vendredi 31 décembre 2010

2010: mon abécédaire de dix lexiques

A Serious Man, de Joel et Ethan Coen

Des Hommes et des dieux, de Xavier Beauvois

Fantastic Mr Fox, de Wes Anderson

Ghostwriter, de Roman Polanski

Inception, de Christopher Nolan

Social Network, de David Fincher

Shutter Island, de Martin Scorsese

Toy Story 3, de Lee Unkrich

Tsar, de Pavel louguine

lundi 27 décembre 2010

City Girl, de Murnau - Le bonheur n'est pas dans le pré


Voir la chronique sur Kinok

Respectivement première et dernière collaboration de Murnau avec la Fox, L'Aurore et City Girl partagent bien des traits communs. Les amours contrariées sont semblables : perdues quelque part dans le contraste entre la campagne et la ville. Les deux oeuvres ont pourtant une tonalité différente l'une de l'autre, et cette différence va au-delà du contexte de création – apparemment plus difficile pour City Girl, comme expliqué dans les suppléments du dvd. Le premier film, chef d'oeuvre depuis longtemps célébré, nous immerge dans les affres des sentiments, en en faisant vaciller la lueur à l'écran. Le second, longtemps jugé mineur, est moins radical : les sentiments y sont plus évidents, et la vie y est tantôt paisible, tantôt inquiétante, mais jamais menacée par l'ombre expressionniste de la tragédie.

Un muet très parlant Il n’y a pas, dans City Girl, ce vertige essentiel de l’absence et de la présence. Le film y perd en éclat ce qu’il gagne en simplicité. La donnée initiale est plus basique, en effet, plus sociologique, puisqu’ici la campagne et la ville se rencontrent à travers deux archétypes : le fils de paysan et la serveuse de fast food. En cela déjà Murnau s’éloigne du romantisme allemand pour aller vers un réalisme romanesque – c’est probablement ce qui fait dire aux commentateurs que City Girl est le premier vrai film américain du cinéaste allemand.

City Girl donne par ailleurs une impression de modernité. Peut-être est-ce dû au statut ambiguë de cette œuvre, à cheval entre le muet et le parlant – il existait apparemment une version parlante qui ne nous est pas parvenue. Toujours est-il que les combats d’ombre et de lumière ont laissé place à des scènes plus explicites, plus théâtrales, plus parlantes justement.

La caméra de Murnau s’adapte de manière parfaitement cohérente aux lieux et aux situations. Les scènes dans le fast food, par exemple, avec ces plans fixes qui laissent serveuses et clients s’ébattre devant les machines métalliques. Puis, dans ce brouhaha (toujours filmé silencieusement), le jeu de charme entre nos deux personnages insensibles à l’agitation. Ou encore les scènes de moissons, d’abord pédagogiques, puis déroulant les longs champs de blé dans de grands travellings.

Le couple à l'épreuve de la solitude Campagne et ville ont beau s’opposer de manière si juste, on retrouve dans les deux lieux illusion et désillusion. La richesse de City girl tient à ce déplacement, de la beauté et de l’oppression de la ville vers la douceur et la rudesse de la campagne. Dans les rues ou dans les champs, notre serveuse est toujours le jouet d’un destin plutôt sombre, aux mains d’hommes cruels ou lâches. Les rêves sont les mêmes, des lumières de la ville à l'horizon des champs de blé. Et les cauchemars aussi, qui déforment les visages, tamisent les sentiments et endurcissent les coeurs.

City Girl, au fond, nous raconte l'histoire du couple à l'épreuve de la solitude. A la ville comme à la campagne, être deux permet de jouer avec l'espace – et de se jouer de son emprise. En témoigne la rencontre dans le fast food : le comptoir qui sépare nos deux personnages, les machines et la patronne qui guette sont autant d'épreuves dans le jeu de séduction qui s'établit naturellement. Il en est de même quand le couple arrive a la campagne et joue, dans l'euphorie du moment, à se poursuivre et à sa cacher comme pour mieux s'enlacer. A l'inverse, les moments de solitude sont ceux où l'espace se fait le plus oppressant. Par exemple quand notre paysan apprend au milieu de la foule, sur un journal, que le cours du blé vient de chuter : la nouvelle est emportée dans la marche indifférente de la population urbaine. Dans la ferme, c'est au tour de notre serveuse d'être broyée par cette in-hospitalité. Elle se retrouve dans la pénombre de pièces vides avec comme seul vis-à-vis un père autoritaire ou un paysan lubrique.

Pourtant, il y a toujours – et c’est là encore la patte de Murnau – cette naïveté émerveillée jusque dans le réalisme le plus abrupt. La nuit de tension qui voit notre couple se perdre et se retrouver est l'occasion de plans magnifique à la lueur des lanternes. On y retrouve ce vertige de la présence et de la disparition qui faisait la beauté de l'Aurore et consacre dans City Girl le portrait tout en nuances d'une histoire d'amour étonnamment moderne.

L'Aurore - Mirages de la ville


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L'Aurore est le premier film américain de Murnau, et c'est aussi celui où l'expressionnisme du cinéaste allemand est portée à son degré essentiel. C'est en se jouant de la lumière qu'il fait miroiter les illusions et reluire les sentiments. L'amour ressemble, dans l'oeil de Murnau, à un questionnement existentiel et photographique sur la présence et l'absence de l'autre ou de soi-même.


L'amour en surimpression L'Aurore est hanté d'emblée par le combat entre les lumières de la ville et l'austérité de la campagne. Première incarnation de la sophistication urbaine : le personnage de la brune qui vient semer la discorde dans l'honnête couple. Ses vêtements, sa coupe de cheveux, son corps – sa danse endiablée qui appelle à l'image le tourbillon de la ville – sont une infiltration du désordre moderne dans la campagne traditionnelle et paisible. Tout nous mène vers une opposition nette et puritaine entre le sobre, le vrai – le bonheur –, et le clinquant, le fake – la discorde.


Cette opposition moralisante est pourtant bientôt contournée, le noeud des sentiments déplacé : pour le paysan torturé que nous suivons, l'amour adultère est une certaine manière de s'absenter. Physiquement – dans sa petite escapade avec son amante –, mais surtout, et à tout instant, mentalement. L'usage de la surimpression, absolument essentiel dans ce film, n'est qu'une manière parmi d'autres de mettre en question la présence réelle du personnage dans le plan. Plus de place pour le présent, à tous les sens du terme, notre paysan est coincé entre ce qu'il a été – flashback mettant en scène un couple heureux – et ce qu'il voudrait être – lumière de la ville et étreinte de la vamp, en surimpression.


Aimer et être aimé A partir de cette situation, tout le génie de Murnau sera de détourner la question morale, de faire des sentiments conjugaux de notre personnage une affaire esthétique et existentielle. Quand il esquisse le geste meurtrier, c'est la présence véritable de sa femme qui s'impose à lui comme une évidence du regard et de la chair. Et c'est tout le beau paradoxe de cette Aurore, que ce geste, puis cette poursuite, nous mène tout naturellement de cette obscurité lourde vers les lumières et les vapeurs de la ville. Place, dès lors, au dialogue fertile de l'amour renouvelé, entre l'être et les aspirations, entre la réalité et l'émerveillement.


L'amour, dans l'Aurore, est littéralement photographique : il a beau reproduire la réalité, il se nourrit de rêve, de lumière, de changements de plan et d'arrière-plan – comme notre couple, chez le photographe de la ville, pose devant un fond bucolique. D'un coup, l'ivresse et les tourbillons de la ville ne sont plus vecteurs de chaos, la surimpression n'est plus une fuite, mais forme l'étoffe de l'instant présent, fait les sentiments plus profonds et plus aériens. Les lumières de la ville ne sont plus sources d'équivoque et d'ubiquité, elles donnent au contraire à la vie un lieu précis et un horizon déterminé – un plan et une profondeur de champ.


L'aurore en question est bien sûre religieuse : l'instant de vérité, l'angoisse du forfait à commettre, l'imploration de l'épouse et bientôt le renoncement, résonnent au son des cloches comme un acte de contrition. Cette aurore est le mouvement d'amour qui renouvelle toute chose, amène d'une main invisible les êtres à la présence et les libère du règne de la pesanteur. En cela, l'aurore de Murnau ressemble aussi beaucoup au cinéma.

dimanche 5 décembre 2010

Les Petits cauchemars de la bonne conscience


Elle est une gauchiste délurée et exubérante, dénonciatrice échevelée des injustices en tout genre – prompte à coucher avec des hommes de droite pour les convertir à sa cause. Il est un jospiniste convaincu, patient défenseur du principe de précaution et partisan du risque zéro en matière d’épidémies animales. Ils jalonnent à eux deux le territoire de la gauche, terrain de jeu du Nom des gens, la comédie romantico-citoyenne de Michel Leclerc avec Sara Forestier et Jacques Gamblin. Le portrait attendri de la famille de gauche n’était pourtant pas l’objet de ce film, qui se voulait à la fois document pédagogique, comédie loufoque, drame sentimental et œuvre politique. Rien de tout ça bien sûr dans cet inoffensif récit sentimental.

L'article est sur Causeur