mardi 18 janvier 2011

Les mots tout choses des Marx Brothers

Le scoop n’est probablement pas très frais, mais ça reste une petite découverte personnelle : les Marx Brothers ont inventé le burlesque parlant. Mesurons un peu le paradoxe : dans les pochades marxiennes, le burlesque – art muet par excellence – est saturé de paroles. Le langage du corps devient prétexte à torturer le corps du langage. Si un Chaplin (par exemple) est muet, c’est que ses plans parlent d’eux-mêmes. L’astuce des frères Marx est de faire précisément que les plans ne puissent plus parler d’eux-mêmes. La parole n’est pas là pour expliciter, mais au contraire pour rendre toute situation équivoque. Il y aura toujours un Groucho pour venir compliquer de ses jeux de mots les situations les plus simples. Le comble étant bien sûr que cette complication de la parole soit une merveilleuse manière de broyer le sens pour y laisser germer l’action pure, anarchique, muette comme Harpo!

dimanche 9 janvier 2011

Le Celluloïd sans le marbre - Faites le mur, de Banksy


Banksy, roi insaisissable du street-art, nous désarçonne de belle façon avec Faites le mur. A peine le vrai-faux documentaire a-t-il commencé qu'on se demande: "est-ce un film sur Banksy ou de Banksy?" On ne saura jamais vraiment, puisque l'histoire est justement celle d'un détournement. On est venu voir Banksy, on aura Thierry Guetta. Ce dernier est un improbable français, installé à Los Angeles, que l'on voit se prendre de passion pour le street-art et suivre caméra à la main tous les grands noms de cette acrobatique discipline (affiches, fresques, pochoirs, mosaïques, installations). Il dit préparer un documentaire mais ne fait que filmer et empiler des cassettes.

Faîtes le mur est d'abord ceci : un documentaire impossible, informe. A propos d'un art lui-même sans contours, qui repose sur la répétition invasive et sans fin des mêmes motifs. On comprend bien vite que l'intérêt de ces curieux peintres sur bâtiment est moins dans leurs messages - en général, et à quelques exceptions prêt, tout aussi lénifiants et idéologiques que ceux qu'ils dénoncent - que dans l'ingéniosité qu'ils emploient à les exprimer. A coller leurs affiches aux endroits saugrenus, à préparer leurs expéditions nocturnes, à escalader les architectures urbaines. La véritable originalité de Banksy dans tout ça, c'est la finesse de ses interventions - la vie surprenante et autonome de ses oeuvres, placées au bon endroit au bon moment.

Et quand on croit arriver au véritable sujet du documentaire (Banksy), l'encapuchonné anonyme est là pour renvoyer l’ascenseur. Il suffit à ce maître facétieux de glisser un conseil au documentariste raté, Thierry Guetta, pour que ce dernier s'institue "artiste". Second détournement: le street art était art de la reproduction, il sera reproduction de l'art à des fins commerciales. Un peu comme le pop-art, qui détournant l'objet à valeur commerciale a forcément fini par créer de nouveaux objets à valeur commerciale. C'est ici le même serpent qui se mord la même queue : usurpant au système ses méthodes de propagande (le buzz), le street-art finit logiquement par en devenir l'expression ultime.

Mais Banksy, véritable auteur du film dont nous parlons, regarde tout ce petit jeu avec un oeil si critique dans la bienveillance, si lucide dans l'enthousiasme, que cela ne peut qu'emporter l'adhésion. Force et faiblesse de l'art, vanité des artistes et génie des imposteurs, la farce touche à une vraie profondeur théorique. Traité maltraité, Faites le mur n'est jamais gagné par l'esprit de sérieux. Mais jette l'air de rien quelques vérités subtiles sur l'art, sur l'art de filmer, et sur l'art de filmer l'art.