dimanche 22 mai 2016

Rattrapages cannois, 2 : Apprentice, La Fille inconnue


Apprentice, de Boo Junfeng
Ce portrait d'un apprenti bourreau dans une prison de Singapour ne convainc qu'à moitié. La partie descriptive, disons documentaire, est plutôt réussie. La dénonciation de la peine de mort ne se lit qu'indirectement, au travers des problèmes d'intendance du métier de bourreau : avoir une balance en état de marche, de la corde du bon diamètre, savoir faire des noeuds pour tuer sans douleur ou utiliser les bons mots pour préparer les condamnés. Mais la véritable histoire d'Apprentice, celle du jeune Aiman fasciné par le métier de bourreau alors que son père a lui-même été exécuté, ne va malheureusement nulle part une fois les enjeux révélés. Une impasse qu'illustre bien le dernier plan, condamnant le personnage principal à sa propre incertitude.


La Fille inconnue, de Jean-Pierre et Luc Dardenne
L'avantage chez les frères Dardenne, c'est que les questionnements moraux ne se drapent pas de mystères. Il n'y a que des évidences, et la détermination du personnage joué par Adèle Haenel. Jenny est une jeune généraliste qui apprend un jour qu'une jeune fille ayant sonné la veille à son interphone a été retrouvée morte. Ce soir-là elle aurait pu ouvrir, elle n'a pas ouvert. Jenny fait part de son sentiment de culpabilité à qui veut l'entendre, et entreprend de mener une petite enquête en montrant un peu partout la photo de la victime. La réussite de La Fille inconnue tient en grande partie au jeu d'Adèle Haenel, à son visage buté qu'il s'éclaire à quelques rares moment : le film ne parle que de ces problèmes d'expression, d'images sur lesquelles il s'agit de mettre des mot. Une fille inconnue dont il faut trouver le nom. Jenny fait du secret médical un prétexte pour jouer le rôle de prêtre et de policier, soit les deux fonctions où on écoute des confessions. Toute la dimension sociale du film tient à ces passages du non-dit au dit : une idée toute simple, pas spécialement neuve, mais qui fait un film aimable.

vendredi 20 mai 2016

Rattrapages cannois, 1 : Julieta, Ma Loute


Julieta, de Pedro Almodóvar
Un très beau mélodrame de mères et de filles. Julieta écrit dans un cahier pour raconter à sa fille son histoire d'amour avec son père Xoan. Ce récit occupe la majorité du film, lui donnant à la fois son souffle et sa morale : former une famille, être responsable du bonheur des siens, passe par un devoir de mémoire et de vérité. La mémoire est ce qui tantôt sépare, tantôt unit les trois générations de femme mises en scène. Quand Julieta visite sa mère souffrante, leur retrouvailles tient à ce fil ténu qui se ravive dans une émouvante scène nocturne. Le devoir de vérité donne au film une tonalité d'enquête, faite de révélations suspendues avant d'être accomplies. Almodovar joue sur les étoffes recouvrant des corps : une chemise rouge dès le premier plan, un linge blanc cachant le corps d'un naufragé, et la serviette recouvrant puis dévoilant le visage d'une nouvelle Julieta au coeur du film. 


Ma Loute, de Bruno Dumont 
Après P'tit Quinquin, c'est encore une comédie que propose Bruno Dumont - une comédie d'un genre indéfinissable, qui ne relève ni de la satire, ni du burlesque pur et dur. Il est symptomatique qu'à la fin du film les personnages lévitent ou s'envolent : l'image est fidèle à un film qui voudrait ne s'accrocher à rien. Et ne rien donner à quoi s'accrocher. C'est dans un flottement perpétuel que les personnages passent d'une grimace à une autre, d'un sexe à un autre, d'un lien familial à un autre  Et si néanmoins tout se tient, en autarcie, c'est grâce à la mise en scène de Dumont qui porte jusqu'à l'abstraction les traits les plus burlesques ou dramatiques de son petit monde. Un exemple frappant est le jeu de Lucchini, sa démarche qu'on ne peut rapporter à rien de connu, ses exclamations dérivées du "c'est énorme" ou du "c'est sublime" qu'on lui connait, mais réduites à des demi-mots ou symbolisées par d'allusives simagrées. Voir Ma Loute, c'est un peu comme lire Bouvard et Pécuchet : on est ébloui par le geste, sa précision, sa drôlerie, sa radicalité - on savoure tout en sachant qu'on ne reviendra probablement pas une seconde fois.