchement fatidique de la guitare acoustique, qui sert à accompagner des chansonnettes fades. C'est dommage - car le film n'est pas pour cela raté -, mais ce n'est pas cette fois-ci que Sam Mendes aura réussi à ré-enchanter son cinéma.

lundi 2 novembre 2009

Little Odessa, de James Gray



Pour savoir à quoi ressemble Little Odessa, il faut s'imaginer Antoine Doinel jeté dans le quartier enneigé de Brighton Beach, sanctuaire de la mafia russe - l'endroit qui donne au film son titre. Antoine Doinel, c'est Edward Furlong, un adolescent à la mine candide, qui fait son école buissonnière à vélo. Il fuit une atmosphère familiale plombée par la maladie de sa mère, la dureté de son père et l'absence de son frère enrolé dans la mafia. Les intenables retrouvailles avec ce tueur à gage de frère, voici justement ce que raconte le premier film de James Gray.

Deux regards silencieux sont confrontés. Le premier, ouverture du film, est celui du tueur. Le second est celui de l'enfant redécouvrant, avec ce tueur, le lien du sang. Mais dire cela, c'est déjà trahir le silence qui de part en part traverse le film - percé ici et là par des psalmodies slavonnes. Car la première qualité de ce film, c'est ce recul, cette retenue qui ceint les instants les plus dramatiques. Comme si James Gray avait le souci de ne pas révéler plus que ce qui se joue sous nos yeux - ou plutôt, de ne rien signifier en surplus de ce qui se passe dans chaque plan. Difficile de dater ce film de 1994, qui se passe probablement dans les soixante-dix: l'effet de distance et de mystère met perpétuellement le doute sur le temps et le lieu.

Une forme de recueillement, donc, qui donne à Little Odessa une atmosphère religieuse somme toute pas incohérente avec ce dont il est question: la mort de la mère ou le pouvoir du père, violemment contesté dans un élan sacrilège, le revolver au poing. Une atmosphère pas incohérente non plus avec l'esthétique cinéphile déployée, nous en avions parlé à propos de La Nuit nous appartient. Il y a en effet quelque chose comme l'embaumement d'un regard déjà promis à la mort et à la cendre (le feu final). Aussi ne faut-il pas s'étonner que Reuben, le petit frère, soit tué à travers un écran blanc, qui est déjà son linceul.