jeudi 31 décembre 2009
Angel - un Lubitsch grave et sans pirouettes
mardi 29 décembre 2009
2009 - année du bilan
- Top dix années 2000 (par ordre alphabétique)-
Le Nouveau monde
O’Brother
En cette fin de décennie, on devrait avoir plus de recul sur le cinéma des années 2000. De mon côté il n’en est rien, et j’ai l’impression d’avoir une liste infiniment plus subjective que pour le bilan de l’année 2009. 2000, c’est l’année à laquelle j’ai commencé à m’intéresser vraiment au cinéma. Le chemin du cinéphile se dessinant par coups de cœur, rejets et partis pris, cela explique que presque tous les films mentionnés soient américains (le seul non-américain, l’Ile, est russe.) J’ai probablement raté bien des choses dans cette décennie, mais rien que Gerry, Memento, Million dollar baby, Aviator… Dieu que c’était bien ! Rendez-vous en 2019 pour une liste plus éclectique.
PS: centième billet!
2009 - bilan de l'année
- Top dix 2009 -
1. Gran Torino (Eastwood)
2. Katyn (Wajda)
3. Public ennemies (Mann)
4. Là-haut (Docter & Peterson)
5. L'Autre (Bernard & Tridivic)
6. Les Herbes folles (Resnais)
8. Etreintes brisées (Almodovar)
9. Avatar (Cameron)
10. Inglorious basterds (Tarantino)
Comme ce choix n’est pas issu d’un grand plouf-plouf, mais d’un savant processus de sélection, je vous livre les tendances que j’ai pu distinguer en fabriquant la liste. Il y a d’abord de grands noms qui ne m’ont pas déçus (Eastwood pour Gran Torino, Mann pour Public Ennemies) d’autres que j’ai découverts ou redécouverts (Wajda, Resnais). Ensuite, des films comme Là-Haut ou Avatar m’ont semblé porteurs d’un nouvel émerveillement, qu’ils parviennent ou non à dépasser le stade technologique. Après, il y a de vraies surprises, venant de cinéastes dont j’ignorais tout (Mario Bernard et Pierre Tridivic pour l’Autre) ou dont je n’attendais rien (Darren Aronofski et son Wrestler). Enfin, deux films (et en fait deux cinéastes) titillent mes envies de cinéphile sans me convaincre totalement – peut-être justement parce que c’est trop facile de titiller ainsi mes envies de cinéphile. Bref, Tarantino et Almodovar figurent finalement dans cette liste.
lundi 21 décembre 2009
Avatar: la technologie se contemple
Dans les différentes interviews promotionnelles, Cameron confesse avoir voulu montrer avec les Na'vi une "innocence d'avant la civilisation". Peut-être qu'il s'est aperçu qu'il y avait de l'ironie à employer les toutes dernières technologies pour toucher du doigt l'humanité des origines, celle d'avant les technologies justement. Elle est là, l'ambivalence d'Avatar, procédant de l'utopique moteur de bien des civilisations: retrouver l'innocence perdue, atteindre un nouvel âge d'or, revivre les temps d'avant la chute. Mais dans le film de Cameron, il est amusant de constater que ce motif prend le double visage moderne de l'écologie et d'Internet. Le héros fait, à un moment donné, la découverte que toute la flore de Pandora est liée ensemble, qu'il y a une connexion entre les arbres, que la divinité na'vi est un Réseau d'énergie. En gros, la nature façon Pandora, c'est Internet. La voilà, la collusion entre le fantasme geek et l'utopie écolo.
Avec Là-haut, les studios Pixar avaient montré quel enchantement pouvait surgir de l'utilisation des nouvelles techniques d'animation. Avec Avatar, James Cameron est allé bien plus loin, il nous a fait entrer de plain-pied dans ce nouveau cinéma. Mais plutôt que de nous donner une véritable vision, ce premier grand film en 3D se contemple encore lui-même, prend la nature pour Internet et sécrète sans s'en apercevoir de l'idéologie technologisante. Ce n'est pas le chef d'œuvre d'un nouveau cinéma, mais c'est beau comme un prototype.
dimanche 20 décembre 2009
The Visitor, de Thomas McCarthy
Tous les ingrédients sont là pour un gentil mix entre le film concerné sur l’immigration et celui du genre « quand un vieux bougon réapprend à vivre ». Et il y a de ça effectivement : l’universitaire, bien sûr, est vite déridé – il se rend compte que les séances de tam-tam, comparées aux colloques universitaires, c’est quand même sympa – et nos deux illégaux, bien sûr, sont des personnes remarquables et remarquablement intégrées. Au fond, cette vision enchantée pourrait tenir, seulement il y a quelque chose de gênant dans cette mise en scène trop calme, trop sérieuse, trop didactique pour être vraie. Si ce film ne gardait pas ma sympathie je dirais même qu’il y a quelque hypocrisie, jusque dans la forme, à présenter en drame social l’histoire d’une amitié – ou alors l’inverse : à résumer dans une relation de personnes tous les enjeux de l’immigration. Bref, la faiblesse de ce film réside dans la tiédeur d’une mise en scène qui ne fait ni complètement du mélodrame, ni complètement du réalisme social, ni complètement les deux.
Pourtant, cela même qui est agaçant fait aussi, en un autre sens, la force du film de Tom McCarthy. Quand Walter, notre universitaire, va visiter Tarek, il entre par une porte coulissante dans un sas, et c’est sous le regard d’une caméra de surveillance qu’il voit la première porte se fermer, avant qu’enfin l’autre ne s’ouvre. Cette situation intermédiaire, cet interminable seuil, telle pourrait être la représentation de l’Amérique, dans ce film, en même temps que celle du cinéma. Peut-être justement que Tom McCarthy a bien dit les choses, a exprimé une saine mélancolie, en filmant sobrement une histoire hollywoodienne (ou le contraire là encore), comme pour faire apparaître un rêve perpétuellement tenu à distance. C’est le même voyage qu’a l’habitude de faire le couple, qui connaît New-York de l’intérieur mais prend le large à l’occasion pour en considérer l’extérieur. Et, dans The Visitor, cette situation désigne bien l’ambiguïté d’un cinéma qui n’est qu’une projection, une précarité : un endroit dont on sait qu’on va devoir partir.
samedi 5 décembre 2009
The Road, de John Hillcoat
Si apocalypse veut dire "révélation", John Hillcoat essaie bien, en adaptant Cormac McCarthy, de toucher à ce qui reste d'essentiel après la fin. Comme si ses personnages existaient d'autant mieux qu'ils étaient confrontés au rien et au mal généralisés. De fait, eux-même ne sont plus grand chose, et s'ils continuent d'avancer, c'est surtout l'un pour l'autre. Un lien est apparu à l'épreuve du néant. C'est entre le père et le fils que la vie se noue, comme dans une ultime révélation, une dernière alliance.
Pourtant, la révélation en question n'a pas grand chose de cinématographique. Tout se passe dans un respect craintif de l'écrit adapté. Peut-être cela vaut-il mieux. Et pourtant, Hillcoat aurait pu aller jusqu'au bout, dans un sens ou dans l'autre. Soit en acceptant franchement de nous faire entendre le style de McCarthy, un peu comme Bresson l'avait fait pour Bernanos, soit en essayant de faire une œuvre formellement ambitieuse et indépendante. Bref, voici un film qui n'est ni une interprétation puriste, ni une trahison grandiose, mais qui a le mérite d'illustrer convenablement un grand livre.
jeudi 12 novembre 2009
Apocalypse, démocratie et herbes folles
Autant le film d'Emmerich est aussi attendu - et annoncé - que la fin du monde, énième réécriture de l'ultime catastrophe, autant celui de Resnais est fou, libre, surprenant. Si le narrateur est omnipotent, il laisse pourtant une place aux pensées et idées fixes des personnages - probablement pour mieux les retourner contre elles-mêmes. André Dussolier est excellent de mystère et d'imprévisibilité. Mais c'est surtout la mise en scène qui frappe par sa perpétuelle créativité, son ingéniosité formelle: tous ces moments où l'on perd la notion du temps et de l'espace (par exemple grâce aux effets de bande-son pendant le dîner avec les enfants), comme pour donner une impression de vertige ou d'apesanteur, de même que le sac volé à Sabine Azéma reste un temps en suspens dans les airs. Au fond, cette liberté est très conciliable avec le fatum narratif: c'est justement une déclaration d'amour à la force des choses, un hymne au saut dans le vide. Ne vous inquiétez pas, je n'irai pas jusqu'à dire que Resnais fait au cinéma une profession de foi pascalienne: assez de comparaisons bizarres pour aujourd'hui...
samedi 7 novembre 2009
Le Concert, de Radu Mihaileanu
Mais il faut dire qu'il est rude, le traitement (ici on passe au pire), si l'on comptabilise tous les flashbacks explicatifs, Miou Miou et la durée des dialogues en Français façon "tempérament slave" (Ah! L'usage poétique de l'infinitif: "moi chercher beaucoup harmonie"). Bref, même si les défauts abondent à un débit de centrale hydraulique, on est tout surpris de se surprendre à rire. Puis à frissonner, mais ça c'est l'effet Tchaïkovski.
vendredi 6 novembre 2009
Two lovers, de James Gray
Et pourtant, si le film est réussi, c'est que ça résonne toujours mieux dans une impasse que sur une autoroute. D'autant plus que cette histoire de chambre, de lieu clos propice aux songes, est parfaite pour faire de l'une des deux maîtresses (Gwineth Paltrow) une créature de pellicule: un fantasme. C'est la clé, au fond, de la structure en miroir de Two lovers, croisement entre la romance et le film noir: la brune raisonnable, une épouse en puissance, contre la blonde mystérieuse, une fuyante idole de chair (surprenant, au passage, que ce soit dans ce sens-là).
La seconde, à la limite, n'existerait pas que ce serait pareil - elle resterait une image dans l'objectif: une invitation au voyage d'autant plus impossible que la relation avec l'autre est réaliste, une rencontre d'autant plus fortuite que l'engagement avec l'autre est socialement nécessaire. Invitation au voyage, nous avons dit, car c'est surtout avec elle que notre personnage s'aventure hors de l'appartement: sur le toit de l'immeuble, au restaurant, dans le métro. Un voyage en trompe-l'oeil éternellement ramené à la chambrée adolescente. La fuite est suscitée et interdite par la même trame narrative qui conduit irrésistiblement vers le monde de la brune Sandra. Le symbole en est la bague de fiançaille: achetée pour l'une, offerte à l'autre.
mardi 3 novembre 2009
Away we go, de Sam Mendes - d'autres vies que la leur
Premier choix, marqué, du cinéaste: les acteurs. Elle, Maya Rudolph, dont le visage typé est relativement neuf au cinéma et lui, John Krasinski, dont l'allure de barbu à gros pif n'est pas banale non plus, et qu'on connaissait surtout pour son interprétation de Jim, le personnage officiellement sympathique de The Office version US. Le but, on l'a compris, est de donner à ce couple d'américains l'image la plus simple et la plus singulière possible.
Le même parti pris est adopté pour la galerie de portraits des couples visités (je ne suis pas sûr qu'il faille tenter la comparaison avec l'épisode biblique de la Visitation, ou alors sur un mode désenchanté, voire un peu ironique). Chaque famille que découvre notre couple en recherche a beau représenter une catégorie de personnes, un mode de vie particulier, aucune n'est pour autant résumée à un type. Et c'est justement la bizarrerie des choix de vie, la folie, la joie et la tristesse de tous ces gens qui donnent au film son énergie. L'une assume en perpétuels fou-rires sa vie déprimante d'américaine de base, l'autre élabore des théories sur l'éducation naturelle, quand chez d'autres encore, le bonheur affiché cache une douleur plus profonde. Ce n'est pas tant que ce pot pourri "fasse vrai" - quoiqu'il se trouve justement qu'il fait assez vrai -, c'est surtout qu'il est l'occasion de sauts entre les registres - la comédie, le drame, la satire - et le prétexte à des scènes plutôt jubilatoires.
Il y a enfin une certaine naïveté dans cet Away we go, surprenante de la part du réalisateur d'American Beauty. Ce n'est pas tous les jours qu'un cinéaste censément spécialiste en démythification de la vie de couple nous fait entendre de telles déclarations d'amour, nous met ses personnages dans une "si belle maison...", avec des fenêtres qui donnent sur la mer sans aucun complexe. C'est tout à son honneur, car il est toujours plus facile de croquer le couple bourgeois que de rendre justice au sentiment amoureux.
Ceci concédé, il faut préciser que, dans la mise en scène de nos deux amoureux, Sam Mendes tombe dans plusieurs travers du cinéma américain "indépendant". On a les couchers de soleil opportuns, filmés de manière vaguement artsy. On a surtout, dans les moments de vérité, l'enclenchement fatidique de la guitare acoustique, qui sert à accompagner des chansonnettes fades. C'est dommage - car le film n'est pas pour cela raté -, mais ce n'est pas cette fois-ci que Sam Mendes aura réussi à ré-enchanter son cinéma.
lundi 2 novembre 2009
Little Odessa, de James Gray
Deux regards silencieux sont confrontés. Le premier, ouverture du film, est celui du tueur. Le second est celui de l'enfant redécouvrant, avec ce tueur, le lien du sang. Mais dire cela, c'est déjà trahir le silence qui de part en part traverse le film - percé ici et là par des psalmodies slavonnes. Car la première qualité de ce film, c'est ce recul, cette retenue qui ceint les instants les plus dramatiques. Comme si James Gray avait le souci de ne pas révéler plus que ce qui se joue sous nos yeux - ou plutôt, de ne rien signifier en surplus de ce qui se passe dans chaque plan. Difficile de dater ce film de 1994, qui se passe probablement dans les soixante-dix: l'effet de distance et de mystère met perpétuellement le doute sur le temps et le lieu.
Une forme de recueillement, donc, qui donne à Little Odessa une atmosphère religieuse somme toute pas incohérente avec ce dont il est question: la mort de la mère ou le pouvoir du père, violemment contesté dans un élan sacrilège, le revolver au poing. Une atmosphère pas incohérente non plus avec l'esthétique cinéphile déployée, nous en avions parlé à propos de La Nuit nous appartient. Il y a en effet quelque chose comme l'embaumement d'un regard déjà promis à la mort et à la cendre (le feu final). Aussi ne faut-il pas s'étonner que Reuben, le petit frère, soit tué à travers un écran blanc, qui est déjà son linceul.
samedi 24 octobre 2009
(500) jours ensemble - ou le "cinéma américain indépendant"
Le personnage principal, dénommé Tom, a un travail qui consiste à écrire des cartes de voeux - c'est l'occasion, au moment de la déception amoureuse, d'un pétage de plombs sur le thème "on ment aux gens, on leur fait croire à un bonheur qui n'existe pas". Soit. Mais on aime quand même jouer de ces idées et de ces phrases toute faites: même si on ironise sur les décors ikéa, on se laisse prendre au jeu... C'est toute l'ambiguïté de ce film, qui joue sur tous les clichés du genre, mais essaie de s'en tirer avec des astuces de scénario, des plans art-déco et une fin triste. Car en effet, le film se finit mal: notre personnage se laisse marcher dessus comme un paillasson - on l'a dit au début, ce n'est pas un homme c'est un petit garçon. Mais attention, il le supporte car son propre échec signifie la victoire de l'idéologie carte de voeux (amour, bonheur, bonne santé... des autres).
On aurait aimé que tout le film se passe comme le mini passage de comédie musicale, ou comme la gentille parodie de Bergman, deux moments réellement réussis. On aurait aimé aussi s'attacher à Summer, incarnée - c'est un bien grand mot - par Zooey Deschanel (l'actrice était autrement plus convaincante dans Yes Man). Mais non, Marc Webb préfère nous plonger dans le nunuche pour nous punir ensuite d'y avoir cru. Il nous traite comme un vulgaire personnage masculin de film américain indépendant. Une manière très peu classe, presque lâche, de ne pas assumer le cliché - tout le problème de ce genre de film.
vendredi 23 octobre 2009
La nuit nous appartient, de James Gray
Pour toutes ces raisons, James Gray est souvent jugé sur sa qualité de bon artisan cinéphile. On se demande ici et là si La Nuit nous appartient est vraiment plus qu'un bel objet. A-t-on affaire à un "petit disciple de Clint Eastwood"? Pas forcément. Ce n'est pas seulement dans le fascination pour le cinéma d'antan que le jeune cinéaste aime à ressusciter les thématiques familiales du cinéma classique. Le rapport à la filiation, par exemple, retrouve dans son regard une rare puissance dramatique. Et si on finit par s'émouvoir d'un tableau plutôt commun de la famille américaine, c'est parce que James Gray a su lui donner une teinte inédite.
mercredi 14 octobre 2009
Arts (1952-1966) - Le temps de la critique à l'état furieux
Pauvre Claude Autant-Lara... Bouc-émissaire de Truffaut parce qu'il représente le cinéma empoudré qu'il déteste, il est qualifié successivement, au fil des articles, de "bourgeois", de "faux martyr", de "lâche", de "censeur", de "père courage" et d'"opportuniste". Ce feu d'artifice a, comme il se doit, un bouquet final. C'est en 1957: "Lorsque j'ai écrit sur Autant-Lara, que ce soit avant ou après La Traversée de Paris, les mêmes mots sont venus sous mon clavier: grossièreté, hargne, méchanceté, mesquinerie, muflerie, menue bassesse, délire, exagération. Ce sont les mots clés." Le futur auteur des 400 coups avait en effet poussé le raffinement sadique jusqu'à écrire une critique positive sur La Traversée de Paris, en se gardant bien de faire rejaillir le moindre mérite sur le metteur en scène - un peu comme le millionnaire balance trois centimes au clochard du coin.
L'Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Tridivic
Lire l'article chez Kinok
vendredi 9 octobre 2009
Heureux, ceux qui croient sans avoir vu.
dimanche 4 octobre 2009
Hôtel Woodstock, d'Ang Lee - tu n'as rien vu à Woodstock
Car c'est ça, Hôtel Woodstock, deux longues heures où la médiocrité d'une génération est auréolée du seul prestige de sa présence oisive et partiellement vêtue. Ang Lee joue d'ailleurs à fond la carte de la nostalgie - avec ses splitscreens inutiles, dans le genre "images d'époque" - et je me sentais presque de trop, moi qui n'ai connu ni les sixties ni les seventies (et à peine les eighties! Mais ça n'a rien à voir.) Ce qui ne m'a pas échappé, en revanche, c'est la curieuse ressemblance de ces silhouettes aux mines hagardes avec les zombies de La Nuit des mort-vivants. Et bien sûr, par analogie, leur ressemblance avec les mort-vivants de la consommation de masse.
Ang Lee ne s'y trompe d'ailleurs pas, en s'extasiant sur la logistique de l'entreprise et l'imaginaire de la marque Woodstock, comme pour mieux ignorer ce qui représente le seul intérêt de l'événement: la musique. C'est toute l'histoire du film, ce personnage d'Eliot qui veut aller au fameux concert qu'il a contribué à organiser, mais qui n'y arrive jamais, tant il est happé par l'euphorie de la foule - en gros, c'est comme une ménagère de moins de cinquante ans, première entre toutes à l'ouverture des soldes, mais à qui la folie de la horde acheteuse fait oublier ce qu'elle était venue chercher. Les divers acides ne font que flatter cet enthousiasme sans motif qu'est l'effet de masse, le mouvement de foule.
Il faut enfin parler de la remarque finale de notre héros face au terrain dévasté et parsemé de déchets (une remarque dépourvue d'ironie, faut-il le préciser): "It's beautiful". Ce bon mot dépasse de bien loin le fameux "Ceci n'est pas une pipe" de Magritte. Rarement un personnage aura aussi bien décrit l'exact contraire de ce qu'il y a à l'écran.
samedi 3 octobre 2009
Croix de fer, de Sam Peckinpah - l'art des mises en regard
On retient en tout cas de tout ceci l'art singulier des associations explosives. Ce talent qu'a Peckinpah pour les coupures, pour les longues séquences criblées de plans courts, conduisant ou ne conduisant pas à l'analogie. Contrairement à The Wild bunch, il n'y a pas seulement là l'alliance insolite de l'instinct et de l'analyse, de l'homme et de la bête. La troupe dont il est question est ici d'autant plus sauvage que le film a une découpe de plus en plus arbitraire, semblant produire de moins en moins de sens, jusqu'à la folie, juqu'à l'hallucination. C'est que l'important n'est pas tant pour Peckinpah la finalité de ces confrontations visuelles que l'effet même de ces mises en regard. Que cela aille ou non quelque part, ce que recherche le cinéaste, c'est le choc thermique, et éventuellement les étincelles.
"Mise en regard", l'expression n'est pas vaine pour évoquer Croix de fer. Nous en avons parlé comme art du découpage, mais elle a aussi chez Peckinpah une signification littérale. S'il les plans se répondent, s'incluent, s'excluent à toute vitesse, c'est aussi qu'ils sont des points de vue, des regards posés sur le reste du monde. C'est l'aspect western de ce film de guerre, que de tant appuyer les regards - d'observation, d'émotion ou de confrontation. Et c'est dans le regard que réside le désir. A nouveau, l'enfance comme instant privilégié - innocent ou non - du désir de croissance peut permettre de comprendre ce qui s'échange dans le regard du caporal Steiner et le jeune prisonnier russe - la pure et enfantine "envie d'être grand" et la volonté de puissance.
L'immense James Coburn, car c'est lui le caporal Steiner, compose un national-anarchiste qui ne supporte pas l'apparat et les traditions de l'aristocratie prussienne. Croix de fer est l'histoire de son face à face avec un représentant de cette classe honnie (le capitaine). Un débat muet sur l'origine secrète de leur envie de se battre - l'un effectivement, l'autre virtuellement. La guerre est faite, au fond, de ces jeux de regard, de puissance et d'explosion. Mais cela commence plus simplement encore: il y a le regard inquisiteur du capitaine sur son second lançant des oeillades trop insistantes au jeune homme qui l'accompagne - c'est le désir qui se regarde lui-même - ou même la découverte, par notre troupe euphorique, d'une section de femmes russe qui ne se laisse pas faire - révélation: l'ennemi est une femme!
The informant, de Steven Soderbergh
La pesanteur très bien installée par Matt Damon permet à Soderbergh de travestir le film d'investigation en comédie. Il y a certes le FBI, une grande entreprise, un indic, des enregistrements mais les stylos ne marchent pas, le matériel d'enregistrement fait des bruits bizarres, il faut changer la cassette au milieu d'une réunion - comme si ce personnage tout simple était allergique aux gadgets. Ou plutôt: comme si ce personnage transparent était incapable du moindre secret, de la moindre conspiration. Tellement transparent, le héros, qu'on entend ses pensées. Et, surprise: il a beau être dans toutes les situations délicates de la terre, il pense à tout et n'importe quoi, disserte sur la vie et la mort... Bref,un gars brut de décoffrage qu'on a du mal à faire entrer dans le jeu raffiné de l'enquête, de l'infiltration et de la double vie.
Comme toujours avec Soderbergh, il y a les marques du travail de pro - cette comédie était faite pour fonctionner à merveille. Seulement, j'ai eu beau me dire de temps en temps "tiens c'est drôle", je n'ai pas ri une seule fois. Et dans la salle je n'ai pas entendu la moindre amorce de petit rire discret. Non pas que Soderbergh fasse dans un comique trop cérébral: c'est simplement du comique trop peu comique. La carrure du personnage, sa massivité - tout le jeu de Matt Damon - fait finalement que le film s'essouffle sans même tirer parti des situations cocasses (et ce n'est certainement pas le swing en fond sonore, façon Une Nounou d'enfer, qui parviendrait à donner du rythme à cette intrigue mollassonne). Dommage, car Mark Whitacre devient précisément un objet de fascination quand on s'aperçoit qu'il n'est pas si univoque et transparent: on sort de The Informant avec le sentiment qu'on a eu affaire à un menteur de bonne foi.
dimanche 27 septembre 2009
John Doe - paradoxe sur le comédien
Créature de marché, marionnette des puissants, c'est à travers John Doe une cible qui est instituée. Pourtant, et c'est toute l'ambiguïté du personnage, le peuple se l'approprie en même temps qu'il s'identifie à lui. Ambivalence et subtilité de la vision de Capra: John Doe est un modèle démocratique qui, même créé par la démagogie mercantile et politique, a quand même ses chances de s'incarner réellement, ou du moins d'incarner les aspirations sincères d'un peuple. Capra n'est pourtant pas un démocrate béat. Il n'y a qu'à regarder la foule essayer de lyncher Gary Cooper, ou même, avec ces deux enfants qui viennent poser à ses côtés pour les photographes, les mimiques grotesques d'une certaine populace. Les citoyens sont parfois aussi laids que les mensonges qu'ils réclament.
Dans l'Homme de la rue, le paradoxe est théâtral et centré sur le personnage de Gary Cooper. Il y a un débat entre la sincérité et la représentation: c'est à la fois un rôle imposé de l'extérieur et une responsabilité que notre héros peut choisir d'endosser - paradoxe de toute société, qui appelle à se réaliser en incarnant un personnage. Tout "average american" modulera son expression, façonnera son visage en fonction du voisin. Aussi est-ce par l'intermédiaire des autres que Long John parvient à une forme, bien précaire, d'équilibre. D'un côté le septicisme salutaire du compagnon de vagabondage, Colonnel, de l'autre l'enthousiasme naïf, mais non sans ambivalence, d'une charmante Barbara Stanwyck.
Bien sûr, ce qui est génial ici, c'est que Capra nous parle pêle-mêle de la démocratie, de l'Amérique et du cinéma. Du cinéma, parce que le problème de cette industrie de masse est le même que celui de la démocratie, qui hésite essentiellement entre le faux et le vrai. Il y a des moments où, à travers le mensonge généralisé, transparaît un visage, un témoignage, de la camaraderie - et c'est ce que parvient très bien à filmer Capra. Y croire, c'est mettre suffisamment de foi dans le cinéma pour donner à Long John la possibilité de devenir l'authentique John Doe.
L'Affaire Farewell - espionnage pédagogique
Au-delà de ça, pourtant, il y a une vraie histoire d'espionnage. Guillaume Canet est un jeune français travaillant à Moscou, Emir Kusturica un cadre du KGB qui, voulant révolutionner de l'intérieur le système soviétique, prend la décision de faire passer à l'Ouest les informations auxquelles il a accès. Si la relation entre les deux personnages est plutôt bien faite, si l'histoire même est passionnante, on cherche longtemps la plus petite forme de dramatisation. Ce que l'on retient, au fond, c'est Kusturica donnant à Canet des papiers avec des plans dessinés dessus. Point.
Ce vide est quelque peu compensé par un travail esthétique. Mais là encore, il arrive à la mise en scène de verser dans le lyrisme pataud, où Moscou et l'empire communiste sont cantonnés à une série de symboles. Kusturica l'acteur parvient à donner de sa chair au rôle de Sergeï, et la plus grande réussite de L'Affaire Farewell est peut-être, sous les traits du fils de Sergeï, le portrait de la jeunesse russe des années quatre-vingt, le temps d'une chanson de Queen.
jeudi 24 septembre 2009
Mesrine
A part ça il y a Vincent Cassel. J'ai toujours trouvé que cet acteur sonnait faux - avec le personnage de Mesrine, il a trouvé quelqu'un de son acabit. Le côté petite frappe ne fait définitivement rien pour nous le rendre sympathique: il cabottine, se déguise en robin des bois, en brigadier rouge... On est pris d'une furieuse envie de prononcer le "s" de Mesrine pour le voir s'énerver. Et si le jeu sur le spectacle donne lieu a des scène presque comiques (les dialogues avec le vieux milliardaire kidnappé par exemple) le pathétique de certains moments ne fait même pas vibrer la corde sensible - échouant là où Jean-Paul Rouve avait au moins un peu réussi, avec Sans Haine ni arme ni violence.
J'ai pu voir ce film à l'occasion d'un partenariat de quelques mois avec le site de VOD Canalplay: je regarde dix de leurs films gratuitement tous les mois, en échange de quoi je publie deux articles, avec un lien vers leur site (ou une bande-annonce, que voici en-dessous). J'ai accepté cette forme de publicité, car elle me permet de voir plus de films sans trop d'obligations en retour, ce qui s'inscrit dans la logique du blog. En espérant que mes lecteurs n'y verront pas d'inconvénient...
mercredi 23 septembre 2009
Memento et Insomnia, de Christopher Nolan - pathologies au détail
Voici, corrigé et remanié, un vieil article sur Memento et Insomnia de Christopher Nolan (en attendant Inception).
Memento, avant même d'être le film "monté à l'envers", est traversé par un effet de fragmentation. Plans en couleurs, plans en noir et blanc, et surtout dislocation du temps réel, inversé dans la durée du film, chaque séquence arrivant en rupture totale à la séquence précédente et entrant en conflit avec les autres fragments. Cet éparpillement des instants, c’est celui aussi que vit le héros du film, Leonard, à travers l’amnésie. Qu’est en effet l’amnésie, sinon ces moments ou le temps perd sa continuité, disparaît au profit de grains d’instantanéités ? C’est en s’accrochant à ces détails, pourtant, qu’il est possible d’envisager une survie.
Mais c’est souvent de trous noirs ou de points aveugles dont il s’agit: des plans très courts font d’arbitraires apparitions en rafales. Trop rapides, il est impossible de comprendre ce qui s’y passe, trop rapprochées, il est impossible de discerner ce qu’elles montrent. La matière dévore le cadre, institue la discontinuité - c'est la pathologie de notre personnage. En cela d’ailleurs, ces «flashs» sont tout à fait justifiés dans le cinéma de Nolan, quand ils sont des effets gratuits dans beaucoup de films.
Pour se retrouver, le héros de Memento doit inscrire des tatouages sur son corps. La structure narrative du film se fait dès lors en analogie à un autre parcours, celui du personnage qui inscrit & découvre des lettres, des chiffres sur les parcelles de sa peau. Les tatouages sont des indices reliés à des morceaux de sa vie. Ce qui est poignant dans ces rites étranges, c’est la façon que le personnage a de redécouvrir sans cesse ces inscriptions. Il est condamné à faire sans cesse les mêmes découvertes, à être surpris par le non-sens des caractères dont il est recouvert.
Le personnage incarné par Guy Pearce n’est pas seulement amnésique, il est aussi enquêteur. La science du détail déployée par ce maniaque vise aussi à une recherche de la vérité. Ce n’est qu’à contre-courant de sa pathologie que la recherche - trouver le meurtrier de sa femme - peut avoir lieu. Leonard n’est fétichiste que pour arriver à donner une harmonie au morcellement. Il devient un maniaque de l’organisation, déroule une routine étrange, ce sont les photos prises («instantanés» qui portent bien leur nom) pour être mises dans l'organigramme déployé dans la chambre. Sur son torse, les tatouages ne sont pas placés si arbitrairement, ils convergent vers cette inscription : «find him an kill him».
Au cours de cette enquête, les fameux « flashs » placés au début du film sont amenés à s’incarner en objets bien singuliers. Un réveil, une brosse ou un livre que Leonard dispose dans une chambre pour replacer ces fragments au sein de ce qui pourrait ressembler à la cohérence d’un souvenir. Le génie de Christopher Nolan réside justement en sa capacité à transformer en polar - avec un suspens tendu vers le dénouement - un film monté à l’envers. Une fois imposé le morcellement, le film retrouve une forme de fil conducteur, en même temps que Leonard rassemble ses indices - car la déconstruction est vécue, en sens inverse, comme une plongée vers les fondations.
Seule cette prise de recul permet de considérer le sens de tous les gestes et donc la dimension morale du film. Sans mémoire, ces forfaits - rétrécis à l'infini- ont-ils la moindre importance ? C’est autour de cette même question, mais sur le mode d’une autre pathologie, que tourne le film suivant de Christopher Nolan : Insomnia.
L’attention au détail est le point commun du psychopathe et de l’enquêteur. Ce qui les sépare l’un et l’autre est la conscience morale. Dans Insomnia, le psychopathe incarné par Robin Williams a une attention toute diabolique à la moindre trace susceptible de le trahir. Après avoir assassiné la jeune fille, il prend soin de lui couper les ongles ou de lui brosser les cheveux. Il est aussi l’homme aux stratégies machiavéliques, l’écrivain bricolant l'intrigue parfaite.
Le policier - négatif du psychopathe à tel point qu’il risque à tout moment de devenir son reflet - reconstitue le rite meurtrier à partir des mêmes détails, devenus indices. A chaque détail observé par l’enquêteur (sur le corps de la victime par exemple) correspond un plan de mise en situation dans la scène du crime. C’est le mot d’ordre de Will Dormer, et c’est ce qu’il apprend aux policiers qui débutent : « ne pas négliger les détails ». Recréer la scène de crime et arriver au meurtrier, tel est le travail de l’enquêteur.
Il est des moments cependant ou le détail se perd en une zone de flou. C’est le cas par exemple des séquences qui se passent dans le brouillard. Nous distinguons d’abord nettement d’un côté Al Pacino, le policier tenant l’arme au poing, et de l’autre Robin Williams, le meurtrier en fuite. Mais ensuite nous ne sommes plus qu’avec Will et la cohérence de l’espace-temps se dissout, ne nous laisse voir que des morceaux de réalité. C’est justement l’un de ces détails que Will identifie au tueur : il tire. Il s’agit en fait de son coéquipier qui meurt de cette blessure. Le brouillard se dissipe, laisse place au monde articulé et à la conscience de celui qui vient de tirer.
Le malaise qui se développe ensuite est lié à la ressemblance - que le psychopathe prend un malin plaisir à mettre en évidence - entre le meurtrier et l’enquêteur. Dès que Will veut masquer l’incident, il détourne son travail de policier en manies d’assassin. Manipulation des indices par le policier, qui pose dans le film toutes sortes de questions morales (l'histoire n'est pas nouvelle si l'on se souvient de Touch of evil). Comme le fait remarquer Robin Williams : l’intervalle d’un quart de seconde à dix minute, n’est-ce que cela qui sépare l’accident (le réflexe irréfléchi du policier) du meurtre (le psychopathe qui bat à mort une jeune fille) ? Un sophisme déconnectant à dessein les événements de leur contexte.
L’insomnie d'Al Pacino est l'instrument de torture qu'a trouvé la mauvaise conscience. Des nuits hantées par des plans saccadés nous montrant une tache rouge envahir le cadre. Formes et couleurs abstraites figurent concrètement la conscience. Avant la fin du film, une sorte de révélation nous fait comprendre le sens de ce fameux plan « flash ». Sa dimension symbolique - une tache de sang sur un tissu immaculé - comprend et dépasse le contexte de son accomplissement. Si la matière aveugle parfois, il arrive aussi qu'elle nous éclaire. Chez Nolan, définitivement, le détail est bien plus qu’une question d’échelle.
dimanche 20 septembre 2009
Miss Manton est folle, de Jason Leigh
Lire l'article sur un Kinok tout neuf.
jeudi 17 septembre 2009
District 9, vrai faux docu-science-fiction
De la science-fiction, certes - avec tout ce que cela implique d'engin spatial flottant dans l'air, et d'ombre portée sur la ville - mais surtout de l'analogie politique, puisque les aliens sont parqués dans des camps de réfugiés, traités en pestiférés comme d'autres le furent à une autre époque, dans le même pays. On voit se profiler la métaphore vide et la caution politique, pour justifier bien facilement l'histoire et l'esthétique déployées. Et en effet si l'on va dans ce sens, on court vite au non-sens, par exemple quand les ligues des human rights manifestent pour les non-humans... D'ailleurs les seules questions valant un peu le coup dans cette affaire (comment humains et aliens font-ils pour se comprendre? Dans quelle langue?) sont royalement ignorées. Et au fond peu importe, puisque, on s'en rend compte avec réjouissance, le propos politique s'effondre bientôt sur lui-même, pour donner du mou à la science-fiction basique. Neill Blomkamp invente le propos politique comme figure de style de la science-fiction, comme prétexte à un décorum médiatique fait de reportages, d'interviews et de caméras de surveillance - et c'est tout.