jeudi 31 décembre 2009

Angel - un Lubitsch grave et sans pirouettes



Surprise: on rit peu devant Angel. De quoi dérouter tout bon adepte de Lubitsch (dont la vie ressemble à un supplice chinois, pour peu qu'il essaie de décider si la meilleur comédie de tous les temps est Haute-Pègre ou To be or not to be.) Il est pourtant bien là, Lubitsch: ses hors-cadres, ses dialogues subtils, ses décors à étages et à pièces communicantes.

On se rend compte, plus que jamais, que Lubitsch joue avec le cadre, avec le contour de chaque plan. Façon de signifier une cloture, un petit univers, en même temps que les criantes limites de cet univers, et implicitement tout ce qui se passe en-dehors de cette cloture. Dans chaque Lubitsch il y a une infinité de petits films, qui sont autant de pièce fermées, mais qui finissent par communiquer entre elles, que ce soit sur le mode de l'explosion, du malentendu, ou de la porte qui claque. C'est de là que viennent la plupart des situations comiques, chez Lubitsch, et particulièrement du fait que ce fonctionnement permet une infinité de nuances dans le sous-entendu, puisque sont présents dans chaque plan tous les autres plans possibles, toutes les autres pièces occultées.

C'est effectivement ce qui se passe dans Angel, mais sur un mode qui est moins celui de la comédie que celui du mélodrame critique. Tout se passe comme si ces incompatibles niveaux de signification allaient vers une collision dramatique. En l'occurrence, c'est - comme dans Sérénade à trois ou Illusions perdues - l'histoire d'un trio amoureux qui crée deux langages d'amour distincts, deux mondes différents, qui finissent pourtant par s'entacher l'un l'autre, jusque dans cette scène finale où la sublime Marlene Dietrich doit choisir entre le mari et l'amant, séparés par une porte. Il y a beau avoir, à un autre étage, le jeu des domestiques (dont on ne se lasse pas, de Haute-Pègre à Cluny Brown), la mécanique d'Angel n'est résolument pas faite d'effets comiques. Au contraire, le monde de Lubitsch gagne avec ce film une gravité qui ramène à l'essentiel le fonctionnement de son cinéma, en-deça justement des effets comiques.

On savait Lubitsch capable de nous faire rire avec ce qu'il y a de plus grave (To be or not to be...), le voici auteur d'un film sérieux sur un motif presque frivole. Peut-être qu'il faudra garder Angel en mémoire quand nous retournerons vers l'ampleur comique des plus grands Lubitsch: nous nous souviendrons ainsi qu'il y a un peu de gravité dans les plus exquis de ses non-dits.

mardi 29 décembre 2009

2009 - année du bilan



- Top dix années 2000 (par ordre alphabétique)-

Aviator

Collateral

Gerry

Gran Torino

L’Ile

Match Point

Memento

Million dollar baby

Le Nouveau monde

O’Brother


En cette fin de décennie, on devrait avoir plus de recul sur le cinéma des années 2000. De mon côté il n’en est rien, et j’ai l’impression d’avoir une liste infiniment plus subjective que pour le bilan de l’année 2009. 2000, c’est l’année à laquelle j’ai commencé à m’intéresser vraiment au cinéma. Le chemin du cinéphile se dessinant par coups de cœur, rejets et partis pris, cela explique que presque tous les films mentionnés soient américains (le seul non-américain, l’Ile, est russe.) J’ai probablement raté bien des choses dans cette décennie, mais rien que Gerry, Memento, Million dollar baby, Aviator… Dieu que c’était bien ! Rendez-vous en 2019 pour une liste plus éclectique.


PS: centième billet!




2009 - bilan de l'année



- Top dix 2009 -


1. Gran Torino (Eastwood)

2. Katyn (Wajda)

3. Public ennemies (Mann)

4. Là-haut (Docter & Peterson)

5. L'Autre (Bernard & Tridivic)

6. Les Herbes folles (Resnais)

7. The Wrestler (Aronofski)

8. Etreintes brisées (Almodovar)

9. Avatar (Cameron)

10. Inglorious basterds (Tarantino)


Comme ce choix n’est pas issu d’un grand plouf-plouf, mais d’un savant processus de sélection, je vous livre les tendances que j’ai pu distinguer en fabriquant la liste. Il y a d’abord de grands noms qui ne m’ont pas déçus (Eastwood pour Gran Torino, Mann pour Public Ennemies) d’autres que j’ai découverts ou redécouverts (Wajda, Resnais). Ensuite, des films comme Là-Haut ou Avatar m’ont semblé porteurs d’un nouvel émerveillement, qu’ils parviennent ou non à dépasser le stade technologique. Après, il y a de vraies surprises, venant de cinéastes dont j’ignorais tout (Mario Bernard et Pierre Tridivic pour l’Autre) ou dont je n’attendais rien (Darren Aronofski et son Wrestler). Enfin, deux films (et en fait deux cinéastes) titillent mes envies de cinéphile sans me convaincre totalement – peut-être justement parce que c’est trop facile de titiller ainsi mes envies de cinéphile. Bref, Tarantino et Almodovar figurent finalement dans cette liste.







lundi 21 décembre 2009

Avatar: la technologie se contemple



Avatar, ou le triomphe du geekolo. Geekolo pour geek et écolo. Comme mot-valise on a trouvé mieux mais l'essentiel est là: James Cameron est parvenu, avec Avatar, à sublimer les fantasmes de ces deux tribus qui donnent leurs couleurs à l'air du temps. Il faut dire qu'on s'immerge vite, dans ces couleurs et ces formes: on croit d'emblée à la nature luminescente de Pandora, à ses créatures effrayantes de vie - à cette communication d'énergie dont il est question pendant tout le film. On aura beau critiquer le scénario, il faut bien admettre qu'il n'y avait pas meilleure idée que de faire l'histoire d'un apprentissage pour nous initier aux nouvelles dimensions de cet univers, de ce cinéma. Et partir d'un personnage paralysé était une bonne astuce pour créer la nécessité de l'avatar - et par là même l'évidence et la magie d'un rêve fluorescent.

Dans les différentes interviews promotionnelles, Cameron confesse avoir voulu montrer avec les Na'vi une "innocence d'avant la civilisation". Peut-être qu'il s'est aperçu qu'il y avait de l'ironie à employer les toutes dernières technologies pour toucher du doigt l'humanité des origines, celle d'avant les technologies justement. Elle est là, l'ambivalence d'Avatar, procédant de l'utopique moteur de bien des civilisations: retrouver l'innocence perdue, atteindre un nouvel âge d'or, revivre les temps d'avant la chute. Mais dans le film de Cameron, il est amusant de constater que ce motif prend le double visage moderne de l'écologie et d'Internet. Le héros fait, à un moment donné, la découverte que toute la flore de Pandora est liée ensemble, qu'il y a une connexion entre les arbres, que la divinité na'vi est un Réseau d'énergie. En gros, la nature façon Pandora, c'est Internet. La voilà, la collusion entre le fantasme geek et l'utopie écolo.

Avec Là-haut, les studios Pixar avaient montré quel enchantement pouvait surgir de l'utilisation des nouvelles techniques d'animation. Avec Avatar, James Cameron est allé bien plus loin, il nous a fait entrer de plain-pied dans ce nouveau cinéma. Mais plutôt que de nous donner une véritable vision, ce premier grand film en 3D se contemple encore lui-même, prend la nature pour Internet et sécrète sans s'en apercevoir de l'idéologie technologisante. Ce n'est pas le chef d'œuvre d'un nouveau cinéma, mais c'est beau comme un prototype.

dimanche 20 décembre 2009

The Visitor, de Thomas McCarthy


The Visitor (2007), de Tom McCarthy, raconte l’histoire d’un universitaire guindé, dont une vie studieuse a sérieusement érodé la joie de vivre. Ce personnage est incarné par Richard Jenkins, dont le mérite est de n’avoir strictement rien besoin de faire pour signifier l’allure rigide, la mine fermée et la peau travaillée par le labeur de bibliothèque. Cet universitaire, donc, voit sa vie changée quand il se retrouve en cohabitation forcée avec un couple de colored people : Zainab est sénégalaise, Tarek est syrien. Tout ça jusqu’au jour où, pour une sombre histoire de tourniquet de métro mal négocié, Tarek est menacé d’expulsion.

Tous les ingrédients sont là pour un gentil mix entre le film concerné sur l’immigration et celui du genre « quand un vieux bougon réapprend à vivre ». Et il y a de ça effectivement : l’universitaire, bien sûr, est vite déridé – il se rend compte que les séances de tam-tam, comparées aux colloques universitaires, c’est quand même sympa – et nos deux illégaux, bien sûr, sont des personnes remarquables et remarquablement intégrées. Au fond, cette vision enchantée pourrait tenir, seulement il y a quelque chose de gênant dans cette mise en scène trop calme, trop sérieuse, trop didactique pour être vraie. Si ce film ne gardait pas ma sympathie je dirais même qu’il y a quelque hypocrisie, jusque dans la forme, à présenter en drame social l’histoire d’une amitié – ou alors l’inverse : à résumer dans une relation de personnes tous les enjeux de l’immigration. Bref, la faiblesse de ce film réside dans la tiédeur d’une mise en scène qui ne fait ni complètement du mélodrame, ni complètement du réalisme social, ni complètement les deux.

Pourtant, cela même qui est agaçant fait aussi, en un autre sens, la force du film de Tom McCarthy. Quand Walter, notre universitaire, va visiter Tarek, il entre par une porte coulissante dans un sas, et c’est sous le regard d’une caméra de surveillance qu’il voit la première porte se fermer, avant qu’enfin l’autre ne s’ouvre. Cette situation intermédiaire, cet interminable seuil, telle pourrait être la représentation de l’Amérique, dans ce film, en même temps que celle du cinéma. Peut-être justement que Tom McCarthy a bien dit les choses, a exprimé une saine mélancolie, en filmant sobrement une histoire hollywoodienne (ou le contraire là encore), comme pour faire apparaître un rêve perpétuellement tenu à distance. C’est le même voyage qu’a l’habitude de faire le couple, qui connaît New-York de l’intérieur mais prend le large à l’occasion pour en considérer l’extérieur. Et, dans The Visitor, cette situation désigne bien l’ambiguïté d’un cinéma qui n’est qu’une projection, une précarité : un endroit dont on sait qu’on va devoir partir.


samedi 5 décembre 2009

The Road, de John Hillcoat



Chanceux John Hillcoat, qui passe après le 2012 de Roland Emmerich. Chanceux John Hillcoat, qui se laisse porter par le simplissime récit de Cormac McCarthy. Il serait facile de dire que la supérorité de The Road sur 2012 tient au combat de l'épure contre le carton-pâte. Ce n'est pas ça: le décor est une diversion, c'est du sens de l'histoire qu'il s'agit. La grande différence du film de John Hillcoat, c'est qu'il vient après la tragédie: son déroulé n'est ni implacable ni spectaculaire, il est hésitant, fragile, comme lui-même à la merci de la fin qu'il décrit. Cette route-là est assurément un chemin du doute, bien lointain de l'amusante confiance dont témoignent les personnages de 2012. Mais ceci vient de la langue de Cormac McCarthy, des interrogations qui parsèment ses dialogues. Des questions posées pour être sûr qu'on est toujours là, qu'on est toujours vivants, qu'on est toujours des hommes - "are we still the good guys?".

Si apocalypse veut dire "révélation", John Hillcoat essaie bien, en adaptant Cormac McCarthy, de toucher à ce qui reste d'essentiel après la fin. Comme si ses personnages existaient d'autant mieux qu'ils étaient confrontés au rien et au mal généralisés. De fait, eux-même ne sont plus grand chose, et s'ils continuent d'avancer, c'est surtout l'un pour l'autre. Un lien est apparu à l'épreuve du néant. C'est entre le père et le fils que la vie se noue, comme dans une ultime révélation, une dernière alliance.

Pourtant, la révélation en question n'a pas grand chose de cinématographique. Tout se passe dans un respect craintif de l'écrit adapté. Peut-être cela vaut-il mieux. Et pourtant, Hillcoat aurait pu aller jusqu'au bout, dans un sens ou dans l'autre. Soit en acceptant franchement de nous faire entendre le style de McCarthy, un peu comme Bresson l'avait fait pour Bernanos, soit en essayant de faire une œuvre formellement ambitieuse et indépendante. Bref, voici un film qui n'est ni une interprétation puriste, ni une trahison grandiose, mais qui a le mérite d'illustrer convenablement un grand livre.

jeudi 12 novembre 2009

Apocalypse, démocratie et herbes folles

Etait-ce une si bonne idée d'enchaîner à un jour d'écart Les Herbes folles et 2012? Je me pose la question, parce que depuis hier j'ai dans la tête des rapprochements farfelus - franchement: Alain Resnais et Roland Emmerich! Et pourtant je n'y peux rien, ces deux films apparemment étanches l'un à l'autre semblent bien suivre une unique et secrète trame (carrément bien cachée, même, cette trame, le raisonneur en moi l'avoue facilement).


Ce qu'il y a de commun, entre 2012 et les Herbes folles, c'est l'aura de la narration, le pouvoir illimité de l'histoire racontée. Entre la prophétie maya qui se réalise (2012) et l'anedocte romanesque dite par Edourd Baer (Les Herbes folles, vous l'aviez deviné, mais je précise pour faire symétrique), on pourrait se demander s'il y a vraiment plus qu'une différence d'échelle. Dans les deux cas, il y a une forme de fatalité narrative - de déterminisme - qui vient menacer l'intégrité physique de nos personnages, voire simplement les fracasser. Que ce soit la fin du monde ou la rencontre explosive d'un homme et d'une femme, c'est comme si l'effet d'annonce avait un pouvoir magique. Origine et point de fuite, on ne fait que graviter autour de cette fin dernière qui engouffre tout et tout le monde. D'ailleurs, nous parlions de questions d'échelle: il y a d'étonnants parallèles à faire entre les gouffres qui avalent des villes entières et les sols fissurés dans lesquels poussent les herbes folles - il suffit de prendre un peu de hauteur (en avion, dans les deux cas). Il est quand même assez drôle de constater que l'écrit qui a l'air le plus implacable (l'apocalypse maya) laisse en vie les héros, quand le récit apparemment anecdotique (la voix parfois hésitante d'Edouard Baer) se couronne d'une fin cruelle pour les personnages.

Là où nos deux films prennent des voies opposée, c'est dans la manière dont ces histoires s'écrivent et se mettent en scène. Dans 2012, il y a l'obsession du storytelling, de la petite histoire faite pour en dire long sur la grande. On s'aperçoit par exemple que les débats moraux et les instants fatidiques sont retranscrits sur grand écran. Quand Adrian, le scientifique éclairé, combat pour la démocratisation de l'apocalypse, c'est en visio-conférence avec les puissants de ce monde, embarqués eux aussi. Quand la famille re-recomposée, coincée dans une pièce inondée, sauve l'arche du naufrage, c'est encore tout le monde qui profite du spectacle. Le président, lui, n'a même pas besoin de caméra, tellement son sacrifice rayonne de mille feux (quoique, il y a bien une allocution au peuple, moment démocratique parfait, auquel tout le monde participe en face de sa télé). Bref, il y a tout une série de films dans le film, comme pour faire comprendre avec les moyens du bord qu'on a affaire à l'histoire de l'Histoire. Cela donne aussi un côté amusant et superficiel à la chose: on voit bien qu'en off, notre Adrian national n'a pas l'air si mécontent de se retrouver entre gens de bonne compagnie - le spectacle n'est pas, dans 2012, qu'une affaire de fête foraine.

Autant le film d'Emmerich est aussi attendu - et annoncé - que la fin du monde, énième réécriture de l'ultime catastrophe, autant celui de Resnais est fou, libre, surprenant. Si le narrateur est omnipotent, il laisse pourtant une place aux pensées et idées fixes des personnages - probablement pour mieux les retourner contre elles-mêmes. André Dussolier est excellent de mystère et d'imprévisibilité. Mais c'est surtout la mise en scène qui frappe par sa perpétuelle créativité, son ingéniosité formelle: tous ces moments où l'on perd la notion du temps et de l'espace (par exemple grâce aux effets de bande-son pendant le dîner avec les enfants), comme pour donner une impression de vertige ou d'apesanteur, de même que le sac volé à Sabine Azéma reste un temps en suspens dans les airs. Au fond, cette liberté est très conciliable avec le fatum narratif: c'est justement une déclaration d'amour à la force des choses, un hymne au saut dans le vide. Ne vous inquiétez pas, je n'irai pas jusqu'à dire que Resnais fait au cinéma une profession de foi pascalienne: assez de comparaisons bizarres pour aujourd'hui...

samedi 7 novembre 2009

Le Concert, de Radu Mihaileanu


L'âme russe, c'est un peu comme la valise de Mary Poppins: on se demande toujours ce qui va en sortir. Dans le Concert, on se retrouve avec quelque chose d'assez gros. Il ne fait pas dans la dentelle, Radu Mihaileanu. Et c'est pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c'est-à-dire les moments comiques aussi poussifs que jouissifs, plus le concerto pour violon opus 35 de Tchaïkovski qui, quelque soit le traitement auquel il est soumis, reste le concerto pour violon opus 35 de Tchaïkovski.

Mais il faut dire qu'il est rude, le traitement (ici on passe au pire), si l'on comptabilise tous les flashbacks explicatifs, Miou Miou et la durée des dialogues en Français façon "tempérament slave" (Ah! L'usage poétique de l'infinitif: "moi chercher beaucoup harmonie"). Bref, même si les défauts abondent à un débit de centrale hydraulique, on est tout surpris de se surprendre à rire. Puis à frissonner, mais ça c'est l'effet Tchaïkovski.

vendredi 6 novembre 2009

Two lovers, de James Gray


Le titre est assez transparent: Two lovers, deux amours, ou deux maitresses. Ce qui est moins transparent - et ce n'est précisément pas fait pour l'être -, c'est le sens profond du film de James Gray. Au contraire, le principe secret du film semble bien être une forme d'opacité réfléchissante: des plans, des actions, qui renvoient à eux-même personnages et spectateurs. A cause de cette fermeture, Joaquin Phoenix a l'air de se cogner aux murs d'une chambre trop petite pour lui. Comme nous, en somme, qui avons la désagréable impression de buter sur l'absence nécessaire de signification.

Et pourtant, si le film est réussi, c'est que ça résonne toujours mieux dans une impasse que sur une autoroute. D'autant plus que cette histoire de chambre, de lieu clos propice aux songes, est parfaite pour faire de l'une des deux maîtresses (Gwineth Paltrow) une créature de pellicule: un fantasme. C'est la clé, au fond, de la structure en miroir de Two lovers, croisement entre la romance et le film noir: la brune raisonnable, une épouse en puissance, contre la blonde mystérieuse, une fuyante idole de chair (surprenant, au passage, que ce soit dans ce sens-là).

La seconde, à la limite, n'existerait pas que ce serait pareil - elle resterait une image dans l'objectif: une invitation au voyage d'autant plus impossible que la relation avec l'autre est réaliste, une rencontre d'autant plus fortuite que l'engagement avec l'autre est socialement nécessaire. Invitation au voyage, nous avons dit, car c'est surtout avec elle que notre personnage s'aventure hors de l'appartement: sur le toit de l'immeuble, au restaurant, dans le métro. Un voyage en trompe-l'oeil éternellement ramené à la chambrée adolescente. La fuite est suscitée et interdite par la même trame narrative qui conduit irrésistiblement vers le monde de la brune Sandra. Le symbole en est la bague de fiançaille: achetée pour l'une, offerte à l'autre.


mardi 3 novembre 2009

Away we go, de Sam Mendes - d'autres vies que la leur



Un comique français célèbre avait l'habitude de commencer ses sketches par un "c'est l'histoire d'un mec...". Dans le cas de Sam Mendes, l'accroche rituelle serait plutôt: "c'est l'histoire d'un couple..." - et son nouveau film, Away we go, ne déroge pas à la règle. C'est l'histoire d'un couple, donc, qui avant la naissance de son premier enfant décide de partir en voyage, à la rencontre d'autres couples, pour décider de la vie qu'ils veulent pour leur famille à venir.

Premier choix, marqué, du cinéaste: les acteurs. Elle, Maya Rudolph, dont le visage typé est relativement neuf au cinéma et lui, John Krasinski, dont l'allure de barbu à gros pif n'est pas banale non plus, et qu'on connaissait surtout pour son interprétation de Jim, le personnage officiellement sympathique de The Office version US. Le but, on l'a compris, est de donner à ce couple d'américains l'image la plus simple et la plus singulière possible.

Le même parti pris est adopté pour la galerie de portraits des couples visités (je ne suis pas sûr qu'il faille tenter la comparaison avec l'épisode biblique de la Visitation, ou alors sur un mode désenchanté, voire un peu ironique). Chaque famille que découvre notre couple en recherche a beau représenter une catégorie de personnes, un mode de vie particulier, aucune n'est pour autant résumée à un type. Et c'est justement la bizarrerie des choix de vie, la folie, la joie et la tristesse de tous ces gens qui donnent au film son énergie. L'une assume en perpétuels fou-rires sa vie déprimante d'américaine de base, l'autre élabore des théories sur l'éducation naturelle, quand chez d'autres encore, le bonheur affiché cache une douleur plus profonde. Ce n'est pas tant que ce pot pourri "fasse vrai" - quoiqu'il se trouve justement qu'il fait assez vrai -, c'est surtout qu'il est l'occasion de sauts entre les registres - la comédie, le drame, la satire - et le prétexte à des scènes plutôt jubilatoires.

Il y a enfin une certaine naïveté dans cet Away we go, surprenante de la part du réalisateur d'American Beauty. Ce n'est pas tous les jours qu'un cinéaste censément spécialiste en démythification de la vie de couple nous fait entendre de telles déclarations d'amour, nous met ses personnages dans une "si belle maison...", avec des fenêtres qui donnent sur la mer sans aucun complexe. C'est tout à son honneur, car il est toujours plus facile de croquer le couple bourgeois que de rendre justice au sentiment amoureux.

Ceci concédé, il faut préciser que, dans la mise en scène de nos deux amoureux, Sam Mendes tombe dans plusieurs travers du cinéma américain "indépendant". On a les couchers de soleil opportuns, filmés de manière vaguement artsy. On a surtout, dans les moments de vérité, l'enclenchement fatidique de la guitare acoustique, qui sert à accompagner des chansonnettes fades. C'est dommage - car le film n'est pas pour cela raté -, mais ce n'est pas cette fois-ci que Sam Mendes aura réussi à ré-enchanter son cinéma.

lundi 2 novembre 2009

Little Odessa, de James Gray



Pour savoir à quoi ressemble Little Odessa, il faut s'imaginer Antoine Doinel jeté dans le quartier enneigé de Brighton Beach, sanctuaire de la mafia russe - l'endroit qui donne au film son titre. Antoine Doinel, c'est Edward Furlong, un adolescent à la mine candide, qui fait son école buissonnière à vélo. Il fuit une atmosphère familiale plombée par la maladie de sa mère, la dureté de son père et l'absence de son frère enrolé dans la mafia. Les intenables retrouvailles avec ce tueur à gage de frère, voici justement ce que raconte le premier film de James Gray.

Deux regards silencieux sont confrontés. Le premier, ouverture du film, est celui du tueur. Le second est celui de l'enfant redécouvrant, avec ce tueur, le lien du sang. Mais dire cela, c'est déjà trahir le silence qui de part en part traverse le film - percé ici et là par des psalmodies slavonnes. Car la première qualité de ce film, c'est ce recul, cette retenue qui ceint les instants les plus dramatiques. Comme si James Gray avait le souci de ne pas révéler plus que ce qui se joue sous nos yeux - ou plutôt, de ne rien signifier en surplus de ce qui se passe dans chaque plan. Difficile de dater ce film de 1994, qui se passe probablement dans les soixante-dix: l'effet de distance et de mystère met perpétuellement le doute sur le temps et le lieu.

Une forme de recueillement, donc, qui donne à Little Odessa une atmosphère religieuse somme toute pas incohérente avec ce dont il est question: la mort de la mère ou le pouvoir du père, violemment contesté dans un élan sacrilège, le revolver au poing. Une atmosphère pas incohérente non plus avec l'esthétique cinéphile déployée, nous en avions parlé à propos de La Nuit nous appartient. Il y a en effet quelque chose comme l'embaumement d'un regard déjà promis à la mort et à la cendre (le feu final). Aussi ne faut-il pas s'étonner que Reuben, le petit frère, soit tué à travers un écran blanc, qui est déjà son linceul.

samedi 24 octobre 2009

(500) jours ensemble - ou le "cinéma américain indépendant"



J'ai déjà remarqué que dans tous les films qui colportent un discours niais sur "l'amour", et s'en revendiquent avec je ne sais quel décalage ou second degré trendy (c'était le cas d' Amélie Poulain - qui a fait des émules outre-Atlantique, si on prend l'exemple de la série mort-née Pushing Daisies), il y a toujours l'enfance respective des deux âme-soeurs qui est mise en regard. A tel point qu'on se demande si l'étape enfantine (le "stade anal" dit clairement l'héroïne Summer) n'est pas l'horizon indépassable du genre de relation qui fait rêver les réalisateurs américains-mais-indépendants (indépendants de quoi?) comme Marc Webb, l'auteur de (500) jours ensemble. Bizarrement, le personnage qui donne les conseils les plus pragmatiques est celui de la petite soeur, un enfant.

Le personnage principal, dénommé Tom, a un travail qui consiste à écrire des cartes de voeux - c'est l'occasion, au moment de la déception amoureuse, d'un pétage de plombs sur le thème "on ment aux gens, on leur fait croire à un bonheur qui n'existe pas". Soit. Mais on aime quand même jouer de ces idées et de ces phrases toute faites: même si on ironise sur les décors ikéa, on se laisse prendre au jeu... C'est toute l'ambiguïté de ce film, qui joue sur tous les clichés du genre, mais essaie de s'en tirer avec des astuces de scénario, des plans art-déco et une fin triste. Car en effet, le film se finit mal: notre personnage se laisse marcher dessus comme un paillasson - on l'a dit au début, ce n'est pas un homme c'est un petit garçon. Mais attention, il le supporte car son propre échec signifie la victoire de l'idéologie carte de voeux (amour, bonheur, bonne santé... des autres).

On aurait aimé que tout le film se passe comme le mini passage de comédie musicale, ou comme la gentille parodie de Bergman, deux moments réellement réussis. On aurait aimé aussi s'attacher à Summer, incarnée - c'est un bien grand mot - par Zooey Deschanel (l'actrice était autrement plus convaincante dans Yes Man). Mais non, Marc Webb préfère nous plonger dans le nunuche pour nous punir ensuite d'y avoir cru. Il nous traite comme un vulgaire personnage masculin de film américain indépendant. Une manière très peu classe, presque lâche, de ne pas assumer le cliché - tout le problème de ce genre de film.

vendredi 23 octobre 2009

La nuit nous appartient, de James Gray



Difficile d'appréhender La Nuit nous appartient, le film de James Gray. Ne connaissant pas grand chose de ce cinéaste qui ne manque pourtant pas de partisans, j'ai eu un contact abrupt à cette œuvre léchée, compacte comme une grosse pierre taillée. Ce qui se dit autour du style de James Gray - on parle beaucoup de classicisme - a sa pertinence: ambition ou prétention, il y a dans ce film la solennité du marbre. Il faut dire que certains plans donnent de furieuses envies de capture d'écran. Et je ne suis pas sûr qu'il faille chercher quelque chose derrière ce matériau brut, qui n'impose au fond que sa propre évidence. Mais il ne faudrait pas exagérer, La Nuit nous appartient n'est pas non plus l'œuvre d'un contemplatif: ce qui fait l'intérêt du film de James Gray, ce sont surtout les moments de bravoure typiques d'un film de genre. De l'opération d'infiltration à la course-poursuite en voiture, les pics de tension ne manquent pas.

Pour toutes ces raisons, James Gray est souvent jugé sur sa qualité de bon artisan cinéphile. On se demande ici et là si La Nuit nous appartient est vraiment plus qu'un bel objet. A-t-on affaire à un "petit disciple de Clint Eastwood"? Pas forcément. Ce n'est pas seulement dans le fascination pour le cinéma d'antan que le jeune cinéaste aime à ressusciter les thématiques familiales du cinéma classique. Le rapport à la filiation, par exemple, retrouve dans son regard une rare puissance dramatique. Et si on finit par s'émouvoir d'un tableau plutôt commun de la famille américaine, c'est parce que James Gray a su lui donner une teinte inédite.



mercredi 14 octobre 2009

Arts (1952-1966) - Le temps de la critique à l'état furieux

Jacques Laurent, le patron de la revue Arts de 1954 à 1958 - journal qui a connu cette année une résurrection sous forme d'anthologie, aux éditions Tallandier - a eu un jour ce commentaire inspiré: "Il y a deux sortes de critiques de cinéma. D'abord une critique dont l'enseigne pourrait être la cuisine bourgeoise. Et puis il y a une intelligentsia qui pratique la critique à l'état furieux. Truffaut est l'un des représentants les plus doués de cette dernière sorte." C'est donc logiquement que Arts est devenu, jusqu'en 1958, le défouloir du futur cinéaste, dans la ligne (droite) de son premier article aux Cahiers du Cinéma: "Une certaine tendance du cinéma français". Une entreprise en démolition dirigée contre le cinéma de salon, le "cinéma de qualité" à la française - ne sont épargnés ni les scénaristes, ni Cannes, ni surtout Claude Autant-Lara.

Pauvre Claude Autant-Lara... Bouc-émissaire de Truffaut parce qu'il représente le cinéma empoudré qu'il déteste, il est qualifié successivement, au fil des articles, de "bourgeois", de "faux martyr", de "lâche", de "censeur", de "père courage" et d'"opportuniste". Ce feu d'artifice a, comme il se doit, un bouquet final. C'est en 1957: "Lorsque j'ai écrit sur Autant-Lara, que ce soit avant ou après La Traversée de Paris, les mêmes mots sont venus sous mon clavier: grossièreté, hargne, méchanceté, mesquinerie, muflerie, menue bassesse, délire, exagération. Ce sont les mots clés." Le futur auteur des 400 coups avait en effet poussé le raffinement sadique jusqu'à écrire une critique positive sur La Traversée de Paris, en se gardant bien de faire rejaillir le moindre mérite sur le metteur en scène - un peu comme le millionnaire balance trois centimes au clochard du coin.

Il faut dire cependant que la passion de Truffaut pour la polémique est à la mesure de sa passion pour le cinéma. Et derrière la querelle, on perçoit bien la divergence esthétique, avec ses débats éthiques et politiques - par exemple sur la censure qui, nous dit-il, existe surtout pour ceux qui n'essaient pas de la contourner. Être cinéaste, pour Truffaut, c'est se donner les moyens de pouvoir répondre de son film au moment où il est projeté. On le voit bien dans ce recueil d'articles: Arts était aussi un endroit où se prolongeait le combat de la politique des auteurs. Un journal où on ironisait, certes, où on tournait en dérision le festival de Cannes et le manque d'ambition du cinéma français, mais pour donner plus de relief aux grands maîtres que sont Renoir, Rosselini ou Bresson. Et même le jeune François Truffaut, en qui bouillonne le cinéaste, tempère sa propre fougue dans un article contre le jeunisme intitulé "Il est trop tôt pour secouer le cocotier. Les dix plus grands cinéastes du monde ont plus de 50 ans". C'est un peu comme Jean-Paul Belmondo qui râle, dans A bout de souffle: "j'aime pas les jeunes..."

Truffaut n'est pas le seul de sa clique à écrire à Arts. On y trouve aussi Godard - qui signe notamment un entretien avec Rossellini et un autre avec Renoir -, l'indispensable Rohmer et, pour la seule critique qu'il n'ait jamais écrite, Louis Malle. Ce dernier se livre à une exégèse subtile du Pickpocket de Robert Bresson, dans un article de 1959. C'est ce qui apparaît, d'ailleurs, dans cette anthologie rassemblée par Henri Blondet: Arts a été, pendant une grosse dizaine d'années, le creuset de beaucoup de talents, dépassant largement par le prisme des styles la seule troupe dite des hussards (Jacques Laurent, Roger Nimier, Michel Déon, Antoine Blondin). Au contraire, la variété des signatures (par exemple Bernard Frank, Jean-René Huguenin ou Boris Vian), en même temps que celle des sujets traités, a vite fait déborder le journal de sa mission uniquement critique. Que ce soit Giono parlant de l'affaire Dominici ou Marcel Aymé racontant une exécution capitale, c'étaient des visions d'écrivains qui s'amalgamaient, à l'époque bénie de Arts, aux événements de l'actualité.

L'Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Tridivic


Aussi étonnant que cela puisse paraître, L’Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, commence comme un film de Michael Mann. Dans l’esthétique, du moins, il y a la modernité froide, l’obscurité baignée de lumières artificielles. Et de fait, l’histoire a beau se passer à Paris, on retrouve nos personnages dans des centres commerciaux, dans des cafés lounge, au sommet d’un immeuble – ces lieux plutôt impersonnels qui sont légion dans les grandes villes occidentales et occidentalisée. Il est significatif que, là où l’Américain voit l’occasion de films noirs, nos Français trouvent l’inspiration pour un thriller psychologique. Dans les deux cas, pourtant, l’homme est piégé dans le même rapport pathologique à son environnement.

Lire l'article chez Kinok

vendredi 9 octobre 2009

Heureux, ceux qui croient sans avoir vu.

Barack Obama récompensé d'un prix Nobel de la paix, c'est l'intention, le discours, le virtuel enfin consacrés comme actions politiques. Il était temps, après tous ces siècles désagréables où la parole engageait, où l'on croyait au verbe (celui qui se fait chair). Désormais, dans le procès en canonisation laïque, l'acte de foi suffit, le "yes we can" a valeur de présence réelle. Cela ne veut pas dire que le cinéma se soit substitué au réel. Car détruisant le réel, on détruit l'imaginaire. Hors des salles obscures, le cinéma est condamné à la dilution. Il est déjà presque entièrement dissipé dans l'air du temps.

dimanche 4 octobre 2009

Hôtel Woodstock, d'Ang Lee - tu n'as rien vu à Woodstock


Je dois vous faire une confession. Quelque soit mon âge, à Woodstock, je ne suis pas sûr que j'aurais été du côté des jeunes. J'ai honte, mais je crois même que j'aurais été parmi les grognons qui pestent contre l'invasion des chevelus - comme un indigène râlant à l'arrivée des touristes en sandales. Et Ang Lee, apparemment, n'avait pas trop envie de convaincre les ronchons de mon espèce. Il faut la voir, la tête de son Woodstock. Pour vous donner un aperçu, imaginez un week-end d'intégration de business school (en plus chic: on y prend de l'acide, pas de l'alcool) où les étudiants décideraient d'ériger en loi morale leur propre déchéance.

Car c'est ça, Hôtel Woodstock, deux longues heures où la médiocrité d'une génération est auréolée du seul prestige de sa présence oisive et partiellement vêtue. Ang Lee joue d'ailleurs à fond la carte de la nostalgie - avec ses splitscreens inutiles, dans le genre "images d'époque" - et je me sentais presque de trop, moi qui n'ai connu ni les sixties ni les seventies (et à peine les eighties! Mais ça n'a rien à voir.) Ce qui ne m'a pas échappé, en revanche, c'est la curieuse ressemblance de ces silhouettes aux mines hagardes avec les zombies de La Nuit des mort-vivants. Et bien sûr, par analogie, leur ressemblance avec les mort-vivants de la consommation de masse.

Ang Lee ne s'y trompe d'ailleurs pas, en s'extasiant sur la logistique de l'entreprise et l'imaginaire de la marque Woodstock, comme pour mieux ignorer ce qui représente le seul intérêt de l'événement: la musique. C'est toute l'histoire du film, ce personnage d'Eliot qui veut aller au fameux concert qu'il a contribué à organiser, mais qui n'y arrive jamais, tant il est happé par l'euphorie de la foule - en gros, c'est comme une ménagère de moins de cinquante ans, première entre toutes à l'ouverture des soldes, mais à qui la folie de la horde acheteuse fait oublier ce qu'elle était venue chercher. Les divers acides ne font que flatter cet enthousiasme sans motif qu'est l'effet de masse, le mouvement de foule.

Il faut enfin parler de la remarque finale de notre héros face au terrain dévasté et parsemé de déchets (une remarque dépourvue d'ironie, faut-il le préciser): "It's beautiful". Ce bon mot dépasse de bien loin le fameux "Ceci n'est pas une pipe" de Magritte. Rarement un personnage aura aussi bien décrit l'exact contraire de ce qu'il y a à l'écran.

samedi 3 octobre 2009

Croix de fer, de Sam Peckinpah - l'art des mises en regard


A propos de La Horde sauvage, je parlais d'une complicité entre l'enfant et le général sanguinaire, comme si l'enfant, par définition, était fasciné par le décorum et la geste militaires. En voyant Croix de fer, je me suis demandé si ce n'était pas l'inverse, si pour Peckinpah toute guerre n'était pas le jeu infernal du retour en enfance. Une marche forcée vers l'univers édulcoré des costumes, des médailles, des bons points, ou des croix de fer. D'ailleurs le titre du film vient de là: cet aristocrate de capitaine veut la décoration suprême pour faire honneur à sa famille, comme on veut une bonne note pour faire plaisir à ses parents. Le générique, où sont intercalés les chansons enfantines et les tambours de défilés militaires, installe bien cette confusion mimétique: on ne sait plus qui imite qui - du reste ils ne le savent probablement pas, eux non plus.

On retient en tout cas de tout ceci l'art singulier des associations explosives. Ce talent qu'a Peckinpah pour les coupures, pour les longues séquences criblées de plans courts, conduisant ou ne conduisant pas à l'analogie. Contrairement à The Wild bunch, il n'y a pas seulement là l'alliance insolite de l'instinct et de l'analyse, de l'homme et de la bête. La troupe dont il est question est ici d'autant plus sauvage que le film a une découpe de plus en plus arbitraire, semblant produire de moins en moins de sens, jusqu'à la folie, juqu'à l'hallucination. C'est que l'important n'est pas tant pour Peckinpah la finalité de ces confrontations visuelles que l'effet même de ces mises en regard. Que cela aille ou non quelque part, ce que recherche le cinéaste, c'est le choc thermique, et éventuellement les étincelles.

"Mise en regard", l'expression n'est pas vaine pour évoquer Croix de fer. Nous en avons parlé comme art du découpage, mais elle a aussi chez Peckinpah une signification littérale. S'il les plans se répondent, s'incluent, s'excluent à toute vitesse, c'est aussi qu'ils sont des points de vue, des regards posés sur le reste du monde. C'est l'aspect western de ce film de guerre, que de tant appuyer les regards - d'observation, d'émotion ou de confrontation. Et c'est dans le regard que réside le désir. A nouveau, l'enfance comme instant privilégié - innocent ou non - du désir de croissance peut permettre de comprendre ce qui s'échange dans le regard du caporal Steiner et le jeune prisonnier russe - la pure et enfantine "envie d'être grand" et la volonté de puissance.

L'immense James Coburn, car c'est lui le caporal Steiner, compose un national-anarchiste qui ne supporte pas l'apparat et les traditions de l'aristocratie prussienne. Croix de fer est l'histoire de son face à face avec un représentant de cette classe honnie (le capitaine). Un débat muet sur l'origine secrète de leur envie de se battre - l'un effectivement, l'autre virtuellement. La guerre est faite, au fond, de ces jeux de regard, de puissance et d'explosion. Mais cela commence plus simplement encore: il y a le regard inquisiteur du capitaine sur son second lançant des oeillades trop insistantes au jeune homme qui l'accompagne - c'est le désir qui se regarde lui-même - ou même la découverte, par notre troupe euphorique, d'une section de femmes russe qui ne se laisse pas faire - révélation: l'ennemi est une femme!



The informant, de Steven Soderbergh


Il est massif, Matt Damon, dans The Informant. Physiquement je veux dire. Il a l'allure, les épaules, les motifs de cravate, la moustache et les lunettes de l'acteur involontaire dans un documentaire sur l'entreprise américaine des années 90. Mark Whitacre, le bon gars du midwest, toujours persuadé d'être dans le camp des good guys - si bien qu'en un sens, il l'est effectivement. Ou pas tant que ça, justement, puisqu'il travaille dans une grande société agro-alimentaire qui, non contente de fabriquer tout et n'importe quoi avec du maïs transgénique, s'entend avec ses concurrents et néanmoins camarades pour fixer des prix à l'international (ce qui est mal et interdit par la loi).

La pesanteur très bien installée par Matt Damon permet à Soderbergh de travestir le film d'investigation en comédie. Il y a certes le FBI, une grande entreprise, un indic, des enregistrements mais les stylos ne marchent pas, le matériel d'enregistrement fait des bruits bizarres, il faut changer la cassette au milieu d'une réunion - comme si ce personnage tout simple était allergique aux gadgets. Ou plutôt: comme si ce personnage transparent était incapable du moindre secret, de la moindre conspiration. Tellement transparent, le héros, qu'on entend ses pensées. Et, surprise: il a beau être dans toutes les situations délicates de la terre, il pense à tout et n'importe quoi, disserte sur la vie et la mort... Bref,un gars brut de décoffrage qu'on a du mal à faire entrer dans le jeu raffiné de l'enquête, de l'infiltration et de la double vie.

Comme toujours avec Soderbergh, il y a les marques du travail de pro - cette comédie était faite pour fonctionner à merveille. Seulement, j'ai eu beau me dire de temps en temps "tiens c'est drôle", je n'ai pas ri une seule fois. Et dans la salle je n'ai pas entendu la moindre amorce de petit rire discret. Non pas que Soderbergh fasse dans un comique trop cérébral: c'est simplement du comique trop peu comique. La carrure du personnage, sa massivité - tout le jeu de Matt Damon - fait finalement que le film s'essouffle sans même tirer parti des situations cocasses (et ce n'est certainement pas le swing en fond sonore, façon Une Nounou d'enfer, qui parviendrait à donner du rythme à cette intrigue mollassonne). Dommage, car Mark Whitacre devient précisément un objet de fascination quand on s'aperçoit qu'il n'est pas si univoque et transparent: on sort de The Informant avec le sentiment qu'on a eu affaire à un menteur de bonne foi.

dimanche 27 septembre 2009

John Doe - paradoxe sur le comédien


L'homme de la rue n'existe pas. Il n'est même pas ce vagabond de Long John, ou alors s'il a les traits d'un joueur de baseball, c'est une balle invisible qu'il lance à son équiper. Meet John Doe (L'Homme de la rue), de Frank Capra, commence dans les locaux d'un journal, premier temple de l'information de masse. Et si sa naissance a l'air fortuite, John Doe est le nécessaire prototype de la population de base ainsi visée. Il est à peu près tout le monde, c'est-à-dire personne.

Créature de marché, marionnette des puissants, c'est à travers John Doe une cible qui est instituée. Pourtant, et c'est toute l'ambiguïté du personnage, le peuple se l'approprie en même temps qu'il s'identifie à lui. Ambivalence et subtilité de la vision de Capra: John Doe est un modèle démocratique qui, même créé par la démagogie mercantile et politique, a quand même ses chances de s'incarner réellement, ou du moins d'incarner les aspirations sincères d'un peuple. Capra n'est pourtant pas un démocrate béat. Il n'y a qu'à regarder la foule essayer de lyncher Gary Cooper, ou même, avec ces deux enfants qui viennent poser à ses côtés pour les photographes, les mimiques grotesques d'une certaine populace. Les citoyens sont parfois aussi laids que les mensonges qu'ils réclament.

Dans l'Homme de la rue, le paradoxe est théâtral et centré sur le personnage de Gary Cooper. Il y a un débat entre la sincérité et la représentation: c'est à la fois un rôle imposé de l'extérieur et une responsabilité que notre héros peut choisir d'endosser - paradoxe de toute société, qui appelle à se réaliser en incarnant un personnage. Tout "average american" modulera son expression, façonnera son visage en fonction du voisin. Aussi est-ce par l'intermédiaire des autres que Long John parvient à une forme, bien précaire, d'équilibre. D'un côté le septicisme salutaire du compagnon de vagabondage, Colonnel, de l'autre l'enthousiasme naïf, mais non sans ambivalence, d'une charmante Barbara Stanwyck.

Bien sûr, ce qui est génial ici, c'est que Capra nous parle pêle-mêle de la démocratie, de l'Amérique et du cinéma. Du cinéma, parce que le problème de cette industrie de masse est le même que celui de la démocratie, qui hésite essentiellement entre le faux et le vrai. Il y a des moments où, à travers le mensonge généralisé, transparaît un visage, un témoignage, de la camaraderie - et c'est ce que parvient très bien à filmer Capra. Y croire, c'est mettre suffisamment de foi dans le cinéma pour donner à Long John la possibilité de devenir l'authentique John Doe.




L'Affaire Farewell - espionnage pédagogique


Avis aux habitués des "mercredis de l'Histoire" sur arte. Toutes activités cessantes, allez voir L'affaire Farewell. Si vous voulez de l'Histoire, de la bonne vieille stratégie politique de guerre froide, vous en aurez pour vos sous: voici un cours de relations internationales du XXème siècle mis en dialogues par Christian Carion, avec Ronald Reagan (un peu grand) et François Mitterand (un peu gras) en guest stars. Le film idéal pour celui qui prépare le bac d'histoire. Pour les autres, il faut accepter de sacrifier à la pédagogie toute envie de réalisme quant à la représentation des grands dirigeants - entre deux portes, ils parlent comme les sous-titres d'un manuel de géopolitique.

Au-delà de ça, pourtant, il y a une vraie histoire d'espionnage. Guillaume Canet est un jeune français travaillant à Moscou, Emir Kusturica un cadre du KGB qui, voulant révolutionner de l'intérieur le système soviétique, prend la décision de faire passer à l'Ouest les informations auxquelles il a accès. Si la relation entre les deux personnages est plutôt bien faite, si l'histoire même est passionnante, on cherche longtemps la plus petite forme de dramatisation. Ce que l'on retient, au fond, c'est Kusturica donnant à Canet des papiers avec des plans dessinés dessus. Point.

Ce vide est quelque peu compensé par un travail esthétique. Mais là encore, il arrive à la mise en scène de verser dans le lyrisme pataud, où Moscou et l'empire communiste sont cantonnés à une série de symboles. Kusturica l'acteur parvient à donner de sa chair au rôle de Sergeï, et la plus grande réussite de L'Affaire Farewell est peut-être, sous les traits du fils de Sergeï, le portrait de la jeunesse russe des années quatre-vingt, le temps d'une chanson de Queen.

jeudi 24 septembre 2009

Mesrine

Il y a y a un côté franc du collier dans les deux opus de J.-F. Richet consacrés à la figure de Jacques Mesrine (L’Instinct de mort et L’Ennemi public numéro 1). On sent qu’on a affaire à une chose qui prétend le plus tranquillement du monde être la référence définitive dans son domaine. Et sans lui concéder ce statut – loin de là – on peut saluer l’ambition. Il faut dire qu’il y a quelques scènes particulièrement bien ficelées, qui vont, dans le premier opus, de l’assaut sur la prison canadienne, jusqu’à ces scènes de poursuite, de fusillades et d’évasion qui ponctuent la seconde partie. Des morceaux de bravoure qui font toujours plaisir, surtout dans un film français.

A part ça il y a Vincent Cassel. J'ai toujours trouvé que cet acteur sonnait faux - avec le personnage de Mesrine, il a trouvé quelqu'un de son acabit. Le côté petite frappe ne fait définitivement rien pour nous le rendre sympathique: il cabottine, se déguise en robin des bois, en brigadier rouge... On est pris d'une furieuse envie de prononcer le "s" de Mesrine pour le voir s'énerver. Et si le jeu sur le spectacle donne lieu a des scène presque comiques (les dialogues avec le vieux milliardaire kidnappé par exemple) le pathétique de certains moments ne fait même pas vibrer la corde sensible - échouant là où Jean-Paul Rouve avait au moins un peu réussi, avec Sans Haine ni arme ni violence.

J'ai pu voir ce film à l'occasion d'un partenariat de quelques mois avec le site de VOD Canalplay: je regarde dix de leurs films gratuitement tous les mois, en échange de quoi je publie deux articles, avec un lien vers leur site (ou une bande-annonce, que voici en-dessous). J'ai accepté cette forme de publicité, car elle me permet de voir plus de films sans trop d'obligations en retour, ce qui s'inscrit dans la logique du blog. En espérant que mes lecteurs n'y verront pas d'inconvénient...

mercredi 23 septembre 2009

Memento et Insomnia, de Christopher Nolan - pathologies au détail

Voici, corrigé et remanié, un vieil article sur Memento et Insomnia de Christopher Nolan (en attendant Inception).

La minutie du maniaque. C’est ainsi que nous pourrions définir le rapport au cinéma de Christopher Nolan. Chacune de ses œuvres est un rite fétichiste. La matière des choses, leur détail, jusqu’à l’infiniment petit, s’impose comme obsession. Comme pathologie.

Memento, avant même d'être le film "monté à l'envers", est traversé par un effet de fragmentation. Plans en couleurs, plans en noir et blanc, et surtout dislocation du temps réel, inversé dans la durée du film, chaque séquence arrivant en rupture totale à la séquence précédente et entrant en conflit avec les autres fragments. Cet éparpillement des instants, c’est celui aussi que vit le héros du film, Leonard, à travers l’amnésie. Qu’est en effet l’amnésie, sinon ces moments ou le temps perd sa continuité, disparaît au profit de grains d’instantanéités ? C’est en s’accrochant à ces détails, pourtant, qu’il est possible d’envisager une survie.

Mais c’est souvent de trous noirs ou de points aveugles dont il s’agit: des plans très courts font d’arbitraires apparitions en rafales. Trop rapides, il est impossible de comprendre ce qui s’y passe, trop rapprochées, il est impossible de discerner ce qu’elles montrent. La matière dévore le cadre, institue la discontinuité - c'est la pathologie de notre personnage. En cela d’ailleurs, ces «flashs» sont tout à fait justifiés dans le cinéma de Nolan, quand ils sont des effets gratuits dans beaucoup de films.

Pour se retrouver, le héros de Memento doit inscrire des tatouages sur son corps. La structure narrative du film se fait dès lors en analogie à un autre parcours, celui du personnage qui inscrit & découvre des lettres, des chiffres sur les parcelles de sa peau. Les tatouages sont des indices reliés à des morceaux de sa vie. Ce qui est poignant dans ces rites étranges, c’est la façon que le personnage a de redécouvrir sans cesse ces inscriptions. Il est condamné à faire sans cesse les mêmes découvertes, à être surpris par le non-sens des caractères dont il est recouvert.

Le personnage incarné par Guy Pearce n’est pas seulement amnésique, il est aussi enquêteur. La science du détail déployée par ce maniaque vise aussi à une recherche de la vérité. Ce n’est qu’à contre-courant de sa pathologie que la recherche - trouver le meurtrier de sa femme - peut avoir lieu. Leonard n’est fétichiste que pour arriver à donner une harmonie au morcellement. Il devient un maniaque de l’organisation, déroule une routine étrange, ce sont les photos prises («instantanés» qui portent bien leur nom) pour être mises dans l'organigramme déployé dans la chambre. Sur son torse, les tatouages ne sont pas placés si arbitrairement, ils convergent vers cette inscription : «find him an kill him».

Au cours de cette enquête, les fameux « flashs » placés au début du film sont amenés à s’incarner en objets bien singuliers. Un réveil, une brosse ou un livre que Leonard dispose dans une chambre pour replacer ces fragments au sein de ce qui pourrait ressembler à la cohérence d’un souvenir. Le génie de Christopher Nolan réside justement en sa capacité à transformer en polar - avec un suspens tendu vers le dénouement - un film monté à l’envers. Une fois imposé le morcellement, le film retrouve une forme de fil conducteur, en même temps que Leonard rassemble ses indices - car la déconstruction est vécue, en sens inverse, comme une plongée vers les fondations.

Seule cette prise de recul permet de considérer le sens de tous les gestes et donc la dimension morale du film. Sans mémoire, ces forfaits - rétrécis à l'infini- ont-ils la moindre importance ? C’est autour de cette même question, mais sur le mode d’une autre pathologie, que tourne le film suivant de Christopher Nolan : Insomnia.

L’attention au détail est le point commun du psychopathe et de l’enquêteur. Ce qui les sépare l’un et l’autre est la conscience morale. Dans Insomnia, le psychopathe incarné par Robin Williams a une attention toute diabolique à la moindre trace susceptible de le trahir. Après avoir assassiné la jeune fille, il prend soin de lui couper les ongles ou de lui brosser les cheveux. Il est aussi l’homme aux stratégies machiavéliques, l’écrivain bricolant l'intrigue parfaite.

Le policier - négatif du psychopathe à tel point qu’il risque à tout moment de devenir son reflet - reconstitue le rite meurtrier à partir des mêmes détails, devenus indices. A chaque détail observé par l’enquêteur (sur le corps de la victime par exemple) correspond un plan de mise en situation dans la scène du crime. C’est le mot d’ordre de Will Dormer, et c’est ce qu’il apprend aux policiers qui débutent : « ne pas négliger les détails ». Recréer la scène de crime et arriver au meurtrier, tel est le travail de l’enquêteur.

Il est des moments cependant ou le détail se perd en une zone de flou. C’est le cas par exemple des séquences qui se passent dans le brouillard. Nous distinguons d’abord nettement d’un côté Al Pacino, le policier tenant l’arme au poing, et de l’autre Robin Williams, le meurtrier en fuite. Mais ensuite nous ne sommes plus qu’avec Will et la cohérence de l’espace-temps se dissout, ne nous laisse voir que des morceaux de réalité. C’est justement l’un de ces détails que Will identifie au tueur : il tire. Il s’agit en fait de son coéquipier qui meurt de cette blessure. Le brouillard se dissipe, laisse place au monde articulé et à la conscience de celui qui vient de tirer.

Le malaise qui se développe ensuite est lié à la ressemblance - que le psychopathe prend un malin plaisir à mettre en évidence - entre le meurtrier et l’enquêteur. Dès que Will veut masquer l’incident, il détourne son travail de policier en manies d’assassin. Manipulation des indices par le policier, qui pose dans le film toutes sortes de questions morales (l'histoire n'est pas nouvelle si l'on se souvient de Touch of evil). Comme le fait remarquer Robin Williams : l’intervalle d’un quart de seconde à dix minute, n’est-ce que cela qui sépare l’accident (le réflexe irréfléchi du policier) du meurtre (le psychopathe qui bat à mort une jeune fille) ? Un sophisme déconnectant à dessein les événements de leur contexte.

L’insomnie d'Al Pacino est l'instrument de torture qu'a trouvé la mauvaise conscience. Des nuits hantées par des plans saccadés nous montrant une tache rouge envahir le cadre. Formes et couleurs abstraites figurent concrètement la conscience. Avant la fin du film, une sorte de révélation nous fait comprendre le sens de ce fameux plan « flash ». Sa dimension symbolique - une tache de sang sur un tissu immaculé - comprend et dépasse le contexte de son accomplissement. Si la matière aveugle parfois, il arrive aussi qu'elle nous éclaire. Chez Nolan, définitivement, le détail est bien plus qu’une question d’échelle.

dimanche 20 septembre 2009

Miss Manton est folle, de Jason Leigh

Parmi ses traditionnelles présentations des classiques RKO, Serge Bromberg semble avoir renoncé à nous faire rêver sur le film de Leigh Jason, Miss Manton est folle. « Voici un film méconnu, négligé, et à redécouvrir », telle est sa très peu aguicheuse accroche au dos du DVD. Un film à l’intérêt bien sobre de la redécouverte instructive… Il faut dire qu’il n’est pas évident de s’enthousiasmer pour cette comédie de 1938, dans laquelle Barbara Stanwyck incarne une bourgeoise un peu déjantée qui mène l’enquête après avoir découvert un mystérieux cadavre.



Lire l'article sur un Kinok tout neuf.

jeudi 17 septembre 2009

District 9, vrai faux docu-science-fiction





On se demande, au début de District 9, si on n'est pas dans la version sud-africaine de The Office. Même jeu sur l'image et le témoignages documentaires, un acteur qui a quelque chose du boss US de la série (Steve Carell), le tout appuyé par une esthétique de JT de chez CNN. Ce n'est qu'à l'apparition du premier alien gluant et cartilagineux que l'on se dit qu'il y a anguille - ou crevette, car c'est comme ça que les humains bien peu hospitaliers appellent ces bestioles - sous roche.

De la science-fiction, certes - avec tout ce que cela implique d'engin spatial flottant dans l'air, et d'ombre portée sur la ville - mais surtout de l'analogie politique, puisque les aliens sont parqués dans des camps de réfugiés, traités en pestiférés comme d'autres le furent à une autre époque, dans le même pays. On voit se profiler la métaphore vide et la caution politique, pour justifier bien facilement l'histoire et l'esthétique déployées. Et en effet si l'on va dans ce sens, on court vite au non-sens, par exemple quand les ligues des human rights manifestent pour les non-humans... D'ailleurs les seules questions valant un peu le coup dans cette affaire (comment humains et aliens font-ils pour se comprendre? Dans quelle langue?) sont royalement ignorées. Et au fond peu importe, puisque, on s'en rend compte avec réjouissance, le propos politique s'effondre bientôt sur lui-même, pour donner du mou à la science-fiction basique. Neill Blomkamp invente le propos politique comme figure de style de la science-fiction, comme prétexte à un décorum médiatique fait de reportages, d'interviews et de caméras de surveillance - et c'est tout.

L'originalité de District 9, curieusement, n'est pas vraiment d'avoir su ancrer la fiction dans le réel: ce n'est pas de l'extraordinaire lesté par les effets de réel du documentaire. On s'aperçoit au contraire du pouvoir de narration présent dans le style "document", où les témoignages, bien agencés, deviennent des effets d'annonce, des outils de dramatisation parfois lyriques. Comme si, paradoxalement, le réel était plus du côté des bêtes à tentacules que des témoins à forme humaine. Je ne suis pas un spécialiste du genre, mais cela ressemble à un signe de réussite, non?

vendredi 4 septembre 2009

Inglorious Basterds, de Tarantino - le comique, c'est du sérieux.


Peut-être que l'une des voies de sortie aux éternels débats sur Tarantino serait d'admettre une fois pour toute qu'il fait dans le comique. Du comique où le rapport aux choses est tellement fantasmé - passé au tamis si resserré des registres et références - que c'est la dérision généralisée qui l'emporte. C'est probablement dans Inglorious Basterds que ceci ressort le plus.


Ce film ressemble à un jeu dont les règles changeraient à tout moment. Et pas seulement dans le style (comédie, western et, si peu, film de guerre) ou dans les citations (je renonce à en faire la liste), mais dans l'utilisation subtile des langues: du Français, de l'Allemand, de l'Anglais, de l'Italien. Il y a ce très curieux moment, dans la toute première scène, où celui qui sera de fait le personnage principal, le colonel SS (Christoph Waltz), déclare avec force effets d'annonce qu'il s'apprête à passer du Français à l'Anglais pour poursuivre la conversation - c'est comme ça que ça se passe dans Inglorious Basterds, on change de langue au milieu de la conversation. Avec les langues il y a aussi tout un jeu de rôles qui se met en place, qui va de la carte sur le front au folklore des uniformes nazis, en passant par l'italien délicieux d'Aldo, le personnage de Brad Pitt - les limites de ta langue définissent celles de ton camp. Des uniformes et des postiches qui font aussi penser aux jeux dangereux de Lubitsch (To be or not to be).


Il n'y a pourtant pas que ça: on voit bien que tout ne s'émiette pas au moulinet de la dérision. Chez Tarantino, le comique, c'est du sérieux. Et ce sérieux brûle la comédie par les deux bouts: d'un côté il y a des instants de pure tension, des moments où, contre toute attente, Tarantino semble avoir foi en ce qu'il montre et de l'autre côté il y a des conclusions qui semblent venir de la dérision généralisée, une sorte de propos sur le cinéma et sur le pouvoir que donne sa maîtrise totale. Bref, voici une comédie prise entre une piété superstitieuse (on y croit parce que c'est le cinéma) et l'affirmation de la domination du cinéma sur la vie (et de Tarantino sur le cinéma). Parfois Tarantino est le pieux cinéphile, qui croit dans les purs moments de cinéma et parfois il est le cinéaste mégalomane, persuadé qu'il fait ce qu'il veut avec le cinéma - parfois il est Mélanie Laurent, qui prend soin de bien disposer les lettres du film projeté dans sa salle et parfois il est Mélanie Laurent foutant le feu au cinoche, la réalité avec.

mercredi 12 août 2009

Sam Peckinpah, La Horde sauvage - la violence, ce jeu d'enfant



Probablement me faudra-t-il approfondir un peu ma découverte de Sam Peckinpah pour en comprendre vraiment la dynamique cachée. Le plus évident, dans La Horde sauvage (The Wild bunch, 1969), c'est le déchaînement de puissance et ces fameux ralentis qui décomposent magistralement les fusillades. Ou encore les chevaux, ces autres forces sauvages domestiquées, qui tombent, les muscles tendus, dans des nuages de poussière.

Derrière l'éternel dernier western (celui de la force non civilisatrice) il y a un manière, une façon sans pareil de recueillir la violence à l'état pur. Cette manière procède en même temps de deux dispositions: celle de l'action, du mouvement continu fluidifié par le ralenti et, face à cela, celle de l'observation, sous forme de coupures brèves et statiques, qui vient cribler le mouvement. Le temps de l'instinct est aussi celui de l'analyse. Tout le film ressemble à ça: l'évidence sans discours de la force sauvage et absurde - par exemple la scène comique où l'armée mexicaine essaie la mitrailleuse sans parvenir à la contrôler (c'est littéralement la puissance sans mode d'emploi) - en même temps que l'observation métaphorique - avec ce qui ressemble à un propos (par exemple les enfants regardant un scorpion assailli par une armée de fourmis). Le mouvement est décortiqué, l'action observée in vivo.

Peut-être que si cette simultanéité s'impose, c'est précisément parce que c'est la vie même, dans son surgissement le plus sauvage, qu'il s'agit d'analyser. Nous avons parlé de la façon dont les chevaux étaient filmés, mais il y a aussi dans La Horde sauvage une place fondamentale pour l'enfant. Sur le seuil de l'état sauvage, l'enfant est par excellence la créature en devenir, le désir de croissance. Il est celui que la violence fascine, à l'image de ce garçon regardant dans un grand sourire l'allure du général Mapache. C'est le même garçon qui jouera un rôle dans le terme de la fusillade finale. Avec cette figure enfantine, voici la violence installée comme soubassement de la vie et de la mort.

Billy Wilder, The Apartment - habiter l'inhabitable


The Apartment, de Billy Wilder, a l'air d'avoir été fait il y a seulement quelques années. C'est qu'on est sûr de trouver, dans ce film de 1960, une atmosphère tristement moderne. Et ce ne sont pas seulement les situations et les accessoires qui, de l'open space à la bière-pizza-téloche, conditionnent encore ce mode de vie que nous cherchons tous à fuir. Il y a surtout une question d'espace, ou plutôt de lieu. La garçonnière dont il question le dispute au bureau, gigantesque et uniforme, comme espace de vie. Et ce petit appartement, pour être au centre de toute l'histoire, n'en est pas moins avalé par ce monde du travail fait de grands espaces, certes simplissimes, mais que le jeu des ascensceurs, des connexions et des promotions transforme en labyrinthe.

Toute l'histoire de The Apartment est justement celle de ces relations de travail qui envahissent l'espace intime du soir et de la nuit, pour chasser tranquillement celui qui l'habite. La raison, d'ailleurs, pour laquelle on emprunte son appartement au personnage de Jack Lemmon (de l'adultère joyeux et ordinaire), fait justice a l'aspect sordide de la chose. A un moment, lorsqu'il s'agit de fêter Noël sur le lieu de travail, le mouvement s'inverse: l'open space se mue en club, les gens s'embrassent, l'atmosphère glacée de la journée s'embue sous l'effet d'autres relations, plus charnelles mais tout aussi triviales.

Est-ce bien d'une comédie dont nous parlons? Oui, nous n'avons pas encore parlé de l'entrain de Jack Lemmon, de ses mimiques burlesques et de cette énergie qu'il met à vivre dans le monde décrit plus haut. Car tout l'enjeu de ce mélodrame comique revient, pour lui, à se rapproprier cette fameuse garçonnière, à en faire de nouveau un lieu de vie - l'endroit qu'il habite, contre celui du relatif et de l'intermédiaire. La relation de voisinage en lieu et place du réseau professionnel. Voilà qui donne tout son sens à la comédie romantique, puisque, dans le même endroit où elle a voulu se laisser broyer par la tristesse de cette vie, le personnage charmant de Shirley Maclaine finira par trouver un refuge: un lieu familier. Le voici, l'adjectif qui décrit aussi bien l'impression laissée par Jack Lemmon que celle, inverse, de cette modernité qui s'éternise.