samedi 31 mars 2012

Qualités d'un film superficiel - Les adieux à la reine, de Benoît Jacquot


A cause d'un film affreusement prétentieux (A tout de suite) et de son actrice affreusement prétentieuse (Isild Le Besco) je m'étais promis de ne plus aller voir de film de Benoît Jacquot. Ces Adieux à la reine valaient-ils la peine de ne pas tenir ma promesse ? Eh bien ma foi, le film parvient à mettre ensemble quelques bonnes idées. 

Il y a tout d'abord une séduisante manière de contempler la fin d'un siècle, la fin d'un régime, la fin d'un monde clos - le château de Versailles, la cour et l'arrière-cour de Louis XVI - dans une sorte d'unité de lieu (la prise de la Bastille est racontée par un personnage, un peu comme au théâtre). Au service de la mise en scène de Jacquot, qui semble fasciné par cette atmosphère d'avant le déluge, un luxueux travail sur l'image, qui rassemble la trajectoire de Sidonie (Lea Seydoux), simple lectrice de la reine, et l'opulence de la cour en elle-même. Le personnage de Lea Seydoux est particulièrement réussi en ce qu'il focalise sur Marie-Antoinette ce regard de pure fascination, une forme d'amour dévot, entre érotisation et sacralisation.

La belle photo des Adieux à la reine n'est pas sans ambivalence, et Jacquot prend plaisir à disséminer les signes d'un mal intérieur qui viendrait, pire que les révolutionnaires, attaquer Versailles : avant le grand canal il y avait un marais infesté de rats et de moustiques, sous la galerie des glaces et sous les perruques, il y a des courtisans agglutinées dans des couloirs lugubres. L'idée, quoiqu'un peu téléphonée, donne quelques moments comiques - les aristocrates voyant leurs noms sur la liste des prochains à décapiter - et quelques moments oniriques, où l'indistinction règne entre la veille et le sommeil, puis entre le luxe et la pourriture intérieure. 

Cette même ambivalence prend le pas sur la relation entre Sidonie et Marie-Antoinette. Le corps sacré de la reine finit par s'inscrire dans un système de pures apparences, où le travestissement tient lieu d'identité. A cet égard le départ de Sidonie, son adieu à la reine est aussi un adieu à une foi réelle. En partant, elle fait le simple constat qu'un monde, dont la chair n'était finalement si ferme, s'est dissous. 

Une autre ambiguïté est celle de Benoît Jacquot : filmant Versailles, adaptant un livre de Chantal Thomas, son cinéma est en plein dans une "qualité française" qui est aussi un monde un part, avec ses décors, ses références et ses courtisans. Mais paradoxalement, quoi de mieux qu'un film à costumes et qu'un argument académique - quoi de mieux qu'un film superficiel - pour jouer avec les illusions d'un cinéma se contemplant lui-même, comme Marie-Antoinette avec ses favorites?

mardi 6 mars 2012

Langue de cheval - War horse, de Steven Spielberg

Article publié chez Causeur.

Dans Rencontres du troisième type, Spielberg décrivait l’invention d’un code musical permettant d’établir un contact avec des extra-terrestres. Dans son nouveau film Cheval de Guerre, il est aussi question de rencontre entre l’homme et la bête, avec ce cheval qui traverse la Première guerre mondiale. Mais la différence, c’est que les murmures du jeune Albert à l’oreille du cheval sont formés dans une langue déjà connue : pour dresser la bête, il suffit de répéter plusieurs fois la même injonction, comme à un enfant. Joey – c’est le nom de la monture – semble comprendre les hommes. Comme s’il ne s’agissait plus pour Spielberg d’inventer une langue rendant à l’inconnu sa communicabilité, mais de domestiquer un sujet quelconque en utilisant des paroles que chacun peut comprendre du premier coup. 

De là une évidente facilité du film. Si nous pouvons reconnaître à Spielberg d’avoir évité l’anthropomorphisme animalier, qui était le grand risque d’un tel projet, force est de constater que l’exceptionnel parcours de ce cheval reste toujours balisé par beaucoup d’automatismes du mélodrame. Cette simplicité est à la fois la qualité et la faiblesse de Cheval de Guerre. D’un côté nous avons la force sauvage de l’animal transformée en pure ligne narrative : nous sont successivement présentés, à travers celui-ci, un adolescent fils de fermiers anglais, un officier de la cavalerie britannique, des soldats allemands et une famille française. Un peu comme la matière numérique de Tintin, le cheval de Spielberg est un vecteur de transition d’un chapitre à un autre, d’un camp à un autre, d’un univers à un autre. Mais d’un autre côté, la liberté même de cette course semble étrangement bridée. Les personnages se ressemblent, le film s’allonge, le récit s’essouffle, et on se lasse peu à peu de ce sage parcours d’obstacles. Comment celui qui, il y a quelques mois encore sur nos écrans, faisait d’un film d’aventure l’occasion d’inventer de nouvelles formes en mouvement, comment ce Spielberg-là a pu faire atterrir son cheval sur une aussi morne plaine ? 

Pour répondre à cette question, il faut à nouveau s’interroger sur la langue dans laquelle nous parle ce Cheval de guerre. On l’a assez fait remarquer : dans ce film tout le monde parle anglais. Avec un accent allemand peut-être, ou avec quelques notes de français, mais toujours en anglais. La donnée serait anecdotique si elle n’était pas explicitement soulignée dans une scène du film où notre cheval se retrouve coincé dans les barbelés d’un champ de bataille. Un soldat anglais et un autre allemand se rejoignent dans le no man’s land séparant leurs tranchées. Ils le libèrent, discutent naturellement en anglais – et le Britannique fait même remarquer à l’Allemand la qualité de son accent. Tout le problème du film tient dans cette courte scène célébrant un pacifisme biaisé, un universalisme à sens unique. Le fil narratif qui allie tant d’univers différents le fait toujours de la même manière, dans l’uniformité d’une langue qui s’épuise en fait à dire la même chose. Il ne s’agit pas là de débusquer un quelconque impérialisme anglo-saxon, mais de constater que Spielberg se contente cette fois-ci d’évacuer les problèmes au lieu de les regarder dans les yeux. 

C’est pourtant précisément cette manière de détourner le regard qui fait les quelques belles scènes de Cheval de guerre. La mort, seule rescapée paradoxale du grand spectacle de la guerre, est tout ce qu’il y reste d’incommunicable : Spielberg semble s’obstiner à ne pas la montrer. Quand ce n’est pas l’exécution de déserteurs allemands qui est masquée par l’aile d’un moulin, c’est un raccord tragique qui fait disparaître les cavaliers britanniques de leur cheval, face aux canons allemands. Privé de ses yeux par le gaz moutarde, le personnage d’Albert retrouve finalement son cheval. Pudique ou reculant devant l’obstacle, Spielberg tient jusqu’au bout l’ambiguïté de son geste.