lundi 16 avril 2012

We bought a zoo, de Cameron Crow

Le deuil est-il en train de devenir l'un des motifs obsessionnels du cinéma américain ? Hollywood (et ses périphéries) fourmille depuis quelques temps de maris amputés de leur épouse, de mères et de pères privés de leur enfant, d'enfants orphelins de leurs parents. Cela donne des films particulièrement inspirés (Super 8Tree of lifeTrue Grit) ou plus médiocres (Hugo CabretThe Descendants) - et il est difficile de déterminer dans laquelle de ces catégories ranger We bought a zoo. Dans le film de Cameron Crowe, Matt Damon joue un jeune veuf, père de deux enfants, qui se décide à changer de vie en faisant l'acquisition d'une nouvelle maison et du zoo allant avec.

Si la mort correspond au décollement du corps et de l'âme, elle est aussi, pour les vivants de We bought a zoo, un décollement entre l'image et la parole. D'un côté nous avons une photographie publicitaire, ou du moins standardisée : une luminosité insolente, des plans qui se succèdent comme un diaporama i-Tunes et des animaux qui pourraient aussi bien, comme un personnage le fait remarquer, servir de fond d'écran. Les apparences, dans leur évidence même, ne sont plus que muettes - à la manière des animaux de zoo, que nous regardons dans le blanc des yeux. Car devant cette réalité de purs reflets mélancoliques (la lumière de l'ordinateur et de ses fantômes projetée sur les lunettes de Matt Damon) le langage est inopérant et vidé de son sens. Autre versant de cet état de deuil : les personnages ne parlent plus le langage du monde, ils y sont étrangers. C'est Benjamin confronté au tigre, ou confronté à son fils même, sans savoir leur parler.

Le hiatus entre la parole et les apparences donne lieu à une mise en scène assez subtile de la vie de famille. Nous avons décrit le père, Benjamin, tenu en échec par l'irréalité de la réalité, mais il y a aussi les deux enfants, aux deux extrémités possibles de comportement devant la situation : le dérèglement de l'image contre le dérèglement de la parole. L'ado déprimé surpris à faire des dessins sanglants, c'est un cliché de cinéma, mais cela touche à autre chose dans ce film : presque muet, se contentant de dessiner, son personnage se charge de représenter toute la négativité et toutes les zones d'ombre d'un lieu trop ensoleillé. Les créatures qu'il dessine sont comme les versions monstrueuses des animaux du zoo. A l'inverse, le personnage de la petite fille est un être de pure parole. Rien de moins naturel que cette fillette aux boucles trop blondes, qui décrit mieux que personne les situations ("We bought a zoo!"), et qui à 6 ans parle comme une jeune fille raisonnable. Le mutisme de l'un, et la négativité des images qu'il génère, répond au bavardage de l'autre, toujours dans l'enthousiasme excessif de la description.

Ce schéma donné, le film de Cameron Crowe rate sa progression. Il y a bien cette manière qu'ont le père et le fils de s'apprivoiser : cette jolie scène où, pour se confier, ils échangent leurs places et disent à l'autre ce qu'ils voudraient vraiment entendre. Mais dans l'ensemble, au lieu de tordre la mécanique de départ, au lieu de laisser l'imprévu s'infiltrer dans les oppositions que nous avons décrites, le film se rabat sur ses clichés et sur sa situation d'origine : le nouveau départ du titre français n'aura jamais lieu. 

En fait, l'échec final de We bought a zoo semble symétriquement inverse à l'éblouissante réussite de Super 8. Le film de J. J. Abrams mettait en scène le deuil comme confrontation à l'inattendu et à l'impossible, et célébrait au détour de son conte une forme renouvelée d'émerveillement cinématographique. Dans le film de Cameron Crowe le regard ne se laisse jamais saisir par la surprise : on se contente de célébrer un passé grossièrement sublimé. Pire que cela : à la dernière minute, Crowe confère à la parole - dont les vertus seraient d'un coup rétablies - le pouvoir magique de donner à l'être défunt une présence réelle. Non seulement cette apparition finale de l'épouse est une forme tristement dégradée d'émerveillement cinématographique, mais c'est en plus de ça un pur et simple mensonge. Un mensonge du personnage à lui-même et à sa famille, pourquoi pas (et peu importe), mais surtout une imposture artistique : le cinéma embaume les morts, il les invoque, il les fait revivre parfois dans une réalité seconde, mais il semble douteux de poser comme ça qu'il les ressuscite. Et surtout à quoi bon? A la fin, entre la réalité aux standards i-Tunes et Photoshop, et les difficulté d'un langage s'escrimant à nouveau à affronter la vie, Cameron Crowe semble s'être engagé avec son personnage dans la première voie. Je ne parviens pas à dire si c'est triste pour le personnage ou pour le cinéaste.

jeudi 12 avril 2012

2 jours dans le slip de Vincent Gallo


C'est quand même tragique, Julie Delpy qui voudrait faire du Woody Allen et se retrouve à singer Frank Dubosc. Il n'y a pas grand chose de récupérable dans ce 2 Days in New-York. Passons à la limite sur toutes les scènes de malaise, souvent bien peu comiques, des visiteurs français dans l'appartement de Chris Rock : quasiment pire que ça, il y a l'emballage branché du théâtre de marionnettes new-yorkaises, avec Vincent Gallo en guest star. Inutilement graveleux, niais et puéril : du cinéma régressif à tous les niveaux.