samedi 29 septembre 2007

Le dieu du stade



De tous les superhéros, ou du moins des plus célèbres, Superman est sans conteste le plus ridicule. Super-omnipotent, super-bienveillant, super-esthétique (une perfection de visage angoissante d’artificialité), super-omniscient (oui, il entend tout du ciel !) vous l’aurez compris : Superman, c’est Dieu. Zou! Envoyez les métaphores. Tout commence par une évidence visuelle presque discrète, celle d’une pietta, Mme Kent prenant dans ses bras un Clark inanimé tout juste retombé du ciel. Tout fier de sa découverte, Singer fait marcher la machine jusqu’à l’épuisement : Dieu tout-puissant, Sauveur souffrant, christ martyrisé retombant dans sa cape pourpre, corps glorieux, Père, Fils, Saint Esprit... On n’a pas envie de dire amen. Il faut voir de quel Dieu nous parle ce film. Du même acabit que le duo de la Belle et la Bête de King Kong, ce Dieu, célébré par une orgie visuelle, s’incarne en excroissance cinématographique. Les créatures de Peter Jackson avaient au moins le mérite d’être un peu enchanteresses.


Dieu immanent, il est toutefois amusant de voir à quel point aucune empathie n’est possible avec Superman. Comment s’identifier à ce type pour qui absolument tout est possible ? (La kriptonit? Ce n'est qu'une vaste arnaque qui ne le gêne qu’un instant.) Peu de place pour Clark Kent dans ce Superman, à part quelques brèves apparitions sous un déguisement terriblement grossier de journaliste bredouillant. Eh oui, le costume est celui de citoyen: superman est le seul superhéros qui vient d’une autre planète. Le seul qui soit à ce point inhumain. Il ne fait que mimer, pour illusionner la foule, l’effort, la douleur, l’émotion : pour celui qui peut tout, comment marquer naturellement la différence de difficulté d’un exploit à l’autre ? Au fond, dans sa version conviviale, superman n’est plus que le clown mimant des péripéties. Un phénomène de cirque.


Sa version cosmique est bien plus effrayante. Son corps, sa puissance, s’assimilent à la nature, au monde et à son fourmillement urbain et technique : son souffle est aussi fort que le vent, ses bras soulèvent des continents, ses narines servent de réacteurs aux navettes spaciales (la classe !). La voilà, la fascination pour superman. C e qui plaît probablement aux amateurs de ce film, c’est la débauche de mauvais effets techniques, d’ailleurs pour la plupart pillés à d’autres films. Ce qui plaît aux gens chez superman, c’est tout simplement un envie de puissance. Peut-être celle des grands temples du jeu, les stades (comme celui où atterit l’avion détourné par superman.) Face à ce personnage comique et un peu effrayant, on comprend que Lex Luthor fasse bien pâle figure avec sa bande de rapetous et ses discours vaguement cyniques sur Prométhée...

Deux coups de tête



Ce qui s’est passé le 9 Juillet 2006 n’est pas simplement mesurable à l’aune des classements de la fifa. Deux coups de tête. Le premier, image du victorieux de 98, est venu se briser, à l’horizontal, sur la barre transversale. Coup dur pour la mémoire télévisuelle des français. Quant au second, personne ne le vit arriver - et ce détail est loin d’être anecdotique. D’abord, une sorte d’agitation confuse pressentie hors du cadre. Après un temps d’hésitation nous apparaît, enrobée par le silence du mystère, la furie d’un coup asséné par Zidane sur la poitrine d’un italien gominé - vous excuserez le pléonasme. Image venue de nulle part, si ce n’est de ces zones opaques et incertaines du hors-champ - il fallut en fait l’intervention de la plus effacée des éminences grises, le quatrième arbitre, pour avoir une vidéo déterminant le carton rouge.


Ce carton fut précurseur d’un chaos : la fantasmagorie télévisuelle du black-blanc-beur a-t-elle volé en éclat sur la transversale ou sur le sternum de l’Italien ? Quel fut le premier, quel fut le second coup de tête ? Il sembla presque que cette action, surgie d’un « espace additionnel » - le hors-champ - bouleversait la stratégie narratrice du « temps additionnel ». A croire que la première tête de Zidane, frappée de malédiction, avait été manquée à cause du carton.
Pourtant, ces images furent loin de signifier la fin d’un mythe. Le propre de l’image et du spectacle, est de s’approprier, d’engloutir et parfois même de produire ce qui va à l’encontre de ses propres valeurs. Cette faiblesse, une fois sortie des ténèbres, fut à l’image une force d’autant plus grande.


Car il faut se l’avouer, quoi de plus beau que ce coup de boule de Zidane ? Quand Zizou met un coup, ce n’est pas la mauvaise béquille à la dérobée, la petite claque mesquine du latin excité. Non, nous avons eu le droit à un geste bien vertical, à un coup propre, à une faute en règle, tant efficace qu’esthétique. Merci d’ailleurs à ce grand comédien de Matterazzi qui voulu bien se prêter au jeu en s’étalant de tout son long. Voilà une histoire, vieille comme la mythologie, de mort et d’apothéose. On en oublierait presque que c'est le foot sur tf1.

Moustaches - Le World trade center et le Grand Meaulnes



Personne ne s’y attendait, c’est venu comme ça. Comme tous les grands événements. Le monde du cinéma n’a plus peur de rien désormais. Deux films fondé sur le prédicat selon lequel l’intempestif port de moustache est permis par les codes esthétiques de l’art cinématographique.


On peut comprendre à la limite le choix d’Oliver Stone. Son parti-pris est de filmer le 11 septembre à l’envers. Nous avons tous vu à la télé les images choc de l’avion qui s’écrase, des tours qui s’effondrent et des gens qui fuient. Dans World Trade Center, tout cet aspect n’apparaît qu’à contrejour, comme l’ombre de l’avion projetée sur une façade d’immeuble. Ce qui était dans l’obscurité, Oliver Stone le montre et ce qui était au plein jour de l’actualité mondiale, il nous le cache.


De là la volonté de filmer des personnages vrais, portant les valeurs de l’Amérique. Or qu’est-ce qui différencie un personnage faux (l'acteur hollywoodien), d’un personnage vrai ? Et surtout : un faux flic d’un vrai flic ? Malheureusement pour nous tous...c’est la moustache. Il parut alors nécessaire au réalisateur, probablement enivré de cette découverte, d’imposer le port de la moustache au trois quarts de ses acteurs. Ce petit égarement ne fait que trahir la fausseté générale de cette volonté de faire vrai. De détail réaliste, la pilosité fantaisiste se mue en pur et simple déguisement (et il s’agit d’un attentat, pas d’un bal masqué.) Le malheur, c’est qu’il en est de même pour le reste du film, particulièrement les scènes familiales. Ce n’est pas tant que les valeurs du film soient critiquables, comme on l’a laissé entendre en France, mais Oliver Stone échoue à rendre poignant le versant humain de l’histoire.


Le problème n’est pas franchement le même pour Le Grand Meaulnes. Nous parlerons plutôt ici d’un gigantesque gâchis (gâchis de l’histoire d’Alain Fournier, gâchis de Nicolas Duvauchel qui se débrouille bien en Grand Meaulnes et des quelques beaux passages du film.)


Le niveau du tout, visuellement parlant, est plutôt neutre. Le film prend un premier coup quand Jean-Baptiste Maunier, dans le rôle du personnage narrateur, se risque à prendre la parole et à tenter - au désespoir du spectateur - d’exprimer des émotions avec sa physionomie. Etait-ce vraiment une raison, je vous le demande, pour affubler ce choriste préado d’une improbable moustache ? Passe encore qu’il obtienne très jeune un poste d’instituteur, qu’il soit attiré par une femme qui a l’air d’avoir vingt ans de plus que lui, mais vouloir faire passer le tout par une moustache...L’apparition incongrue du postiche, vers la fin du film, nous fait oublier dans un fou rire l’ennui qui s’était installé jusqu’à ce passage. Quel blagueur ce Morhange !

vendredi 28 septembre 2007

Scorsese - Le Rire du Diable


Une gigantesque célébration funéraire. C’est l’atmosphère que Scorsese donne à sa nouvelle oeuvre, qui ressemble à cette carte "hommage aux défunts (departed)" que l’on fait déposer sur la tombe maternelle au début du film.

Hommage qu’il convient bien sûr de lire avec un sourire ironique. Les mort-vivants que nous allons voir sont comiques. La pompe des enterrement militaire, les derniers adieux larme à l’oeil pour l’aimé défunt, toutes ces cérémonies qui se multiplient jusqu’à plus soif se tranforment en festivités moyenâgeuses. Danses macabres, grotesque d’une fin du monde qu’incarne Costello, le mephistophélique personnage auquel Nicholson prête brillamment ses traits. La seule issue est le rire jaune. Les blagues grossières s’entassent, les jurons fusent, les éclats de rire des spectateur accueillent le carnage final - welcome to hell...

Cinéaste de l’espoir et des figures de la Rédemption, Scorsese aborde donc ici un domaine qui restait jusqu’alors en filigrane chez lui (dans le baroque After hours par exemple.) Dilatation de l’iris : le lieu clos dans lequel nous entrons est celui de l’enfer. Damnation des hommes, des valeurs et des désirs.

Plutôt que de se contenter du montage parallèle, comme on en voyait l’exemple dans le film hongkongais Infernal affairs (dont The departed est le remake), Scorsese introduit une dynamique qui dépasse celle du miroir. Le film d’origine avait une esthétique un peu desincarnee qui s’inspirait de films comme Heat - notamment pour l’élaboration des deux personnages. L’accent était mis sur la tension dramatique que permettait un tel montage. Ce que The departed perd en intensité, il est probable qu’il le gagne en profondeur et en vérité.

L’Entropie, ou la dynamique de mort, définit la relation de des deux infiltrés. En apparence, il y a, comme souvent chez Scorsese, deux types de salut : d’un côté la promotion, reconnaissance sociale dont bénéficie Matt Damon et qui dissimule la malignité de l’associé du diable, de l’autre l’apparence de truand qui est en fait l’habit du pêcheur repenti. C’est souvent, dans ce monde, la rédemption sociale qui l’emporte (cf. Taxi Driver) : il aurait donc été logique que Scorsese conserve la fin originale, qui consacrait la rédemption du faux polixier. Mais il n’en est rien. Peut-être est-ce justement que ce film ne nous parle plus de la vie sociale, mais de sa mort. La réussite souvent effrayante laissait l’espoir d’une justice de l’au-delà. Dans The Departed nous y sommes et la direction semble la même pour tous.

Plutôt que de définir le salut par rapport à la fausse rédemption, Scorsese nous montre inversement comment est pervertie la foi sincère. On le voit notamment dans la relation qu’entretient Di Caprio avec la psychologue : impossibilité de la confession - pourtant clé du catholicisme chez le cinéaste - et souillure de l’amour donné - à la scène d’amour succède une filature de Matt Damon qui aboutit dans un cinéma porno (la situation burlesque est soulignée par la présence du diable en personne...) On s’aperçoit que les blagues graveleuses sur le clergé, l’amour du sacrilège, dépassent les simples boutades. Ou que ces boutades meme ont deja quelque chose d'une damnation.