mardi 10 décembre 2013

La Jalousie, de Philippe Garrel

Dans La Jalousie, le personnage de Louis Garrel déclare au lieu de parler, commente au lieu de dire. Cela tient peut-être au jeu de l'acteur, à son phrasé, et à la manière qu'il a de poser sa voix sur celle d'autres acteurs avant lui; mais il n'y a pas que cela, il y a aussi un rapport spécial à la parole dans le film de Philippe Garrel, qui n'est réductible ni au dialogue, ni à la narration. La manière dont les choses sont dites importe aux personnages. Ceci est souligné à plusieurs moment par Charlotte, la fille de Louis, qui demande à ses parents d'arrêter de crier alors qu'ils n'ont pas spécialement haussé le ton, ou qui répond une impertinence à son père : "- Rends cette sucette, je ne rigole pas ! - Mais moi non plus". 

Les dialogues ne servent pas ici à faire avancer l'histoire ni à créer des situations, mais à formuler des déclaration ("Je t'aime, et c'est définitif", "Te voir danser me rappelle toutes les raisons que j'ai de t'aimer", etc.), ou à commenter ce qui est en train de se passer (face à la rupture : "Mais, c'est très cruel ce que tu es en train de faire", "Pourquoi es-tu si dure ?" etc.). Dans la parole, c'est comme un simple prise en compte de l'évidence qui est recherchée, que celle-ci exalte le personnage ou le diminue. Parler, c'est commencer à absorber le réel, figuré ici par des plans en noir et blanc d'une belle simplicité. Il y a dans cette fonction du discours un côté machinal souvent irritant (qui va avec le jeu un peu satisfait de Louis Garrel), mais aussi une forme de pudeur non dénuée de charme. On finit par prendre plaisir à déambuler avec ces machines poétiques.



2 commentaires:

  1. C'est amusant que tu évoques le film par le seul biais des dialogues alors que le cinéma de Garrel est plutôt renommé pour son côté "visuel" et plastique (ses longs gros plans, son sens de l'ellipse...) Mais ton analyse est très juste même si je ne suis pas d'accord avec le côté "irritant" du jeu de Louis G.
    Le dialogue n'a pas une fonction psychologique ni même "narrative" mais de nous plonger au coeur des affects et de l'intimité des personnages...(bon, tout ça est un peu mal dit : désolé :) )

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  2. Bonjour docteur, en fait c'est le premier Garrel que je vois. Je suis d'accord que la mise en scène et la photographie de La Jalousie s'imposent par leur évidence. Mais c'est justement ça qui m'a intrigué, cette manière dont la parole se positionne par rapport à cette évidence, parfois en la taisant (la jalousie de la mère de Charlotte par exemple, pudiquement abordée), parfois en la célébrant (les grandes déclarations de Garrel), parfois en la commentant, etc. Bref, autant d'usages qui s'éloignent du dialogue classique à visée psy ou narrative comme tu dis. C'est ce qui m'a à la fois plu et énervé bizarrement, car à la longue je trouve que Louis G. en fait quelque chose de machinal, automatique, d'une poésie presque inhumaine. L'honnêteté me pousse à préciser que je n'aime pas l'acteur : je trouve qu'il est un avatar monstrueux du jeu à la Léaud, auquel on aurait enlevé toute vie et toute fraîcheur.

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