mercredi 27 novembre 2013

Raccourcis - La Fille du 14 juillet, d'Antonin Peretjatko

Le véritable charme de La Fille du 14 juillet ne tient ni à une nostalgie rigolarde, ni au cocktail des références, mais à un certain art de créer des raccourcis. C'est l'argument du film - une rentrée avancée, des vacances tronquées de leur mois d'août -, qui s'étend à toute sa mise en scène.

Le temps et le lieu de La Fille du 14 juillet sont essentiellement elliptiques. Ce n'est pas un voyage vers les années 60-70, mais au contraire, une façon de ramener ces années au temps présent. De la même manière que le président de la république qui regarde le défilé du 14 juillet est successivement, et pourtant simultanément, Nicolas Sarkozy et François Hollande, le film peut commencer dans un aujourd'hui qui est aussi hier. Un lieu impossible qui est à la fois la France en crise de 2013 et celle, insouciante, des trente glorieuses.

Ces habiles raccourcis permettent à Antonin Peretjatko de tracer un chemin fantaisiste fait d'associations d'idées et de conclusions hâtives. Le personnage du Docteur Placenta (!) n'est que cela : il presse les transitions, sautille d'un sujet à l'autre, entraîne tout le monde dans une hilarité forcée. C'est aussi la fonction des répliques face caméra, ou des quelques flashback, permettant aux personnages de trancher dans le vif, de prendre un tour d'avance sur le récit. Cette mécanique donne au film les allures d'une bande-dessinée, où le tracé prend le pas sur le réel et où le comique résulte d'imprévisibles court-circuits.

La douce fulgurance du coup de foudre qui, dans le regard d'Hector, transforme Truquette en statue grecque, n'est pas là pour compenser les gags dont le film est parsemé. Au contraire, il y a dans tout ça une admirable continuité comique, qui relie un visage charmant surmontant une sculpture et la tête coupée d'un aristocrate qui a trop joué avec les guillotines miniature. Le film est suspendu à ces gadgets, à ces trucs qui tombent comme des couperets et transforment une France raccourcie, malmenée, un terrain de jeu idéal.

lundi 18 novembre 2013

Lincoln équilibriste - Vers sa destinée, de John Ford

Vers sa destinée (Young Mr Lincoln), de John Ford, ressemble à une version américaine des Fioretti de Saint-François - une suite de petits tableaux illustrant la vie d'un saint, d'une manière simple mais saisissante. Sauf que dans le film de Ford, il est plus question de vertu que de sainteté : la vertu au sens grec, qui n'est pas de l'honnêteté morose ou de la modération, mais une forme d'excellence dans les idées et dans l'action qui se marie bien avec l'idéal américain qu'incarne Henry Fonda.

Le jeu de Fonda est génial. Il y a de la grâce dans sa manière de tenir en équilibre sur sa chaise, ou adossé à un arbre, comme si sa présence dans le monde procédait d'un infatigable principe de légèreté. Il a beau savoir fendre comme personne les rondins de bois, son allure de funambule donne  l'impression qu'il marche sur la pointe des pieds. Dans les scènes de procès, dans lesquels il fait l'avocat, il joue parfaitement cette fausse distraction lui permettant, aux moments choisis, de frapper par surprise - un type de jeu auquel son compère James Stewart est également habitué, on le voit par exemple dans Anatomy of a murder.


Du reste l'idée d'équilibre, de pondération, est omniprésente dans le film. Il s'agit d'abord de savoir si le jeune Abe ira faire son droit ou restera dans sa campagne - pour décider il s'en remet à un bout de bois qui, tenu en équilibre, tombera d'un côté ou de l'autre. Une semblable scène d'hésitation a lieu, sur un mode comique, alors qu'il doit choisir entre deux tartes qui lui sont proposées à la foire, et sur un mode dramatique, lorsqu'une mère de famille est sommée de choisir contre lequel de ses fils témoigner. C'est à l'occasion de ce dernier épisode du procès, où il a pris la défense de la mère de famille, que le personnage de Lincoln prend toute sa mesure. « Je crois que je vais monter au sommet de cette colline. » finit-il par déclarer à qui lui demande où il va.

The act of killing, de Joshua Oppenheimer

The Act of killing, de Joshua Oppenheimer, était projeté au Saint-André-des-Arts le 14 novembre dans le cadre du festival Cinéma et droits humains


Le documentaire de Joshua Oppenheimer donne la parole aux meneurs de la violente répression qui eut lieu en 1965 en Indonésie, suite à un coup d'état manqué des communistes. Ces anciens bourreaux, qui ont torturés ou tués des centaines de milliers de personne, sont aujourd'hui traités comme des héros dans leur pays. L'originalité du film est d'être fait avec eux, leur point de vue étant recueilli et traité comme sujet du film, sans commentaire ni zèle excessif dans la prise de distance. Il leur est même demandé, pour illustrer ce qui s'est passé, de rejouer leurs actes de barbarie.

Si le film est si dérangeant, c'est qu'il va systématiquement contre ce qu'on a l'habitude de voir quand il s'agit de filmer l'infilmable. En premier lieu, contre une sobriété formelle qui est généralement de mise : la morale étant affaire de travelling, il est recommandé d'éviter les procédé de représentation, de se taire devant l'indicible ("l'éthique de l'irreprésentable" dont parle cet article de G. Orignac). Avec ses passages oniriques et ses quelques scènes aux limites du soutenable, The Act of killing est aux antipodes de cette pudeur de bon aloi. Deuxième point sur lequel le film déjoue les conventions du genre : le procédé de départ, consistant à impliquer activement les personnages filmés dans un jeu théâtral. Non content de ne pas proscrire les effets de mise en scène, Joshua Oppenheimer en fait même le sujet de son documentaire : la caméra est moins là pour observer que pour provoquer des situations spectaculaires. Enfin, le troisième présupposé que le film renverse complètement, c'est l'idée que le devoir de mémoire est avant tout l'affaire des victimes, que l'oubli et le mensonge sont les complices du mal initial de la même manière que la vérité est l'alliée du bien. On rencontre avec effroi, dans The Act of killing, des bourreaux soucieux de témoignage authentique et des sadique pointilleux sur la reconstitution de la vérité historique. Le devoir de mémoire se travestit sous nos yeux en célébration maléfique.

Le mérite le plus évident du geste de Joshua Oppenheimer est de révéler par l'absurde l'impunité dont bénéficient en Indonésie ces criminels, pourtant reconnus comme tels. Absurdité qui confine parfois au comique, dans ces scènes de rue où la population aide joyeusement à rejouer une atrocité, ou sur un plateau de télévision, où les personnages du films sont interrogés en grands témoins de leur temps. Mais plus intéressante encore est l'hésitation des bourreaux quant à la position à adopter face à ce passé qu'on leur demande d'exhumer. Le discours du personnage principal, par exemple, fluctue de la vantardise à la nausée, quand il ne tourne pas autour de ses mauvais rêves. Par la mise en scène, il est toujours en train d'évaluer la possibilité de mettre à distance ou au contraire d'épouser précisément ses gestes passés. Le théâtre et le cinéma sont autant d'occasion de mettre la reconnaissance de soi à l'épreuve de la représentation. Les reconstitutions sont peu à peu entourées d'un flou artistique quant aux intentions réelles des metteurs en scène - les  anciens tortionaires, qui veulent dans le même temps illustrer leur cruauté et préserver leur image; mais aussi l'auteur du documentaire, qui est dans la position délicate de l'observateur embarqué. Ce flottement du point de vue envahit  le film, et donne des scènes de plus en plus irréelles. La question du mal prend alors les attrait d'une danse grotesque et fascinante, qui reste pour toujours sans réponse.

lundi 11 novembre 2013

Pique-nique en pyjama, de Stanley Donen et George Abbott

Pique-nique en pyjama est une jolie comédie musicale de Stanley Donen et George Abbott sortie en 1958, l'année de La Belle de Moscou. En passant sur ce qui sépare évidemment ce film de celui de Rouben Mamoulian (avec Doris Day on est loin de Fred Astaire / Cyd Charisse), il est amusant de pointer quelques ressemblances qui tiennent probablement à l'époque et à l'évolution du genre. Le premier point, c'est l'introduction du gadget dans les numéros musicaux. Une chanson de La Belle de Moscou avait pour thème le technicolor et le son stéréo; dans Pique-nique en pyjama c'est le personnage masculin qui se lance, grâce à son dictaphone, dans un duo avec sa propre voix, ou une séquence musicale qui se termine en accéléré. Second point : le sujet explicitement politique des deux films, au-delà de leur insouciance apparente. Dans celui de Mamoulian, la rencontre d'une soviétique avec la culture hollywoodienne était racontée à travers le prisme de la possession (posséder et être possédé). Dans celui de Donen, l'histoire d'amour entre un patron et une syndicaliste met en péril la chorégraphie sociale génialement conçue par Bob Fosse. Pour les couturières de la fabrique de pyjamas, l'enjeu est de concilier l'ordre et le désordre (la foule du pique-nique), le tempo rapide et le tempo lent (le numéro intitulé Hurry hup et sa version ralentie, c'est-à-dire sabotée), pour arriver à l'inévitable happy end sentimental et politique.

Ce qui va par deux dans Inside Llewyn Davis

- Les deux chats roux
- Les deux cartons de disques invendus
- Jim & Jean
- La chanson Fare thee well, chantée au début, reprise à la fin
- Llewyn & Mike
- Les frères Coen
la musique du film est à écouter ici