mardi 26 janvier 2010

A serious man: comédie de la gravité



Avec Burn after reading, les frères Coen avaient fait le film le plus inconséquent qui soit. Inconséquent, au sens littéral: on se rendait compte à la fin du film qu'aucune action ne portait vraiment à conséquence. L'entrelacs d'intrigues ne menait à rien, les personnages gesticulaient en vain - la conclusion du film était en substance: "qu'avons nous appris dans cette histoire? - rien du tout." Burn after reading était une futilité par excellence, un peu comme Intolerable cruelty quelque années auparavant. Mais une futilité disant quelque chose d'elle-même, avec ce fameux premier degré et demi que seuls les frères Coen savent manier: à fond dans la comédie, et à fond dans l'ironie - de tout cœur avec le loser, et de tout cœur à moquer sa vie minuscule. C'était le sens des plans d'ouverture et de fermeture de Burn after reading, simulant le point du vue du satellite: vanité de la terre vue du ciel.

Avec A Serious Man, le point de vue change radicalement. Ce n'est plus le surplomb de l'image satellite qui nous est proposé: on est pris, cette fois-ci, dans le cycle universel. Et c'est d'ailleurs là-dessus que repose la mécanique de comédie. Il y a une logique de la récurrence, dans A Serious Man, qui va de l'arrivée quotidienne de Larry au bureau de l'université - où le doyen vient immanquablement, sur le pas de la porte, insinuer de mauvaises nouvelles - jusqu'à la maison où il habite, et vers laquelle son fils rentre à chaque fois en courant, pour éviter un camarade à gros bras. Bien pire et bien mieux que du comique de répétition: c'est comique parce que c'est cosmique!

Les gestes pèsent leur poids, les actions portent à conséquence (c'est du moins ce qu'essaie d'expliquer Larry, en professeur de physique, à l'élève qui veut le soudoyer), mais tout ça s'inscrit dans un ordre qui dépasse les personnages du film. Un ordre qui, avant d'être cosmique, est au moins spatial. C'est Larry se faisant chasser de chez lui par sa femme et par un homme doucereux, c'est la frontière de jardin qui se voit contestée par des voisins - et, au-delà de ça, c'est l'ordre symbolique du mariage, de la famille, de la mort qui se délite pour mieux se reformer sans lui. Pour mieux l'écraser. Larry tout petit au pied d'un tableau géant couvert de formules, voilà un plan suffisamment éloquent.

Et pourtant, A Serious Man ne fait pas que répéter le même refrain des Jefferson Airplanes. Bien des choses sont emmenées dans l'orbite de la fatalité. En parallèle il y a d'abord la quête initiatique de son fils Danny, sur le point de faire sa Bar Mitzvah et, surtout, de récupérer enfin son walkman, puis le conte yiddish qui ouvre le film et porte sur l'ensemble une lumière...opaque. Et enfin toutes les petites histoires dans l'histoire de Larry: les rêves, les affaires du frère accro aux jeux, les trois rabbins, l'histoire de la dent du goy, etc. L'éternel retour n'interdit pas le foisonnement: les frères Coen, ils sont plusieurs à l'avoir souligné, semblent s'être inspirés de la Kabbale pour créer un univers fécond et plein de signes indéchiffrables.

Les personnages ont beau s'enfoncer dans cette construction complexe, comme Danny avançant dans le bureau du savant rabbin, ils ne donnent pas moins l'impression très simple de tourner en rond: même s'il prononce d'énigmatiques formules, le rabbin est finalement celui qui rend le walkman. Toute la complexité est résolue par son irrésolution même, toutes les questions tranchées par l'absurde. Jusqu'aux deux grandes non-réponses qui ferment le film, une organique et une météorolique.




vendredi 22 janvier 2010

Tsar - la mystique burlesque de Pavel Lounguine


Au générique, on verrait bien un nouvel Andreï Roublev. Mais Lounguine n'est pas Tarkovski, et les vertus de son Tsar ne sont pas contemplatives, ou alors pas de la même manière. Non, Ivan s'appelle le Terrible: ça se souligne, ça se martèle - impitoyable galop de la garde rapprochée, au début du film. Il y a bien sûr de la sur-dramatisation, dans cette séquence où l'on met à Ivan son habit d'apparat, vêtement après vêtement, en Rambo impérial. Sobriété ne veut rien dire, ni pour le personnage du tsar, ni pour son acteur Piotr Mamonov, ni enfin pour Pavel Lounguine, qui n'hésite pas à la jouer clinquant. Et il ne lésine pas, l'auteur d'Un Nouveau Russe: pour donner du crédit à sa reconstitution historique, il a embauché le chef opérateur de Clint Eastwood, Tom Stern. Bref, Tsar a coûté cher, et ça se voit.

Seulement, quand on voit Ivan se faire trainer sur un tapis à implorer la miséricorde divine, quand on voit son peuple le suivre en rampant, on se dit que tout ce bazar est légèrement plus frappé que le commun de la grosse production. En quoi on ne se trompe pas: Pavel Lounguine, avec Ivan le Terrible, nous emmène où bon lui semble, c'est-à-dire dans les directions les plus contradictoires. Ce tsar a tour à tour - et toujours jusqu'à l'extrême - l'humilité du mystique et la mégalomanie du tyran, phases que la mise en scène épouse scrupuleusement. Fausse reconstitution historique, le film dégénère en spectaculaire dispute entre le pouvoir et la foi.

De même que, chez Ivan, on ne trouve de constante que dans la démesure des comportements, de même l'unité de Tsar est moins à chercher dans les fruits d'un débat théologico-politique que dans l'état d'hystérie, suscité par cette dispute, qui s'installe progressivement à l'image. L'expression euphorique de Piotr Mamonov, comme en proie à mille hallucinations, semble garder dans toutes les contradictions une inspiration identique. Le personnage de Fol en Christ qu'il jouait dans L'Ile gagne ici en ampleur et en ambiguïté - en même temps que l'ambivalence religieuse et politique qu'il y incarne (et qui ne manquera pas d'être pointé du doigt par les instances morales et politiques les plus convenables.)

C'est bien dans cette atmosphère de folie burlesque que se posent les vraies questions de Tsar. Au-delà d'un antagonisme entre le Dieu terrible de l'ancien testament, invoqué par le pouvoir théocratique, et celui, miséricordieux, évoqué par le métropolite Filipp, Lounguine nous fait voir une foi dont il met à nu les fondements spectaculaires. Avant même son caractère religieux, Tsar peut être vu comme le prolongement de la réflexion de l'Ile sur le crédit de l'image et de la théatralisation - et à partir de là seulement comme un questionnement sur les enjeux spectaculaires du pouvoir et de la foi orthodoxe.

Mais le grand talent de Lounguine, c'est de nous mettre dans des situations burlesques critiques, en en révélant les constructions - par exemple les divertissements sadiques du tsar et de son peuple -, tout en laissant un crédit possible à des icônes, à un miracle, à la sainteté - y compris après que les symboles du pouvoir spirituels ont été désavoués, les habits du métropolite déchirés, comme dans une compromission dramatique avec le pouvoir temporel. Il y a enfin deux fous shakespeariens dans ce Tsar. D'abord une simple d'esprit, qui fait penser à un personnage similaire d'Andreï Roublev, parfaite incarnation de l'innocence, puis un fou maléfique et grotesque, qui termine sur un bûcher, à flatter encore Ivan, ou à le moquer, personne ne le saura.

jeudi 21 janvier 2010

Une Exécution ordinaire, de Marc Dugain



Il y a au moins une bonne idée, dans Une Exécution ordinaire, de Marc Dugain. Tout se passe entre Marina Hands et André Dussolier - deux pôles d'énergie. D'un côté il y a Ekaterina, médecin et guérisseuse, filmée dans un halo magnétique qui adoucit la mécanique de photos tristes tenant lieu de mise en scène (il y a même des plans décoratifs assez Côté Est - mais très à l'est alors). A l'inverse, on a un Staline gris et statique, qui est le décor de l'URSS. Sa force d'inertie est telle qu'il a l'air d'absorber les énergies - de la même façon qu'il use et abuse du don d'Ekaterina. Il y a une morale de la soustraction, dans ce personnage qui résout les problèmes en les supprimant: un Dussolier remarquable et surtout, en creux, un portrait discret de cette Russie-là.

Pierre Murat, qui était présent à l'avant-première, a salué en Marc Dugain un "véritable cinéaste". Il ne faut pas exagérer. Il reste au contraire quelque chose de très illustratif dans ce film. Nous avons parlé de plans décoratifs, mais c'est l'ensemble des images qui donne cette impression de venir en surcroît d'une intrigue se suffisant à elle-même. Bref, ce film semblerait presque tiré d'un livre: comme si le réalisateur était en fait un écrivain qui faisait l'adaptation de son roman!

mardi 19 janvier 2010

Deux demi-Lubitsch: Une Heure près de toi et La Dame au manteau d'hermine


Des demi-Lubitsch, parce que le cinéaste n'a pas l'entière parenté d'Une heure près de toi, ni celle de La Dame au manteau d'Hermine - deux films qui figurent dans l'excellent coffret Lubitsch de BAC vidéo, en plus d'Angel, déjà commenté, et de classiques comme Sérénade à trois ou La Huitième femme de Barbe bleue. Une Heure près de toi, qui date de 1932, devait être un film de George Cukor, avant que Lubitsch, en producteur insastisfait de la mauvaise ambiance qui s'était installée entre Maurice (Chevalier) et George, ne se décide à prendre lui même les rennes de cette comédie musicale. Quant à La Dame au manteau d'Hermine (1948), c'est son tout dernier film - tellement son tout dernier film qu'il est mort avant la fin du tournage: le film sera terminé par Otto Preminger.

En plus de ça, on dira bêtement "demi-Lubitsch", parce qu'aucun de ces deux films ne prend la forme ordinaire du rite Lubitschien, du moins tel que nous le connaissons (les comédies américaines). Une Heure près de toi est une comédie musicale dans laquelle Maurice Chevalier, quand il ne pousse pas la chansonnette, s'adresse directement au spectateur. Il y a comme quelqu'un en trop ici, et on voit bien que le petit sourire en coin que nous adresse le mari tenté est surajouté à la connivence structurelle qui existe de toute façon entre le metteur en scène et ses spectateurs. La Lubitsch touch menace à tout moment de se diluer dans les explicites expressions d'un chanteur français et frivole.

C'est encore plus radical, dans La Dame au manteau d'Hermine, une opérette qui intègre en plus des éléments fantastiques et oniriques. On a peur que Lubitsch, artiste du possible, du suggéré, ne se laisse cette fois emporter par une imagination débordante et indigeste. Moins les choses sont montrées, plus elles sont dites - c'est ce que nous comprenions avec les plus grands Lubitsch. Mais affirmer cela reviendrait à faire un ascète de ce cinéaste hédoniste: chez Lubitsch, nous avons avant tout affaire à un jeu, à un dialogue entre le dit et le montré, et non au sacrifice janséniste et iconoclaste du montré au dit.

On s'aperçoit en effet que le maître se joue parfaitement de tout ce qui vient affecter ces deux films. Dans Une Heure près de toi par exemple, on voit les éléments classiques des comédies de Lubitsch s'intégrer parfaitement au format musical: on a l'impression à un moment du film que le narrateur lui-même, qui se retrouve en situation délicate, est partagé entre la confidence et la dissimulation. Ces situations sont très subtilement appuyées par les chansons, l'espace finement englobé dans des paroles. Et tout est dit dans le "but oh... Mizzy!", refrain de l'inconstance innocente.

Que dire, alors de La Dame au manteau d'hermine, l'ultime opérette? Tout d'abord que le film n'est pas si éloigné des premiers élans de Lubitsch vers les grandes fresques en costume. Ensuite qu'il est fascinant de voir tous les non-dits accumulés pendant tout une carrière prendre vie au soir comme les tableau du château de Bergamo. Ce sont les horloges, pendules et autres réveils, emblématiques de tous les silences de Lubitsch, qui font un bruit à réveiller les morts. Entre le réel, le merveilleux, le rêve, les flashbacks historiques, c'est un véritable mille-feuilles que construit le cinéaste. Et dans ce mille-feuilles, il s'amuse comme un petit fou à faire communiquer les niveaux de signification. Incongru, impossible, étincelant, l'enchantement est là plus que jamais dans le dernier Lubitsch.

dimanche 17 janvier 2010

Eastwood et Coppola: vrai classique contre faux baroque


Invictus m'avait un peu déçu. Irrémédiablement, j'avais beau lui chercher des excuses, je n'avais plus trop de réponse aux attaques contre les accès de conformisme du nouvel Eastwood. Du mal à défendre le commun, le prévisible, dans ce film qui ne parvient pas à faire du sport une épopée (un rugby étrange, dans lequel on s'attendrait presque à voir surgir un quarterback entre deux arrêts de jeu). Mais c'était avant de voir Tetro.

Car Tetro, c'est certain, représente jusqu'au désastre l'antithèse d'Invictus. Là où Eastwood veut montrer simplement le complexe, Coppola met toute son énergie à complexifier ce qu'il y a de plus simple. Il faut le dire, on comprend l'enjeu de Tetro au bout d'une demi-heure, au premier flashback: Angie/Tetro, le personnage de Vincent Gallo, a toujours vécu dans l'ombre d'un père trop sûr de son génie. Cette relation père-fils, Coppola s'emploie à la faire se miroiter de toutes les manières possibles. Dans le présent, dans le passé, dans les différents rapports de frère à frère (oncle Alfie et le Père, Tetro et Bennie), puis dans les références au cinéma et à l'opéra.

A coup sûr, Coppola a voulu faire un film baroque, tout dans le reflet, et dans le reflet de reflet - à ce propos, la rumeur qui fait de Tetro un film intimiste est à mourir de rire: rien de plus grandiloquent que cette divagation sur le Père, rien de plus prétentieux que ces plans surmaquillés. Le problème, c'est que tous les reflets, uniformes, répètent la même chose: à la place du chef d'œuvre baroque, Coppola a fabriqué un compost d'artiste sans art. Peut-être a-t-il cru que le noir et blanc, que la fascination pour la lumière qui aveugle, nous feraient croire aux subtils replis de l'inconscient. Mais quelqu'un devra bien se dévouer pour lui dire que son esthétique est celle d'une pub pour parfum.

Deux choses à sauver de ce Tetro, deux personnages féminins. Miranda (Mirabel Verdu), qui vit avec Tetro, et qui a pour Bennie la beauté d'une sœur ou d'une mère - précisément ce qui fait défaut au film - et Alone (Carmen Maura), portrait de la critique en déesse, grande maîtresse de cet univers d'artistes inachevés, qui nous donne l'espoir de voir tout cela se terminer en farce pure.

Après ça, forcément, j'ai repris confiance dans le déroulé limpide d'Invictus. Certes, Eastwood, dans ce nouveau film, est coincé entre une histoire consensuelle et une forme de retenue, dans la mise en scène, qui l'empêche de faire quelque chose d'autre que ce qu'on attend de lui. Mais c'est aussi cette simplicité qui témoigne pour l'histoire. Et d'ailleurs, quand on y regarde de près, cet hommage paradoxal aux valeurs nationales d'un passé surmonté, à travers le maillot vert et or des Springboks, constitue une manière pas si conformiste de considérer l'avenir.

samedi 9 janvier 2010

Bright Star, de Jane Campion - Keats en rossignol sans automne



Jane Campion aura réussi à éviter l'écueil qui la guettait, dans l'histoire d'amour de John Keats et de Fanny Brawne: celui d'aplanir la poésie romantique au niveau du "romantisme" tout court (de l'amour, des costumes, de jolies phrases et quelqu'un qui meurt). Non, la cinéaste arrive même au résultat inverse, redonnant au mélodrame ses rimes de noblesse. Il n'y a pas de fuite devant les poèmes, omniprésents, ni de célébration empesée de la poésie en tant que telle: ce que l'on voit, dans cette histoire simple et somme toute banale, c'est que le raffinement des sentiments se mesure au raffinement de la langue avec laquelle ils s'expriment. L'intensité de l'amour semble suspendue à la façon de dire, et à l'univers de sensations que les amants parviennent à créer autour d'eux.

Keats est celui qui a dit, dans Ode on a grecian urn:

Heard melodies are sweet, but those unheard Are sweeter;(...)

Voilà pourquoi il y a quelque cohérence dans cette passion en sourdine, jamais accomplie, où l'on cherche la source secrète (ou du moins "unheard") du désir plutôt qu'on essaie de l'assouvir. Tout ça nous est très bien dit et montré dans Bright Star, parce que l'environnement de nos personnages est lui-même subtilement brodé, avec une photographie, des décors et des costumes du meilleur goût. L'amour y est rassemblé, concentré, dans des moments précieux de désir retenu - dans des plans où les deux êtres sont comme rassemblés autour d'un point invisible, central et perdu, pourtant, dans l'horizon. Ainsi ces moments où les amants sont présents l'un à l'autre à travers une cloison: lieu commun absolu de la romance, auquel Jane Campion parvient à redonner une intensité inédite, cohérente avec les poèmes.

Il y a tout de même quelque chose qui manque, dans le Keats de Campion. La cinéaste ressemble à la petite soeur de Fanny, Toots, qui, chassant de cet univers la première feuille morte de l'automne, l'avise de ne plus revenir: on n'éprouvera pas, dans Bright Star, le violent dégout de Keats pour l'action du temps, on ne verra pas sa fascination pour la mort ("I have been half in love with eseful Death"), alors même qu'on l'entend dire son Ode to a Nightingale:

Fade far away, dissolve, and quite forget
What thou among the leaves hast never known,
The weariness, the fever, and the fret
Here, where men sit and hear each other groan;
Where palsy shakes a few, sad, last gray hairs,
Where youth grows pale, and spectre-thin, and dies;
(...)

Ce qui donne, dans la traduction de Robert Ellrodt (éditions de l'Imprimerie nationale, 2000):

Fuir au loin, me dissoudre, oublier tout à fait
Ce que parmi les feuilles tu n'as jamais connu,
La lassitude, la fièvre et le tourment - ici,
Où les hommes s'assemblent pour s'entendre gémir;
Où les derniers cheveux tremblent, tristes et gris,
La jeunesse pâlit, devient spectrale et meurt;
(...)

Occultant cete ambivalence essentielle du désir, qui épouse et fuit la chair dans le même temps, veut ensemble l'amour et la mort (le poète le dit d'ailleurs clairement dans une de ses lettres), Jane Campion rate un peu de la veine tragique des poèmes. Le point faible de Bright Star est là, dans ce bon goût à toute épreuve, qui édulcore doucement la vision et l'amour du poète, mais qui garde sa cohérence dans l'atmosphère famiale et paisible de la maison de Hampstead.

PS: Un avis plus sévère - et plus drôle - par ici.

dimanche 3 janvier 2010

Mia Hansen-Love - la vie après la mort


Le Père de mes enfants, second film de Mia Hansen-Love, déroule une construction linéaire impeccable. C'est que la trajectoire semble dessinée directement par les personnages. Par un personnage en particulier, celui de Grégoire Canvel, figuration de Humbert Balsan, un producteur de cinéma mort en 2005. La première partie ressemble à un long plan-séquence, où l'on marche sur les pas de cet homme passionné, essayant encore de tirer ce qu'il peut de sa société Moon Films, malgré les difficultés, malgré les dettes. Une marche ponctuée par des instants familiaux, havres de paix rendus avec un naturalisme tendre. Après le coup de feu, les trajectoires divergent, se divisent en portaits, mais il y a toujours ces instants familiaux inouïs de vérité.

Dans le combat d'Humbert Balsan, puis dans celui de sa femme, incarnée par Chiara Caselli, c'est aussi le milieu de la production indépendante qui est dépeint. Fait de personnalités passionnées et têtues, parfois aveuglées par leur foi dans l'art d'artistes impossibles - Stieg par exemple, un cinéaste maudit pur sucre -, cet univers est décrit avec mesure, sans propos: on admire, on s'agace, on a l'impression de comprendre.

Mais, à nouveau, c'est dans le personnage de Grégoire, et dans le jeu de Louis-Do de Lencquesaing, que cette description prend tout son sens. Pur instant de vie: dans une chapelle qui fut jadis la propriété des Templiers, Grégoire improvise pour sa famille une petite histoire des Templiers; ses enfants, distraits, quittent un à un l'endroit et il n'y a plus que sa femme qui le regarde, attendrie.

Mia Hansen-Love donne l'impression d'avoir trouvé la mise en scène la moins interventionniste et la plus révélatrice, pour nous donner à voir la fin de cet homme, et la vie de sa famille après sa mort. On peine à parler de naturalisme, tant rien ne tombe dans les traits caricaturaux du "réalisme", mais il y a quelque chose d'un réalisme poétique, dans ces moments qui se cristallisent naturellement en tableaux vivants: d'un côté le visage d'une enfant dans l'eau laiteuse d'une rivière en Italie, de l'autre le visage de Grégoire se reflétant dans un ordinateur éteint.

Cette mise en scène prend une dimension nouvelle après la mort du père, quand l'absence irradie tout le film. Le père n'a jamais été plus présent qu'après sa mort, et Mia Hansen-Love est très forte pour créer des instants de grâce venus de nulle part: c'est par exemple le rituel familial qui conduit mère et enfants jusqu'à la chapelle des Templiers, pour la seconde fois; ou cette joie dans la tristesse quand il faut, dans les ténèbres d'une panne d'électricité, allumer des bougies, comme en procession. Mais la grande réussite de la deuxième partie du film réside avant tout dans le portait de la fille aînée, Clémence (Alice de Lencquesaing), jusqu'à cette fin qui ressemble à une version inverse du générique d'ouverture des 400 coups (l'arrivée à Paris contre le départ de Paris) et qui est pour elle une fin de l'enfance.